Vison N° 6
Une plage de sable sur la Méditerranée. Dans un coin, une vieille dame est en train de manger des spaghettis. On la voit qui enroule les pâtes autour de sa fourchette, et qui les porte à sa bouche ; ceci trois ou quatre fois de suite. Le plat ne se vide pas ; comme si chaque bouchée avalée, se reconstituait dans l’assiette. Dans un autre coin, on voit avancer deux carabiniers coiffés d’un tricorne à aigrette, portant leur épée sur le côté droit et arborant une épaisse moustache. Arrivés à la hauteur de la vieille dame, ils s’arrêtent, la dévisagent d’un œil sévère, en riant grassement. La dame, imperturbable, continue de manger ses spaghettis. Tout à coup, de derrière les carabiniers, surgit du sable un immense serpent à tête de taureau. Il ouvre sa gueule et les engloutit ; puis il disparaît à nouveau dans le sable. La vieille dame, continue de manger. Des nuages passent dans le ciel. Ils couvrent le soleil et puis s’en vont. Du sable, pousse un manège avec des chevaux de bois, et l’on voit entrer en scène des hommes et des femmes vieux qui convergent vers le manège et grimpent sur les chevaux qui commencent à tourner de plus en plus vite, tandis qu’il s’enfonce progressivement dans le sable, laissant la place aux baraques de foire : grande roue, auto tamponneuses, montagnes Russes, stands de tir etc… ; et l’on voit entrer en scène des enfants avec leurs parents, des adolescents entre eux. Bientôt se déroule l’animation habituelles des jours de foire ; mais dans un silence total. Le seul bruit que l’on entend c’est celui que fait la vieille dame en mangeant ses spaghettis. Un garçon en veste blanche et pantalon noir, avec sa serviette posée sur son bras, s’approche de la vieille dame. Elle pose la fourchette dans l’assiette. Il lui dit :
« Madame a aimé ? »
Elle fait « oui » de la tête
« Madame prendra un dessert ? Un café ?
— Café. »
Le garçon retire l’assiette et s’en va, tandis qu’un autre garçon arrive avec la tasse de café et un verre d’eau. Il pose le tout sur la table et dit d’un ton obséquieux :
« Vous voyez, madame, j’ai pensé au verre d’eau.
— Très bien petit, tu seras récompensé à ta juste valeur. »
Derrière, la foire est toujours aussi animée, mais toujours aussi muette. Dans le ciel de gros nuages commencent à se former. Ils sont gris, chargés d’orage. En peu de temps ils recouvrent le soleil, et le tonnerre se met à gronder, et les éclairs scintillent. A ce moment précis, on entend des cris de paniques. Hommes, femmes et enfants s’empressent de quitter la foire du plus vite qu’ils peuvent. Des mères cherchent leurs enfants, d’autres enfants ont perdu la leur et pleurent. C’est la panique. L’orage éclate enfin, et l’on voit courir les personnes dans tous les sens. La vieille sirote son café. La pluie qui tombe à verse, ne semble pas la mouiller. Cela dure quelques instants ; puis les nuages s’en vont, laissant la place à un ciel bleu, et un soleil généreux Des tables ont poussé partout. Des couples s’y sont installés. Des garçons s’affairent autour d’eux. Ils posent assiettes, couverts, corbeille à pain, carafe d’eau. Un monsieur demande à un garçon, indiquant les ruines de la foire :
« Quand serons-nous débarrassés de cette immondice ? »
Le garçon lui répond :
« Le maire a promis de s’en occuper. »
La vieille dame lève la tête, regarde le monsieur et dit :
« Le jour où le maire fera quelque chose. »
Deux ou trois couples regardent la vieille dame et l’applaudissent. Un jeune homme avec un ouistiti sur son épaule, poussant un orgue de Barbarie entre en scène et dit :
« Qui veut de ma musique ? »
Aucune des personnes attablées ne lui fait signe de s’arrêter ; alors il sort de scène en répétant, sa phrase. La vieille dame a fini son café et son verre d’eau. Elle hèle un garçon. Il s’approche :
« Vous mettrez le repas sur ma note. »
Elle se lève. Toutes les personnes attablées, la regardent paniquées. Lorsqu’elle est partie, toutes les tables vont s’enfoncer dans le sable. La plage devient déserte, sauf un petit coin, où l’on voit une vielle dame qui mange un plat de spaghettis. La lumière décline peu à peu jusqu’au noir total.
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