Episode 2
Le canapé de Marc est absolument abominable. Il n’a aucun style. Son ton orangé a salement mal vieilli. Comme toute la bande, en témoigne la soirée d’hier. Ce vieux sofa est surtout bien trop poussiéreux et terriblement inconfortable. Le pire c’est qu’on y est a l’étroit alors qu’il prend une place monstrueuse. Paradoxalement, j’ai pas du tout passé une mauvaise nuit. En tout cas le réveil s’est fait en douceur. J’étais visiblement en plein rêve puisqu’il me reste en mémoire.
J’étais en Inde, il me semble. J’avais troqué ma moto contre un vélo très rudimentaire.
Je me fraye un chemin dans les rues bondées de monde. C’est la cohue. Les gens se bousculent. L’ambiance est assez étrange. Les regards sont fuyants, je croise des êtres désincarnés, dont les traits du visage s’effacent instantanément.
Les rues qui étaient noires de monde se vident. Le pneu avant de mon vélo crève et j’avance à pieds sur un chemin interminable. Un type tout maigre aux yeux rouges se retrouve planté devant moi. Il m’avertit avec une voix effrayante que je dois foncer pour LE retrouver. Je n’ai aucune idée de ce dont il parle. Je décide de suivre l’eau rouge qui coule le long de la route de terre, pour atterrir ensuite au cœur d’une place vide. Ou presque. Un immense éléphant y siège, immobile, les yeux dans le vague. Lorsque son regard se pose sur moi, il devient implorant. Le pachyderme a une lance plantée dans le derrière. Plus j’essaie de lui retirer plus il braille. Jusqu’à ce qu’il se relève et fracasse le sol d’un gros coup de patte, la terre tremble.
Ce doit être à ce moment que j’ai ouvert les yeux. Je ne sais pas ce que cette histoire un peu tordue est venue foutre dans mon esprit.
Dans la cuisine Sophie est assise un café fumant à la main et un livre dans l’autre. Sans impolitesse, elle prête peu d’attention à mon arrivée. Elle est captivée par sa lecture. La couverture du livre est très colorée, avec en illustration une femme qui semble chercher la sérénité. Le genre de bouquin avec un titre à rallonge, plein de belles pensées positives.
Je connais vraiment très peu Sophie. Je me rends compte que depuis dix ans que Marc vit avec elle, nous n’avons jamais eu vraiment de discussion tous les deux.
Elle repose son livre énergiquement et termine son café cul-sec.
- Bien dormi ?
- Ça va. Merci beaucoup pour le canap’.
- Tu parles. Il serait temps qu’on le change. J’ai honte à chaque fois qu’on reçoit du monde.
- En tout cas c’était mieux que je dorme ici.
- Marc n’a pas pu t’attendre ce matin, il avait rendez-vous à 8h. Tu veux un café ?
- Volontiers. Mais je peux le faire.
- T’en fais pas je suis pas pressée.
- Tu ne bosses pas aujourd’hui ?
- Si, je commence à 10h, j’ai une visite juste à côté.
- C’est quoi ton livre ?
- "L’odeur de la pluie sur le goudron chaud un soir d’été", c’est l’histoire d’une femme qui plaque tout pour partir s’occuper d’éléphants en souffrance en Inde.
Un petit rire d’étonnement m’échappe.
- Tu connais ?
- Non. C’est surtout que tu viens de raconter le rêve que j’ai fait cette nuit. Tu ne m’en a pas déjà parlé hier de ce bouquin ?
- Non, je ne crois pas.
- On a peut-être oublié avec la soirée.
- Je m’en souviendrais, j’ai pas bu moi hier, je ne bois plus du tout tu sais.
Silence.
Je sens que je devrais être au courant de quelque-chose.
Marc ne m’en avait pas parlé mais Sophie souffre d’une hépatite. Ça a été très compliqué, elle a beaucoup souffert. Elle est sur la bonne voie mais je sens encore beaucoup d’usure dans ses mots. Sophie que je connaissais à peine, a soudainement arrêté de faire face devant moi. Comme si cette histoire d’éléphant avait créé un lien. Comme si j’avais gagné sa confiance avec un simple question.
Elle reprend le fil de la discussion.
- Tu vas à Bordeaux aujourd’hui ?
- C’est l’idée.
- Tu vas voir ta fille c’est ça ?
- Il faut déjà que je vois avec elle si je peux venir.
Commentaires
Annotations
Versions