Saletés de rats 1/2

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La bonne nouvelle, c'est que vu sa tête, le bellâtre est aussi ravi que moi. Il s'attendait à voir un gars de seconde, pas une fille et surtout pas moi. De ce que je comprends de la discussion, le responsable a caché à tous l'identité de la nouvelle recrue pour éviter les débats inutiles. Le grand dadet pensait qu'il s'agissait d'un sportif et donc d'un lutteur, seul club à avoir intégré des secondes cette année. Je réalise que le bénévolat construction n'intéresse pas grand monde et ce sont surtout les sportifs et de préférence les basketteurs et les lutteurs.

Je suis surprise d'entendre Maltez qui s'estime heureux d'être mon superviseur et avouer que je suis l'une des secondes les plus débrouillardes et bosseuses qu'il connaisse. Mon étonnement à ce qui ressemble à un compliment ne lui a pas échappé et je le vois se marrer en douce. C'est bien ce que je pensais. C'est de l'ironie. Cette andouille veut me faire croire qu'il m'apprécie pour me faire douter des paroles de ma frangine. Il faut dire que le discours du responsable sur l'élève attentive que je suis est tellement loin de ma personnalité que les mensonges du crétin passent inaperçus. Il n'y a que pour la construction et en équitation que je suis assidue. Les autres matières, ça dépend des jours.

Après les politesses d'usage devant le responsable, nous nous dirigeons vers le chantier. Maltez me demande ce que je fais là très poliment. Je suis la première fille à vouloir travailler sur ce projet. Il est très surpris de ma présence tout en admettant que Mélia et moi sommes les seules filles de tout le lycée qu'il estime capable de faire des choses utiles. Il a apprécié le travail réalisé pour les cadeaux de Noël et adore le sien.

Comme il me demande cela de manière presque gentille, je réponds sur le même ton que j'adorais aider mon grand-père à entretenir notre maison. Le bricolage est une activité que j'apprécie beaucoup et qui suscite ma curiosité et mon envie d'apprendre et de faire. En plus de me défouler physiquement aussi très souvent. De toutes les activités caritatives, celle-ci m'a paru être la meilleure pour moi.

Je blague un peu sur la catastrophe que j’aurais été au téléphone de SOS Dépressifs. Mon manque d'empathie, mon vocabulaire brut de décoffrage et ma maladresse naturelle auraient provoqué des drames. Damien admet qu'il n'aurait pas été très bon lui aussi à ce poste même s’il est capable de filtrer ses paroles parfois, contrairement à moi. En revanche, la voix douce et la capacité à toujours trouver du positif de Mélia fait déjà des miracles. Mon double a un véritable don.

Il évoque Blaise, coincé à la soupe populaire pour protéger sa sœur. Son meilleur pote n'a pas hésité un instant à changer d'affectation quand il a su que Musclor et d'autres gars pas recommandables faisaient partie des bénévoles. L'idée principale de ces crétins est de piquer de la bouffe aux plus démunis. Le grand frère et un autre basketteur sont les gardes du corps des kawai et des plus faibles de ce groupe. J'aurais fait la même chose pour Mélia, bien qu'elle soit parfaitement en état de se défendre sous ses dessous bariolés de gentille fille.

Je le préviens que je ne m'attends pas à faire de la décoration d'intérieur, mais bel et bien à casser des murs et à travailler dans la poussière et dans la saleté. Pour avoir aidé Papinou, j'ai parfaitement idée de ce qui m'attend et j'ai choisi ce bénévolat en toute connaissance. Il sourit avec la mine d'un sale gosse qui s'apprête à faire une bêtise et me répond d'un ton espiègle que je sens tout le temps le canasson alors ça ne changera pas beaucoup mon odeur. Il me cherche. Il va me trouver, mais pas tout de suite. Je veux voir le chantier d'abord. En plus, je m'en fous si je pue. Ça éloigne une partie des andouilles.

Je profite du trajet à pied pour essayer de sonder le grand dadet sur ce qu'il éprouve réellement pour ma frangine et moi. Il est bizarre depuis quelques temps et cette aprèm, il est bavard et de bonne humeur. Je n'ai pas trop de difficultés à lui faire dire du bien de Mélia. Il apprécie sincèrement la gentillesse, le calme, la culture et le sens de la diplomatie de mon double. Que ce soit Sarah ou Naya, les deux filles dont il se préoccupe de l'opinion, elles l'adorent, tout comme Blaise. Il est plus réservé mais reconnaît que la compagnie de ma frangine lui est agréable. Rares sont les filles et encore plus les secondes qu'il tolère. Fleur et Lilou sont trop gamines pour lui et l'agace par moments. Mélia est gentille mais sait lui clouer le bec si besoin et il peut discuter d'un tas de sujet avec elle, bien plus qu'avec les autres filles. Il la voit comme une petite sœur avec qui il peut être complice et se confier, alors que Sarah, il la protège.

Pour mon cas, Maltez ne sait pas trop dire. La plupart du temps, je lui hérisse le poil et il a envie de m'étrangler. Je jure comme un charretier et suis toujours pleine de poussières. J'ai tendance à toujours chercher le moyen de lui casser les pieds, sans lui laisser de répit. Si j’étais un mec, il m’aurait déjà collé son poing dans le nez malgré mon entrainement militaire. Cependant, je suis aussi très intelligente et cultivée comme ma sœur. J'agis de la même manière qu'un mec et je suis donc beaucoup plus facile à comprendre que les autres filles. Je m'entends hyper bien avec ses potes ainsi que Sarah. Je le fais souvent rire avec mes âneries. J'ai de nombreux points communs avec lui comme l'appétit insatiable et le besoin de sport intensif. J'ai un sens de la répartie qui lui plaît quand il n'est pas dirigé contre lui. Et surtout, je protège les plus faibles. Du coup, il n'arrive pas à me détester sans pour autant m'apprécier. Lui aussi est perturbée par les propos de Mélia et reconnaît qu'il a bien pensé à me protéger du froid sans arriver à se montrer galant. Moi, je suis la petite sœur énervante.

Nous voilà enfin devant la bâtisse. Le responsable nous fait un topo. La maison qu'on rénove est à l'abandon depuis plusieurs années. L'ancien propriétaire est décédé dedans. Il a fallu un an avant qu'on ne découvre son cadavre. Deux ans, pour que l'on retrouve les héritiers et que la maison soit mise en vente. La puanteur a fait fuir tous les squatteurs humains. Le lycée en a fait l'acquisition pour une bouchée de pain il y a trois mois. On vient juste de récupérer les clés. Nous devons la rénover et la remettre aux normes afin d'y loger une famille défavorisée d'une veuve avec trois enfants, dont un bébé de quelques mois qui vivent actuellement dans un foyer. L'idée m'enthousiasme, c'est le genre de projets qui me plaît beaucoup et je sautille.

— Pourquoi tant de joie, miss soldat impassible ? Se moque Maltez en souriant.

— Il ne faut pas croire. J'ai un cœur sous ma carapace de ninja, je lui réponds d'un air choqué pas du tout crédible.

Le jardin me semble petit et est rempli de chardons, de lierres et de détritus divers. L'allée menant à l'entrée est envahie d'herbes folles. Les quelques arbres sont morts ou étouffés par les lianes. Les arbustes et fleurs sont en grave souffrance, affrontant les plantes envahissantes, le manque d'eau et de soleil. La couleur de la façade n'est pas distinguable sous l'épais couvert végétal qui la recouvre et condamne quelques-unes des fenêtres. C'est une mini forêt vierge. Une décharge à ciel ouvert qu'il faudra attaquer à la machette ou à la pelleteuse.

Le responsable délègue cinq gars sur l'extérieur. Pour débroussailler, arracher les mauvaises herbes, enlever les détritus... Il veut redonner un extérieur à la maison. J'ai le plaisir de voir Alex, le colocataire de nos trois amis, nommé chef de la partie jardin. Le peu que je connais de lui est qu'il est quelqu'un de consciencieux, très calme et aimant la nature. Je l'apprécie beaucoup. Parmi les autres ouvriers délégués, j'aperçois Thibaut qui me fait un clin d'œil et vient me faire un bisou sur le front quand il m'aperçoit. Avant de partir rejoindre ses camarades, il me supplie à l'oreille d'être sage et gentille avec Maltez, ce qui me fait sourire.

Le responsable nous parle alors de l'intérieur. Les murs porteurs sont relativement sains ainsi que la toiture. L'intérieur est jonché de poubelles et rempli de rats. Des moisissures pullulent sur les papiers peints des murs. Il faut tout sortir, tout nettoyer pour pouvoir désinfecter. Il envisage de casser les murs intérieurs non-porteurs et de refaire des murs. Ce sera plus rapide que de chercher à les assainir, d'autant plus qu'ils sont en très mauvais état. L'électricité, la plomberie, l'isolation du toit sont à changer en totalité. Les ouvriers bénévoles vont devoir aussi réparer les fissures ou coups dans les murs porteurs et après, les purifier par sécurité. La dernière tâche sera de repeindre l'intégralité des surfaces. On ne garde que les murs porteurs et le toit si je résume bien.

— Eh la femelle, j'espère que tu n'as pas peur des sales rats, me sort méchamment un des garçons en crachant dans ma direction.

— Si j'avais peur des sales rats, je ne serais pas ici avec toi le mâle, lui répondis-je sur le même ton.

Je sens Maltez qui pose sa main sur mon épaule. J'ignore si c'est un signe à destination du type ou pour me retenir. Mon corps s'est tendu, en position d'attaque, prêt au combat. Une position si courante qu'elle est presque naturelle. Mélia dit que je l'adopte aussi en dormant. Les doigts légèrement crispés de mon grand camarade m’indiquent que c'est ma hargne qu'il cherche à contrôler. Il ne veut pas de grabuge. Il se place entre le sale type et moi pour m'empêcher de faire un massacre.

— Mégane est sous ma protection Garcia. Touche là et je t'explose. C'est valable pour chacun d'entre vous. Tenez-vous loin ou vous goûterez de mes poings. Et toi, Farmer... Sois gentille et ne cherche la bagarre qu'avec moi s'il te plaît. J'ai promis tout à l'heure par texto à Blaise de veiller sur toi et de t'empêcher de faire des bêtises.

Je me décontracte à sa supplique si honnête. Il a raison. Priorité au boulot. Je regarde Damien et lui fait un beau sourire sincère de remerciement. Il soupire. Il sait déjà que je vais être difficile à gérer. J'apprécie son geste protecteur. Lui et moi, c'est chien et chat, mais on se respecte. On adore Blaise et Thibaut tous les deux. Il est intervenu plusieurs fois pour éloigner Musclor ou d'autres petits cons qui effrayaient mes Kawai ou des secondes.

Il est grincheux, acariâtre, cinglant et acide. Comme moi, en fait. Maltez est aussi protecteur, intelligent et est un vrai leader. Je le respecte pour cela. J'ai juste du mal à le supporter. Non, en fait, je ne peux pas le supporter sans avoir envie de l'étriper. Je repense à ses paroles de tout à l'heure. Ne pas arriver à se détester bien qu'on ne puisse s'apprécier. C'est très bien résumer nos sentiments réciproques. Si j'étais un mec, je serais Maltez, avec juste un meilleur look. Je suis certaine qu'il va profiter du peu d'autorité sur moi liée à son poste pour me casser les pieds. Ce chantier va être long et difficile, je le sens.

Je me dirige vers l'intérieur du bâtiment au côté de Maltez. Il me fait porter un masque pour les moisissures qui volent. Le grand dadet m'explique les choses avec de nombreux détails, sans me prendre pour une idiote. Il a compris que j'ai vraiment envie de faire mon maximum. Avec d'autres gars, nous déménageons les meubles et les ordures. Bien que je n’aie rien d'une faible fillette, je ne peux lutter contre la puissance de garçons de dix-sept ans sportifs. J'aide de mon mieux et ne ménage pas mes efforts. Je sors avec des sacs et des cartons à ma mesure. Je fais ma part de taf de manière efficace. La plupart des mecs sont sympas avec moi quand ils voient à quel point je suis investie et efficace.

Maltez ne cesse de me râler dessus. Il m'est impossible d'obéir sans broncher à cet imbécile heureux. Il est incapable de me supporter sans émettre une remarque plus de cinq minutes. Nous sommes d'accord sur le travail à effectuer et son importance. J'accepte son expérience. Il accepte ma débrouillardise. Nous ne faisons rien qui pourrait retarder l'avancée de notre boulot. Cependant, pour tout le reste, que ce soit le choix de la musique d'ambiance, les commentaires des derniers matchs, ou la façon de déguster des spaghettis bolognaise, nous avons des opinions différentes. On se chamaille, on peste, on râle. Mais on bosse et on fait rire les autres avec notre mauvaise foi réciproque. Ma chamaillerie enfantine avec leur leader les amuse aussi énormément. Ils n'ont pas l'habitude de voir quelqu'un contester son autorité bien que je le fasse aujourd’hui uniquement pour des choses sans conséquence pour le chantier.

Nous entassons les déchets qui débordent vite de nos poubelles. Agile, je grimpe sur un des tas pour sauter et le faire se réduire par compression au grand désespoir de Maltez, épuisé par mon initiative. Tel un kangourou, je fais des bonds qui écrabouillent et tassent les ordures. Je fais tellement l'imbécile que je ne vois pas le meuble pourri dessous qui s'effondre aussitôt. Je dégringole d'un bon mètre sans me faire mal et me voilà coincée dans la benne, éclatant de rire. Cette andouille ne bouge pas le petit doigt pour m'aider et en profite pour se moquer, voulant me laisser là quelques jours. Heureusement, Thibaut est proche et me tend les bras en preux chevalier. Je me fais porter comme une princesse et j'exagère les remerciements tant pour essayer de faire rougir le blondinet que pour blâmer Maltez.

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