Quesako? 1/2

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Ellipse de plusieurs mois.

Noël approche. Le froid s’installe doucement. L’ambiance au sein du lycée est plutôt joyeuse sauf pour Mélia et moi. C'est la première fois que nous allons passer ce qui devrait être un moment de joie familiale sans Papinou. C’était une fête importante pour lui. Il a toujours veillé à ce qu’elle nous semble le plus magique possible.

Ce vieux ronchon devenait complétement gâteux en cette période. Il décorait notre domicile de nombreuses guirlandes lumineuses et animaux automatisés avec l’aide de ma jumelle. Ces deux tyrans avaient pour intention de transformer notre calme et paisible demeure en antre du père Noël. Le comble de l’horreur fut le jour où ils parvinrent à convaincre les chevaux, hormis Grognon le seul à se respecter un minimum, de porter des bois sur la tête pour se déguiser en rennes.

La pire torture qu’ils m’imposaient consister en une succession de musiques joyeuses de circonstance. Les mélodies les plus sirupeuses résonnaient du lever au coucher du soleil. Si ce n’était pas la radio, c’étaient les chants que beuglaient le duo d’andouilles pour me casser les oreilles. Mélia a une jolie voix très agréable, toutefois, j’ai tenté à plusieurs reprises de l’étrangler pour la faire taire lorsqu’un de ces maudits refrains sortait de ses lèvres.

Fort heureusement pour elle, son niveau en combat et la protection rapprochée de Papinou ou de Richard, mon parrain, lui sauvaient les fesses.

Une chose en revanche était agréable lors des festivités de fin d’année. Le vieux ronchon, si pointilleux sur notre régime alimentaire, nous gavait de chocolat et de petits gâteaux secs qu’il cuisinait. J’engraissais et préparais des réserves pour les périodes de disette et de sport intensif qui suivraient le mois de décembre. Je n’étais pas la seule à voir son ventre s’arrondir au gré des bouchées sucrées ingurgitées coupablement lors de grignotages interdits. Papinou vérifiait un peu trop ses recettes et confondait les grammes et les kilos de beurre et sucre. On rigolait bien.

J’ai tenté de remonter le moral de ma jumelle en squattant la cuisine de la cantine pendant la nuit. Personne ne m’a vu et les quelques provisions utilisées pour confectionner mes biscuits n’ont pas été déclarés manquants à l’appel. Son sourire triste confirmait que nous étions toutes les deux en état de manque. Je n’ai même pas pu manger le fruit de mes larcins quand j'ai vu les larmes que ma chérie retenait. Les colocataires de Mélia et Blaise ont fait disparaître les dernières preuves.

Je soupire en relisant la carte postale de vœux de mes parents. Ce sont les seules nouvelles d'eux que l'on a depuis la rentrée. Au vu de l’image, ils se dorent la pilule au soleil. Des mots sans aucune chaleur humaine. Un robot aurait fait preuve de plus de sentiments. Aucune demande sur notre état. Ils ne parlent que d’eux et de leur vie insipide.

Ils nous refusent tout droit à sortir de cette prison, en utilisant le coût financier exorbitant qui les empêcherait de se payer une margarita. Comme si on ne savait pas se débrouiller et marcher. Mélia et moi sommes condamnées à rester seules au lycée. Nous n'avons même pas le droit d'aller voir notre cousine et ses parents. Nos géniteurs ne daignent pas nous donner l'autorisation de sortie. Je sais que mon oncle a proposé de nous accueillir et de venir nous chercher pour les vacances. La raison financière n’est qu’un prétexte pour nous couper de ceux qui s’inquiètent pour nous.

Heureusement que mes deux abrutis de géniteurs ne nous peuvent pas nous empêcher pas d'écrire à notre cousine ou à Richard. Notre petit bébé à Mélia et moi ne cesse de nous demander de raconter nos moindres faits, gestes et pensées. Elle nous rapporte chaque information la concernant de près ou de loin, comme la naissance d’une portée de chatons chez la mamie voisine. Son innocence infantile est si agréable et met du baume au cœur à Mélia et moi. Richard me gronde à distance pour me bêtises et m'incite à rester sage, pour le bien de ma jumelle.

Je suis dans la chambre de ma frangine. Allongée dans la largeur de son lit. Les pieds dans le vide. Les trois canailles Kawai s’époumonent et massacrent « Petit Papa Noël » sans que Mélia ne corrige les erreurs de paroles ou les fausses notes. Pourtant, elle connaît cette chanson par cœur dans au moins les cinq langues qu’elle maîtrise.

Je ne parle que français et anglais et quelques notions d’Espagnol. Ma jumelle s’exprime comme une native dans les trois langages ainsi qu’en chinois simplifié et arabe. Elle a les basiques en suédois ou Russe. Je ne sais plus. Sa douce voix ne se fait pas entendre et ce silence m’indique combien elle souffre. Si seulement je pouvais faire quelque chose…

Les trois chipies me tombent dessus sous prétexte que ma morosité plombe l'ambiance de leur atelier création de cartes personnalisées. Mélia en fabrique une pour notre bébé et ses parents. C’est la seule lueur de joie que je lui ai vue depuis plusieurs jours. La pièce est remplie de paillettes et de bouts de papier de couleurs criardes. On dirait qu’une licorne a vomi sur le sol.

Je sors en râlant et les menaçant que la première qui m'envoie un petit chat ou une licorne, je lui fais bouffer sa carte. Elles rient, nullement apeurées. Ma petite puce m'a déjà envoyé une carte pleine de paillettes qui a fait fondre toute ma crédibilité de terreur. Mes Kawai savent que je ne suis pas bien méchante dans le fond. Je suis juste très râleuse.

Il faut que je trouve quelqu’un d’aussi mauvaise humeur que moi. Grognon saura me bousculer pour me faire changer les idées alors je décide de le rejoindre. Quelques coups de sabots bien placés me remettront de l’ordre dans mes noires pensées. Il est le seul qui n’aura aucune pitié pour mon déballage de rancœur et dont les oreilles peuvent entendre toutes les insultes que j’ai en stock.

Je croise l'équipe de basket en me dirigeant vers les écuries. J'essaye de passer sans me faire repérer. Pas que je ne les aime pas, au contraire, ils sont plutôt sympas mis à part Maltez. Je n'ai envie de parler à personne aujourd'hui. Je sais que je suis d'une humeur de bouledogue avec une rage de dents. Pas de bol, Blaise me voit et accourt me kidnapper. Il a besoin de mon avis féminin sur un sujet capital. Je prends peur aussitôt. J'aperçois un tas de magazines de filles devant eux. Bien qu'un brin paniquée, ma curiosité prend le dessus.

— Vous foutez quoi ? Ne me dites pas que Maltez s'est enfin décidé à se relooker pour ressembler à quelque chose.

— Mais non, bécasse. Arrête de lui chercher des poux. Je vais finir par croire que tu es amoureuse, ma parole. Je suis rongé par la jalousie, petit cœur. Nan, on cherche des cadeaux pour les filles. On leur a piqué des magazines pourtant, c'est la panne sèche coté inspiration. S'il te plaît. Aide-nous mon petit cœur adoré, ma princesse Xéna, ma tigresse en peluche, s'il te plaît. S'il te plaît. S'il te plaît, me supplie Blaise en joignant les mains.

Il est si comique que je ne peux résister. Une partie de ma mauvaise humeur s'envole face à ses yeux de cocker. Il a le don de me dérider comme Mélia. Je m'assois donc sur ses genoux, à côté de Thibaut. Il me passe un bras autour de la taille. Son petit câlin me fait du bien et la chaleur de son corps réchauffe un peu la froideur de mon cœur. Le grand dadet souriant attire les magazines devant moi.

— Bon alors. Budget. Nana. Niveau d'affection. On va procéder efficacement.

Je fais mon sergent instructeur. Blaise débute avec sa sœur et un budget correct. Facile. Pyjama Kigurumi, chat ou licorne. Maltez enchaîne avec sa chérie et une somme trop importante pour cette mégère. Flacon du dernier parfum de luxe. Les gars me font leurs demandes l'un après l'autre. Je leur fournis à tous une réponse qui les ravit. J'apprends que Thibaut a un faible pour Clarissa. Je ne peux m'empêcher de grimacer sur son mauvais goût. Mais, comme une bonne amie, je lui conseille un bracelet Swarovski qui ravira la donzelle.

— Et toi, Farmer ? C'est quoi qui te ferait plaisir ?

Maltez cherche la bagarre. Clairement. Ça se voit dans ses yeux. On se lance des couteaux rien qu’en se regardant. En d'autres circonstances, je me moquerais de lui. Là, je ne suis pas d'humeur. Je lui tends la carte postale rageusement.

— D'autres parents.

Puis je m'enfuis en courant pour que les garçons ne me voient pas pleurer de rage. Je fonce vers la stalle de Grognon, ouvre grand la porte et lui grimpe dessus à cru. Pas besoin de mots, il comprend ce que je veux. Je le lance au galop. J'ai besoin d'air. Je vois les garçons qui arrivent en courant. Ils veulent s'excuser, me consoler. Ce n'est pas dans mes plans. Blaise agite les bras et tente de faire barrage. Mon merveilleux étalon leur fonce dessus et saute. Je n'ai pas envie de parler. Mélia leur a déjà tout raconté au sujet de notre famille. Je refuse de me montrer faible. Je dois m'isoler si je ne veux pas exploser de colère. Nous traversons la cour à toute allure. Nous sautons au-dessus des cartables et élèves avec aisance.

Une fois loin d'eux, dans le bout de forêt jouxtant le lycée, Grognon se met au pas de lui-même. Je lui raconte mes malheurs pendant qu'il broute les rares herbes qu'il déniche. Je cogne mes poings sur les troncs d'arbres. Je hurle ma colère. Du bruit se fait entendre. Nous dressons l'oreille tout deux. Je grimpe prestement sur mon fidèle destrier. Nous patientons, cachés derrière des arbres. Naya et Prince. Ils sont à notre recherche. Maltez a dû leur parler. Hors de question qu'elle me voit en position de faiblesse. Je donne le signal du départ à Grognon.

— Mégane. Attends. Tout va bien ?

Trop tard. Grognon réagit immédiatement. Il galope illico. J'entends Naya me poursuivre. Prince est plus rapide mais moins endurant et agile. Il a l’habitude des parcours millimétré des gosses de riches. Mon étalon est sauvage, galopant dans les forêts ou mares boueuses semées d’obstacles variés et imprévus. Je zigzague pour avoir à l'usure les poursuivants, évitant les branches basses et suivant le moindre mouvement du corps équin. Heureusement que Grognon et moi, nous sommes en symbiose, je n'ai même pas pris le temps de lui mettre des rênes ou une selle. Je lui indique la direction avec les mains et la voix. Nous gagnons le cœur de la forêt. Nous les avons distancés.

Je descends pour laisser souffler Grognon. Je lui fais un câlin pour le féliciter. Il broute tranquillement ce coin de verdure épargné par la neige. Assise au pied d'un arbre, j'observe les oiseaux, renards et chevreuils qui passent pour chercher de la nourriture. Ils n’ont pas peur de moi. Je n’ai rien d’agressif dans mon attitude. La nature paisible me calme. Je finis par m'endormir. Je suis réveillé par les hennissements inquiets de Grognon et ses coups de sabots près du crâne, martelant le sol bruyamment.

C'est la nuit noire. J’ai dormi plusieurs heures, protégée du froid par mon cheval qui s’était allongé près de mon corps. Des bruits étranges retentissent au loin. Grognon et moi ne sommes pas peureux. Nous connaissons les sons normaux de la forêt. Ce n'est pas ce que nous entendons. C'est pour cela que mon étalon m'a tiré du sommeil. Il a besoin d'une seconde analyse. Des grognements étranges, inconnus à notre oreille. Des branches qui se cassent. Des bruits de lutte. Des gémissements entre le bébé humain et la bête sauvage. Un truc pas normal s'approche. Vite. Très vite. Nous devons rentrer nous mettre en sécurité par précaution. Je saute sur Grognon et nous courons vers le lycée.

Je n'aime pas indiquer la direction d'un lieu avec des personnes fragiles toutefois, il s'agit du seul abri proche à ma disposition. Je me retourne pour identifier les bruits et aperçois cinq formes humaines. J'essaye d'analyser la menace afin d'adopter la meilleure stratégie de défense. Ce que je vois n'a rien d'humain. Ça se déplace vite, trop vite et de manière anarchique. Ce ne sont pas des animaux, ni des soldats. Encore moins des soulards perdus. Pas le temps d’analyser plus. Leurs mouvements incohérents et pourtant menaçants m'indiquent qu'ils sont potentiellement un grand danger. Il faut fuir et réfléchir rapidement. Je hurle à Grognon d’accélérer la cadence afin de mettre un maximum de distance entre nous et ces choses.

Nous atteignons enfin les écuries au grand galop. Je saute aussitôt pour refermer les portes pendant que Grognon tente de ralentir avant le mur du fond. Le professeur d'équitation est là avec sa fille et Prince. Mes propos sont quelque peu aboyés. Pas le temps pour les politesses, un danger approche et il faut mettre les animaux en sécurité. Ils comprennent qu'il faut fermer les portes et qu'il y a urgence. Pas le temps d’expliquer en détail. Ils savent que je ne fais pas ce genre de blagues et ma nervosité les gagne. Je barricade l’entrée comme je peux puis je cherche une arme du regard sans perdre un instant.

Je n'ai pas le temps de respirer que les trucs arrivent et tambourinent malgré la vitesse de mon étalon, ils nous ont suivis. Je peste de les avoir approchés du lycée et des innocents présents dans ces murs. Ils hurlent telles des bêtes affamées, couvrant mes jurons. Les chevaux sont en panique. Une créature casse une fenêtre et passe son bras ensanglanté pour essayer de nous attraper. Je réagis et décroche la hache d'incendie. Je lui tranche le bras sans états d’âme et continue de fouiller après d’autres armes.

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