Chapitre 1
Il était une fois, dans un très lointain royaume de chevaliers et de damoiselles, de princes et de fées, où tous étaient heureux, où la paix et l’amitié étaient rois, où tous coexistaient en harmonie, vivait un jeune et beau prince que tous aimaient. Aucune chose, aucune existence en ce monde ne pouvait surpasser la beauté de ce prince. Ses cheveux d’or étaient plus brillants que la plus brillante des pièces d’or, ses yeux, tels deux saphirs, étaient plus envoûtants et plus profonds que le Lac Enchanté et son sourire était plus éblouissant que le soleil lui-même.
Mais plus qu’un simple prince au visage avenant, c’était un héros. Son courage et sa bravoure étaient tels que rien en ce monde ne pouvait l’arrêter. Ici, on murmurait qu’il avait un jour sauvé dix enfants de la noyade. Là, il se disait qu’il avait vaincu un féroce dragon à six têtes qui terrorisait depuis des mois les villages alentour, alors même que son épée s’était brisée au début du combat. Là-bas encore, la rumeur courait qu’il était parvenu à défaire, par la simple force de sa volonté, l’horrible sort lancé par le maléfique sorcier Ténébricus et qui avait cloué le malheureux roi, son père, au lit des mois durant.
Les hommes l’admiraient et les femmes s’évanouissaient à son passage. Voilà qui était Charmant, le prince du royaume de Heuchelei.
Mais malheureusement pour toutes ses pauvres prétendantes, il vivait déjà le grand amour avec la tout aussi célèbre princesse du royaume voisin, la princesse Principessa, avec qui il était fiancé depuis son plus jeune âge.
Plus belle que la rose et plus élégante et raffinée que le lys, cette dernière était notamment reconnue pour sa grande douceur et son immense bienveillance. On disait même qu’à sa naissance, toutes les fées du monde s’étaient penchées sur son berceau et l’avaient chacune bénie d’un don. Elle excellait autant en danse qu’en chant et chaque instrument qu’elle touchait produisait un son enchanteur pour les oreilles. Étant également particulièrement savante, chaque conversation en sa compagnie était un véritable plaisir pour son interlocuteur qui en ressortait toujours grandi.
En somme, il n’existait pas de couple plus parfait que celui-ci, et leur mariage proche en était d’autant plus l'événement le plus attendu de la saison.
« Monsieur le Tailleur, je vous prie de bien vouloir presser. Je suis expressément attendu par le peintre royal et ma Dame.
- Veuillez m’excusez Votre Altesse, mais je ne puis me dépêcher plus que cela. Votre costume doit être absolument parfait. La moindre erreur et l’on se rira et de vous et de moi.
- L’on se rira également de mon portrait officiel n’est point prêt à temps, alors dépêchez-vous !
- Mais je risque de vous piquez avec mes épingles.
- Et bien piquez-moi donc, je n’en mourrai pas. Ce n’est rien comparé à la fois où j’ai dû nager dans la mer d’aiguille du Kraken de fer.
- Parlez-vous de la fois où vous avez dû porter secours à la nymphe Nadel, enlevée par le Kraken de fer qui s’était épris d’elle ? Demanda le tailleur, une épingle à la bouche.
- Celle-là même. Aie !
- Je vous avais prévenu. Ne vous inquiétez pas, j’aurai bientôt terminé.
- Enfin. Cette séance dure depuis bien trop longtemps. Je crains d’être en retard.
- Votre amour pour la princesse est-il si grand que vous ne pouvez point attendre avant de la revoir ?
- O-oui, c-c’est ça, dit le prince, un sourire crispé au visage. Voyez-vous, elle est si douce et fragile que même le plus court des retards l’inquiète au point de la rendre fiévreuse pendant plusieurs jours.
- Quelle bonté d’âme ! Dans ce cas, je ne vous retiendrai pas plus que cela. Je vous laisse, courez rejoindre votre hirondelle.
- Je ne cours pas, je vole ! »
Sur ces mots, le prince sauta de son piédestal et se précipita derrière le paravent pour se changer avant de se ruer à l’extérieur de la pièce. Il courut à travers les couloirs du palais, espérant arriver à l’heure. Lorsqu’il arriva finalement devant les appartements de la princesse, il s’arrêta, arrangea rapidement sa coiffure et ses vêtements et jeta un coup d'œil à sa montre à gousset. Deux minutes de retard. Le prince jura puis, se rendant compte d’où il se trouvait, il regarda autour de lui, vérifiant qu’il n’y avait aucune oreille indiscrète. Rassuré, il toqua deux coups à la porte et celle-ci s’ouvrit
Il entra alors dans un salon, simple mais élégamment décoré, au centre duquel se trouvait plusieurs canapés sur lesquels bavardaient joyeusement un groupe de jeune fille, une tasse de thé à la main, mais l’une d’elle ressortait plus que les autres.
Vêtue d’une délicate robe rose pâle, la princesse grignotait un scone en écoutant calmement ses amies. Lorsqu’elle aperçut le prince, un sourire éclaira son visage.
« Charmant ! Vous voilà enfin ! Je commençais à m’inquiéter de ne point vous voir arriver, s’exclama-t-elle de sa voix claire et chantante.
- Pardonnez-moi ma douce, la tailleur m’a quelque peu retenu.
- Point de soucis, mon cher, grâce à vous j’ai pu discuter plus longuement avec mes amies.
Puis, s’adressant à ces dernières :
- Mesdemoiselles, je suis vraiment navrée de devoir couper court à cette charmante discussion, mais le peintre royal nous attend.
- Ne vous inquiétez point, Votre Altesse, répondit celle qui se trouvait à côté d’elle, nous vous laissons avec votre cher et tendre.
Les autres filles gloussèrent.
- Nous nous reverrons au goûter de Mademoiselle Affe, demain après midi, au revoir Votre Altesse.
- Au revoir mesdemoiselles. »
Les compagnes de la princesse sortirent, gloussant toujours autant et se lançant des regards complices, tandis que la princesse leur faisait un dernier signe de la main, un grand sourire aux lèvres et le prince se retrouva seul dans le petit salon. Il lui refit face :
« Comment allez-vous ma chè- »
Il n’eut pas le temps de terminer sa phrase qu’une tasse frôla sa joue droite et se fracassa contre la porte derrière lui. Une voix impérieuse s’éleva du canapé :
« Tu es en retard.
- Excuse moi, j’ai- »
Une deuxième tasse vola, à sa gauche cette fois-ci. Charmant trembla. La princesse se leva, sa robe traînant sur le sol dans un frottement inquiétant.
« Je ne me rappelle pas t'avoir donné l’autorisation de parler. Ne t’avise surtout pas de recommencer. À cause de toi, j’ai une migraine horrible à force d’écouter ces pipelettes parler, dit-elle alors d’un ton imposant avant de le dévisager de haut en bas. Ton foulard. »
Le jeune homme sursauta. En se rhabillant chez le tailleur, dans son empressement, il avait complètement oublié de nouer son foulard qui pendait donc mollement sur son torse. Il essaya de le renouer en vitesse, mais ses mains étaient gauches moites à cause de la pression du regard inquisiteur de la princesse.
« Je vais me changer. D’ici mon retour, je veux que tout ce bazard soit nettoyé, reprit-elle en désignant les débris de porcelaine au sol et la flaque de thé qui avait coulé jusqu’au pied de la porte.
- Oui Madame. »
Et la Princesse le laissa seul, dans ce si petit salon qui pourtant l’écrasait par l’ambiance pesante qu’elle venait d’installer.
Tandis qu’il ramassait un à un les débris, il souhaita pour la énième fois depuis qu’il avait fait la rencontre de Princessa, sa chère et tendre fiancée, qu’on le sorte de cet enfer.
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