Rodéo 1/2

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Ellipse de quelques heures

Fin de la journée. Dernier cours. Option EQUITATIONNNNNNNN. Désolée pour le cri, mais c'est le seul cours de la journée qui promet d'être agréable. Je me suis ennuyée depuis le lever, si on exclut l’épisode Musclor. En plus, à midi, c’était haricots verts et quelque chose indéfinissable. Un très mince filet de viande ni blanche ni rouge, du fromage bas de gamme, une sauce rouge sans saveur, le tout entouré de chapelure. Je suppose que c’était une tentative de cordon bleu bolognaise mais qui était trop salé. Moi qui espérais que la cantine serait bonne. En fait, cela dépendra du cuistot du jour. Celui du lundi fait clairement des expériences sur de jeunes adolescents innocents.

L’andouille bodybuildé a au moins eu l’avantage de me détendre un peu en sollicitant mes muscles endoloris. En plus, pour faire enrager ses potes, Blaise m’a demandé de refaire l’enchainement au ralenti sur lui. Il m’a soulevé dans les airs par les poignets avec délicatesse, me permettant de nouveau d’étirer ma colonne vertébrale. Lentement, et surtout sans lui faire mal, j’ai montré chacun des mouvements, fascinant les Kawai et quelques gars. Je ne sais pas si ce sont les mouvements à proprement parlé ou les explications de la douleur provoquée qui choquaient le plus.

Les autres élèves au loin écoutaient admiratifs ou inquiets. Ma lenteur et mes explications montraient combien je maitrise mon sujet. Je donnais des précisions sur la façon de faire et surtout sur la partie du corps à utiliser ou frapper. J’en profitais un peu pour tripoter Blaise et le chatouiller pour faire râler Sarah. Sous ses dehors timide et craintive, elle est hyper protectrice envers son grand frère et surveille les filles qui lui tournent autour. Mélia a fini par calmer la petite en lui disant que mes attentions envers Blaise étaient purement pour casser les pieds au duo, puisque que j’adorais enquiquiner le monde.

Maltez a voulu m’insulter je crois durant la démonstration. Il m’a traité de doberman avec des cheveux. Je n’ai pas relevé. J’aime bien les dobermans. Ce sont des chiens intelligents, athlétiques et élégants. Ils ont un instinct de protection très marqué qui les rend féroces quand on touche à leur famille. Cependant, ils sont très doux avec les enfants. Alors, j’ai choisi de prendre cela pour un compliment. Surtout que son ton de voix ne semblait pas sarcastique mais plutôt épuisé de mes piques incessantes envers sa personne.

De toute façon, j’étais trop occupée à enseigner mes techniques de combat à Sarah pour accorder plus d’intérêt à ce triste personnage. Avec la complicité de son grand frère, je lui montrais comment se défendre face à des sales types au cas où elle aurait des soucis et qu'un basketteur, Mélia ou moi ne soyons pas dans les parages. Lilou et Fleur écoutaient aussi très attentivement. C'était drôle de chatouiller Blaise en toute impunité pour la bonne cause en plus. Il a bien essayé de se défendre, seule Mélia et ses claques sur la tête ont fait stopper mes assauts de bêtises.

Dès que l'avant dernier cours se termine, ma jumelle et moi nous précipitons vers nos chambres en montant les escaliers quatre à quatre. C'est à celle qui ira le plus vite. Je pose mes affaires de classe rapidement sur mon lit et enfile mes guêtres. J’ai mon kit de pansage et quelques autres affaires qui peuvent être utiles. Je pense que le lycée fournira tout, toutefois, j’aime avoir mes propres affaires, nettoyées et entretenues. C’est une question d’hygiène et aussi du respect de l’animal et des autres personnes.

Mélia se change presto de son côté pour une tenue plus adéquate, toujours hyper colorée. Sa jupe courte à froufrous du jour n’est pas des plus adaptée à la pratique, même si je sais qu’elle a le niveau pour travailler dans un accoutrement de ce genre. On se rejoint dans le couloir moins d'une minute après. Elle aussi sautille d’impatience. Nous avons besoin d'un contact avec des animaux pour nous détendre et faire retomber la pression de la journée.

La matinée et le début d'aprèm ont été rudes pour son éternelle bonne humeur. Mis à part Monsieur Noguerra, les autres professeurs ont cherché à nous coincer avec des questions pièges. Ils n’aiment pas les enfants qui ne suivent pas le parcours « classique ». Ils se sentent dévalorisés par le fait que des personnes lambda puissent s'éduquer sans besoin de pompeux programmes. Alors déjà, je ne suis pas une personne lambda mais une alpha et en plus, leurs programmes sont faites pour les masses moutonneuses et non pour des esprits libres et curieux.

Mélia est resté discrète et polie. Tout cela lui fait de la peine. Je le vois bien. Moi, j’ai montré que Papinou était un excellent professeur et que nos connaissances valent bien celles des autres adolescents, voir les surpassent dans certains domaines. En Sciences de la Vie et de la Terre par exemple, j’ai scotché l’enseignant en détaillant parfaitement le système sanguin, les os et les muscles du corps y compris tous ceux des mains et des pieds.

Je me suis aussi amusée à terrifier mes camarades en évoquant les endroits où les gros vaisseaux sont le plus accessibles et en combien de temps une entaille suffisamment profonde provoque l’arrêt du cœur par manque de sang dû à l’épanchement. J'ai même donné les temps estimés en fonction de la corpulence d'un homme de taille et de poids moyen. Cela m’a valu une mini-claque de ma jumelle pour me faire taire. Le prof a dû aller chercher la réponse sur internet, prouvant que je suis plus calée que lui sur ce domaine.

Je comprends la claque fraternelle. Entre ça et mon massacre de crétin bodybuildé, je commence à effrayer mes camarades de classes les plus sensibles. Enfin non. Les Kawai étaient dégoutées des détails, cependant, je n'ai pas perçu la moindre peur chez elles. J’aurais arrêté illico mon cirque si cela avait été le cas. Je veux effrayer les cons pas les gentilles filles toutes mignonnes et trop choupinettes.

Une fois en tenue, on dégringole les escaliers aussi rapidement qu'on les a montés et on part joyeusement en direction de la carrière numéro deux, où nous attends notre professeur et les autres camarades de notre année ayant choisi cette option. Pendant qu’on s’appuie tous sur la barrière extérieure, je fais des paris avec Mélia sur le niveau de nos camarades, au jugé de l’usure de leur tenue, de sa praticité et de son confort et aussi de leur nervosité.

Le professeur arrive enfin et commence à se présenter. D’après ses paroles, c’est un ancien jockey de haut niveau. Sa tête me rappelle quelqu'un, je ne parviens pas à déterminer qui. Il est tout petit, maximum un mètre soixante. Je le dépasse de plusieurs centimètres. L'usure de ses mains, de son pantalon et de ses bottes pourtant tous de très bonne fabrication, m'indique qu'il sait de quoi il parle. Son discours aussi. Il utilise des mots techniques très précis et sait les expliquer aux novices. Tant mieux. Je n’aurais pas supporté d’être sous la direction d’un naze incompétent dans cette matière essentielle à mon équilibre mental.

Lorsqu'il nous demande un par un notre niveau, Mélia et moi lui répondons avec franchise n'avoir jamais passé les galops, ces petits examens de niveau habituels dans le milieu équestre. Nous pensons avoir tout de même de bonnes bases tant en soin à porter aux animaux qu’en pratique même de l’équitation. Mélia explique être plus douée en dressage et voltige, moi en saut d'obstacles, cross et un peu en débourrage de poulains. Je pense qu'on est les meilleures de ce groupe malgré notre absence de reconnaissance officielle. Le prof scrute nos tenues tout en nous questionnant. Lui aussi évalue le niveau en fonction des fringues. Je pense qu'il approuve celles de Mélia et la mienne en observant l'usure aux endroits stratégiques.

A notre grande surprise, à l’annonce de nos noms de famille, le professeur nous annonce que nos parents ont pensé à nous faire parvenir nos chevaux. Nous ne pouvons retenir nos cris de joie et sautillons. Waouh, ils ont utilisé leurs cerveaux pour une fois. Le professeur sourit de notre bonheur montrant combien on aime nos animaux et nous fait nous calmer. D'autres jeunes ont aussi leurs propres chevaux. Toutefois, pour l'examen de niveau, tous les élèves devront passer une évaluation sur l'un des chevaux de l'école. Cela est logique. En fonction du niveau annoncé, le prof peut mettre un cheval qu'il connait bien et s'adapter au mieux.

Il y en a cinq de préparés et qui attendent de travailler. Nous passerons chacun notre tour. Le professeur nous choisira une monture et nous aidera. Un par un, nos camarades montent et prouvent ou pas leur niveau. Nos paris avec ma jumelle sont assez exacts sur les talents des autres adolescents. Je m'étonne de la présence du cinquième cheval, qui piaffe d'impatience, et qui n'est jamais choisi par le professeur. Il m'a l'air assez caractériel comme canasson. En tout cas, c'est le plus nerveux. J'hésite entre un arabe et un pur-sang anglais. Il est magnifique avec ses muscles détaillés et sa robe noire de jais. Je l'observe attentivement, ne prêtant pas vraiment attention au défilé d'imbéciles heureux sans talent qui se produit à côté de moi.

Je ne reprends d'intérêt pour l'examen que lorsque j'entends le nom de ma sœur être appelé. Mélia passe sur une jument douce et travailleuse. Elle montre vite son bon équilibre et sa coordination avec le cheval. Malgré la selle western classique qui la dérange et l'animal peu habituée à se diriger seul, ma sœur parvient à faire quelques figures d'équilibre assez complexes au pas. Elle y va en douceur pour ne pas l’effaroucher. Le professeur s’excuse car les chevaux de l’école ne sont pas entrainés pour la voltige et sont donc étonnés des mouvements inhabituels. Il félicite ma jumelle pour sa facilité à s’adapter à la jument et à l’apprivoiser avec patience. Il semble admiratif de son niveau bien qu’elle n’ait pas montré le quart de son potentiel.

Afin de compliquer le niveau, Mélia lance la jument au galop, allure la plus utilisée pour cette discipline. Tout en tenant les rênes d'une main, elle prend son équilibre et fait le poirier en se servant des bords de la selle comme supports pour ses mains. Ensuite, elle utilise le porte lasso de la selle pour bloquer sa jambe droite et se place à la tête en bas, la jambe gauche en l'air. Mélia agit doucement pour ne pas effrayer sa monture.

Avec cette selle pas du tout pratique pour l’usage, il lui est plus difficile de revenir à sa position initiale. D’autant plus que la jument n’a pas un galop confortable et régulier, ce qui provoque des saccades qui feraient tomber d’autres cavaliers. Fort heureusement pour Mélia, elle a de très bons abdos et des cuisses puissantes. Même si elle galère un peu, elle parvient à faire ses figures parfaitement et revient en place juste un peu plus lentement que d’habitude.

Elle éblouit le professeur avec sa démonstration de voltige pourtant relativement simple. De tous ceux qui sont passés, c'est clairement elle la meilleure. Le professeur l'interroge sur les mouvements qu'elle sait faire avec sa propre jument et l'équipement adapté. Mélia ne connaît pas forcément tous les termes techniques, cependant, elle détaille si bien les enchainements que l'homme comprends aisément de quelle figure il s'agit.

Mélia n'est pas vantarde et elle sous-estime ses compétences. Lorsqu'elle évoque à demi-mot être en mesure de diriger sa jument sans rênes, avec juste sa voix et son corps pour expliquer ce qu'elle souhaite, le professeur est admiratif. Il semble apprécier ma petite licorne et être heureux d’avoir une élève si compétente et si humble. C’est la meilleure de tous les élèves qui sont passés ce soir alors qu’elle n'est pas au top de sa condition avec cette jument qu’elle ne connaît pas.

Je suis heureuse de constater que le moniteur d'équitation complimente ma jumelle. Il lui fournit les mots techniques et discute avec respect durant plusieurs minutes. Mélia rougit de la gentillesse et toute cette attention qu'elle suscite. Les autres élèves sont suffisamment intelligents pour la féliciter eux aussi, à part peut-être une bêcheuse qui râle dans son coin. Je pense que le cours d'équitation va vraiment être l'un de mes préférés et un moment de détente nerveuse vital pour la survie des habitants de ce lycée.

C'est mon tour. Je suis la dernière à passer. Mélia ayant stipulé que je suis bien meilleure qu'elle, le professeur me désigne le cinquième cheval nommé Prince en haussant un sourcil. Je sens le piège. Pas grave. J'adore les défis.

Je grimpe prestement tandis que le professeur tient les rênes avec un sourire qui ne cesse de grandir. Soudain, je réalise la raison pour laquelle sa tête m'est connue. Naya vient d'arriver d'ailleurs et lui fait une bise sur la joue. C’est son père. La vipère est en train de ricaner en me voyant monter sur le dos du magnifique étalon nerveux. C'est bien un coup fourré. Je ne vais pas me laisser faire comme ça, Miss Pimbêche.

Le cheval démarre au galop à peine le prof lâche les rênes. Je serre les cuisses et me maintiens sans difficulté. Tu vas voir ce que tu vas voir bourriquet. J'en ai maté des plus coriaces. Je n’ai pas l’intention de laisser cet étalon dominer. Le seul être vivant à avoir le droit de me discipliner est une demoiselle aux cheveux bariolés qui a cohabité dans le même utérus pendant neuf mois. Un rude combat débute et la force de caractère de chacun déterminera le gagnant de cet affrontement.

Le cheval fonce, s'arrête d'un coup en baissant le cou. Il fait des cabrioles, des sauts de puces. Prince se cabre et rue avec force. Il saute dans tous les sens pour m'éjecter. Un vrai rodéo. Il aurait peut-être réussi son coup si je n'avais pas une selle solidement arrimée pour m'aider. En monte à cru, le rodéo est bien moins facile. Là, il n'a aucune chance. J'ai des prises solidement arrimées à son poitrail.

Je ne lâche rien. Je resserre mes prises. En plus, j'engueule le cheval en lui disant que c'est une chiffe molle. Je lui donne des coups de talons quand il galope pour lui dire qu'il est trop lent. Bref, je l'énerve encore plus. Je veux qu'il se donne à fond. Je veux qu'il s'épuise. Je veux qu'il comprenne que je suis la plus forte et la plus têtue. Il y a une guerre physique, testant l’endurance de chacun, mais aussi psychologique, le mental du dominant faisant plier l’autre.

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