L'orage sous la tente
C’est la fin d’une belle journée du mois de juillet au Camping des Dunes. Les enfants jouent à la balle dans l’allée sablonneuse, tandis que les grands discutent autour d'une table pliante en formica. Le soleil couchant donne au ciel une teinte violine et ourle les nuages menaçants d’un halo mordoré.
— Il va pleuvoir.
C’est papa qui a parlé, le ton plein d’assurance. Sans doute a-t-il raison, car un air frais et chargé d’iode provoque soudain un petit frisson.
— On va vous aider à débarrasser, dit la voisine en se levant, et jette à son mari un regard entendu.
En quelques minutes, l’espace devant la grande tente familiale est libéré — les couverts ont été nettoyés, la table et les chaises pliées et rangées sous l’auvent. Une jeune fille à vélo remonte l’allée principale à toute vitesse alors que dans tout le village de toiles, le chant des fermetures à crémaillère rivalise avec celui des cigales. Le vent forcit et des nuages véloces se rapprochent, tandis que les premiers éclairs zèbrent le ciel indigo.
Dans la guitoune, sous l’ampoule qui se balance au rythme de la toile secouée par les rafales, les enfants sont dans leurs couchages et chuchotent les bons souvenirs du jour ; dans leur voix se dessine néanmoins l’appréhension de la bourrasque à venir. Maman tourne les pages d’un roman acheté avant le départ tandis que papa, sous l’auvent, fume une dernière cigarette.
Une première goutte tombe sur le toit, puis une deuxième, avec ce son caractéristique — comme des petits doigts qui tapotent le tissu, de plus en plus nombreux. Rapidement, l’averse trouve son rythme, soutenu et constant, comme un batteur de jazz lancé dans un solo improvisé — grosse caisse, toms et cymbales sur les feuilles de l’arbre à côté. Les coups deviennent hypnotiques et se propagent dans chaque recoin, jusqu’au fond des duvets ; papa a éteint la lumière, et sur les cloisons molles s’impriment en filigrane des éclats d’un bleu tamisé.
Cela dure longtemps.
Les enfants, d’abord impressionnés, se laissent progressivement bercer par le tempo régulier. Maman et papa sont allongés et écoutent, main dans la main et le sourire aux lèvres, les tambours de la nuit. Les haubans frémissent, la toile ondule, l’abside clapote. Peu à peu le percussionniste s’épuise, s’abandonne et joue de variations plus subtiles ; on dirait de la samba.
Tout le monde s’est endormi, alors que roule au loin le tonnerre, que se retire l’orage sur la pointe des pieds.
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