Colocataires 1/2

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Nous arrivons au pas de course à la hauteur du troisième étage sans encombre ni le moindre essoufflement. J’ai bousculé une ou deux trainardes dans les escaliers avec mon gros sac mais elles ont su tenir leur équilibre ou se pousser sur le côté à temps. Donc, il n’y a pas eu de drame, juste des plaintes que nous n’avons pas pris le temps d'écouter. Nous grimpons trop vite pour cela. Il nous faut quelques secondes à peine pour trouver les numéros de chambre. Mélia entre dans sa future demeure, la 326.

Je la suis de près et pose mon package dans le couloir. Je veux voir si ses colocataires sont acceptables avant de laisser ma sœur seule pour la première fois. Si je pressens le moindre danger, ils iront se faire voir avec leur règlement et je resterais ici pour la protéger. Pour l'instant, je n'ai vu que des mauviettes dont la seule arme est une langue de vipère. Cela, Mélia sait faire face sans moi. Elle a l'esprit bien plus vif et incisif que moi pour clouer le bec des pouffes et des prétentieux.

Trois filles déballent leurs affaires. Je les jauge discrètement sous le prétexte d'aider ma sœurette. Leurs looks me paraissent assez semblables à celui de ma jumelle, moins extravagant mais très proche. De prime abord, elles me donnent l’impression de petites souris timides et gentilles qui me regardent en douce d'un air apeuré. D’ailleurs, elles ont toutes accueillies ma jumelle avec un grand sourire craintif et des mots sucrés. Je vois bien qu'elles n'osent pas me parler. Mon look les effraie. Elles ne me semblent pas très dangereuses.

Un mec, d'au moins un mètre quatre-vingt-dix, rentre dans la pièce. Je le fusille du regard sans qu’il n’y prête attention. Il se dirige droit vers une des filles. La soulevant dans ses bras, il l'embrasse sur les cheveux et les joues en riant et la chatouille gentiment. La pauvre est toute petite, environ un mètre cinquante. On voit que le mec adore la placer à plusieurs dizaines de centimètres au-dessus du sol pour l'embêter. Ils se chamaillent avec tendresse.

Elle semble heureuse de ce contact bien qu’elle proteste et ronchonne. Je n’interviens pas dans ce cas. Si elle ne voulait pas, je l’aurais défoncé le grand dadet tactile. On ne force jamais une fille à un contact sans subir de représailles si je suis dans les parages. A la discussion mi câline mi chamaillerie, j’entends qu’il s’agit de son frère. Son grand frère. Leur tendresse réciproque se sent dans leurs gestes et leurs paroles. Le ton doux et protecteur qu’il emploie me confirme combien il prend soin d’elle. La contestation et les bisous sont une autre preuve que la petite se sent bien et en sécurité avec lui.

Les deux se ressemblent d’ailleurs. Une peau chocolat dépourvue de défaut. Un grand sourire qui atteint leurs oreilles. Un regard doux et bienveillant. Mince et bien proportionnés. Ils me paraissent sportifs tous les deux. Le mec porte d’ailleurs un maillot d’une équipe. En tout cas, ils s’aiment très forts et se parlent librement sans aucun filtre. Comme Mélia et moi.

Les deux autres filles roucoulent et minaudent en battant des cils. Elles sont heureuses de la présence du géant et le font savoir. L’une d’elle demande de l’aide pour mettre la valise sur le haut de l’étagère. L’autre veut qu’il lui raconte son été. Elles s'extasient sur sa force et d'autres trucs. Si je comprends bien, il est dans l'équipe de basket. C’est le genre populaire que j’abhorre. Au moins, il est gentil avec elles et n’utilise pas le ton supérieur habituel des mecs ayant du succès qui me hérisse le poil. Au contraire, il les complimente et les valorise. Il semble doté d'une cervelle, ce qui est rare chez les populaires.

Il ne vient pas pour draguer, mais pour donner à sa sœur l'excédent de bagages qu'elle a dissimulé dans les valises de son frère. Je les entends se chamailler avec amour. La toute petite houspille le grand dadet et n'a pas peur de le frapper avec une peluche ou ses toutes petites mains délicates. Il ne riposte que par des bisous et des câlins. Il se soumet oralement à la bonne volonté de sa petite sœur adorée. Mélia sourit quand ils ont des propos similaires à ceux qu’on peut avoir avec ma jumelle. Elle aussi scrute les moindres faits et gestes de la chambrée pour contrôler son futur environnement. Si la fille ressemble beaucoup à ma licorne en plus timide et craintive, lui n’est du tout comme moi sauf le coté protecteur. Il est doux, aimable, sociable et rieur. Mon contraire quoi.

Deux midinettes pas bien méchantes et une froussarde plutôt rigolote. Ce genre de colocataires me convient. Mélia n'est pas en danger. Elle aussi est rassurée. Je le vois à ses épaules qui se sont légèrement affaissées et détendues et aussi au sourire non simulé qui grandit à chaque minute. Le grand frère, bien que sportif, ne me semble pas une menace non plus. Son bonjour poli à l'assemblée sans un regard et son coté maman poule avec sa sœur me rassure. Je ne pense pas qu'il fera de mal à Mélia.

Alors que je m'apprête à la quitter, après une bise câline, pour rejoindre ma chambre, le gars semble enfin s'apercevoir de ma présence. Il regarde avec étonnement mais aucune méchanceté mes fringues puis celles de ma sœur. Ses yeux deviennent admiratifs sur la jupette colorée. Il commence à discuter avec elle, pour aider sa sœur à se faire des copines et me jauge discrètement. Lui aussi contrôle l'environnement de sa sœurette adorée. Il semble rassuré que je ne sois pas la colocataire, seconde preuve qu'il possède un cerveau. Mélia lui plaît. En quelques minutes, ils rient tous de bon cœur. Je n'ai pas encore ouvert la bouche. Ma chérie m'a donné ordre de me taire et puis la discussion est amicale. D'un regard, mon double me congédie maintenant que le danger est évalué à quasi nul.

Je retourne au couloir et attrapant mon lourd sac, je bouge de quelques mètres à peine. Il n’y a que très peu de distance entre nos deux chambres. Je suis de l’autre côté du couloir, à une pièce de distance. Je pourrais entendre si elle crie et être sur place en quelques secondes. Elle aussi si mes colocataires hurlent. Une distance parfaite pour la sécurité réciproque de Mélia et de mes futures colocataires.

— AAAAAARRRRGGGGG.

Au vu du nombre de valises qui jonchent le sol, j'ai affaire à trois fashion-victimes pétées de tunes. Mon pire cauchemar. Pourquoi c’est moi qui hérite toujours des corvées ingrates ou des plus casse-couilles ? Quoique, je préfère cela. Si elles ouvrent trop leur bouche, je saurais leur fermer très vite. En plus, et bien que ma sœur chérie soit aussi très douée pour cela, j'ai une capacité impressionnante à me foutre royalement de l'opinion des autres. Tout ce qu'elles pourront dire n'affectera jamais mon mental d'acier trempé au titane. C’est mieux que Mélia soit avec des gentilles filles. Sa sécurité prime sur mon confort.

Au vu du regard de mépris des deux présentes, j’ai clairement droit à deux pétasses. Leurs yeux me décortiquent sans aucune pitié. Leurs gros nez crochus retroussés confirment qu’elles ne valident ni mon look, ni mon sac à dos. Je m’en fiche. Je m’auto valide et l’opinion que peuvent avoir les autres n’a que peu d’importance, voir aucune. Sauf quelques exceptions comme Mélia, Papinou ou mon parrain Richard. De toute façon, je n'en pense pas moins sur leurs looks de minijupes trop petites qui les boudinent et le maquillage de camion volé qui orne leur façade.

Après le bonjour de rigueur, question de politesse et d’éducation, je ne leur adresse plus la parole. C’est inutile. Je sais déjà que nous n’avons aucun point commun ou sujet de discussion neutre. J’ai promis à Mélia de ne pas chercher les conflits le premier jour. Alors je me tais par sécurité. D’ailleurs, j’ai toujours dit qu’on répondait aux imbéciles par le silence. Cela m'évitera de perdre du temps en débats stériles qui pourraient m'empêcher de respecter ma parole envers celle que j'aime le plus au monde.

Sans un mot, j’ouvre mon sac et sort mes affaires pour les mettre dans l’armoire correspondant à mon lit. J’ai choisi par élimination la couchette haute de gauche, les deux bécasses s’étant entassées à droite et une valise rose à paillettes se trouvant sur la couchette basse. En plus, je préfère voir le plafond qui ne risque pas de s’écrouler qu’un dessous de planchette qui grince et menace de s’effondrer. C'est cool. Je peux voir dehors par la fenêtre de ma position et j'ai un contrôle sur la porte d'entrée. C'est la meilleure position stratégique et même si j'ai fait semblant de ronchonner et de ne pas avoir le choix, cela aurait été la place que j'aurais prise de moi-même.

Je m'interroge tout de même sur la personne qui sera en dessous de moi. Les deux bécasses se sont placées d'elles-mêmes de l'autre côté. Elles doivent craindre ou mépriser la dernière habitante. Peut-être les deux. Je me demande si je dois être heureuse ou si c'est une calamité encore pire que le duo aussi dangereux que des vipères sans crochet. J'entends un flot ininterrompu d'âneries censées être blessantes. Ces deux-là n'ont clairement pas réussi l'implantation du cerveau à la naissance. Leur répondre pour les mettre plus bas que terre est un gaspillage de salive. J'ai des choses utiles à faire et d'autres préoccupations en tête.

Mes fringues sont rangées en dix minutes. J’ai perdu du temps à replier proprement certaines qui s’étaient froissées. Mes livres de cours et autres accessoires scolaires en cinq. Méthodique et efficace. De toute façon, je n’ai pas grand-chose. L’essentiel et quelques bricoles toujours utiles comme mon couteau à cran d’arrêt, de la corde, des biscuits secs et surtout des livres d’apprentissage de techniques diverses. Je suis un peu psychorigide aussi d’après Mélia. J’aime que chaque chose soit à sa place et parfaitement aligné, trié par taille ou couleur. J'ai vérifié avec la règle que l'espacement entre chaque pile soit de même taille. Les lignes droites et la symétrie sont une preuve d'un esprit sain.

Le bordel adjacent m'irrite déjà. Comment peux t'on mettre autant de bazar et avoir un si grand nombre de fringues sans aucune utilité. Vous avez déjà essayé de courir ou de pratiquer la boxe en talons ? Un gilet trop fin pour tenir chaud et trop transparent pour couvrir quoi que ce soit est superflu. Alors que dire de cinq... Le pire, c'est qu'elles se montrent l'un l'autre leurs achats de cet été comme des trésors inestimables. Je ne vois que des chiffons vendus trop cher par des escrocs.

Un jour, il faudra vraiment que je demande des explications à Mélia sur la mode. Je n'arrive toujours pas à comprendre la différence entre un corset et une guêpière ou la raison de changer de couleurs de fringues tous les six mois. Je porte du noir, du gris, du bleu marine, du kaki, du vert et parfois du blanc depuis ma naissance et je me sens parfaitement bien dans mes baskets. A la rigueur, je veux bien qu'on parle des différences coiffures qui permettent de discipliner les cheveux et d'éviter de fournir des prises lors des combats et encore. Je n'ai pas la patience pour me faire des tresses et sans ma jumelle, j'aurais rasé mon crâne depuis longtemps.

Après avoir mis mes draps au carré, je m'affale sur mon lit, tout en haut à gauche, avec un bouquin sans me préoccuper du papotage des deux mégères. Leur discussion n’est pas intellectuellement stimulante et ne présente aucun intérêt à mes yeux. J’ai cette capacité de faire abstraction des bruits dérangeants pour me concentrer dans ma bulle ou sur un bruissement quand je traque du gibier. Je suis à deux doigts de m'endormir d'ennui, quand j'entends une voix de crécelle et la porte qui s'ouvre. Je pressens aussitôt le danger qui approche. NON ! PAS ELLE. PITIÉ ! PAS ELLE.

— C'est ici chéri. Rentre donc dire bonjour à Pétunia et Clarissa. Ne fais pas ton ours voyons.

ET MERDE. Miss Pimbêche. La voilà qui pénètre dans la chambre accompagnée d'un bellâtre insipide qui porte deux autres valises rose à paillettes. Je me replonge dans mon livre en espérant qu’elle ne me voit pas. S’il y a une personne avec qui je ne voulais pas partager un petit espace, c’est bien elle. Décidément, après des parents débiles, me voilà encore malchanceuse. Je n'ai pas envie de trahir ma promesse à Mélia. Je sais qu'avec la nouvelle arrivante, mes nerfs vont très vite être en surchauffe. Je dois éviter tout conflit, pour l'amour de ma vie qui me l'a demandé au moins dix fois sur le trajet des escaliers. Je tente de fusionner avec le matelas pour disparaître, me camoufler à l’abri des personnes indésirables. D’un autre côté, c’est jouable vu que mes vêtements sont de la même couleur que mes draps, vert foncés.

Le pauvre type est son toutou. Non, son petit ami. Le roi du lycée. Le capitaine de l'équipe de basket. J’entends les roucoulades et je peux imaginer les mains baladeuses et les lèvres baveuses rien qu’au bruit qu’ils font. Encore heureux que mon regard reste sur les pages, je serais capable de vomir devant autant de démonstrations et de parade nuptiale. Je suis sûre que si les deux pétasses n’étaient pas là, ils seraient capables de se reproduire juste en dessous de moi tellement leurs hormones en chaleur sont bruyantes. Me voilà heureuse de la présence des deux bécasses. Un comble !

Le seul truc qui me fait rire dans les roucoulades de Miss Pimbêche est que le bellâtre semble quelque peu acariâtre. Si son corps lui plaît, ses réflexions et pensées n’en font pas autant. Je me pince les lèvres pour ne pas rire à chaque fois qu'il la remet à sa place ou soupire d'exaspération. Les deux pouffes subissent quelques remarques cinglantes qui ont l’avantage d’offrir quelques secondés de merveilleux silence. Il remonte un peu dans mon estime quand je constate qu’il est aussi presque grincheux que moi. Peut-être que je pourrais foutre la merde avec sa complicité. Malheureusement, un rire étouffé signale ma position. La reine des abeilles finit par me repérer.

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