Et on y est bien revenus. Le souffle court, le front couvert de sueur, je m’affale contre Adam. Il vient de jouir en moi. En silence, épuisés par l’effort, on partage une dernière longue inspiration, puis un long soupir de soulagement. L’écran de veille du LiScreen affiche trois heures et quart. Nous sommes sortis de table à deux heures.

Après dix ans de vie commune, Adam et moi sommes loin d’avoir un rapport sexuel tous les jours. Pas le temps, et sans doute pas l’envie non plus. La faute à un quotidien bien chargé, à quelques distractions extra-conjugales, et, il faut bien le dire, à un art pornographique toujours plus réaliste. Mais la flamme est toujours là. Souvent plus douce, parfois plus ardente. Et quand nous trouvons enfin le temps de nous retrouver à deux, corps contre corps, il reste de loin celui avec qui je prends le plus de plaisir.

Toutefois, au-delà de ces plaisirs charnels occasionnels, il faut bien admettre que l’horizon des possibles s’est considérablement réduit depuis le début de notre relation. Il y a quelques années encore, nous aurions pu faire une balade en ville, le long des berges du Colorado. Un weekend au carnaval de la Nouvelle-Orléans. Une semaine en Europe, pour aller voir mes parents. Un trek de quelques jours en Arizona, sur les terres natales de Adam. Ces temps-là sont révolus. La Nouvelle-Orléans se trouve désormais à quelques mètres en-dessous de l’océan Atlantique. Un vol vers l’Europe nous couterait une petite fortune, bien plus que ce que nos salaires respectifs ne nous permettent. Quant à la randonnée en Arizona, c’est devenu un sport à haut risque vu la qualité médiocre de l’air ambiant. Marcher dans le désert avec une assistance respiratoire embarquée, ce n’est pas la même chose.

Nous voilà donc contraints de profiter de notre temps à deux calfeutrés dans l’environnement climatisé et purifié de notre maison. Je ne vais pas m’en plaindre, ou en tout cas, pas aujourd’hui. Cet isolement forcé présente indéniablement d’autres atouts, mon front mouillé par nos ébats en est le meilleur témoin. Et, après tout, ce n’est qu’une répétition de ce qui nous attend, Adam et moi, à bord de l’un des vaisseau « Salvare », et puis sur Mars.

Une cabine conjugale de quelques mètres carrés, seul véritable d’espace d’intimité pendant les neuf premiers mois de notre voyage. Puis, une fois sur Mars, une vie en communauté au sein d’une crevasse terraformée. Sans doute pas beaucoup plus d’espace individuel qu’à bord du vaisseau. Mais la possibilité, en plus, de prendre un repas à deux au restaurant collectif, de passer à la salle de gym, ou de se promener dans un parc sous-terrain, à l’atmosphère artificielle. Ce n’est que rarement que nous pourrons effectuer une sortie en surface. Pour admirer le paysage aride et accidenté de la planète au sol oxydé. Grimper sur un rocher pour voir le coucher de soleil, et rentrer très vite avant que le froid de la nuit martienne ne nous rattrape.

De temps en temps, nous irons d’une crevasse à l’autre. Le temps d’une journée ou d’un week-end. Peut-être même qu’il sera possible de visiter une crevasse chinoise. Pour retrouver un peu d’exotisme, de nourriture asiatique authentique. Refaire l’expérience d’une altérité terrestre, l’espace d’un instant. Techniquement, c’est possible. Certaines crevasses chinoises se trouvent à proximité de celles occupées par les américains, suffisamment pour qu’on puisse voyager d’une à l’autre par voie terrestre. Reste à savoir si colons, certes américains et chinois, mais également désormais martiens, trouveront un terrain d’entente. Je compte bien mettre mes talents de juriste de l’espace pour œuvrer à un tel accord.

En attendant, Adam, qui a décidément de l’énergie à revendre, aujourd’hui, sollicite un autre de mes talents, d’un regard plein de malice et de sous-entendus. Je réprime un petit rire amusé, et, après lui avoir décroché un rapide baiser, descends vers son entrejambe pour le récompenser.