Pourriture 1/2

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Je hurle un juron. Je n'ai jamais été d'une grande politesse, encore moins dans le feu de l'action. Ma jambe prisonnière des crocs se secoue brutalement pour faire lâcher prise à la charogne. De mon pied libre, je tape de grands coups vers ce qui ressemble à une tête pour me dégager. La créature m'entraîne dans le fond la pièce, là où il fait noir et où elle semble s'être fait un abri de déchets. Tandis que je bouge, je cherche une arme des yeux et des mains, mais je n'ai que mes pieds. À plusieurs reprises, je lui fais lâcher ma cheville. Elle réattaque aussitôt avec une rage anormale. Je ne me laisse pas faire et lui file quelques coups sacrément puissants. Des coups violents à étourdir n'importe quel chien ou humain.

Je lui balance les déchets que je saisis avec force et violence. Tout ce qui me tombe sous la main finit sur la tête ou dans la mâchoire de la bestiole. Le combat est intense. Je n'ai pas l'intention de me laisser faire. Je lui ai cassé un membre, le truc boite et ne recule que sur trois appuis. C'est son point faible. La tête ne bougeant pas malgré des frappes puissantes, je vise alors les membres pour ralentir sa progression. Je fais mon maximum pour le faire chuter, pour qu'il perdre l'équilibre et ne parvienne pas à m'entraîner dans sa tanière.

Bien que je lui aie dit de dégager, Maltez accourt immédiatement comme il peut. Sa grande taille et les nombreux déchets épars le dérangent pour venir l'aider. La faible lumière et les odeurs pestilentielles sont autant d'obstacles dans sa quête héroïque. Enfin, il parvient à mon niveau et aussitôt, il saisit la chose dans le dos et la fait voler au fond de la pièce. Sa force, intensifiée par l'adrénaline, transforme la bestiole en poids léger pour mon camarade qui envoie la créature s'écraser avec fracas sur le mur du fond.

Elle revient en vociférant, cependant, j'ai réussi à me relever. Je percute que j'ai mon marteau et mon couteau à ma ceinture. Je les saisis et m'interpose entre Maltez et le danger. Je suis bien plus rapide en combat et surtout, j'ai une arme valable maintenant. J'envoie un coup de marteau en plein milieu de ce qui semble être le haut de l'énergumène rugissant, ce qui étourdit enfin l'attaquant. Puis de l'autre main, je lui donne un coup de couteau au niveau de la gorge. La créature crie en se tenant le cou d'où un liquide suintant rouge foncé s'écoule. Elle recule suffisamment longtemps pour que j'agrippe la main de Maltez. Je le tire hors de la pièce au plus vite. Nous ne devons pas rester là une seconde de plus. Des rats sortent des déchets des autres pièces et se jettent sur la bestiole, nous permettant de fuir.

Les hurlements ont fait venir les autres. Il ne faut pas qu’ils rentrent. C’est trop dangereux pour eux. Je leur vocifère de dégager dehors tout en dégringolant les escaliers avec Maltez. Je dois les mettre en sécurité. J’ai reconnu la monstruosité et nous n’avons ni les armes adéquates ni les soldats entraînés. En plus, rien ne dit qu’il n’y en a pas d’autres dans les pièces restantes. Nous devons nous rassembler à l'extérieur dans un endroit avec une vue dégagée.

— BARREZ-VOUS. C'est le truc qui m'a attaqué avant Noël, dis-je au professeur et aux gars.

J'ai totalement oublié le mensonge de la bête sauvage et de la fille craintive du ministère. Je les pousse vers la lumière, dehors de ce piège de déchets. Couteau et marteau à la main, je reste en dernière position pour sécuriser la fuite en tant que meilleure combattante du lot. Mon attitude farouche et guerrière est au comble de la tension. Je me prépare à me battre de nouveau, à voir des ennemis surgir de tous les côtés. Heureusement, les gars sortent très vite et nous sommes dehors, avec de l'espace et de la lumière pour me battre correctement.

Le responsable nous fait nous rassembler dans la rue. Je leur ordonne de rester à la lumière. Cela semble être ce qui a déclenché l'attaque de la bête. Son attaque a débuté quand j'ai ouvert la fenêtre et fait entrer le soleil. Son antre est dans le coin le plus sombre, sous les déchets. L'adulte confie la surveillance de la maison à quatre mecs qui se postent aux angles et observent. J'informe qu'ils doivent se voir les uns les autres et ne pas cesser de se parler pour être certain que tout se passe bien. J'aboie mes directives, ce que je pense utile de ma formation militaire. L'enseignant ne sait pas ce qu'il faut faire dans ce genre de situation. Moi si. Alors, je gère au mieux en donnant une mission à chacun. Fort heureusement, l'enseignant n'en prend pas ombrage et m'écoute.

Maltez, Thibaut et Alex tentent de me calmer pendant que le professeur appelle la police. Je veux retourner lui exploser la face à cette saleté. Je veux d'autres armes et je vais y aller. Je vais lui régler son compte. Ils ont du mal à me retenir tellement ma fureur est forte. La meilleure défense, c’est l’attaque, de préférence avec une pelle bien tranchante. Je suis remontée à bloc, l’adrénaline ne descend pas. C'est Thibaut qui trouve l'argument pour me faire rester dehors. Je suis en terrain dégagé, à mon avantage contre la bête et au mieux de mes capacités pour protéger les autres. On aura besoin de moi si jamais la créature sort ou si d'autres apparaissent.

Nous entendons des cris déchirants comme si on torturait un animal, enfin un silence inquiétant. Tandis qu'Alex saisit une pelle et rejoint les observateurs de l'autre côté, Maltez me saisit le visage entre les mains et me gronde pour que je laisse Thibaut examiner ma jambe. Il me conjure de me calmer le temps qu'il s'assure que je vais bien. Il a besoin de contrôler que je ne suis pas blessée. J'accepte à contrecœur pour le calmer. Le blondinet retire mes guêtres et examine mon mollet en remontant mon pantalon et baissant mes hautes chaussettes. Mes guêtres m'ont protégé. Des marques de dents qui semblent humaines sont clairement visibles mais elles n'ont pas traversé l'épais cuir. Putain, mes protections sont mortes. Elles coûtent une fortune, je vais massacrer cette chose. Les multiples morsures n'ont pas su déchirer mes protections. Mon mollet est sauf. Je peux remercier Papinou de m'avoir acheté de la qualité.

Mon cœur bat la chamade. Je ne lâche pas mon marteau et mon couteau ensanglanté. Je reste en posture de combat, les muscles tendus et prête à agir. Si elle sort, je la démembre à coup de pelle comme je l’ai fait pour les rats. Je ne la laisserais jamais s’approcher des autres. Maintenant que je ne suis plus en plein combat, mon esprit analyse inconsciemment toutes les informations enregistrées durant la phase d'opposition. Les coups doivent être extrêmement violents et concentrés en un point comme avec un marteau. L'équilibre semble être modifié et précaire. L'instinct, également, n'est pas habituel, pire que l'altération provoqué par la rage. Rien ne semblait parvenir à faire cesser l'envie de se battre de la bête. Je suis certaine de lui avoir brisé ce que me semblerait être les deux bras avec des coups de pieds en plein dans les cubitus et radius. Elle vit dans l'obscurité et dans la pourriture. Elle semble carnivore au vu du nombre de cadavres mais cela reste à vérifier.

Maltez me questionne. Il a entendu ce que j'ai dit au professeur. Sur un signe à Thibaut, il me conduit à l'écart des autres. Il me prend dans ses bras et me berce pour stopper les tremblements qui m'agitent, sans réel succès. Je n'ai pas peur, je veux me battre, Maltez ne doit rien comprendre. Une kamikaze dans mon genre, ça ne court pas les rues et encore moins dans ce lycée de mauviettes. Il agit comme il pense qu'il faut le faire avec une fille dans une telle situation. Je finis par le repousser en râlant pour vérifier la sécurité des garçons en surveillance. Il réalise son erreur. Je ne suis pas une fille sans défense. Je suis meilleure que lui et pourrais lui péter le nez quand je veux.

Il arrête enfin de vouloir me faire un câlin et attire mon attention en secouant les mains. Il veut savoir ce que j'ai vu, ce qui s’est passé à l'écurie avant Noël. Pourquoi je suis autant prête à me battre contre cette chose. Pourquoi je ne veux pas laisser les autres gérer. Pourquoi je pense être la seule capable de faire face et que je suis autant inquiète. À voix basse, je décide de lui dire la vérité, ce qui s'est passé la première fois. De toute façon, il a vu aussi clairement que moi la créature. Il sait que j'ai menti et que je ne suis pas du genre à être terrorisée par des junkies comme le récit gouvernemental veut le faire croire. Ce qui nous a attaqué n'a rien d'un drogué, ni même d'un humain. Maltez n'est pas un froussard irréfléchi. Il est capable d'encaisser et de gérer l'information et puis j'ai besoin d'un second cerveau pour analyser les événements.

Je lui raconte en détail l'attaque dans la forêt, ce que Grognon a ressenti et toutes les choses que j'ai enregistrées. La poursuite qui suivit et les humanoïdes affamés qui voulaient défoncer la porte des écuries. Il frissonne à l'évocation du combat dans l'écurie et des bouts d'humains jonchés au sol. Il est heureux que Naya, son père et moi ayons su réagir et nous défendre. Cela correspond plus à ce qu'il connait de nos caractères. Je lui avoue le secret demandé par la police qui lui fait serrer les dents de colère, tout comme la sécurité intérieure qui m'a interrogé ainsi que Naya. En revanche, quand je lui avoue m'être confié à Richard, l'ami de Papinou, qui se renseigne, Maltez me félicite. J'ai bien fait d'en parler avec quelqu'un de confiance qui est bien placé et saura enquêter efficacement. Vider mon sac m'oblige à me concentrer pour donner un récit clair et détaillé. Cela m'aide à me calmer aussi.

Nous discutons et décortiquons ce que nous venons de vivre, à l'abri des oreilles des autres. Maltez a noté moins de détails que moi mais parvient aux mêmes conclusions. Absence de sensibilité à la douleur d'os qui de brisent, rage inarrêtable, problème avec la lumière et régime carnivore. Les rats enragés de ce matin réagissaient eux-aussi à la lumière. Nous nous faisions attaquer quand on ouvrait une fenêtre ou qu'on enlevait un meuble ou un sac poubelle qui servait d'abri obscur. Mes questions et mon besoin d'analyse permettent aussi au grand dadet de calmer les battements incessants de son cœur. Il reconnaît qu'il a eu peur pour moi et aussi pour lui. Il n'a jamais vu une telle créature ni même entendu parler de cela dans un récit authentique.

Le grand dadet est sous le choc de l'énormité de ce qui arrive. Tout comme le vieux militaire, il ne remet pas en question mes paroles, d'autant plus qu'il a vu une de ces choses de ses propres yeux. Maltez est quelqu'un de réfléchi. Je lui demande conseil. Je ne veux pas créer de panique, mais quelque chose d'anormal se produit. Il ne fait pas partie des adeptes de la théorie du complot. J'ai besoin d'un avis objectif. J’ai tendance à émettre des idées foireuses. Il me faut quelqu’un avec moins d’imagination et qui a plus confiance en la nature humaine et dans le gouvernement. Je lui demande donc son avis. Lui aussi trouve les derniers événements plus qu'inquiétants et comprends pourquoi je suis si nerveuse. Cela n'a rien d'humain ou de connu et semble particulièrement dangereux et agressif. Si je n'avais pas été aussi bien formée en combat, et si je n'avais pas eu mon marteau, il y a des chances que je serais morte à l'heure actuelle. Ce secret étatique semble cacher une immense menace. Maltez me promet de téléphoner à son père qui occupe d'importantes fonctions au ministère de la Défense.

La police arrive dix minutes plus tard. Elle m'isole avec Maltez puisque nous sommes les seuls à avoir été "en contact direct " avec la créature et installe un cordon de sécurité autour de la maison. Des policiers armés remplacent les garçons pour la surveillance. Ils réquisitionnent mon téléphone, mon marteau et mon couteau. Même si cela est plus sûr, je suis inquiète et sur mes gardes. Je surveille du coin de l'œil les opérations. C'est trop de précautions pour une simple agression de bête sauvage comme ils prétendent. La police ne vient pas pour ça et surtout pas un tel nombre. Aucun flic n'entre dans la maison. Ils ont reçu des consignes, c'est évident. Les plus jeunes d'entre eux tremblent comme des feuilles en attendant des renforts. Même les anciens, pourtant rompus à intervenir dans des rixes de quartiers chauds, ne sont pas franchement rassuré.

Je saisis la main de Maltez pour qu'on reste ensemble. Pas par peur, mais pour m'assurer qu'il ne lui arrive rien. Lui aussi sent un truc louche et se tient près de moi pour qu'on ne nous sépare pas. Nous observons le placement des policiers et la mise en place des dispositifs. J'en profite pour envoyer un texto à Richard avec le portable de Maltez. Heureusement que je connais son numéro par cœur. Mon parrain doit savoir le plus vite possible ce qui se passe. Il pourra agir en conséquence. Le grand dadet a envoyé un message à son père et me permet de communiquer à Richard le numéro personnel de Maltez Senior afin que Parrain explique la situation et sa gravité, puisque nous, nous sommes surveillés et n'avons pas le droit d'appeler.

Moins de vingt minutes après, ce sont plusieurs commandos de l'armée qui débarquent avec d'immenses bennes. Nous hallucinons en voyant le nombre de militaires qui arrivent. Il y a au moins une cinquantaine de soldats lourdement armés. Le grand dadet me remercie de lui avoir rappelé d'envoyer un SMS à son père discrètement avant l'arrivée des soldats. Il constate qu'il se fait réquisitionner le téléphone comme tout le monde. Les militaires fouillent en premier mon téléphone, mais l’un d’eux, en citant mon nom de famille, ordonne de vérifier les téléphones de tous mes camarades. Il semble penser, à juste titre, que je me suis assurée de transmettre des informations à qui de droit. J’ai eu beau tout effacer, ils retrouvent le sms, je ne sais comment. Un grand éclat de rire et une exclamation " Mais quelle petite peste" confirment mes inquiétudes.

Deux groupes armés se forment. Les preneurs d'assaut et les désignés au tri des ordures. Ceux-là sont pourvus de tenues blanches de protection microbienne. Chaque sac, meuble ou déchet mis dans nos bennes est examiné puis déplacé dans leurs conteneurs. Mon tas de rats est soigneusement mis sous plastique scellé, un par un. Deux des cosmonautes, qui semblent être des sortes de chefs, examinent les cadavres et décident de l'emplacement de stockage morbide. Plusieurs malles aux logos de tête-de-mort sont remplies par ma chasse que l'on trie méticuleusement. Ils ne sont pas trop loin de moi et j'ai une bonne ouïe. Alors, je tente d'écouter leurs propos tout comme Maltez. Nous ne parvenons à comprendre que le fait qu'il y a trois catégories. Sains, Suspects, Atteints. Les hommes comprennent qu'on les écoute et baissent le volume. Nous ne pouvons plus rien saisir et un policier nous force à regarder ailleurs.

Les militaires encerclent la maison comme pour une prise d'otages. Trois équipes, de dix hommes chacune, rentrent dans le bâtiment par les trois ouvertures disponibles au rez-de-chaussée. Je reconnais les techniques d'assaut de troupes d'élites, pas de simples truffions. Les armes qu'ils ont sont de haute technologie, conçues pour la guerre et la précision. Plusieurs d'entre eux ont des lunettes thermiques ou de vision nocturne. Un de chaque équipe porte un projecteur surpuissant. Maintenant, c'est sûr. La bestiole vit dans le noir et craint la lumière. Nous entendons un très long silence au moment où les troupes pénètrent dans la maison. Les hommes se déplacent vite, mais sans le moindre bruit. Les quelques poubelles du rez-de-chaussée sont évacuées par les fenêtres.

Pièce par pièce, ils progressent en enlevant les déchets au fur et à mesure qui sont aussitôt inspectés puis mis dans une benne par d'autres groupes de militaires. Soudain, alors qu'ils commencent la visite du premier étage, ça pétarade. De nouveaux cris déchirants, des tirs en rafale de mitraillettes. Puis un silence glacial. J'ai beau savoir que c'est bon signe si les militaires ne sortent pas, je ne peux m'empêcher de broyer la main de Maltez qui est nerveux lui aussi. De nouveaux sacs sont jetés par une ouverture haute. Une seconde ouverture est faite dans ce qui doit être une autre pièce. Une troisième. Des sacs sont jetés par chacune et sont récupérés par les hommes à l'extérieur. L'attente est interminable. Je trépigne sur place.

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