Vison N°9

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 C’est la nuit. Je marche le long d’une rue tranquille bordée de belles demeures. Le ciel est pur et limpide. Je vois la lune montante, et plein d’étoiles. Plus loin, je peux apercevoir une grande maison avec beaucoup de fenêtres sur deux étages. Chacun des quatre coins est surmonté d’une tour avec fenêtres et balcon circulaire. J’essaie d’imaginer l’intérieur de cette demeure. Je devine de nombreuses portes donnant sur de nombreuses chambres reliées par de longs couloirs. Des salons, des bibliothèques, de salles de jeu, des salles d’armes, etc… Décidément cette maison me fascine. Je m’arrête devant. Je l’observe. Une voiture s’arrête à ma hauteur. La vitre arrière se baisse, une main me tend une carte de visite et une voix de femme me dit :

« Tenez, dites que vous venez de ma part. »

Et la voiture s’en va.

Je pousse la grille, j’emprunte le chemin qui mène jusqu’à l’entrée. Arrivé devant, la porte s’ouvre. Je tends la carte au majordome qui me dit :

« Je sais. J’ai tout entendu. Entrez. »

Je le suis. La maison est plongée dans une semi obscurité. Je peux tout de même apercevoir des meubles cossus et de grands tableaux pendus aux murs. Je continue de suivre le majordome jusqu’au pied de l’escalier.

« En haut, vous prendrez le couloir de gauche et, au bout, vous ouvrirez la porte. Dedans, vous trouverez ce que vous cherchez. »

Je monte l’escalier, j’emprunte le long couloir. De part et d’autre, par des portes entr’ouvertes j’aperçois des chambres à coucher. Elles sont éclairées. Des jeunes filles en kilt marron chemise blanche et cravate verte, aux cheveux impeccablement coiffés retenus par des barrettes, sont assises à leurs tables de travail. Mon passage ne semble pas les perturber. J’ai dû compter quinze chambres d’un côté et autant de l’autre. Arrivé au bout du couloir, j’ouvre la porte et je rentre dans une grande pièce vide, à l’exception d’une malle posée au milieu. Je vais à elle, je m’accroupis devant. La clé est dans la serrure. Je la tourne, soulève le couvercle qui s’ouvre brusquement. Il en jaillit une marionnette de clown au bout d’un ressort. Cette apparition inattendue, m’a fait tomber à la renverse. Dehors j’entends les rires des jeunes filles. Je me relève, rabats le couvercle, et m’avance vers la porte. Des pas se pressent dans le couloir. Je l’ouvre. Il est à nouveau désert. Elles ont dû regagner leurs chambres. Lorsque je passe devant, leurs têtes sont penchées sur leurs livres. Je redescends l’escalier au pied duquel le majordome, toujours impassible m’attend. Il me demande de le suivre. Il ouvre une porte à notre gauche et nous rentrons dans la bibliothèque. Tous les murs sont recouverts de livres. Combien y en a-t-il ? Dans un coin de la pièce, trône un bureau en bois massif. Devant lui, deux fauteuils. Les lattes du parquet craquent sous nos pas. Il ouvre une autre porte et nous entrons dans une pièce enfumée où des hommes, vêtus comme les gangsters dans les films des années cinquante, jouent au billard. Je les regarde, il me dit de ne pas faire attention à eux ; eux même, d’ailleurs, ne semblent pas faire attention à nous. Il ouvre une autre porte et nous entrons dans la salle d’armes. Il y a des sabres, des épées, des arbalètes, des mousquetons, des pistolets etc… Chaque arme est enfermée dans une armoire vitrée. Au fond de la pièce j’aperçois une armure entourée de guirlandes lumineuses de toutes les couleurs. De part et d’autre de celle-ci, deux immenses squelettes devant mesurer plus de deux mètres. Suspendus aux murs, des tableaux figurant des hommes en tenue de combat de toutes les époques. Je n’ose poser aucune question ni sur les squelettes, ni sur les portraits, ni sur les jeunes filles. Je suis le majordome. Il ouvre une autre porte et nous arrivons dans une petite pièce circulaire avec une fenêtre sur le rebord de laquelle, est posé un pot de géraniums. Aux pieds de celle-ci, deux tabourets. A notre gauche se trouve un étroit escalier en colimaçon. Le majordome me dit :

« Je ne peux aller au-delà. Ce n’est plus mon secteur. Montez l’escalier. Vous reconnaîtrez la chambre de la Princesse, car c’est la seule qui soit éclairée. »

Alors je monte l’escalier qui tourne. Je me dis que je dois être dans l’une des tours. Arrivé en haut, j’aperçois un long couloir étroit. Il doit sans doute les relier les unes aux autres. Je l’emprunte. A droite un long mur blanc sur lequel sont accrochés de tableaux représentant des scènes de différentes mythologies : Grecque, Scandinave, Slave, Saxonne etc… A gauche, des portes. La troisième est éclairée. Dès que j’arrive devant, une femme aux allures de gouvernante me l’ouvre. C’est une toute petite pièce recouverte d’épaisses tentures et de nombreux tapis. Au milieu, assise sur un pouf en cuir rouge et jaune, une naine vêtue d’une robe de petite fille. Elle a un corps frêle, une grosse tête avec un front proéminent et des yeux globuleux. L’un est de couleur rouge rubis, l’autre de couleur vert émeraude. Elle s’amuse avec une vieille poupée en chiffon. Elle lève le regard sur moi. Ses yeux se mettent à clignoter. Elle m’ordonne :

« Embrasse ma poupée. »

La gouvernante qui se tient debout raide comme un piquet, me fait signe de ne pas le faire. La naine m’ordonne à nouveau d’embrasser sa poupée.

« Embrasse la, autrement le dragon va te tuer.

— Je n’ai pas peur des dragons. Je m’appelle Georges. »

Elle se retourne :

« Draggy ! Crie-t-elle. »

De dessous le tapis, je vois sortir un petit dogue qui s’avance vers moi. Il ouvre sa gueule d’où jaillissent des flammes. Quelqu’un me met la main sur l’épaule. Je me retourne. Le Prince Arthur me tend une épée.

« Fendez lui le crâne avec. »

Je prends l’arme et l’abats durement la tête du chien qui se fend en deux. Je la rends au Prince Arthur en le remerciant. La naine regarde le cadavre de son chien en lançant d’un ton neutre :

« Ça devait bien finir comme ça. »

Puis elle reprend à jouer avec sa poupée. La gouvernante me fait signe de m’en aller. Je rebrousse chemin. En bas de l’escalier, un autre majordome m’attend. Il me demande de le suivre. Nous sortons de la pièce ronde et nous voici dans le jardin d’hiver rempli d’une multitude de fleurs : roses, tulipes œillets, hortensias, bégonias. Des fleurs à perte de vue, les unes plus parfumées que les autres.

« C’est un beau jardin, dis-je.

— Nous avons un excellent jardinier qui aime son travail.

— C’est pour la Princesse toutes ces fleurs ? »

Le majordome se retourne et me dit :

« Ne prononcez plus jamais ce mot, si vous tenez à rester ici. » Puis il ouvre une porte qui donne sur le jardin et me dit : « Asseyez-vous et attendez. Je ne peux pas aller plus loin. Ce n’est plus mon secteur. »

Il s’en va. Je m’assieds. Il est grand et bien entretenu. Il y a des arbres très hauts qui cachent une partie du ciel. A trois ou quatre mètres de moi, une dame est en train d’écrire. Je la regarde. Elle finit par m’apercevoir.

« Une seconde et je suis à vous. »

Lorsque finalement elle vient à moi, elle s’excuse :

« Je suis en plein dans mon dernier roman policier. »

Avant que je n’aie pu dire quoi que ce soit, elle ajoute :

« Non, je ne suis pas Agatha. » Elle me fait un sourire. « Vous pouvez me parler de tout. »

Je lui demande :

« Qui est la Princesse ? »

Elle me fait signe de me taire

« Ne prononcez plus son nom, si vous tenez à rester ici. Suivez-moi, je vais vous montrer vos appartements. »

Elle me conduit devant une petite maison basse et ronde. Nous entrons. Le sol est recouvert d’un tapis circulaire représentant saint Georges terrassant le Dragon. Une table ronde, une chaise et un petit lit de camp, sont les seuls meubles. Trois petites fenêtres donnent sur le jardin.

« Vous serez très bien pour écrire, me dit-elle. »

Puis elle me salue, et s’en va. Je reste quelques instants à contempler la pièce, « ma pièce ». Soudainement, je suis saisi d’une grande fatigue. Je m’allonge sur le petit lit et ferme les yeux. Noir total.

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