Chapitre 9 Apprêts et falbalas
De retour dans sa chambre après un passage rafraîchissant aux bains, Un pli sur le front, Samantha observa un instant sa chemise de lin et le pantalon de tissu solide qu'elle avait enfilés par habitude. Ses sacoches de soldat ne contenaient pas le moindre vêtement habillé. Elle laissa s'échapper un soupir en se laissant tomber sur les douces fourrures, la tête sur les coussins brodés de son lit, le regard perdu dans les volutes sculptées du plafond.
Retrouver tant de luxe après deux années à dormir à la belle étoile, avec la nuit pour seule compagne, la rendait mal à l'aise. Ce n'est pas qu'elle n'aimait pas le plaisir d'être entourée et soignée, mais elle se sentait comme décalée, presqu'en opposition avec ce monde dont elle connaissait trop bien les limites et l'hypocrisie.
Cependant, les armoires délicatement décorées à l'or fin attiraient son attention. Délaissant l'embrasse moelleuse de sa couche de plume, elle glissa vers les portes. Un sentiment étrange la poussait à les ouvrir. Il s'en dégageait quelque chose d'étrange qui l'interpellait. Aussi tira-t-elle sur la poignée de bronze.
Un juron malencontreux lui échappa.
Les lumières du chandelier éclairaient doucement des étoffes chatoyantes, colorées et précieuses. Semblaient être rassemblées ici les Sept Merveilles du monde de la couture. Agates, quartz, lapis-lazuli s'associaient à la soie, au cachemire et aux voiles arachnéens pour composer la plus riche garde-robe qu'elle eût jamais vue. Chatoyantes à la lueur des bougies, les robes éveillaient son admiration.
Prise d'un désir subi, elle en tira une au hasard pour en observer l'effet dans la glace. Verte, elle se mariait avec ses yeux. Son alter-ego eut un sourire. D'autres, rouges, mettraient en valeur sa carnation hâlée alors que les pastels siéraient à ses cheveux blonds.
Les créations mêlaient élégance et originalité, simplicité et détails, créant un ensemble harmonieux.
Avec étonnement, elle en sortit une seconde, puis une troisième. Vestes, costumes d'inspiration masculine, chaussures, bijoux. Elle lâcha ce qu'elle tenait.
La surprise se muait en frayeur. Chacune était comme faite pour elle, parfaitement à sa taille et lui correspondant quant au choix des textures et des teintes.
Un frisson désagréable se coula tel un serpent glacé le long de sa colonne vertébrale. Elle glissa nerveusement une mèche derrière son oreille, combattant l'anxiété. Le raffinement de ses appartements lui apparut soudain le piège insidieux d'une araignée enfermant lentement sa proie.
Elle recula de deux pas, respirant profondément pour se calmer. Ne devait-elle pas s'inquiéter d'un tel étalage de puissance ? Le Duc de Frewood connaissait non seulement son identité mais encore ses mensurations ou même ses goûts, ce dont elle était sûre de ne pas avoir parlé.
Elle ne savait pas si elle devait s'inquiéter de ces intentions qui démontraient la force des informateurs du Duc. Cherchait-il à l'impressionner ou encore à la terrifier ? Qui était-il au fond ? Quelle était donc l'organistion qu'il dirigeait ?
Peut-être devait-elle s'en réjouir, puisqu'ils étaient alliés. Des centaines de questions agitaient son esprit. Elle faillit perdre son calme et jeta à travers la pièce un oreiller qui s'écrasa pitoyablement contre le mur.
Assise sur le sol, les jambes croisées, l'elfe se prit la tête entre les mains pour réfléchir.
Le général savait assurément qu'elle était aussi bonne épéiste que magicienne. C'était certain. Mais il devait ignorer qu'elle lisait les émotions et décelait les intentions de ceux qu'elle rencontrait. C'est la raison pour laquelle elle lui faisait confiance.
Elle se prenait à douter de ses capacités, malgré ce qu'elle avait senti de la loyauté et de l'honnêteté du Duc. Parvenait-il à tromper jusqu'à ses sens magiques ? Était-elle sous surveillance ? La princesse jeta un regard circonspect autour d'elle, soupconnant même les ombres.
Elle résolut le dilemme. Un sourire se dessina sur se lèvres détendues. L'homme lui avait montré ses bonnes intentions. S'il avait voulu la tuer, il l'aurait déjà fait. Ou pas. Elle serra les poings et tenta de se rassurer.
Il ne dégageait pas de mauvais fluides à son égard. Elle tirait ses conclusions rassurantes quand Mariette entra.
- Ah, damoiselle, je vois que vous vous préparez pour ce soir. Puis-je vous aider à sélectionner une tenue ? Avez-vous des exigences ?
La question de Mariette la tira de ses réflexions.
- Que dirais-tu de choisir, Mariette ? Elles sont toutes très belles, et je n'ai pas la tête aux vêtements, vois-tu ? Je te fais confiance.
- Vraiment ? Dans ce cas ...
La suite se perdit dans le frou-frou du tissu manipulé et du babillement joyeux de la jeune servante excitée. Ce n'était pas que Samantha souhaitât renier sa féminité et abandonner toute coquetterie, mais les événements l'avaient forcée à abandonner l'enfance. Les soucis l'occupaient bien trop pour qu'elle eût l'occasion de s'acheter des robes, sortir avec des amies, ou penser au mariage, tout ce qui occupait les jeunes filles de son âge et de son rang après leur stricte éducation.
Pourtant, elle était heureuse de partager ce délicieux moment privilégié avec la servante. Elle savait certes que la plupart des humains n'avaient pas ces relations simples et joyeuses et elle avait maintes fois regretté la froide hauteur et le mépris sous-jacent des elfes. Sa tendre enfance, protégée entre ses parents, dont elle se souvenait comme d'un rêve, avait suffi à lui inculquer des principes de respect et de générosité. Quand elle les oubliait, le visage réprobateur de son père la ramenait à l'ordre.
- Qu'en pensez-vous ?
- Mariette, tutoie-moi, veux-tu ? Nous avons le même âge et peu de choses nous séparent. Mais oui, j'aime ce que tu as fait, tu es artiste. C'est très beau.
Debout, devant le grand miroir cerclé de feuillage forgé en argent, l'elfe admira avec complaisance l'œuvre de sa styliste d'un soir. La longue robe composée de différentes couches de tissu d'un agréable vert sapin tombait gracieusement jusqu'à terre. La couche supérieure était de tulle léger et dessinait d'élégantes arabesques piquées d'émeraudes de grand prix. Les manches laissaient les épaules apparentes et s'ouvraient largement, brodées à leur extrémité. De minces résilles couvraient les mains de la guerrière, rendues calleuses par l'exercice de l'épée. Son visage, hâlé par le grand air et piqueté de taches de rousseur était illuminé d'un léger maquillage, qui mettait en valeur ses yeux brillants. Un ornement décorait ses cheveux. Une perle ornait son front et il en partait deux chaînes de pierres rouges qui étaient ensuite lacées dans deux fines tresses qui se perdaient dans sa chevelure blonde.
C'était parfait. Elle chaussa d'élégantes chaussures légères assorties à sa tenue. Son reflet dans la psyché lui renvoyait l'image d'une belle elfette. Elle se détestait d'aimer ça, car la majorité des gens ne s'arrêteraient qu'aux apparences et ne chercheraient pas à la connaître vraiment, c'est-à-dire pas une poupée qu'on habillait et appréciait selon ses envies.
Enfin, cela n'enlevait pas le plaisir qu'elle avait à s'apprêter, et cette tenue était nécessaire pour impressionner la cour d'Astror, où elle n'avait pas fait sas débuts. Elle comptait sur cette soirée pour en apprendre plus sur les intrigues internes de ce pays et pour obtenir des informations utiles ou nécessaires au bon déroulement de ses entreprises.
Samantha sourit à son reflet avec bienveillance, puis avec timidité ou encore avec assurance, s'interrogeant sur quel masque porter afin de paraître au mieux.
- Vous savez, mademoiselle, intervint Mariette, c'est votre sourire naturel qui vous rend le plus affable et attirante. Ne vous inquiétez pas, ils vous apprécieront. Ou alors, c'est qu'ils ne méritent pas votre attention.
- Tu es gentille. Mais tu sais, les courtisans sont plus perfides que des serpents et plus rapaces que des vautours. Seuls les intéressent le profit et la gloire. Je ne sais pas si le naturel est la meilleure manière de les aborder... Peu importe, j'improviserai.
- Il reste un peu de temps avant le départ. Souhaitez-vous visiter les jardins ? Ce sont les plus beaux de la capitale.
- Pourquoi pas. Je ne risque pas d'abîmer ma robe ?
- Si vous êtes prudente, je ne pense pas. Les jardins sont entretenus et il n'a pas plu.
- Dans ce cas, pourquoi pas.
Soulevant avec précautions la corolle de sa toilette de soirée, la damoiselle descendit les degrés qui menaient au rez-de-chaussée, d'où elle continua vers l'extérieur, pour admirer l'éden du manoir Freewood.
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