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Je n’ai pas appelé Jon. Je ne lui ai même pas écrit. J’ai réagi à un de ses posts sur OneFeed, un commentaire politique, avec lequel j’étais plus ou moins d’accord, d’ailleurs, en dépit de mon « like ». Et puis plus rien. Il n’a pas insisté.

Les jours qui ont suivi ce nouvel an pas comme les autres, je les ai passés enfermé à la maison. Coupé du monde. Refusant un à un les appels de mes parents. Me contentant de leur répondre un « tout va bien, je suis occupé » par message, pour ne pas avoir à leur mentir au téléphone.

La solitude, le manque d’activité et l’isolement commencent à me jouer des tours. Je ne suis pas fait pour l’oisiveté. Ou, plutôt, il n’est pas bon de me laisser pendant trop longtemps seul avec mes idées noires, et rien de suffisamment substantiel pour les chasser. Je ne cuisine pas. Je réchauffe des végé-steaks et des sachets de fruits congelés au micro-ondes. Je ne m’habille pas. Je ne quitte plus ce pyjama informe, trop grand pour moi, dont l’odeur doit commencer à laisser désirer. Non pas qu’il y ait quelqu’un que ça puisse déranger.

Les cours auraient dû reprendre. Si j’avais encore été professeur à UTex, il y aurait eu au moins ce prétexte pour m’obliger à me trainer dehors, et à prendre une bonne douche, au passage. Mais, pour le moment, il n’y a rien qui m’attend à l’extérieur. Et je ne vois pas bien comment ça pourrait changer si je ne fais rien pour.

Les premiers jours de ma nouvelle vie d’ermite, j’ai dû consulter la page web du programme « Salvare » plus de mille fois. Pour y lire les mise à jour. Sur le plan de vol du Salvare III, avant toute chose. Le vaisseau semble poursuivre sa course vers Mars sans rencontrer de difficulté majeure. Adam est en sécurité. C’est important. Et, je dois bien avouer, j’y ai aussi guetté tout signe annonciateur d’un éventuel changement de politique sur les candidatures émanant de ressortissants de pays tiers. En vain. Malheureusement.

Un soir, après avoir épuisé le stock de bières que Adam et moi avions constitué au fil des dîners et autres petites fêtes sans prétentions que nous organisions de temps à autre, j’ai visité un autre site internet. Celui du programme « Olympus ». Le programme européen. La différence était pour le moins frappante. Un design hors d’âge. Un outil de traduction multilingue en panne, seule la version anglaise et, ne me demandez pas pourquoi, slovaque étaient en état de marche. J’ai lu la version anglaise.

Et, au-delà de cet aspect peut-être superficiel, bien que révélateur, un message d’avertissement sur la page d’accueil, ne laissant rien présager de bon.

« Le programme Olympus est actuellement suspendu, en l’attente d’une décision du Conseil des Etats-membres concernant le budget de la mission européenne de colonisation martienne »

Sans commentaires.

Passant outre cet enthousiasme débordant de la part de l’Agence spatiale européenne, je suis malgré tout allé m’aventurer dans les tréfonds des différents sujets de l’onglet « candidatures ». Et, après avoir parcouru des dizaines de pages de conditions générales rédigées dans un anglais légal parfois un peu approximatif, me suis décidé à y déposer la mienne.

S’en sont suivies de longues heures passées à remplir le dossier de candidature. Un document d’identité. Un CV. Une photo homologuée. Une signature bio-certifiée. Un extrait de naissance digital. Heureusement, je disposais de tous ces éléments à portée de main depuis notre passage chez le notaire de OneLaw, Adam et moi.

Mais ce n’est pas tout. Loin de là. Une série de QCM sur l’espace et la vie en conditions extra-terrestres. Un questionnaire médical interminable, si détaillé que j’ai bien failli renoncer à déposer ma candidature après avoir terminé la page dix, et lu le message me félicitant d’en être arrivé à la moitié. Tout ça pour être informé en fin de questionnaire que mes données seraient confirmées par séquençage génétique si ma candidature était retenue. Enfin, une lettre de motivation dans laquelle il était demandé d’expliquer ce que l’on était en mesure d’apporter à la mission « Olympus ».

Je ne suis plus très sûr de ce que j’ai bien pu inventer. Mes connaissances pointues en droit de l’espace. Mon anglais parfait. Ma capacité à travailler dans un environnement multiculturel. Le fait d’avoir été intimement lié au programme « Salvare » des Etats-Unis. Je n’ai pas mentionné Adam. De peur qu’on rejette ma candidature d’office, en me prenant pour un amoureux transi souhaitant rejoindre son bien-aimé par tous les moyens possibles.

J’ai soumis mon dossier au beau milieu de la nuit. Je n’avais pas vu le temps passé. Quelques minutes plus tard, j’ai reçu un mail me remerciant pour mon intérêt pour la mission « Olympus », et me demandant de conserver ma référence : 0012239498. Il ne me reste plus qu’à prier pour que ce ne soit pas ma place dans la liste d’attente, car je doute que l’Europe ait l’intention d’envoyer plus de douze millions de personnes sur Mars.

Ce matin, le temps est clair. Il a plu toute la nuit. Et avant cela pendant plusieurs jours d’affilée, sans interruption. Le déluge s’est arrêté il y a quelques heures seulement. Le trait de côte aura sans doute reculé de quelques mètres encore, et de nouveaux nomades malgré eux seront venus grossir les rangs des réfugiés climatiques qui entassent leurs pick-ups autour de la ville. J’ouvre la fenêtre et hume le parfum enivrant de l’asphalte mouillée. J’ai toujours aimé cette odeur. Les mauvaises langues diront que ça me rappelle sans doute ma Bretagne natale. Peut-être ont-ils un peu raison.

Je me demande, d’ailleurs, s’il n’est pas temps de rentrer. En Europe. En France, peut-être même. En Bretagne, j’en doute. Mais à quoi bon rester ici, à ne rien faire. J’ai bien réfléchi. Je n’ai pas envie, pas la force de retourner enseigner le droit de l’espace à UTex. J’ai besoin de recommencer à zéro. De faire quelque chose de différent. Pour ne pas être forcé de penser à la même chose, encore et toujours. Au programme « Salvare », à Mars, à Adam. Je veux dédier mon énergie à autre chose. Si je dois vivre le reste de mes jours sur Terre, autant faire quelque chose de différent.

J’ai fait quelques recherches pour vendre la maison. Je n’en tirerai pas grand-chose. L’immobilier n’a pas le vent en poupe à de si faibles altitudes. Mais peu importe.

Reste à être certain de vouloir quitter le Texas et l’Amérique une bonne fois pour toute. Après si longtemps... C’est une grande décision. Je ne suis pas encore rendu là.

Qu’est-ce qui me retient ? Je l’ignore. L’habitude, surtout. Je suis un homme pour qui l’habitude est une raison comme une autre. Quelques souvenirs heureux, beaucoup encore vivaces. Quelques personnes.

Iké.

Il m’a envoyé un message il y a quelques jours. Je n’ai pas encore répondu. Mais, cette fois-ci, j’ai la ferme intention de le faire. Ne serait-ce que pour assouvir un besoin le plus physiologique qui soit, tout en bas de la pyramide de Maslow. Je ne vous fais pas un dessin. Mais pas que. Je crois qu’il me manque un peu. J’ai bien envie de voir un visage familier.

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