Vision N°12
Je suis debout devant l’Arc de Triomphe. La place de l’Etoile, ainsi que les Champs Elysées, sont déserts. Dans ma main droite, je tiens un parapluie blanc et noir ouvert au-dessus de ma tête, bien qu’il ne pleuve pas. Dans ma main gauche, je tiens une longue cigarette. Une japonaise à vélo, passe devant moi. Je lui demande si elle a du feu, elle me fait « non » de la tête. Apparaît un homme monté sur des échasses. Il porte une veste jaune et bleue des pantalons rouges et des grandes chaussures blanches. A tout hasard je lui demande s’il a du feu.
« Pour sûr que j’en ai du feu, me di- il »
Et il me lance un briquet au bout d’un élastique. Je pose mon parapluie, j’allume ma cigarette, puis je lâche le briquet qui remonte à toute allure, et que l’homme rattrape au vol. Il me demande :
« Voulez-vous une trompette ? »
Je lui réponds : « non »
« Je vous la donne quand même. »
Et il me lance une trompette en plastique ; puis il me demande :
« Voulez-vous un sifflet ? »
Je lui réponds à nouveau : « non »
« Je vous le donne quand même. »
Et il me lance un sifflet en fer blanc, puis il me dit :
« Et maintenant j’ai quelque chose qui va sûrement vous faire plaisir, mais il faudra que vous veniez à ma hauteur.
— Comment ferai-je ?
— Soufflez dans la trompette ou dans le sifflet autant de fois qu’il le faudra pour devenir aussi grand que moi. »
Je prends la trompette, je souffle une fois et je grandis de quelques centimètres ; je souffle une deuxième fois et je grandis encore ; je souffle trois fois encore et me voilà aussi grand que lui.
« Vous avez vu ? C’est un jeu d’enfant. »
Maintenant, je peux le dévisager. Il a une tête ronde, des oreilles décollées, un gros nez et de grosses lèvres. Il est coiffé d’un grand chapeau rouge, muni d’une cordelette, qu’il a nouée autour de son cou. Je le vois mettre sa main à la poche, et en extraire une épaisse liasse de billets de banque. Il y a des Euros, des Dollars, des Yens et des Livres Sterling. De sa poche gauche, il sort une enveloppe et place les billets à l’intérieur ; puis il me la tend.
« Cadeau supplémentaire. Surtout rangez la bien. Que personne ne la voie. » J’enfile l’enveloppe dans la poche intérieure de ma veste et, avant que je n’aie pu dire quelque chose il ajoute : « Ne me remerciez pas. Ils ne sont pas à moi. Bien, je vais m’en aller maintenant.
— Attendez. Comment je fais pour redescendre ?
— Facile. Vous soufflez une seule fois dans l’autre instrument. Vous redescendrez en douceur. Au revoir. »
Pendant que je le regarde partir, je sors le sifflet et souffle dedans. Me voici revenu à ma taille normale. Je reprends mon parapluie, je l’ouvre à nouveau au-dessus de ma tête, et me mets à regarder à droite et à gauche. Deux coccinelles géantes arrivent à toute allure, l’une en face de l’autre. Elles se rentrent dedans, et tombent. Du sang gicle de leur tête. Je me mets à souffler dans mon sifflet en criant :
« Un accident ! Un accident ! »
Je ne me rends pas compte que je commence à grandir. Quatre policiers en képi, arrivent à toute allure. Ils se penchent sur les coccinelles géantes. L’un d’entre eux demande, en regardant autour de lui :
« Y a-t-il un médecin ? »
Arrive alors un petit homme en pyjama et robe de chambre. Dans sa main il a sa trousse et son stéthoscope. Il regarde les deux insectes gisant sur le sol, et sans même se pencher sur eux, il dit :
« Trop tard. Elles sont mortes. Voulez-vous que je vous délivre le permis d’inhumer ? »
Les policiers lui disent que non. Alors, il s’en retourne d’où il est venu. J’ai de la peine. Je voudrais m’approcher d’elles, mais je suis trop grand. Je sors la trompette de ma poche, et souffle dedans. J’ai repris ma taille normale. Je m’approche d’elles. Je pose ma main sur leur cœur. Il ne bat plus. L’un des policiers me demande si je suis également médecin. Je lui réponds :
« Non, mais j’ai été témoin de l’accident. J’ai de la peine de les voir mortes. »
Je m’allonge sur le sol et me mets à pleurer. Quelqu’un se penche sur moi. Je reconnais l’homme aux échasses, qui a ôté ses échasses. Il me dit :
« Ce n’est pas l’heure de faire l’enfant. »
Je continue de pleurer. Je dis entre un sanglot et l’autre.
« J’ai été témoin de l’accident. Elles sont mortes toutes les deux.
— Ce n’est rien. Laissez-moi faire, et vous verrez. »
Il se fraye un passage parmi la centaine de policiers qui, maintenant, entourent les deux insectes morts. Une fois devant leurs cadavres je l’entends dire :
« Debout paresseuses. Vous croyez que c’est malin de vous donner ainsi en spectacle ? »
Tout de suite après, j’entends des : « Oh ! », des : « Ah ! » des : « Ce n’est pas croyable ! C’est de la magie ! ». Je me lève, juste au moment où les deux coccinelles reprennent leur envol. Aussitôt, les policiers se mettent à courir à travers les Champs Elysée, et à travers les rues adjacentes en chantant :
« Elles sont ressuscitées les coccinelles.
Les Champs commencent à se remplir de monde. J’aperçois au fond un magnifique feu d’artifice. Je le regarde émerveillé. Des scintillements de toutes les formes et de toutes les couleurs éclairent le ciel. Je vois apparaître en grosses lettres rouges, le mot : FIN, qui s’étale de plus en plus, tandis que la lumière décline jusqu’au noir total.
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