Quésako ? 2/2

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Les squelettes tentent de rentrer par les ouvertures, mais nous les démembrons au fur et à mesure avec la hache (moi), une fourche (Naya) et une pelle (le professeur). Quand ils parviennent à ouvrir la grande porte, je vocifère les ordres de combat. Mon âme barbare fait voltiger la hache dans les airs et décapite deux assaillants. Le père de Naya m’imite et assassine un troisième intrus à coup de pelle dans la tronche. Prince et Grognon nous aident en ruant et éclatant le crâne d'une créature chacun que la reine des abeilles avait au préalable immobilisé avec sa fourche.

Le combat n'a duré que quelques minutes qui nous ont paru des heures. Nous sommes en nage, essoufflés et tendus. Le bruit a inquiété un enseignant qui appelle immédiatement la police. Nous attendons en tremblant nerveusement sous la décharge d'adrénaline que les voitures et leurs gyrophares nous permettent de sortir en toute sécurité. Le boucan a fini par rameuter tout le lycée. Fort heureusement, les professeurs tiennent éloignés les élèves. J'ai repris mes esprits ainsi que le professeur et Naya. Nous ne sommes pas blessés. Les chevaux non plus.

Naya et moi regardons les bouts d'humanoïde au sol pendant que le cordon de sécurité policier se déploie sur la scène de crime. Squelettiques, sanglants, certains bras pendant ou manquants, yeux rouges, peau blafarde ; cinq créatures immondes dont des morceaux gesticulent encore. Des mutants. C'est le terme qui me vient à l'esprit immédiatement. Je prends des photos avec mon téléphone et j'envoie les clichés immédiatement à mon parrain avant de les effacer.

— Putain Mégane. C'est quoi ces trucs ? Me souffle-t-elle.

Je secoue la tête. Je n'en sais rien. Ce n'est pas humain ou plutôt, ce n'est plus humain. Papinou et Richard m’avait montré des images crues de la guerre, mais je ne reconnais rien. Les monstres et leurs bouts sont emmenés dans des sacs funéraires pour être disséqués par des experts en tenue anti virale. Des prélèvements de sang, entrailles et autres trucs dégueux sont soigneusement mis en tube pour subir des analyses.

Les policiers nous auraient pris pour des fous s'ils n'avaient pas vu les cadavres. Ils ont immédiatement mis en place un périmètre non autorisé au public et fait appeler en urgence la sécurité intérieure. Nous sommes désinfectés avec des douches de biocides et examiné par des médecins qui cherchent la moindre égratignure.

Puis, nos témoignages sont recueillis avec soin par un régiment d'enquêteurs méfiants. L'un d'eux se moquant de mes réflexes, se prend une baffe à haute vitesse pour prouver mes aptitudes au combat. Ses collègues s'interposent pour me calmer et tenter de me faire reprendre le récit des dernières heures. Je récolte une fouille de mon téléphone.

Afin de ne pas créer une panique générale, les forces politiques nous ont demandé de ne parler des vrais événements avec personne. Nous devons juste évoquer une agression d'une bande de jeunes toxico, sans entrer dans les détails. Il est quatre heures du matin quand je regagne ma chambre avec Naya. Son père est coincé au commissariat pour la nuit. Un comité d'accueil nous attend en dormant à poings fermés. Blaise, Thibaut, Damien, Mélia, Sarah, Fleur et Lilou squattent notre chambre. Mélia est dans mon lit avec Lilou. Sarah et Fleur dans celui de Naya. Les garçons au sol. Je fais signe à Naya. Elle n'a aucune envie de subir un nouvel interrogatoire. Nous les laissons dormir et gagnons la chambre 326.

— Meg ?... Je sais qu'on n'est pas vraiment amie. Mais... Ce qui s'est passé ce soir... Je...

Naya me serre dans ses bras avec force et éclate en sanglots. On a eu la frousse de notre vie. Elle a raison. On n'est pas amies, on n'est pas ennemies non plus. Je lui rends son accolade et lui caresse le dos pour la calmer comme je le ferais d’un enfant. Elle tremble comme une feuille. C'est une fillette apeurée que j'ai dans les bras. Je la rassure de mon mieux.

—Tu ne pleures pas ?

— Non. Je me suis juré d'être forte et de ne plus jamais pleurer en enterrant mon grand-père. Et puis, je dois avouer que l'adrénaline n'est pas encore retombée là...

J'ai dit cela d'un air si détaché que je la fais rire. Je suis barge. Pour une fois, ce côté de ma personnalité est plutôt rassurant. Nous nous écroulons sur les lits sans parvenir à dormir. Nous n'arrivons pas à parler, juste à se sourire et à se faire un check d'épuisement et d'encouragement. Naya pleure encore un peu. Je saisis la peluche de Mélia et lui tend sans un mot. Elle évacue le contrecoup. Moi, je décortique.

Ellipse de quelques jours

Comme prévu, dès le soleil levé, la bande nous est tombée dessus et nous a ensevelies sous les questions. Tout le lycée en fait. Les abrutis en quête de ragots ont rappliqué sans gêne. Naya et moi avons répété le discours conçu par les policiers. Notre ton peu convaincant les a tous laissés douteux. Le bobard fabriqué par les bureaucrates est mal ficelé. On dirait le récit décousu d'un gamin de cinq ans. Encore une bande d'incapables qui a obtenu son poste par piston. Le pire, c'est qu'ils veulent que l'on raconte qu'on était terrorisées et inactives, planquées dans un coin de la grange en attendant les forces de police. Cela ne correspondant absolument pas au caractère belliqueux de Naya et moi.

Quand les questions commencent à être trop insistantes, ma mine patibulaire fait s’éloigner la plupart des curieux de ma pomme. Je n'ai même pas besoin de montrer les dents ou de grogner. Mon regard assassin suffit à dissuader à lui seul. La sale tête de Maltez protège Naya, à moins que ce ne soit le sens de la répartie de la donzelle. L'un comme l'autre savent comme moi éloigner les indésirables assez facilement.

Il n’y a vite plus que nos amis qui nous harcèlent de demandes d’explications impossibles à leur fournir. Eux, ils sont plus difficiles à intimider. Le plus souvent, c'est Naya qui les fait changer de sujet en mimant une soudaine survenue de larmes de crocodile comme elle sait si bien le faire. D'autres fois, c'est moi qui change de sujet de façon tellement soudaine, lourde et insistante qu'ils comprennent le message.

La reine des abeilles en profite un peu trop pour se faire chouchouter. Se plaindre pour attirer la compassion est l’un de ses meilleurs atouts. Les baisers et les caresses de Maltez, associés aux sucreries fournies par la bande adoucissent et font s’évaporer ses tensions et tracas. Je dois reconnaître qu'elle est une excellente comédienne et sait tirer parti de la situation sans aucun scrupule.

Moi, je fuis et me cache des autres pour ne pas avoir à leur parler. Le toit terrasse est un lieu plutôt pas mal pour les besoins de solitude. Les écuries aussi, surtout le box de Grognon qui me dissimule avec ses grosses fesses poussiéreuses. L'abord de la forêt est bien mais souvent interdit par les militaires. Quand ma frustration est trop intense, je frappe à coup-de-poing ou de pelle l’épouvantail que j’ai fabriqué pour me servir de punching-ball près des écuries. J'ai besoin d'extérioriser pour me calmer les nerfs. De m'entraîner au combat aussi. Je m'empâte depuis que je suis dans ce lycée de chiffes molles. Je dois me reprendre et redevenir une combattante.

Il n'y a pas que moi qui utilise la force pour évacuer l'adrénaline. Grognon et Prince s'amusent à ruer pour faire chuter la neige de la cime des arbres puis s'enfuir au triple galop avant d'être ensevelis. Ils font un concours de l'étalon le plus crétin. Grognon gagne haut la main avec trois palefreniers et une jument transformés en bonhommes de neige cette semaine. Étrangement, aucun des deux n'a osé essayer de me faire le coup. Je pense qu’ils n’ont pas envie de finir en steak haché. Nous avons le même style de caractère tous les trois. Du coup, il y a une sorte de respect mutuel et de pacte de non-agression. Nous avons chacun notre façon de décompresser.

Des pontes du ministère de la Défense sont venus nous réinterroger. Des soi-disant experts de l'interrogatoire cognitif. J'accepte leurs méthodes bizarres même si je doute que mon cerveau accepte d'être manipulé comme la masse des moutons. Mon nom de famille ; Papinou étant un ancien Général réputé internationalement ; et ma façon de décrire très rationnelle et carrée permettent qu'ils me prennent un minimum au sérieux. Je recadre rapidement les quelques vieux schnocks qui se moquent de mon jeune âge en utilisant des termes techniques médicaux et militaires adéquats et bien compliqués.

La nana qui dirige les questions les rabroue aussitôt également et adapte son discours un minimum à ma personnalité. Elle est plus intelligente qu'elle ne paraît, donc potentiellement dangereuse. Elle a compris tout de suite que j'ai évalué très rapidement sa capacité au combat et que le ton mielleux n'est accepté de ma part que d'une personne que je juge faible et fragile ou de mon double. En plus, elle connaît Richard pour avoir suivi une formation de gestion du stress pour tireur d'élite où il enseignait. Elle me fait rire quand elle évoque sa pédagogie froide faite de coups de pieds au cul, de remarques cinglantes et de félicitations à demi-mot.

La jeune femme sait que j'ai moi aussi reçu cet enseignement et que je maîtrise quelques techniques psychologiques de base. Je suis loin d'être une enfant douce et innocente que l'on manipule avec des bonbons. Elle joue plus subtilement avec moi. Un jeu d'honnêteté et de pseudo-complicité en me faisant parler de ceux que j'aime ou que je protège. Je coopère avec beaucoup de méfiance jusqu'à ce qu'elle rigole et appelle mon parrain en visio. Elle le félicite pour m'avoir formé à résister à l’interrogatoire et lui demande de l'aide afin qu'il me demande d'arrêter d'être sur la défensive. C'est en me traitant de pitbull qui ne veut pas lâcher son os que je reçois l'ordre de parrain. Elle a la validation de Richard. J'ouvre alors un peu la mâchoire.

Naya et son père ont confirmé mes propos quant à la partie dans les écuries. Eux aussi parviennent à donner des détails assez précis malgré le capharnaüm du combat. Ils sont très observateurs finalement et ils ont réagi rapidement et de manière intelligente pour des civils sans entraînement au corps-à-corps. Ils ont été de précieux alliés en plus des deux bourriques de canassons. La responsable les a placés dans un état de semi-sommeil, où ils ont pu vraiment décrire tout ce dont ils se rappelaient, consciemment et inconsciemment. Un état que je n'ai pas pu atteindre, mon esprit refusant de lâcher prise, même avec une personne de confiance. Un truc que je dois à Papinou et Richard d'après la jeune femme.

De toute façon, les restes humanoïdes prouvent que je n’invente rien. Ils peuvent raconter leurs bobards, Naya, son père et moi savons ce que nous avons vu. Pas d'hallucinations collectives ou de drogues dans le sang. On ne touche pas à ses saloperies et notre esprit à tous les trois est imperméable à la suggestion de fadaises. En plus, Grognon étant quasi-sauvage, il réagit à l'instinct et non à mes émotions. Il a été le premier à s'alarmer sur les bruits étranges et à vouloir prendre la fuite. Les tentatives stupides des bureaucrates pour tenter de nous faire croire leur histoire mal ficelée sont vaines. Nous ne nous laissons pas influencer et certifions nos récits.

Au moins, la nouvelle responsable ne nous prend pas pour des fous et valide pas mal de nos souvenirs. Elle reconnaît l'étrangeté des événements et nous demande de ne pas parler afin de ne pas créer une panique inutile tant qu'on ignore ce qui s'est vraiment passé. En privé, elle m'autorise à dire la vérité à Mélia qui, élevée comme moi, ne sera pas du genre à faire des théories fumeuses.

De toute façon, elle pense que je l'ai déjà fait et me révèle que Richard lui a envoyé mes photos. J'ai confirmation que Parrain garde un œil sur Mélia et moi et sur ce que se trame dans le coin. C'est lui qui a demandé à la femme de venir prendre la tête des opérations. Je suis ce qu'elle appelle un témoin fiable et ce qui arrive dépasse les capacités de simples truffions ou petits chefs stupides.

L'armée a patrouillé dans la forêt et l'a quadrillé à la recherche d'autres monstres sans nous en dire plus. La zone a été interdite au public. J'ai essayé de les suivre avec mes jumelles à partir du toit terrasse. Les arbres sont trop denses et les militaires attendaient d'être dans leurs tentes opaques avant de parler. Mes quelques intrusions à pied ou à cheval pour satisfaire ma curiosité ont été infructueuses. Soit je n’ai rien trouvé, soit un militaire moins bête que les autres a compris que je les suivais et m’ai gentiment demandé de rebrousser chemin, en me faisant souvent travailler mes compétences pour le corps-à-corps.

L'un d'entre eux a voulu me faire suivre une mauvaise piste. Du coup, je me suis vengée en modifiant leurs marques sur les arbres et en allumant un brouilleur de boussole pour les paumer quelques heures en forêt. Je les ai suivis pour m'assurer qu'ils n'aient pas d'ennuis et j'ai fini par me faire repérer. Ils ont ri de ma blague, pas vraiment fâchés contre le sale gosse que je suis. Je crois que les vrais soldats m'aiment bien. Après tout, Mélia et moi sommes presque des leurs, les petites filles et filleules de deux légendes que beaucoup admirent et respectent.

Ce sont les bureaucrates qui sont contre moi. Les grassouillets planqués bien au chaud qui se pensent plus intelligents que les autres. Tous ceux qui connaissance le terrain comprennent parfaitement pourquoi je veux savoir contre quoi je me bats. Ma volonté d'identifier l'ennemi et ses failles pour les utiliser au besoin. Ils n'ont malheureusement pas grand-chose à me dire de plus que ce que je sais déjà.

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