S'intégrer 1/2

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Un soir, alors qu'on est tous consignés dans nos chambres en raison du couvre-feu imposé par les militaires qui patrouillent dans la ville, Naya veut jouer avec moi et ses amies. Elle sort une bouteille de vodka qu'elle a introduit en douce. Les trois pouffiasses se lancent dans un jeu "action ou vérité". Si tu te défiles, tu bois un shot. Je choisis en permanence l'option la moins risquée, c'est-à-dire vérité. Je n'ai aucun secret et c'est déjà ce que je pratique le plus souvent. Pour me punir, elles instaurent une nouvelle règle imposant une action ou un shot toutes les cinq vérités consécutives et inversement.

Si elles croient que je ne les vois pas venir. Elles cherchent à me soûler pour tirer des informations compromettantes. Je suis plus maligne qu'elles. Je vide la plupart des verres dans le pot de la pauvre plante verte qui se fait désinfecter les racines. De toute façon, elle est déjà tellement en mauvais état que cela ne peut pas lui faire plus de mal que l'absence de lumière naturelle et d'arrosage régulier. Quand je pense qu'elle reprenait vie depuis mon arrivée, c'est dire dans quelles sales conditions elle poussait. J'ai même cru qu'elle était en plastique jusqu'à ce que je veuille nettoyer la poussière des feuilles un jour. Depuis, je l'arrose et surtout je l'emmène parfois sur le toit le matin pour qu'elle passe une journée au soleil.

Malgré ma malice, je suis forcé de boire quelques shots. Nous finissons bien éméchées toutes les quatre. Ça commence à partir en vrille. Clarissa nous avoue que sa première fois était foireuse et nous raconte tous les détails scabreux avec bruitage et mime. Pétunia montre ses seins à la fenêtre pour amuser les gars de l'autre côté ou les militaires qui regardent dans la direction. Naya chante du Britney Spears et entame une chorégraphie des plus torrides. C'est à mon tour. J'ai épuisé mon crédit de vérités. Je dois donc faire une action ou boire, ce qui ne serait pas raisonnable.

Je tire un papier avec crainte. Mon dernier gage était de faire tenir en équilibre un crayon gris sur mon doigt pendant plus de vingt secondes. Chose facile en temps normal, toutefois, l'esprit embué par l'alcool, c'est bien plus compliqué. J'ouvre le message en fermant un œil. "Embrassez une des personnes participant à ce jeu". Les filles se marrent. J'ai avoué peu de temps avant n'avoir jamais embrassé qui que ce soit. Ma grimace, pour souligner ma poisse, accentue leur fou rire.

Face à mes protestations et mes excuses foireuses, Naya se propose afin que mon premier baiser soit parfait et au moins avec une jolie fille. Je ne peux pas contester la décision votée à la majorité. Le trio de pouffes est contre moi. Avec appréhension, je m'approche alors de la grande pimbêche qui se remet du rouge à lèvres, histoire de me laisser des traces. Nous nous embrassons sous les gloussements de deux bécasses.

— Tu ne te débrouilles pas trop mal pour une première fois la grunge.

Naya se fiche de moi tandis que je reprends mes esprits. Elle a vraiment fourni des efforts pour que ce soit bien et s'est montrée très douce. Elle n'a pas bavé goulûment comme elle le fait avec l'autre crétin. Je ne sais pas si c'est l'alcool ou ce qui vient de se passer qui m'embue le plus l'esprit. Heureusement, les trois folles ne voient rien de mon manque de clarté mentale. Il faut vraiment que j'évite de boire encore un shot sinon je vais vraiment être malade. Je ne me suis jamais sentie aussi mal, même durant des gastros carabinées.

Une des bécasses, dont je ne me rappelle plus le prénom soudainement, doit m'imiter et rejouer une scène où je suis l'actrice principale. Elle choisit le moment où Musclor a tenté de rançonner les Kawai. La voilà donc à ma place, la seconde bimbo prenant celle de Jonathan et Naya faisant les commentaires du groupe de basketteurs qui voient la scène à distance. J'ai confirmation que tous avaient l'intention de nous venir en aide. C'est Blaise qui les a retenus quelques secondes en voyant le sourire complice entre ma sœur et moi. Il avait compris que je manigançais un truc louche. Ce type est vraiment intelligent et observateur. J'ai également confirmation que tous les basketteurs, y compris Maltez, ne viendront jamais se battre contre moi de peur de se prendre une sacrée trempe, ce qui me fait bien sourire.

Naya traite son petit ami de suicidaire à chercher tout le temps la bagarre vocale avec moi, ce qui me fait éclater de rire. C'est vrai que nos échanges verbaux ne sont jamais des plus amicaux. Naya souligne combien lui et moi, on se ressemble, tant par les mauvais aspects que par les bons. On a tous les deux un sale caractère et une forte estime de notre propre personne. Nous sommes sur-protecteurs, avec un humour merdique, pourtant, beaucoup de monde nous apprécie. On nous respecte pour notre savoir ou pour notre gentillesse dissimulée sous des tonnes de ronchonnage. Les abrutis du genre Musclor nous craignent pour notre côté justicier et surtout bagarreur chevronné. Je ne peux que valider ses propos. Maltez est presque mon double en mec. Je suis juste très belle et lui très moche.

Nous finissons la soirée toutes les quatre ivres mortes au sol. Nous avons perdu la notion du temps et des positions décentes. Je ne me rappelle plus le quart des choses que nous avons faites ou dites. Je sais juste que je ne dois plus jamais boire une goutte d'alcool de ma vie. J'étais dans un état pitoyable. Si les bestioles avaient attaqué, j'aurais été incapable de me défendre et de protéger les filles. Cela n'est pas tolérable. Plus jamais je n'accepterais de me rendre aussi vulnérable.

Nous avons une affreuse migraine le lendemain matin quand la cloche de réveil nous vrille les tympans. Je comprends ce que doivent ressentir les bestioles qui ne supportent pas la lumière. Chaque stimulus sensoriel est un clou qui s'enfonce dans mon crâne. Les trois autres filles ne sont guère plus fraîches que moi, juste plus inquiètes pour leur pseudo-teint de pêche et les cernes valises sous les yeux. Vive les lunettes de soleil dès le réveil. Mon look n'est guère modifié. Celui des pimbêches en revanche laisse vraiment à désirer, le fond de teint ne faisant pas de miracles.

Mélia, Blaise et Maltez ne cessent de nous questionner sur notre migraine commune. Les deux premiers sont inquiets pour nous. Le dernier cherche de quoi se moquer sans trouver. Naya et moi sommes encore plus insupportables que d'habitude. Nous n'avons aucune patience et bousculons tous les intrus qui entrent dans notre espace vital. Pétunia et Clarisse chouinent lamentablement. Au moins, la reine des abeilles garde la classe même en gueule de bois. Moi, ça ne change pas beaucoup. Je grogne et émets des sons inintelligibles pour pester dans ma barbe contre le paquet de céréales qui ne s’ouvre pas ou le jus d'orange trop froid et d'autres choses extrêmement énervantes.

Le trio d'inspecteurs sont si insistants avec leur interrogatoire que j'invente un pieu mensonge pour avoir la paix. Nous avons regardé un film d'horreur en cachette et du coup, on a fait des cauchemars toute la nuit et n'a pas dormi. Maltez nous traite d'idiotes de regarder ce genre de films vu les circonstances. Comme prévu, il s'engouffre dans la brèche pour montrer toute sa supériorité. Blaise se moque gentiment de notre côté chochotte. Il veut nous rassurer et nous dire que nous sommes à l'abri, mais il n'ose pas dire que les monstres n'existent pas au vu des derniers événements.

Mélia se mord la lèvre. Elle sait que pour moi les films d'horreurs sont l'équivalent de films comiques et que je hurle de bonheur quand la bimbo se fait assassiner. Elle sait que je mens. Elle sait que je ne dirais rien, même si elle me torture. Elle savait avant même que j'ouvre la bouche que j'allais mentir. Mélia me connaît par cœur. Elle est mon double. La partie angélique du duo. Tout juste elle me taquine en demandant le titre du film ou des détails sur le scénario. Naya me vient en aide et évoque un film qu'elle connaît pour me tirer du pétrin. Je tire la langue à Mélia en douce pour confirmer ses soupçons. Heureusement que ma jumelle n'a pas connaissance de mon état d'ébriété, sinon elle m'en ferait baver un max. C'est aussi une teigne quand il le faut.

Nous survivons à cette journée atroce et nous nous écroulons dans notre lit en même temps que le soleil se couche, épuisées par une nuit blanche et une cuite magistrale. Je prends tout de même la précaution de piéger la porte avant d'aller dormir. Je soupçonne ma jumelle de ne pas en rester là et je suis persuadée qu'elle va venir faire une visite nocturne pour fouiller notre chambre et trouver des preuves de notre crime. Si je ne veux pas me réveiller avec des dessins au marqueur sur le visage, je dois absolument l'empêcher de pénétrer dans ma cachette. Naya se fiche de moi et de notre drôle de duo. Parfois, j'ai l'impression qu'elles nous aiment bien, les cinq petites secondes et surtout les deux bizarres. Yin et Yang. Ange et diablotin. Mélia et Mégane.

Avec toutes ses conneries de couvre-feu, ils ont rajouté une compartimentation en classe pour mieux surveiller nos déplacements. Les Terminales ne croisent plus les Secondes. Nous devons rester avec Raoul en cours de sport et ne pouvons pas manger ensemble. Sarah ne voit presque plus son frère, à peine quelques heures par semaine. Ils sont fusionnels comme je peux l'être avec Mélia. Je vois mes deux amis souffrir de la situation. Cela me navre et je fais mon possible pour la protéger tandis que Mélia la couvre de câlins. Sarah est triste. Blaise ne se porte pas beaucoup mieux d'après ce que les pimbêches me racontent et ce que je vois parfois. Cette situation n'est pas acceptable. Ils commencent à me gonfler avec leurs ordres stupides.

Alors que je suis en train de bosser mes cours avec Mélia, Sarah soudain éclate en sanglots sans prévenir. Son frère lui manque trop. La situation la stresse. Ma sœur se précipite pour la couvrir de câlins. J'aime beaucoup la petite souris, sa peine me touche. Je sais combien c'est dur d'être loin de quelqu'un qu'on aime. D'un regard, Mélia et moi nous nous parlons silencieusement et identifions ce qu'il faut faire. Nous allons désobéir, mais pas n'importe comment. Il faut d'abord trouver des cachettes. Je sors demander à Naya et mes autres colocs si elles acceptent d'accueillir Maltez et Alex pour la nuit dans notre chambre en expliquant brièvement mon plan. Alex, c'est le quatrième coloc de nos trois amis garçons. Les filles acceptent avec joie à l'idée d'un peu de testostérone. Naya est ravie à l'idée de passer la nuit avec son chéri Damien. Mélia n'assure que Thibaut et Blaise seront planqués sans souci dans sa chambre, Fleur et Lilou ayant donné leur accord. On se débrouillera pour les dissimuler. C'est décidé avec ma jumelle. Je pars donc chercher les garçons en mode mission exfiltration.

Je prends mon pistolet et mon couteau au cas où je croiserais une créature. J'en confie aussi à ma jumelle. Je grimpe sur le toit suivi de Mélia. La porte d'accès au toit est juste fermée à clé. Je crochète la serrure. On inspecte rapidement la surface des deux toits afin de s'assurer de l'absence de bestioles ou de militaires. Je ne peux pas utiliser mon câble pour me déplacer. Il a été retiré par les soldats et je n'avancerais pas assez vite pour ne pas me faire repérer. Je recule au fond du toit pour avoir de l'élan puis je cours et saute. J'atterris sur l'autre toit en faisant une roulade. Nous nous plaquons chacune au sol quelques minutes, pour que les projecteurs militaires au sol ne nous voient pas. Ensuite, Mélia va sécuriser la porte des filles tandis que je me dirige vers la porte des garçons.

Nouveau crochetage. Les portes sont solides, cependant les serrures sont faciles à contourner. Je pénètre le bâtiment. En mode furtif, je cherche la chambre de nos amis. La plupart des mecs dorment, ce qui m'arrange. Naya m'a expliqué où sont nos potes. Deuxième étage vers le milieu, je suis devant leur porte. 264. Je toque en surveillant les alentours. C'est Maltez, avec juste un bas de pyjama, qui m'ouvre. Surpris, il me choppe immédiatement pour m'entraîner à l'intérieur dans le but de m'engueuler. Je ne lui laisse pas le temps d'ouvrir la bouche. Je dois faire vite.

— Sarah ne va vraiment pas bien. Je viens chercher Blaise. Elle a besoin de lui. Je sais comment passer la surveillance des militaires. J'ai fait le mur tellement de fois que je rendais fou mon grand-père. Si vous voulez, je vous guide. Sinon, bonne nuit à demain, mais je kidnappe quand même Blaise, ce n'est pas négociable.

Le rire de Blaise et Thibaut stoppe l'élan moralisateur de Damien. Il abandonne toute tentative d'éducation. Je suis encore plus têtue que lui de toute manière et Sarah souffre. Les garçons discutent quelques instants. Alex finit par décider de rester là pour couvrir ses potes. Les trois autres vont ramener la délinquante juvénile que je suis à son dortoir. Je fais donc le chemin de retour avec les gars. Nous avançons assez rapidement dans les couloirs déserts. Je prends soin de verrouiller chacune des portes derrière moi. Mes potes me suivent docilement quelque peu amusés par mes talents de cambrioleuse et obéissent à mes consignes sans broncher.

Nous arrivons enfin dans le dortoir des filles. Mélia fait un bisou aux garçons et part en éclaireuse pour s'assurer qu'il n'y ait personne sur le chemin. Ensuite, elle rentre dans sa chambre et cache les yeux de Sarah. La petite fille croît à une surprise du genre que je me suis déguisée en clown, toutefois, elle ne pense pas une seule seconde à ce que mon double et moi avons mijoté. Je fais rentrer Blaise qui dépose un bisou tendre sur la joue de sa petite sœur. Je crois que tout le troisième étage du dortoir féminin comprend que Blaise est là au cri de Sarah.

Mélia et moi sortons tout de suite pour nous assurer de la complicité de l'étage. Naya, en tant que responsable d'étage, nous aide beaucoup. Solidarité féminine oblige, aucune ne nous trahira, surtout que les trois garçons sont très appréciés et leurs présences rassurent un peu les donzelles. La pimbêche en chef est ravie de ma désobéissance et sautille sur place en se blottissant dans les bras de son petit copain. Damien me fait une bise sur le front pour me remercier de prendre soin de la petite souris et lui permettre de passer la nuit avec sa nana. Après quelques échanges, Thibault prend mon lit finalement et je déménage. Blaise partage la chambre de cinq filles. Il dort avec Sarah qui arbore un immense sourire de bonheur. Je dors avec Mélia qui se bat avec moi pour avoir son bout de couette et d'oreillers.

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