Il était une fois…
J'enroulais des bandes autour de mes paumes après les avoir tartinées généreusement avec le baume de mon amie Leta. Cachant la vision peu ragoûtante d'une constellation de cloques et de cornes dans mes mains. Depuis l'aube, j'aidais Leta à puiser de l'eau au fond du puits. Puis, je portais le seau jusqu'à sa chaumière pour remplir son tonneau, sa réserve personnelle.
C'était ma dernière rotation entre le puits et le tonneau pour cette journée.
Puis Leta se servit des trois derniers seaux pour me faire chauffer un bain. Si ma mère me voyait comme ça, en train d'effectuer les corvées des domestiques, elle en ferait tout un scandale. Et je pourrais dire adieu à mes quelques libertés.
Une fois propre, Leta m'aida à enfiler ma robe en soie verte, me coiffa de deux tresses croisées sur mon crâne. Cette coiffure me donnait l'air de porter une couronne, alors je jouais le jeu avec Leta qui me rappela avec humour, les règles de bienséance.
Avant de partir, mon acienne nourrice me rattrapa au pas de la porte. Elle déroula rapidement les bandes autour de mes mains de nouveau lisses et douces. Je la remerciais par un sourire malicieux.
Je montais alors ma jument Marsha et remontait le chemin qui menait au manoir Sea. Le retour chez moi me rendait toujours nostalgique. Je regardais les paysans faucher la paille sèche en rythme, le paysage éclairé par l'aurore. Les enfants, insouciants, s'amusaient à attraper des têtards dans une mare avec leurs mains. Le soleil peignait la nature de ses couleurs chaudes et apaisantes.
Puis, dès que je passais la porte du manoir, l'obscurité de la cour m'enveloppa. Ainsi que le silence. Les palefreniers arrivèrent en courant pour s'occuper de ma jument. L'un d'eux me fit rire lorsqu'il me demanda timidement si je pouvais lui laisser faire son travail. C'était presque une supplication. Comprenant que mon entêtement à vouloir tout faire moi-même allait lui coûter, je cédais à sa demande.
Ma servante, Lorrian m'attendait avec impatience dans ma chambre. Elle s'activait dans tous les sens autour de moi, comme une abeille devant du sucre. Elle se dépêcha de me préparer pour le dîner. À ses dires, mon père, le seigneur du Dar'sea, Comte du sud d'Avalon, nous fera l'honneur de sa présence. Mon cœur bondit de joie à cette annonce. Cela faisait dix lunes qu'il était parti au royaume.
Le repas se déroula dans la joie et la bonne humeur. Même ma mère, malade par l'absence prolongée de notre père, retrouvait des couleurs et le sourire. Je les regardais avec tendresse et fascination. Leurs beautés étaient aussi intenses que l'amour qu'ils se portaient.
Ma mère, Irea Sea, était une grande femme longiligne et féminine. Elle était blonde et ses cheveux bouclés tombaient en cascade lorsqu'elle ne portait pas de chignons ou de tresses; comme c'était le cas aujourd'hui. Elle avait des yeux de biche, un magnifique regard vert émeraude, bijoux qu'elle m'a légués. Une peau blanche et lisse et offrait à mon père, de ses lèvres pleines et son sourire angélique, un spectacle qui le fascinait toujours autant.
Ma mère regardait toujours mon père comme si elle ne réalisait pas qu'il était vraiment là et qu'il l'aimait aussi passionnément. Grand et blond aux yeux verts également, il était un bel homme assurément. Une mâchoire bien marquée et un corps de guerrier bien dessiné.
Lorsque je les regardais, il m'arrivait parfois de penser que j'avais été échangée à ma naissance par les elfes. Je suis Thirra Sea, j'ai vingt-cinq ans, je ne suis pas grande, je ne suis pas blonde ou rousse, comme une pure. Et j'ai un caractère de cochon, selon ma mère, et non celui d'une lady.
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