LOG38_DAY0
Le compte-à-rebours a commencé, diffusé par les haut-parleurs du spatioport, pour la foule, et repris au creux de mon oreille par les LiPlugs, le système de communication intra-auriculaire dont l’ensemble des passagers du Olympus I est équipé.
Dix. Neuf. Huit....
« Moteurs principaux sous tension »
Je me revois, deux ans plus tôt, sur le tarmac du spatioport de San Antonio, en train de dire adieu à Adam, et, par la même occasion à mon rêve de toujours, un voyage vers Mars, le regard brouillé de larmes, depuis les gradins. Lui était sans doute assis à une place similaire à celle que j’occupe aujourd’hui dans le cockpit du vaisseau, accompagné des membres du conseil sous le commandement de Volker et de Polona. Je visualise encore le Salvare III s’élancer en ligne droite vers le ciel, dans un nuage de fumée blanche. Que devait-il ressentir, à cet instant, Adam ? Mon Adam. A-t-il seulement pensé à moi. Ou était-il trop absorbé par la mission qui lui incombait alors, incapable de détacher ses pensées de son objectif et de l’immensité de la tâche à accomplir.
Sept. Six. Cinq...
« Moteurs principaux allumés. Moteur propulseur sous tension »
Je pense également à Iké. Son regard pailleté d’or et ses jolies tresses perlées. Son sourire si communicatif et ses désirs jamais complètement assouvis. Il m’a sauvé de moi-même. Il m’a remis sur le droit chemin. Sans lui, je ne sais pas où je serais aujourd’hui. Peut-être sous les ruines de mon pavillon texan.
Quatre. Trois. Deux...
« Moteur propulseur allumé ».
Le moment fatidique arrive. Et, à cet instant, mon regard se tourne vers Volker, installé sur son fauteuil de pilote, un rang devant moi, dont je devine le visage de profil. J’ai tout le loisir d’admirer le ballet incessant de ses mains vire-voletant sur le panneau d’affichage, activant telle ou telle commande, vérifiant le niveau de carburant ou la force des moteurs, ne m’en demandez pas plus, je n’y connais rien.
Toujours est-il qu’il s’active, le visage concentré, pas spécialement stressé, toutefois, beaucoup moins que plus tôt dans la journée, lorsque nous n’étions pas encore rentrés dans le vaisseau, son élément de prédilection, après tout.
Il est beau.
Je m’arrêterai là. Je n’ai pas le droit d’aller plus loin. Ce ne serait pas bon. Ni pour moi, ni pour lui, ni pour la mission.
Je m’efforce de penser à Ótavio, donc, assis dans le compartiment réservé au reste de l’équipage, que j’imagine pétrifié sur son siège, à l’heure actuelle, incapable de dissimuler la terreur sur son visage juvénile.
Un. Feu...
« Décollage ».
La propulsion, inouïe, me plaque contre le dossier de mon siège. Le vacarme des moteurs est assourdissant. On entend à peine le « bip » des commandes activées une à une par Volker et Polona, à mesure que l’Olympus I s’arrache du sol terrestre. Le vaisseau tout entier vibre, et moi avec lui. L’équipage fait corps avec la machine. Devant nous, l’immensité bleue du ciel ne semble particulièrement pas se rapprocher. Du moins, pas tout de suite. Et soudain, alors que nous traversons un nuage à vitesse grand V, je prends conscience de la force de notre poussée. Nous sommes déjà haut dans les airs.
Si nous pouvions regarder en arrière, nous verrions se dessiner les contours de Tolède, de la péninsule ibérique, et, très vite, de l’Europe occidentale, puis de l’Europe tout entière, à la manière d’une carte de GPS que l’on dézoome très lentement. Enfin, et à mesure que l’horizon passe du bleu au blanc, au gris, puis au noir, nous verrions apparaître la courbure de la Terre, puis carrément son aspect sphérique, et pour finir, la fine ligne d’azur qui délimite son atmosphère du vide intersidéral.
Nous voilà dans l’espace.
« Tolède à Olympus. Lancement réussi. Félicitations, vous êtes en route pour Mars ».
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