Éternel, Inutile Labeur
Le crépuscule descend sur mes terres noyées par le sang du couchant. Les jours secs et les pierres sculptent mes champs.
Depuis quand ? Tu t'en souviens ?
.... Je...
Alors ?
Peut-être au printemps dernier ; le brûlant étiolait les bourgeons naissants, avortait les berceaux-cocons. Ainsi le feu du ciel a-t-il créé les non-nés ; poussière engendrant la poussière. Elle volait dans l'éther crépitant, dérobait, violait les promesses d'amour, exhalait la mort.
Pourtant, le soc de ta charrue s'évertue à retourner un sol ardu, pulvérulent. Ton corps s'arc-boute. Ton dos se voûte. Ton cœur s'accroche aux rocs des temps délétères. Pas d'abandon ; tu espères.
Bien sûr, demain, c'est l'automne.
Vraiment ? Demain ?
Oui ! Enfin... Je crois...
Ah ? Sera-t-il accompagné de brume et d'or ? De nuées foisonnantes ? Verra-t-on la pluie ?
C'est vrai, j'ai la nostalgie des averses fraîches, des tapis de feuilles pourprées, des champignons écrasés sous mes pieds. Les senteurs expressives des sous-bois m'enchantaient alors ; elles me manquent.
Oh ? Tu rêvasses ? Tu souris ?
Mes yeux se ferment et j'aperçois des ribambelles de citrouilles orangées et grimaçantes. Autrefois, elles illuminaient les perrons des demeures transformées en maisons hantées. Ah ah ! Effrayantes et amusantes nuits d'Halloween. Adorables petites bouilles grimées pour l'occasion : mini-sorcières, mini-vampires, petites fées, voix et rires des enfants. Dans le vent de ma mémoire, ils se perdent, se retrouvent, m'éclairent : "Un bonbon ou un sort !" ; le sucre et la peur !
Las ! Tes citrouilles n'ont même pas germé. Leurs graines ? Distillées. Mêlées aux tempêtes de cendres. Tu te rappelles des forêts embrasées ? Quant aux enfants : désormais, ils ne sont plus qu'inexistence. Alors ? Pourquoi tu n'abandonnes pas ?
Pourquoi ?
Oui, tu es encore là aujourd'hui, tu secoues la tête avec humeur. Aucune réponse ?
L'opacité m'enserre. Je dois laisser mon champ, ma charrue et rentrer chez moi.
Pas de regard de ta part sur les étoiles ?
Non, elles sont hautaines !
Et la Lune pleine qui éclaire ton toit ?
À mes yeux, elle est terne et tiède !
Te voilà donc parti pour un nouveau sommeil ? Tu le sais, il sera sans songeries.
Cesse ! Va-t'en !
Bonne nuit alors. À toi ou à moi, ou à nous ? À elle peut-être ? Tu te figes. Tes lèvres tremblent. Je vois ta peine ; des larmes envahissent tes yeux. Ondes précieuses versées pour l'absente ; peau pâle, boucles brunes qui se déroulent sur de graciles épaules marmoréennes, grands yeux noirs débordant de terreur !
Ensuite ?
L'horreur de ses ultimes instants ; torche vivante dans la fureur ! En as-tu ressenti l'ardeur ?
Tais-toi... Laisse-moi... Non ! Pas de pleurs. Aucun regret. Pas de peur...
N'est-ce pas un sanglot ?
Je n'ai plus assez d'eau !
D'accord, parlons de demain.
Un autre jour.
Encore du labeur ?
Une nouvelle aube !
Incorrigible ! J'entends encore de l'espérance.
FERME-LÀ !
La porte claque dans le vent ; elle s'évapore doucement...
Inéluctable délitement qui emporte dans son sillage le champ, la maison, la charrue, les étoiles, la lune, les éternelles obstinations ; d'ultimes rébellions.
Le ciel s'écroule, se fend, s'éparpille. Derrière ? Rien.
Écoutes-moi une dernière fois et annonçons-le ici ; voici que vient le non-temps du néant...
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