10/08
Renonce, les ronces ont trop de piquants et les forteresses trop de fêlures, creusées au roc des avalanches comme des débâcles simulées. Renonce et flanche, pose ton visage au creux des fleurs de talus, couronne donc tes cheveux du liseron des défaites quand le laurier s'empoisonne de victoires, quand la sauvette s'évente et que le rideau plie sur les planches encore tièdes. Tiens encore ma main, au milieu des applaudissements et des feux de la rampe, comme des couleuvres avalées qui sifflent et qui huent, et des morceaux de nous dans la nuit qui s'ignore, des morceaux d'opéra et de trafalgar, goût chocolat sur nos lèvres à peine, qui s'effleurent comme le font les poèmes, s'embobinent sur la pellicule des flocons ribambelles dont on sait, tous les mystères et les hémisphères, dont on tait, les félicités sages et les félinités en cage. Tu vois, je n'oublie rien, ni le piment ni les pigments dont tu colorais tes baisers comme des oiseaux sauvages, comme pour séduire, comme si… ni ton souffle de zéphyrine dans les voiles de mon cou, ni les rires au lait cassonade qui crissaient de toutes tes dents au fond de mes oreilles. Tu vois, le temps n'a pas suffit, ni les affres ni les joies, ni ses caresses sur mes rides, ni ses rengaines dans le vide, j'ai soufflé sur les poussières qui s'accumulent, sur les bougies aussi, j'ai soufflé sur les nuages, encore, mais ça n'a pas suffit. Longtemps j'ai attendu, près du premier pommier de la première pomme, sur le premier banc des premières étreintes, et l'attente m'a forgé comme une statue de pluie et de beau temps, de grêle et de décor, d'encore et de peut-être, qui jamais ne se lasse, jamais ne renonce. L'attente a duré et dure la tentation, loin des tentatives hâtives comme des raccourcis plein de ronces, qui attirent et tiraillent, qui étirent leurs appâts comme des lignes de péché. Et la peau qui s'empêche, qui se fane de n'être point cueillie, peau de chagrin et peau de lait sur le feu qui s'oublie, peau cassée par le poids des ans et des senteurs sans toi ni loi, peau de pierre et de prières, peau de gargouille aux yeux fermés, levés vers l'aval qui s'envole au couchant des cieux orientaux. Tu vois, au fond, nous ce n'était rien, rien qu'un peu d'ivoire et d'ivresse, un peu de mouffle sur nos mains dans l'hiver qui se fend, un peu de vent dans nos cheveux noués en cerf-volant, un peu de solitude à partager dans le silence des aquarelles. À quoi riment alors, les versants des montagnes et les proses de Damas, les mots trop lourds et trop rutilants, les pourpres et les tintamarres, les parades et les feintes, et les symboles en cymbales… ? Nous n'avions rien, que les échauffourées buissonnières et les embûches où tomber ensemble, quand tout semble creux comme des paroles en l'air, des habits d'ornières, de poussières ornés, pour se tenir chaud dans la froideur des regards, des sourires à vendre et à offrir, mais qu'on n'aurait pu, jamais, nous dérober. C'était le prix de la désuétude et du bonheur immédiat, le coûte que coûte alambiqué et obsolète, quand l'aube se lève, dénuée de malice, sur le front des montagnes, pour embrasser chaque cime, c'était le prix des ronces et des alouettes, et nous l'avons payé en riant. Renonce et flanche, enfouis tes demains aux creux de mes manches, pose ta tête et laisse moi peigner tes blancs cheveux, aussi fins que mes souvenirs. Renonce et viens, l'avenir leur appartient, leurs larmes roulent comme des branches de saule, tu vois, je t'ai attendu, et le silence qui n'appartient qu'à nous, viens, on dit que par là, la vue est si belle que deux yeux ne suffisent pas.
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