Christine et Dracula
Après qu'on lui eut plâtré le haut du corps, Michel s'assoupit quelques heures. Il allait encore passer la nuit à l'hôpital mais il était déjà exténué. Oscar, condamné à se positionner sur le ventre, ne sentait pas venir le sommeil et s'occupa en lisant de vieux magazines et une BD, qu'on lui prêta. Il s'agissait d'une vieille adaptation du Dracula de Bram Stocker. Il était encore plongé dedans lorsqu'il entendit quelqu'un entrer : c'était Christine qui apportait les repas du soir. Elle eût dû avoir déjà quitté l'hôpital, mais elle avait sauté sur l'occasion d'un remplacement qui tombait dans son service cette nuit-là et, bien qu'elle n'eût encore jamais veillé auprès des patients, la nécessité avait persuadé son chef de lui confier cette lourde tâche. Une cruelle déception s'abattit sur son visage quand elle s'aperçut que Michel dormait encore. Elle servit d'abord Oscar, puis elle essaya, sans conviction aucune, de réveiller celui qu'elle avait intimement surnommé son « ange des neiges ». Comme elle n'osait parler et qu'elle semblait se retenir très fort de toucher le jeune homme, elle ne fit que secouer un peu le drap, non sans une grande mollesse et une expression de dépit. Quand Oscar eût fini de manger, elle n'avait toujours pas quitté la pièce ni proféré le moindre son. À vrai dire, son immobilité commençait à devenir presque angoissante, qui donnait au sommeil de Michel une dimension mortuaire. Au moment de débarrasser son plateau, Oscar demanda à Christine si tout allait bien. Elle hocha la tête avec un borborygme monosyllabique qui s'apparentait à un « oui », puis soupira sans force, ce qui rendit le garçon plutôt mal à l'aise. Cette sensation s'aggrava au fur et à mesure des secondes qui passaient sans qu'elle ne daigne faire un pas en direction de la porte. Sans pudeur, elle semblait se gaver des lueurs du couchant qui ruisselaient sur le front inerte et flamboyant de Michel.
- Nom de Dieu, Christine, qu'est-ce que tu fous ? Ça fait une heure que je te cherche ! J'ai besoin de toi, tu viens ?
À cet éclat de voix, Michel ouvrit grand les yeux, au grand dam de Christine qui devait s'éclipser sur le champ. Oscar crut bien qu'elle allait s'évanouir ou sombrer dans la folie. Elle miaula à deux reprises un faible « oui » avant de s'évaporer dans le couloir. Pendant son repas, Oscar fit part à Michel des appréhensions qui le tenaillaient en présence de Christine, mais son compagnon s'était contenté de le rassurer. Elle accusait le coup de la fatigue, voilà tout. Une heure plus tard, ce fut une autre infirmière qui vint récupérer le plateau-repas intégralement nettoyé.
- Excusez si ma collègue vous a paru bizarre. Elle était lessivée, je l'ai renvoyée chez elle pour qu'elle se repose.
Elle omit volontairement d'évoquer le savon qu'elle avait dû lui passer, à cette gourde, et laissa rapidement les deux adolescents se blottir tant bien que mal dans les bras de Morphée. Dans son désespoir amoureux, Christine avait eu l'étourderie de ne pas fermer les volets et l'infirmière, débordée d'avoir à assurer le service de deux personnes, commit le même oubli.
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