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Je gare mon e-truck devant le petit immeuble de briques roses dans lequel se trouve l’appartement de Iké. Je jette un dernier regard à mon reflet dans le rétroviseur. Passe la main dans mes cheveux pour y dompter quelques mèches retombées sur mon front, en dépit des efforts herculéens produits chaque matin pour les coiffer en arrière. Entreprise vaine. La nature reprend toujours le dessus. Mes yeux clairs sont cernés. Un peu tristes, aussi. Le bleu de mon iris vire au gris du ciel. Je hausse les épaules machinalement. Trop tard pour me refaire une beauté. Iké devra se contenter de cette version pâle et rongée par le spleen et l’insomnie de ma personne, la seule que je puisse lui offrir aujourd’hui, je le crains.

Lui-même sera peut-être également moins apprêté que d’habitude. Il n’était pas prévu que l’on se voit, après tout. Je l’ai contacté sur un coup de tête, répondant à son message d’il y a quelque jours en lui proposant de lui rendre visite chez lui. Autrement dit, une invitation expresse à coucher ensemble.

Je ne sais pas bien ce qui m’a fait changer d’avis. Je crois que je voulais me donner un peu de temps. Quelques heures de répit. Pour penser à autre chose. Occuper mon corps et mon esprit à quelque chose d’un peu moins contreproductif et auto-destructeur, après ces deux jours passés quasiment enchaîné à Adam. Le cœur gros. La boule au ventre. Et pourtant, sans me sentir autorisé à me morfondre. A m’apitoyer sur mon sort. Ou, du moins, refusant de le montrer à Adam. Condamné à retenir mes larmes à chaque signe évocateur de son départ imminent. Par peur de le gêner. De gâcher son plaisir. Et par la même occasion nos derniers instants passés ensemble. Je n’en pouvais plus de rester là, inutile, les bras ballants. Malgré ses efforts pour me signifier son affection, j’avais constamment l’impression d’être un poids. Un boulet. Ou peut-être une épine dans le pied. Douloureuse, certes, voire carrément pénible sur le moment, mais finalement simple désagrément passager, et qui serait heureusement vite oubliée, une fois retirée.

Ce n’était bien sûr que mon impression, largement façonnée par la déception immense, incommensurable, à l’idée de rester seul à quai, à terre. Adam aurait nié catégoriquement le moindre ressentiment à mon égard. Et je ne peux pas dire qu’il ait jamais tenté de me faire passer un tel message. Par ses paroles ou ses gestes. Mais je ne pouvais m’empêcher de penser de la sorte. Il valait mieux pour moi et pour lui que je me change les idées.

Je monte les marches quatre-à-quatre jusqu’au deuxième étage. Sonne à la porte de Iké. Il m’ouvre. Un large sourire aux lèvres. J’ai eu tort de compter sur son impréparation. Il est aussi beau que lors de notre dernière rencontre. Le teint mat, les yeux sombres, presque noirs, mais pas tout à fait, on y décèle quelques éclats de brun et de doré en fonction de la lumière. Une impressionnante couronne de tresses serrées, ornées de perles blanches, qui tombent un peu au hasard sur ses larges épaules. Il porte un ensemble en toile bleu clair qui tranche magnifiquement avec sa peau foncée. Il est pieds-nus. Ce qui signifie qu’il a bien compris au ton de mon message que le but principal de ma visite n’était pas de faire une promenade dans le parc le plus proche.

Je ne résiste pas à l’envie de l’embrasser pour le saluer. Il me serre de ses bras, plus frêles que ceux de Adam, sans aucun doute, mais joliment dessinés malgré tout. Et me rend mon baiser avec tendresse. Et me pardonne ainsi mon silence prolongé. Du moins, c’est comme ça que j’interprète son geste. Je sens mon entrejambe se durcir au contact de nos lèvres. De toute évidence, il était stupide de ma part de repousser nos retrouvailles.

Iké m’offre un café. Par simple politesse, ou peut-être parce que j’ai l’air épuisé. J’accepte sans rechigner. La conversation s’anime peu à peu. Il y a plus d’un mois que nous nous sommes vus pour la dernière fois. Autrement dit, une vie entière, vu la tournure prise par les événements ces derniers jours. Je lui annonce la nouvelle. Mon départ pour Mars est compromis. Sans doute est-il même annulé, et ce pour toujours. Je vois dans son regard sombre une drôle de lueur s’allumer. Une lueur d’espoir, je crois bien.

- Et qu’est-ce qu’en dit Adam, me demande-t-il d’un ton que j’identifie immédiatement comme faussement détaché. Il va quand même y aller, sur Mars, lui ?

- Je crois que oui. Enfin, oui, j’en suis sûr.

- Vous en avez discuté ?

- Pas encore, enfin, pas vraiment, plutôt... Mais il n’y a pas besoin, c’est couru d’avance. Et, si je dois être honnête, je ferais pareil à sa place...

- Pourtant, c’était bien votre projet à tous les deux, non ? J’imagine que ça change la donne, que tu ne puisse pas y aller avec lui.

- Oui, certes... Mais je dois dire que l’idée qu’il abandonne le programme « Salvare » n’a jamais été évoquée. Je dirais même qu’elle ne m’a jamais effleuré l’esprit. Et, de toute façon, peu importe ce qu’on en pense, lui et moi : il est obligé de s’engager avec son boulot, il n’a pas vraiment le choix. Tu sais, l’armée, c’est comme ça...

- Je crois qu’on a toujours le choix !

Je marque une pause. Suffisamment appuyée pour qu’elle soit remarquée. Je sais pertinemment ce que Iké essaye de faire. Pourtant, on s’était mis d’accord là-dessus : pas de messes basses, pas de jalousies, et pas de déballage de linge sale sur ma relation avec Adam en son absence. Nul ne sert de nier son existence, bien sûr, mais Iké ne devrait pas se positionner ni dans la concurrence, ni dans la confidence vis-à-vis de moi et de Adam. C’était notre pacte. C’est toujours mon pacte, peu importe qui partage un peu, beaucoup de mon intimité. On ne mélange pas les choses. On compartimente. C’est plus facile, plus propre, plus juste comme ça. Pour tout le monde. Je jette un regard accusateur au beau métis, qui semble comprendre qu’il est allé trop loin.

- Je n’en dis pas plus, lâche-t-il en haussant les épaules. Je suis vraiment navré pour toi, en tout cas. Mais je suis content que tu sois là, aujourd’hui.

L’incident clos, on a continué de parler pendant quelques minutes. Le ton un peu plus léger. De son boulot, à la clinique OneHealth du campus de UTex. De sa mère, qui refuse toujours la médecine moderne, y compris les traitements individualisés par séquençage génique proposés par son propre fils, et ce en dépit d’un cancer à un stade avancé. Du mon boulot à moi. Ou plutôt, de ma démission. On s’est mis d’accord pour dire que c’était l’occasion de prendre un nouveau départ. Après tout, ça faisait un sacré bout de temps que j’enseignais à UTex. Un peu de changement ne pouvait pas faire de mal. De nos rencontres. Lui continuait de traîner sur Humpr, pour y trouver ce qu’il y avait à y trouver. Pas grand-chose. Du sexe rapide et, parfois, un peu plus. C’est selon. Rarement beaucoup plus. Moi, j’ai arrêté. Pas le temps. Ça a eu l’air de lui plaire.

Très vite, on a commencé à se rapprocher. Sa main s’est posée sur ma cuisse. Puis est remontée lentement jusqu’à mon bas ventre. Et s’est glissée dans mon slip. Il m’a branlé tout doucement, sans complètement interrompre notre conversation. C’était son jeu habituel. Faire comme si de rien était. Et moi, comme d’habitude, je marche à fond. Ses anecdotes plus ou moins insignifiantes s’agrémentent de quelques baisers. Dans mon cou. Sur ma joue. Le bout de mon nez. Il prend mes lèvres entre les siennes, l’espace d’un instant, avant de reprendre le fil de son histoire.

Je finis pas craquer. Je déboutonne un à un les boutons nacrés de son ensemble bleu clair. Et dénude son torse. Puis le reste. Je lui demande de passer à la chambre, pour un peu plus de confort. Il se plie sans difficulté à ma demande. On se lève, quitte la table. J’admire ses jolies fesses rebondir au rythme de ses pas alors qu’on se dirige vers le lit. Impossible de lui résister.

Il me faudra seulement quelques minutes pour jouir. Lui, suivra un peu plus tard, moyennant quelques efforts supplémentaires de ma part. Il halète encore. Le souffle coupé par l’exercice. Quelques tresses perlées obstruant son regard perdu dans le vide. Mais visiblement satisfait. Je laisse échapper un petit rire. Il est vraiment très séduisant, quand il se remet de ses émotions, avec sa mine d’enfant gâté. Je dépose un dernier baiser sur son épaule nue. Et quitte le lit pour me rhabiller, le laissant seul et, bien qu’il n’ait rien dit, sans doute un peu déçu de me voir partir si vite.

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