Chapitre 21 Les liens cachés
La Tour Magique possédait la meilleure infirmerie de tout le royaume. Les meilleurs mages y exerçaient. Formés au sein de l'Académie, les soignants avaient une connaissance approfondie de la biologie, des plantes et des soins magiques.
Samantha connaissait les Healers de réputation. Aucune équipe de guerriers sensés ne s'en allait au combat sans l'un d'eux parmi leurs rangs. Année aprés année, des relations de confiance s'étaient formées entre ceux qui défendaient le Royaume et ceux veillaient à leur santé.
La princesse exigea qu'on la conduise auprès de "la fille qui s'était réveillée". Brorel dut céder face à la détermination de la jeune femme qui refusait qu'on lui cache encore la vérité. Elle devait savoir.
Elle se sentait à la fois excitée à l'idée de cette rencontre et effrayée de ce qu'elle allait apprendre. L'adrénaline et l'appréhension lui nouait l'estomac mais elle avançait avec assurance dans les couloirs imposants de la tour.
Chaque pas la rapprochait de celle qui attisait tant sa curiosité. Elle enfonçait avec fermeté ses talons dans le sol de pierre grise usée par les passages innombrables de mages, de guerriers et de patients.
Silencieusement, Brorel lui montrait le chemin, tripotant nerveusement l'ourlet de sa chemise de lin. A plusieurs reprises, il se retourna et ouvirt le bouche, dans l'espoir de convaince la guerrière à revenir sur ses pas. D'un geste impérieux de la main, elle coupa court à toutes discussions. Le digne Général de Freewood obéit sans discuter, l'air de perdre tous ses moyens devant l'impatience non dissimulée de Samantha.
- Vous êtes certaine que ...?
- Assurément, trancha-t-elle une énième fois, tandis qu'ils s'arrêtaient devant une simple porte de chêne decorée de léger détails feuillus.
- Vous me devez la verité, Freewood, et vous le savez parfaitement.
Il sursauta quand elle utilisa "Freewood" plutôt que "Duc", "Général", ou "Brorel". Il lui lança un regard étrange, mi-inquiet, mi-coupable. Samantha voyait sa culpabilité, son inquiétude et sa peur. Cette réalisation la fit hésiter une seconde.
Il était sincèrement effrayé pour elle. Cette émotion le prenait aux tripes et elle se sentit frissonner. Elle réalisa qu'ouvrir cette porte allait très certainement changer sa vie. Peut-être ne vivrait-elle plus jamais pareil. Peut-être s'apprêtait-elle à entrer dans cauchemar.
Elle rencontra le regard gris intense du soldat. Il serra la mâchoire et soutint ses yeux verts.
- Brorel. Je vais entrer dans cette chambre, que vous le vouliez ou non.
- Vous allez le regretter, princesse.
- On n'a qu'une seule vie.
- Parfois, mieux vaut renoncer sans savoir. Pour se protéger.
- C'est trop facile. Je ferai face aux conséquences.
- Elles seront sûrement pire que vous ne vous l'imaginez.
- Vous ne pouvez pas m'imposer ce que vous considérez comme meilleure pour ma sécurité.
- Je résiste à l'envie de vous ligoter et de vous emmener loin d'ici. Ne me tentez pas.
- Ne croyez pas que je me laisserai faire.
- Ne sous-estimez pas ma force.
- Ni vous la mienne.
- Peu importe. Vous allez souffrir.
- On souffre toujours. Aucun choix n'a que des avantages.
- Certains choix feraient mieux de ne pas être faits.
- C'est à moi de le décider.
- Vous êtes têtue.
- Je sais.
Brorel cligna des yeux et se détourna d'elle.
- Ne m'en voulez pas. J'aurai fait de mon mieux pour vous dissuader.
- C'est vous qui m'avez caché la vérité au premier abord.
Il serra les poings, les yeux fulminants, les lèvres serrées.
- Vous ne comprenez pas.
- Alors expliquez-moi.
- Je ne peux pas !
Son cri soudain fit sursauter Samantha. Le général eut aussitôt l'air honteux de son soudain éclat de voix. Il avança une main vers la jeune femme mais la porte de la chambre s'ouvrit avant qu'il n'ait le temps de s'excuser.
- Elle vous demande, princesse.
Lioran tira sur la tunique de la semi-elfe pour l'attirer à l'intérieur. Brorel fit un dernier geste involontaire dans sa direction qu'il arrêta presqu'aussitôt puis tourna les talons.
Samantha suivit le petit garçon dans la pièce. Plongée dans une semi-pénombre, elle dut attendre quelques secondes avant de pouvoir distinguer un lit, une commode et une armoire.
Une odeur âcre de plantes et de médicaments la prit à la gorge et la fit tousser. Une chandelle magique diffusait une faible lueur près du lit. Une forme mince se dessinait, allongée sous les draps blancs froissés.
Attirée comme par un aimant, Samantha s'approcha au plus près du lit. Elle entendit vaguement la porte s'ouvrir et se refermer : Lioran sortait.
Un pressentiment lui disait qu'elle était liée à la malade. Elle sentait comme une attache partir du plus profond d'elle-même et rejoindre la femme couchée.
- Bonjour ... Je ...
Les mots, qui coulaient si facilement il y a quelques minutes, lui semblaient maintenant glacés, bloqués dans sa gorge. Elle sursauta quand la lumière de la bougie augmenta en intensité et éclaira la visage émaciée d'une enfant.
Samanta l'observa en silence. Petite et frêle, elle semblait perdue dans sa chemise de nuit tant elle était maigre. Son visage émacié et pâle n'en rendait que plus visible ses yeux émeraude. Ses cheveux blonds coulaient en rivières dorées sur ses épaules. Ses lèvres minces s'étirèrent en un sourire léger.
- Bonjour, ma soeur, articula-t-elle d'une voix douce.
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