Prologue 1

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Laïla mentirait si elle niait qu'elle était épuisée.

Une main crasseuse - la sienne - essuyait régulièrement la sueur qui perlait sur ses tempes maculés de tâches de rousseur. La fatigue avait empiré après que la jeune femme ait relevé tous les pièges qu'elle avait posé un peu partout dans le secteur, qui s'étendait sur plus d'une dizaine de kilomètres, au-delà du terrain de chasse habituel. Autour d'elle, il n'y avait que des végétaux à perte de vue : du lierre épineux, de la mousse glissante, de grandes fougères rouges dont les feuilles dentelées lui avaient plusieurs fois lacérées le visage et les bras malgré sa peau dure - Laïla les détestait passionnément. Et, bien sûr, les gigantesques Arbres-Cieux se dressaient majestueusement entre leurs congénères minuscules.

Leurs troncs s'élevaient sur plus d'une centaine de mètres, certains tellement hauts que leurs branches disparaîssaient parfois dans les nuages, et tellement larges qu'il faudrait des semaines à un bûcheron pour en abattre un seul. Non pas que l'un des hommes du village soit assez fou pour s'y risquer.

Ces arbres-là ne poussaient qu'à l'extrême limite de la Lisière, la frontière qui les séparait de ce territoire sauvage. Normalement, les siens ne s'aventuraient pas si loin dans cette partie de la forêt : c'était trop dangereux et loin de la sécurité de la Clairière. Les très nombreuses traces de griffes et sillons profonds qui marquaient un peu partout la forêt, un avertissement clair pour ceux qui oseraient s'aventurer à l'intérieur, leur rappelaient quels genres d'êtres la peuplait. Mais, depuis quelques temps, la raréfaction du gibier obligeait les Chasseurs à prendre ce risque calculé. Quoi que soit ce phénomène qui chassait les proies, ils n'avaient pas le choix de les suivre. Le risque devait être pris pour rapporter de la viande fraîche et réapprovisionner les réserves jamais suffisantes. Même si son village élevait des troupeaux, les siens s'en servaient principalement pour le lait dans leur alimentation, la toison de leur vêtement, et ne les tuaient que si nécessaires quand l'hiver était particulièrement rude.

Quelque chose que les Érudits craignaient qu'il arrivait cette année-là : les insectes se nichaient dans les arbres. Les oiseaux migrateurs étaient partis plus tôt cette saison, alors que l'automne n'avait pas encore commencé. Ce matin encore, au moment où les Chasseurs avaient quitté leur gîte, du givre avait recouvert l'herbe et n'avait commencé à fondre que plus tard dans la matinée.

Aujourd'hui, la récolte de Laïla avait été bonne : la besace pesait sur son épaule désormais douloureuse - plusieurs lièvres et d'autres gros rongeurs qu'elle devait encore éviscérer gisaient à l'intérieur, avec plusieurs sacs de baies et d'herbes que la Chasseuse avait récolté en revenant sur ses pas. Cette journée avait été fructueuse - la meilleure depuis des mois, même. Ici, la forêt débordait de vie : des grattements un peu partout, les couinements des petites créatures, le brame discordants des cervidés. Bien sûr, il y avait les sifflements et gazouillis des oiseaux qui s'envolaient à son arrivée - la Chasseuse s'en méfia particulièrement. Tendue, sa main s'enroula par instinct autour du cuir isolant de sa lance - un javelot électrifié s'activant et contrôlé par un commutateur - mais elle se détendit très vite en voyant sous les feuillages la forme des petites créatures ailées.

Ce n'était qu'un attroupement de rouge-feu : de petits oiseaux inoffensifs et craintifs, qui avaient l'habitude de se rassembler par plusieurs dizaines d'individus. Ce qui rendait cette partie de la forêt particulièrement bruyante aujourd'hui, et couvrait les bruissements du passage de Laïla entre les végétaux. Le plumage flamboyant et lustré de ces oiseaux colorait ce lieu d'un arc-en-ciel de couleur, et leur mélodie enjoué lui permit de savoir qu'aucun prédateur ne devait être ici. Sauf elle. Une partie de sa nervosité s'envola. C'était une inquiétude en moins pour le moment, jusqu'à son retour.

Laïla s'attarda même vers un effleurement rocheux qu'elle avait repéré plus tôt de loin, la faisant s'écarter de son itinéraire. Son regard perçant capta de petits éclats de lumière au sol, et elle se baissa pour récupérer les cristaux qui jaillissaient ci et là. Un sourire rare se déposa sur son visage marqué. Sa petite sœur raffolait de ces minéraux et l'avait supplié d'en ramener de sa prochaine expédition. Laïla n'avait pas pu dire non à sa bouille suppliante aux yeux pétillants, qui montrait ses petites dents de lapin - l'une des rares choses capables de la faire céder.

À ce moment, le soleil ne faisait que commencer sa descente. Mais, au moment de partir, alors que Laïla revint plus tranquillement - mais toujours sur ses gardes - jusqu'à son itinéraire d'origine, une goutte d'eau fraîche s'écrasa sur son nez, la faisant s'arrêter nette. Puis une autre, et de plus en plus les rejoignirent au sol, jusqu'à ce que Laïla releva des yeux vert mortifiés vers les nuages gris qui s'étaient amoncelés en quelques minutes seulement, la plongeant dans la pénombre.

Oh non, non, non, paniqua-t-elle, décidant de courir le reste de la distance, jusqu'au cours d'eau que la Chasseuse devait emprunter pour revenir à temps à la Lisière.

À l'aube, elle avait pu le franchir avec facilité en sautant de pierre en pierre jusque de l'autre côté. D'heure en heure, la pluie ne faisait que s'intensifier.

Ignorant ses muscles en feu, Laïla sautait et galopait plus vite entre les obstacles de la flore autour d'elle, faisant s'enfuir les animaux au sol. Le temps jouaient contre elle, et la nuit commençait à s'installer.

Les éléments ne se calmaient pas : au loin, les grondements du tonnerre faisaient trembler l'air. Le vent giflait son visage. L'atmosphère était lourde. La pluie devenait un rideau d'eau qui l'aveuglait et brûlait ses yeux. Les animaux se terraient dans leur terrier, la forêt devenue étrangement silencieuse.

Si jamais tout était déjà inondé...

N'y pense pas et dépêche-toi ! s'ordonna la Chasseuse, serrant fort sa lance de chasse et allant plus vite encore.

Elle allait y arriver. Elle devait y arriver !

Iris ne deviendra pas orpheline de famille. Pas une seconde fois !

Elle lui a juré de revenir saine et sauve.

Promets que tu rentreras à la maison ce soir ! J'aurais une surprise pour toi quand tu seras revenue, avait supplié la petite à la chevelure brune nattée, suppliante alors qu'elle l'enlaçait avec une force surprenante pour son âge.

Évidemment que je serais là, chaton ! Promis juré ! Je te ramènerai aussi un petit souvenir à mon retour.

Et elle tiendrait cette promesse coûte que coûte, même si son cœur malmené devait s'arrêter de battre. Soudain, l'oreille de Laïla se tendit, discernant un bruit différent de celui incessant de la pluie. C'était sourd et puissant. Comme le grognement ininterrompu d'un monstre enragé. Il devenait plus fort à mesure qu'elle s'approchait. Puis Laïla s'arrêta, sa poitrine sous la chemine grise collée à la peau se soulevant et s'abaissant frénétiquement. Son souffle s'échappait bruyamment depuis ses lèvres bleutées, pareil à un auroch.

Sous elle, une eau déchaînée et bouillonnante se déversait à toute vitesse, s'écrasant avec force sur les rochers maintenant glissant.

Je n'y arriverai pas.

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