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J’ai retrouvé Volker dans un café du quartier européen. Désespérément impersonnel. Le café, pas Volker. L’établissement s’appelle « The Office », je suppose à des fins humoristiques pour les bureaucrates anglophones les plus dévergondés.

« Where are you honey ? »

« I’m at The Office ».

Pas mal.

La salle des consommations, visiblement pensée pour accueillir les afterworks des fonctionnaires et lobbyistes des environs, est située au sommet d’une haute tour de bureau, et à défaut d’offrir un décor original – quelques tables en bois blanc, un menu simpliste écrit en néon, ne proposant que différents types de boissons non-alcoolisées, et du verre dépoli en-veux-tu-en-voilà – dispose d’une terrasse à ciel ouvert qui permet de profiter d’une vue impressionnante sur la jungle urbaine environnante. Un remarquable paysage de béton, métal et verre, de bitume et quelques rares coins de verdure, le tout principalement vertical. Ce n’est pas Manhattan, mais on s’en rapproche.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la clientèle n’est pas bigarrée. Des hommes et des femmes, en proportions plus ou moins égale, entre trente et cinquante ans, invariablement vêtus de ce qui semble être un uniforme de mise dans le quartier européen, une sorte de tenue professionnelle plus ou moins décontractée selon le rang ou le poste occupé. Et par cela j’entends avec ou sans cravate pour les hommes, et avec ou sans veste de tailleur pour les femmes.

Pour le reste, tout le monde à l’air en pleine santé, relativement bien dans sa peau, et suffisamment à l’aise financièrement pour ne pas hésiter à reprendre une deuxième tasse de « lait russe » à « neuf euros nonante-neuf ». On échange des réflexions pertinentes et des plaisanteries bon enfant. On rit avec mesure, dans une retenue plutôt élégante, qui ne tranche pas avec l’ambiance feutré du café.

Les LiPhones dernier cri passent de main en main.

« Regarde-moi ça, tu vas fondre ! ».

Une photo du petit dernier, qui vient d’entrer à la crèche de l’entreprise, au rez-de-chaussée. Le nouveau chiot adopté à la rentrée, sur la pression des enfants, qui boit encore au biberon. Une vidéo du concert de piano de l’aînée, qui entre dans un nouveau cycle à l’école européenne.

« Ma femme aussi fait du piano, mais, pour ainsi dire, elle n’a plus le temps depuis qu’elle a repris à plein temps sa carrière d’avocate ».

« C’est quand même plus pratique de descendre à Madrid en maglev, quand je pense que certains prennent encore l’avion, c’est à s’en taper la tête contre le mur ».

« J’ai si hâte que décembre arrive, je vais faire de la plongée à Chypre avec un ami d’enfance ».

Volker ne détonne pas vraiment au milieu de cette faune très policée. La chemise impeccable, sans cravate, malgré son rang finalement plutôt élevé, il s’enquiert poliment de mes premières impressions suite à la rencontre avec Myrto. Il n’en reste pas moins charmant, le regard affable, le sourire attendrissant, arborant un calme olympien – tiens, drôle de coïncidence, ou pas. Je lui avoue avoir été impressionnée par la commandante, tentant par la même occasion d’expliquer mon embarrassant mutisme lors de la réunion.

- Myrto est une femme extraordinaire, admet-il. Et, soyez rassuré, c’est une pilote hors-pair. Je ne l’ai jamais vue en difficulté aux commandes d’un engin spatial, quelle qu’en soit la taille, pas même lorsque nous étions de simples étudiants.

- Vous avez étudié ensemble ?

- Oui, à l’académie de pilotage de Francfort. Et elle était bien meilleure que moi. Bien meilleure que tout le monde, d’ailleurs.

- Oh mais, Volker, vous êtes pilote, vous aussi ?!

- De formation. Enfin, pas uniquement. J’ai effectué pas mal de vols, principalement entre Kourou et la station européenne en orbite gravitationnelle.

Je me souviens de cette mission - « Artémis » - successeure européenne de la station spatiale internationale, après que celle-ci ait été démantelée une fois la parenthèse de la coopération dans l’espace définitivement refermée, qui, il me semble, s’est achevée il a quelques années seulement.

- C’était il y a peu de temps, alors ! réponds-je avec un grand sourire, le regard admiratif.

- On ne peut rien vous cacher, Yann... répond Volker, visiblement un peu gêné. Ça ne fait pas si longtemps que j’ai raccroché, c’est vrai. Mais je ne suis pas mécontent d’être de retour au sol, surtout pour un poste aussi intéressant que celui que j’occupe actuellement, en plein cœur de la mission « Olympus » sans avoir à me rendre sur Mars moi-même. Parce que bon... se promener entre la Terre et la Lune, c’est sympa – c’est merveilleux, même – mais aussi parce qu’on a le privilège de rentrer chez soi au bout de quelques jours, quelques semaines, tout au plus. Mars, la colonisation extra-terrestre, tout ça, c’est une autre aventure...

- C’est certain...

- C’est pour ça que je vous porte une estime considérable, Yann, poursuit-il d’un ton faussement détaché. Il faut du cran pour s’embarquer dans une mission pareille.

Je suis troublé par le compliment inattendu de la part du bel allemand. Je ne peux m’empêcher de prendre une teinte cramoisie, et de balbutier une réponse inintelligible. Volker le remarque, évidemment, et, du haut de son mètre quatre-vingt-dix, me décroche un sourire ravissant, qui n’arrange rien à ma détresse. Je me vois lui rendre son sourire sans avoir préalablement réfléchi aux conséquences. Un silence entendu s’installe entre nous. Un peu trop longtemps, peut-être.

- Je peux peut-être vous offrir une autre verre ? demande finalement Volker d’une voix claire.

- Volontiers !

- Et puisqu’on est amenés à travailler ensemble, on peut peut-être aussi se tutoyer... Qu’en pensez-vous ?

- Je pense que c’est une excellente idée, Volker, ravi que vous - que tu -le proposes.

Le reste de notre conversation a été des plus plaisants, Volker se révélant être un homme à la fois fort cultivé, presque drôle, de temps en temps, souvent malgré lui, mais avec suffisamment d’autodérision pour en rire de bon cœur.

Je l’ai quitté vers vingt-et-une heures, pour prendre le dernier maglev vers la France.

Dans le train, sur le trajet du retour, j’ai eu bien de la peine à contenir mon excitation. Celle de ma rencontre avec Myrto, bien sûr, un moment décisif du reste de ma vie, assurément. Celle de mon départ pour Mars, également, quasiment acté, à ce stade, bien que je ne réalise pas encore tout à fait. Mais aussi, et presque plus que tout le reste, celle des quelques moments passés avec Volker, à boire un maté hors de prix dans un café dénué de charme. Le café, pas Volker, j’insiste bien, encore une fois.

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