Chapitre 3
10 Juin 2054 – 13h27 – Paris – France
L’avion entame son dernier virage sur le taxiway. Jetant un coup d’œil par le hublot, Anna remarque instantanément les inhabituelles voitures noires aux vitres teintées qui l’attendent près de la petite place de parking désignée pour le jet. A côté de chaque voiture, se tiennent deux grands bonhommes, les bras croisés, tout de noir vêtus avec de grosse lunettes de soleil. Ils n’ont pas l’air commodes se dit-elle.
- C’est pas un peu excessif juste pour nous deux… ? Demande t-elle à JP, toujours plongé dans ses dossiers.
- A évènement exceptionnel, dispositif exceptionnel… !
- Oui enfin quand même… On est pas avec la reine d’Angleterre non plus !
- A ce moment précis, tu es la personne la plus importante de la planète Anna…
Anna se renfonce dans son siège. Toute cette attention envers elle la met mal à l’aise. D’ordinaire, personne ne semble la remarquer dans son bureau. Les seules fois où elle retient un peu l’attention des gens, c’est quand elle poste une nouvelle remontée scientifique. Et encore… Le public connaît, pour certains, son nom, mais absolument pas son visage. Alors que l’avion s’immobilise et que le silence s’installe peu à peu à fur et à mesure que le pilote coupe les moteurs, le stress commence à s’emparer d’elle. A-t-elle bien fait d’accepter cette mission ? En sera t-elle vraiment à la hauteur ? Toute cette agitation autour d’elle lui fait un petit peu peur. JP semble lire dans ses pensées.
- Ne t’inquiètes pas Anna. Si on t’a choisie, ce n’est pas pour rien. Tu es la meilleure. Et je serai avec toi tout le temps.
- Merci JP.
- Tu es prête à descendre ?
Anna prend quelques secondes pour savourer ses derniers instants de calme et de silence.
- Je suis prête. On peut y aller.
Elle a à peine poser un pied sur la première marche de l’escalier de l’avion, que l’ensemble des gardes du corps accourt vers elle. Pas un sourire sur leurs visages, des sourcils froncés, Anna se croirait dans un mauvais film. « On dirait des bouledogues » pense t-elle.
- Bonjour Madame Delcourt. Nous allons vous conduire au siège du CNES. Tout le monde vous attend avec impatience là-bas.
- M… Merci…
Cet homme là est l’image exacte de la représentation qu’elle se faisait des gardes du corps : des gros bras musclés, mesurant facilement deux têtes de plus qu’elle, un visage à faire fuir n’importe quelle personne normalement constituée. Si JP n’était pas à ses côtés, elle serait probablement partie en courant.
Sur les quelques mètres qui les séparent des voitures, l’ensemble des hommes forment un cercle autour d’Anna et du directeur. Pour une si petite distance, Anna trouve cela exagéré… Qu’est-ce qu’il pourrait bien lui arriver en l’espace de 20m… Surtout sur le tarmac d’un aéroport, l’un des endroits les plus sécurisés au monde.
Les hommes les dirigent vers la voiture du milieu. Avant de monter dedans, le plus imposant des bouledogues s’adresse à Anna.
- Nous allons vous suivre dans tous vos déplacements désormais. Je m’appelle Morskof et je suis votre référent. C’est à dire qu’il n’y a que moi qui vais vous adresser la parole. Si vous remarquez quelque chose de suspect, c’est à moi que vous devez en rendre compte.
- Euh… Ok… Mais je ne vois pas pourquoi vous faîtes tout ça… Personne ne me connaît hein… !
- Pour l’instant peut-être. On en reparle dans deux heures.
- Dans deux heures ?
- Après votre conférence de presse.
- Quelle conférence de presse ? JP c’est quoi ça encore ?!
Anna se retourne brusquement vers son collègue mais le garde du corps la maintient fermement et lui ordonne :
- Montez dans la voiture maintenant.
Anna n’a pas l’habitude de recevoir de tels ordres et réagit au quart de tour :
- Eh oh vous ça va ! Il y a deux heures j’étais tranquille chez moi avec ma famille et là je n’ai plus le droit de faire deux mètres sans être entourée par des gens qui font trois fois ma taille et mon poids et qui ne connaissent pas la définition du mot « sourire » ! Alors deux minutes ! JP tu m’expliques ?! La conférence ! Je suis pas journaliste ou je sais pas quoi moi !
- C’est toi qui va annoncer au monde la nouvelle Anna. Calmes-toi s’il te plaît et monte dans cette voiture…
Anna voudrait protester mais c’est tout juste si le bouledogue ne la soulève pas pour la jeter de force dans la voiture. Alors que le petit cortège, pas si petit que ça, démarre en trombe, elle se tourne vers JP.
- Il y a d’autres choses que tu ne m’as pas dit ?
- Non. De ce que l’on sait à l’heure actuelle, tu sais tout maintenant.
- Pourquoi c’est moi qui vais à la conférence et pas toi ou le directeur de la NASA ?
- Parce que c’est toi qui va au contact Anna.
- Et alors ?
- Et alors c’est ton visage que les gens voudront voir. Qui est la personne qui va représenter l’humanité. Je sais que ça fait beaucoup pour toi d’un coup… En temps normal, tu aurais été préparée, tout le monde aurait été préparé… Mais parfois, on ne contrôle pas tout…
- Je sais bien JP. Excuses-moi de m’être emportée.
- Je comprends Anna. Te connaissant, j’étais sûr que ça ne louperait pas… Je pensais même que tu t’énerverais plus tôt !
Anna rigole devant cette petite pique.
- Oh quand même ahah ! Je suis pas si difficile à vivre… !
- Mais non ! Répond JP, le sourire aux lèvres et les yeux qui pétillent. Mais tu as du caractère. Et c’est ça qui fait ta force. Ne changes jamais Anna.
Anna détourne la tête en rougissant. JP la connaît vraiment par coeur. Déjà quand elle était étudiante à la fac, c’était lui son tuteur. Puis son directeur de mémoire, puis de thèse. Il avait ensuite remué ciel et terre pour la faire rentrer dès l’acquisition de son diplôme au CNES, alors que normalement, on n’y accédait rarement avant 40 ans, le temps d’avoir acquis suffisamment d’expérience pour remplir au minimum deux pages de CV.
Pour JP, ça avait été une évidence. Dès qu’il l’avait vue, il avait su qu’elle serait un élément exceptionnel. Sa ténacité, son intelligence, sa passion pour le métier… Il savait qu’elle irait loin. Plus loin que tous les chercheurs qu’il avait dores et déjà formés en plus de quarante ans de carrière.
D’abord un peu farouche et impressionnée par ce monde si spécial, elle avait rapidement pris ses marques et elle ne l’avait jamais déçu. Mieux encore, elle avait même dépassé toutes ses espérances. En matière de recherche de la vie extraterrestre, elle était devenue une pointure, reconnue par les plus grands scientifiques du monde entier. Et elle n’avait que trente-deux ans… !
Pendant le trajet, Anna regarde par la vitre de la voiture tous ces gens qui emplissent les rues de la capitale française. Si ils savaient… Elle imagine leurs vies. Celui là avec son sac plein de courses doit probablement rentrer chez lui à la hâte, pressé d’enfin aller manger. Cette maman avec sa poussette et un petit garçon qu’elle tient fermement par la main est certainement en train de l’emmener à l’école. Ces deux ados assis à la table d’un café, sirotant innocemment leur soda… Peut-être un premier rendez-vous amoureux, ou simplement une pause entre deux cours au lycée. Elle imagine tous ces gens qui dans quelques heures, auront les yeux rivés sur leur poste de télévision. Sur elle. Elle imagine les chaînes d’informations qui passeront en boucle cette nouvelle. Y aura t-il de la panique ? De la joie ? Ses pensées vont vers Margaux et Adriana. A l’heure qu’il est, sa petite fille doit sûrement être en train de s’endormir, bercée par Margaux et sa douce voix lui chantant une berceuse. Elle imagine sa compagne, des interrogations plein la tête. Elle sait que son coup de téléphone a probablement dû l’inquiéter. Bien sûr, sa voix n’a rien trahi. Margaux avait appris par son métier à cacher toutes ses émotions, même les plus fortes. Quand tu es hôtesse de l’air, peu importe ce qu’il se passe dans ta vie, devant les passagers tu ne dois être que sourire et bienveillance. Mais Anna la connaît trop bien pour être dupe. Elle sait que ses traits se sont creusés, une lueur inquiète s’est invitée dans ses yeux et que ses mains se sont très probablement croisées sur sa poitrine comme si elle voulait se protéger. Elle sait aussi qu’elle va dormir avec son téléphone tout près d’elle, le volume au maximum, au cas où Anna appellerait.
Son regard se refocalise sur les rues animées de Paris. Ah… Si ils savaient ce qui se prépare… Si ils savaient…
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