Le palais impérial d'Astror ne pouvait que susciter l'admiration au premier regard qu'on y posait. Il représentait le pacte des magiciens et des hommes. À la fin de la guerre qui avait opposé les deux puissances, après des années de combats meurtriers et des milliers de morts, Gibahagan le Grand et Thalun Omma, grand-père du roi d'Astror, avaient signé un traité d'entente cordiale et d'échanges mutuels.

Pour concrétiser cet accord, les architectes du royaume et les meilleurs enchanteurs avaient travaillé sur ce projet d'une ampleur considérable. Les peuples, rassurés par cette preuve de concorde, avaient accepté la présence des sorciers, tout en restant défiant à leur égard. La paix ainsi instaurée durait depuis une centaine d'années.

Le château était un bâtiment aux lignes pures, construit avec les matériaux les plus riches. De grandes et larges fenêtres vitrées soutenaient une immense porte d'entrée. On atteignait cette dernière en gravissant des degrés de marbres enchantés qui s'illuminaient à chaque pas. Les portes de bois précieux s'ornaient de dorures et d'entrelacs compliqués, formant des motifs floraux décorés de pierres précieuses. Des troncs d'arbres formaient les rampes qui encadraient l'escalier. Fleuris et verdoyant, ils étaient un délice pour les yeux autant qu'une prouesse des artisans.

L'édifice s'élançait vers le ciel dans toute sa beauté. Des pierres magiques scellées dans ses murs lui conféraient un aspect féerique. La nuit, il brillait intensément, éclairant la ville alentour. De petites lucarnes surmontées de dômes luisaient doucement, éclairées par des lanternes dorées. Le toit était recouvert de tuiles bleutées qui rayonnaient, semblables à certaines algues marines.

Une immense fontaine séparait la route pavée en deux. Des dragons sculptés semblaient y prendre vie, si ce n'est qu'ils ne crachaient pas du feu, mais de l'eau. Leurs queues s'enroulaient, dessinant des arabesques délicates qui supportaient en leur centre une immense pierre étincelante et azurée. Unissant leurs pouvoirs, les mages avaient tenu à l'offrir pour symboliser davantage l'ordre rétabli. L'eau qui coulait dans la vasque était réputée pour ses vertus curatives et nombreuses étaient ceux qui venaient y puiser pour guérir.

En ce soir de fête, les carrosses affluaient sur la place. Le soir tombant colorait le ciel de ses teintes orangées et rosées, baignant le spectacle de nuances pastels qui se reflétaient sur les vitres des véhicules, éblouissant leurs occupants. Le défilé de la haute société commençait. De grandes dames vêtues de robes toutes plus extravagantes les unes que les autres s'appuyaient au bras de leurs cavaliers, leurs doigts gantés de blancs délicatement posés sur la manche droite du costume élégant qu'ils portaient. Les uns après les autres, dans un mouvement ordonné, les couples gravissaient les marches et pénétraient dans la salle de réception.

Une calèche s'avança à son tour. Elle n'était pas plus riche que les autres, mais les armoiries du Duc de Freewood y étaient facilement reconnaissables : la tête d'un loup noir aux yeux de feu portant une couronne enflammée occupait le centre d'un cercle. Dans la partie supérieure, on reconnaissait les blasons des ancêtres majeurs de la famille. Une devise en ancien atsuri, la langue parlée à Astror, se trouvait inscrite sur un parchemin dans la partie inférieure : " Dathrmiim Ne Sicafteninst" ce qui signifie " Nul ne peut nous asservir", preuve suprême du fier orgueil de la lignée ducale.

Tous les regards furent immédiatement captivés par cette arrivée. La porte s'ouvrit doucement. Les convives retenaient leur souffle, fasciné. Lord Nostel descendit avec élégance, portant avec prestance une tenue raffinée. D'une coupe classique, le vêtement se distinguait par ses broderies détaillées, le choix des tissus, des textures et des couleurs. Sa cape s'ouvrait largement sur un col fermé par une cravate ornée d'une broche inestimable. Même les boutons qui ornaient sa veste étaient précieux. Pourtant, le prix même de son habit n'égalait pas la valeur de l'homme qui le portait.

Un chevalier portant un loup noir descendit à sa suite. Plus grand que le Duc, il le dépassait d'une bonne tête. Si sa mise était plus simple, il n'avait aucunement à envier son compagnon pour la distinction et la noblesse. Le fait que le Duc soit sorti avant lui indiquait le respect qu'il lui vouait. Tout de noir vêtu, son habit était agrémenté d'ornements d'argent. Un observateur perspicace aurait sans doute remarqué que les deux frères portaient une boucle d'oreille assortie, signe de leur lien de parenté.

La curiosité des hôtes fut piquée au vif quand Samantha quitta l'abri précaire de la voiture pour s'exposer aux regards indiscrets des nobles, gênée d'être le centre de l'attention. L'habitude qu'elle avait de ce genre d'événement ne l'empêchait pas de se sentir en terrain hostile et de devoir veiller au moindre de ses pas et à chacune de ses paroles.

Elle se pendit au bras que lui tendait galamment son partenaire, qui se pencha légèrement vers elle.

• Vous n'êtes pas à l'aise, n'est-ce pas ?

Son ton se voulait moqueur, mais son sourire semblait le démentir.

• Vous non plus, rétorqua-t-elle sans le regarder.

Surpris, il ne trouva rien à redire et l'entraîna en silence. S'assurant de marcher avec aplomb, la princesse ignora les murmures des personnalités qui s'écartaient sur leur passage, s'inclinant avec une déférence feinte. La société d'apparence ne changerait jamais. Toutes les règles de bienséance étaient autant de moyens dont on usait pour manipuler et parvenir à ses fins. Samantha s'en plaignait certes, mais ce soir, elle allait aussi en tirer parti, souriant avec grâce mais sans sincérité à des gens qu'elle ne reverrait jamais . Elle ne parviendrait plus à distinguer quand elle dirait la vérité et rentrerait écoeurée de ces apparences somptueuses et affectées.

Brorel sentit le frisson de répulsion qui la traversait. Il resserra son étreinte sur sa main afin de lui signifier son soutien.

• Un mauvais moment à passer, et bientôt, ce sera fini.

Elle lui sourit, reconnaissante qu'il s'inquiète de son bien-être. Elle se demanda s'il parlait seulement pour elle, ou s'il s'incluait.

Certainement, conclut-elle.

Elle prit une grande inspiration sur le pas de la porte. L'huissier s'avança pour demander leurs invitations mais recula sur un geste de Nostel qu'il reconnut.

La soirée débutait.