Laisser le temps nous montrer la vérité

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Ellipse de huit mois environ

Presque un an s'est passé depuis la dernière attaque. J'ai été sur les nerfs durant les six premiers mois. Tant que le couvre-feu militaire a été en place, j'étais une tigresse enragée voulant protéger ses petits. Mes camarades se faisaient engueuler à tout bout de champ et le confinement que je leur imposais était plus strict que celui des militaires. Un soir, j'ai même ligoté les gars pour les empêcher de sortir alors que j'avais détecté des mouvements de troupes suspects. Pour la sécurité des adolescents, Mélia me filait des claques ou appelait des secours pour faire retomber la pression de la cocotte-minute que je suis déjà naturellement. Plusieurs fois, mon parrain ou un des militaires sont intervenus parfois durant la nuit pour défouler mon trop-plein d'énergie en venant se battre avec moi sur le toit ou dans leur camp d'entraînement.

Durant cette période, j'ai conservé et amélioré mes plantations sur les deux toits avec l'aide et la complicité des militaires. Le responsable des chantiers m'a également fourni une assistance des plus appréciables pour la conception et la fourniture en matériaux. Il a aussi négocié l'autorisation avec la directrice des dortoirs pour mon bric-à-brac. Je crois qu'il m'aime bien, moi, la seule nana de son équipe. Il me dit que j'apporte un peu de subtilité et de douceur dans l'amas de testostérone qui gravite autour de lui. Je pense plutôt que les autres élèves se tiennent à carreau en ma présence de peur de se prendre une baffe. Afin de perfectionner mon potager, j'ai aussi fugué quelques heures pour me rendre à la jardinerie en périphérie de la ville pour acheter des graines et des plantes intéressantes. Mélia m'a passé un sacré savon à mon retour. J'ai eu du mal à marcher pendant deux jours tellement son coup de pied au cul a été fort.

Garçons et filles disposent maintenant de la plupart des légumes faciles à cultiver toute l'année et deux belles serres plastifiées en aluminium sont installées de manière solide et sécurisées. Les prises électriques sont utilisées pour des lampes et le chauffage des serres. Les deux toits sont reliés par une passerelle solide et sécurisée pour éviter les accidents. Même les deux profs de SVT se tapent l'incruste et s'occupent des serres de temps en temps. L'avenir de mes constructions illicites est pérennisé pour quelques années.

Je planque des conserves et d'autres mets à longue date de péremption un peu partout sur les deux toits. Un garde-manger toujours bien rempli attend sagement qu'on vienne le cueillir à qui sait où chercher mes planques. En réalité, des armes et de la nourriture sont disséminées dans tout le lycée. En cas d'attaque ou de siège, on peut tenir au moins trois jours. Assez de temps pour que je bute toute menace qui ramènerait ses fesses trop près de mon antre.

Les toits sont investis par les élèves, de préférence les gars. Ils ont plus besoin d'air libre et de mouvement. Une passerelle sécurisée permet le passage entre les deux bâtiments. De toute façon, les élèves désobéissaient en sautant depuis des lustres. Je n'ai fait qu'intensifier le problème. Sauf que les garçons ne se sont jamais blessés quand ils étaient sous ma responsabilité. En plus, en cas d'incendie, cela peut offrir une fuite secourable si les flammes partent du rez-de-chaussée.

Nous avons bien réfléchi à la sécurité des cultures avec Mélia et les autres personnes qui m'ont aidé à la conception. Très peu de terre utilisée afin de ne pas alourdir le poids sur les toits. Les cultures sont celles qui supportent des racines avec peu de substrat. Les circuits hydrauliques et électriques ont été vérifiés par des professionnels depuis mon installation et le seront dorénavant de manière annuelle. Les élèves assurent l'entretien volontiers, enlèvent les feuilles mortes, les fruits et légumes à maturité.

Poussée par Mélia, j'ai vraiment sympathisé avec ses colocataires, Blaise, Alex et Thibaut. Mes anciennes colocataires et l'autre andouille de Maltez, c'est plus compliqué. Deux sont aussi intelligentes qu'un cornichon en moisissure et les deux autres ... Me ressemblent beaucoup trop en caractère alors, ça fait des étincelles.

Les garçons sont à la fac depuis septembre. Ils ont eu leur bac avec mention. Naya, Clarissa et Pétunia sont aussi des jeunes étudiantes. Nous les croisons régulièrement. Blaise vient voir sa petite sœur tous les jours et est souvent accompagné de ses amis. En suivant l'exemple de nos dortoirs, les garçons essayent d'installer les mêmes dispositifs sur les toits des logements étudiant. Leur but n'est pas le même que moi. Ils ne pensent qu'à la bouffe alors que je songe uniquement à assurer un apport en nourriture en cas de besoin. Alex transforme un espace vert envahi de mauvaises herbes en potager avec la bénédiction du syndicat de copropriété et quelques plantes que je lui ai offertes.

Musclor a redoublé et continue de tenter de terroriser les plus faibles. Il se méfie de moi et reste à bonne distance de mes amies et de ma jumelle. J'ai remplacé Maltez dans le rôle de protecteur des jeunes. Quand Mélia ne peut pas gérer les soucis avec la diplomatie, j'interviens. En général, le simple fait de citer mon prénom relance les discussions de paix. Mon double est une très bonne négociatrice et sait habilement utiliser la menace au bon moment. Notre duo ressemble beaucoup à celui de Blaise et Maltez. Le bon et la brute, version fillette. J'aime inspirer la terreur sans rien foutre et je me marre en faisant parfois semblant de me mettre en colère sous les regards amusés de ma jumelle.

Bien que j’aie fait d'énormes efforts de sociabilisation, je suis toujours aussi ronchon cependant. Mon caractère ne va pas en s'améliorant avec l'âge. Je dirais même qu'il empire ou qu'il se bonifie selon les points de vue. J'ai trois nouvelles colocs de Terminale qui ne m'adressent pas la parole, ça me va. Je ne sais pas si je les terrorise ou si je les dégoûte. Ma suggestion d'élevage de serpents dans la chambrée n'a pas suscité un vif intérêt. J'ai dû abandonner l'idée à mon grand regret.

Je reste dans les parages du quatuor Kawai ou passe mon temps à l'écurie. J'adore les trois chipies. Elles sont merveilleuses, hyper patientes et tolérantes face à mon caractère si particulier. Bien qu'elles me taquinent gentiment à ce sujet, elles respectent toutes mon look et ma façon de penser. Mélia est mon double. Elles sont mes amies. Je les adore.

Grognon et aussi Prince sont d'excellents assistants pour améliorer mon caractère. Naya manquant de temps pour faire s'entraîner son étalon, je m'occupe de lui pour délester un peu son père de la charge de travail de responsable des écuries. C'est assez simple. Mélia et moi sommes les seules tolérées par Grognon dans son box. Prince n'accepte que Naya, son père, Mélia et moi sur son dos. J'ai du temps à perdre et de l'énergie à dissiper. Un jour où il était de mauvaise humeur, ma jumelle a prouvé à l'étalon domestique qu'elle était aussi douée que moi en rodéo. Depuis, il la traite avec respect, d'autant plus qu'elle lui file des morceaux de carottes ou de pommes assez régulièrement. Quand il faut de la patience, elle s'y colle. Quand Prince a juste besoin de se défouler, je le malmène. Grognon, lui, est comme moi, toujours en manque de sport et au caractère difficile.

Sa vitesse me permet de faire des excursions rapides dans les bois pour vérifier ce qui s'y passe. Ni son instinct ni le mien n'ont trouvé quelque chose d'inquiétant. Nous nous sommes donc contentés de faire quelques blagues aux patrouilles militaires que l'on croisait. J'ai perfectionné mes talents de trappeur et de braconnage de gros gibier. Bon nombre des jeunes recrues peu expérimentées ont finies dans des filets ou couvertes de peinture rose. Le lieutenant Mitchell s'amuse lui aussi et tente de me piéger. Il échoue lamentablement et la meilleure blague qu'il a réussie, c'est de remplacer les biscuits et le saucisson de ma chambre par des carottes et des concombres. Manque de bol, quand j'ai faim, j'avale n'importe quoi, même des légumes. Ma vengeance lui a teint le treillis couleur arc-en-ciel et une licorne hilare a patrouillé dans la ville, assumant pleinement son déguisement qui lui attirait la sympathie des demoiselles.

Si Alex et moi entretenons des rapports cordiaux basés principalement sur les cultures de plantes, je suis hyper proche de Blaise et de Thibaut. Blaise, c'est le pote blagueur et séducteur. Le grand frère taquin et câlin pour les cinq filles. Thibaut, il n'y a que Mélia et moi qui en sommes vraiment proches sur les cinq filles de secondes. Il est beaucoup plus réservé, plus calme aussi et bien plus mature. Lui, c'est le grand frère qui éduque, conseille. Dès que j'en ai l'occasion, je passe du temps avec lui. Il me montre ses cours de biologie, ce qui me passionne. Il m'aide pour les miens avec bienveillance. Ce sont les deux seuls gars qui peuvent me toucher sans risquer de se prendre un coup. Je recherche même leur contact apaisant. J'aurais adoré avoir un grand frère et je jalouse un peu Sarah sur ce point.

Justement, Sarah et Fleur ont enfin fait leur coming-out. Elles sortent ensemble sans se préoccuper des regards aux alentours. Fortes de leur idylle, et voulant rendre tout le monde heureux, elles jouent les entremetteuses. Lilou, Mélia et moi subissons leurs rencards foireux imposés pour nous trouver des petits copains. Lilou et Mélia enchaînent les amourettes avec un succès très variable.

Je ne dépasse jamais le premier rencard. Les andouilles pleines de sucre qu'elles me trouvent ne me conviennent pas. Mélia les a pourtant prévenus que je n'aimais pas qu'on se rabaisse devant moi. Il suffit de voir comment Blaise ou Thibaut me traite. Ils sont doux, mais jamais ils ne cessent à mes caprices ou à ma mauvaise humeur. Au contraire, ils me ferment mon clapet avec des bisous et des rires sans se préoccuper de mes râles. Je rêvasse parfois à une histoire d'amour, mais pas avec les personnes proposées par les Kawai. J'ai un petit béguin pour quelqu'un. Un amour compliqué, voire impossible. Je suis certaine qu'il n'est pas réciproque. Personne même Mélia n'est au courant. Je n'ai que seize ans. J'ai encore le temps pour les amourettes. En attendant, je voue à l'échec les plans de mes deux entremetteuses.

Je ne suis pas vraiment proche de Naya. C'est une sorte de statut quo. Nous nous sommes mises d'accord sur le fait qu'on ne s'appréciait guère et étions très différentes. Nous avons des points communs comme l'amour des chevaux, la chianttitude et la confiance en soi inébranlable. Nous nous respectons. Nous nous tolérons. Il ne faut pas nous en demander plus. Nous nous évitons autant que possible.

Ses copines Clarissa et Pétunia me sortent par les yeux. Je ne peux vraiment pas les supporter ces deux-là. Elles sont tellement superficielles et stupides. Nous n'avons aucun point commun à part le fait d'être des filles. Même Mélia les trouve énervantes et hautaines. La seule qui a de l'autorité sur elles est la reine des abeilles dont elles lèchent le cul avec hypocrisie pour rester populaires. Au moins, Naya a un cerveau. Dans leur cas, je soupçonne des trucs pas nets avec certains profs pour avoir la moyenne et passer en classe supérieure.

Avec Maltez, c'est la guerre froide. On ne s'aime pas. On s'envoie des piques dès que possible. Il a déclaré que si j'étais un mec, j'aurais déjà pris une droite. Lui a reçu un paquet de gifles de ma part. C'est épidermique. On se hérisse le poil mutuellement. Malgré les tentatives de conciliation de Blaise, Mélia et Thibaut, rien n'y fait. Chien et chat. En fait, non. Deux sales teignes de chats sauvages et caractériels. Même sans ouvrir la bouche, tout nous irrite chez l'autre. Sa façon de manger, son eau de Cologne, un regard supposé être de travers. Un rien déclenche la guerre.

Les seuls moments où on ne s'étripe pas, c'est sur les chantiers de rénovation. Il n'a aucune patience ou pédagogie, mais j'apprends beaucoup de choses en binôme avec lui. Sa façon d'aboyer les ordres me rappelle Papinou quand il bricolait avec moi. Le grand dadet est méticuleux. Il réfléchit à tout et à la praticité des choses avant de travailler. Nous avons la même volonté d'aider les gens en difficultés et le même besoin d'exploser des murs à coup de masse en pensant à la tête de quelqu'un qui ne nous revient pas.

Les activités caritatives sont bien les seules actions en commun avec les étudiants. Les basketteurs et un bon nombre de lutteurs qui passaient à la fac ont tous voulu continuer et ainsi, heureux de la main d'œuvre supplémentaire, les responsables de chaque bénévolat ont ouvert leurs portes pour la première fois aux "élèves majeurs" sur la base du volontariat. De nombreuses personnes ont perduré leurs actions, soit pour améliorer leur futur cv, soit par réel bon cœur. Maltez tente de me faire croire qu'il vient pour m'empêcher de commettre un meurtre, toutefois, je sais qu'il prend grand plaisir à rénover les bâtiments.

En plus, Blaise nous a rejoints et m'aurait empêché de faire quoi que ce soit. SOS Dépressif ayant été interdit aux mineurs à la suite de problèmes d'impacts psychologiques, Mélia participe cette année à la soupe populaire et peut donc protéger les Kawai et faibles contre Jonathan et les autres sales types. L'un d'eux a fait les frais des capacités de ma chérie d'amour un jour où il a voulu gifler une fille. La gamine a eu une bonne frayeur et aucune égratignure. Le type en revanche a perdu une dent et l'usage de son bras gauche pour un mois. Trop fière de ma petite terreur en jupons !

La maison de l'attaque a reçu un sacré coup de pouce du gouvernement. Les militaires ont procédé au nettoyage complet et à l'assainissement gratuitement. Ils avaient pour ordre de désinfecter à fond. Ils ont profité de leur gros matériel et de leur nombre pour nous fournir une assistance importante. C'est avec un plaisir évident qu'ils ont défoncé les murs non-porteurs et évacué les déchets, déboisés le jardin et aussi enlevés toute l'isolation moisie pour en remettre de la neuve. Ils ont également repeint l'intérieur et l'extérieur, changer la toiture et traiter les charpentes contre les termites et les moisissures.

La maison a pu recevoir la famille dans le courant du mois de mars. Les Kawai ont même fait un don de peluches pour les enfants et surtout le bébé. Elles sont venues décorer les chambres des enfants avec des dessins muraux magnifiques. Lilou dessinait, les autres remplissaient délicatement avec la peinture. Alex et moi avons installé un beau potager avec des greffons en provenance des toits. La mère a pleuré en voyant la maison confortable et saine qu'on lui offrait. J'étais fière de moi. Ce genre de caritatif me plaît.

Depuis la dernière attaque, et à leur demande, Mélia et moi donnons des cours de survie à nos amis pour rire. Nous leur permettons de lire le cahier guide de Papinou. Fleur a failli s'intoxiquer en cueillant des champignons et des baies. Lilou et Alex s'entraînent à reconnaître et à cultiver les plantes médicinales. Naya se documente sur les soins des animaux avec Sarah. Thibaut est notre élève le plus sérieux et discipliné. Le seul à tolérer mon côté donneuse d'ordre. C'est un amour avec tout le monde. Pétunia et Clarissa nous scotchent avec leurs tenues et maquillages camouflage. Elles n'égalent pas le talent de Fleur question maquillage, mais elles sont assez douées quand même. Maltez est le plus doué au combat au corps-à-corps. Je gagne assez facilement, mais il est le seul à nous mettre en difficulté Mélia et moi. Il est aussi assez doué au tir au pistolet.

Blaise veut apprendre à monter à cheval sans que je ne comprenne vraiment ses motivations. Mélia et Étoile se dévouent aujourd'hui. Malgré la douceur des deux donzelles, Blaise finit au sol dès qu'Étoile passe au trot. Il n'a aucune assiette, et même avec une selle, il glisse comme sur une savonnette. Naya et moi tentons d'aider. Le père de Naya aussi. Blaise est un cas désespérant. Je dois monter à cru derrière lui pour qu'il tienne un peu. Sarah reste bien en selle sur un cheval doux comme Étoile. Fleur, Lilou Alex et Thibaut aussi. Clarissa et Pétunia ne sont pas trop mauvaises. Maltez est pire que Blaise. Même Étoile ne daigne pas le laisser monter sur son dos.

À ma grande surprise, Grognon se laisse approcher par le grand dadet. Surprise, je laisse faire en haussant les épaules d'incompréhension. Maltez trône fièrement. Je relève les yeux. Mélia et moi comprenons d'un coup en croisant les yeux rieurs de mon étalon. Nous n'avons pas le temps d'intervenir. Grognon rue violemment et Maltez fait un vol plané de plusieurs mètres pour finir par mordre la poussière. Il est furieux. Nous nous pinçons tous les lèvres pour ne pas rire, même Naya. Mon étalon a le même caractère que moi, vicieux. Maltez est persuadé que j'ai prémédité le truc. Ce n'est pas grave. La scène est très drôle. Je regrette de ne pas avoir pu la filmer.

Noël approche de nouveau. Cette année, il fait très froid. Il neige même. Mélia et moi venons de recevoir notre carte annuelle nous indiquant que nos géniteurs sont toujours en vie. Au printemps, j'en avais fabriqué une fausse pour notre anniversaire afin que Mélia ne soit pas trop triste. Richard a fait expédier par un ami lointain deux petits cadeaux pour tromper mon double. Je pense qu'elle n'est pas dupe. Elle a souri, plus pour le geste des gens qui se préoccupent d'elle, que pour un quelconque espoir d'intelligence de nos parents. Nos amis nous ont offert des super cadeaux et une magnifique journée à nos petits soins à cette occasion.

Cette carte en provenance des Bahamas vient de détruire le peu d'estime que Mélia avait encore pour nos géniteurs. Ils osent nous demander de retirer de l'argent sur nos comptes personnels en raison de factures d'hôtel cinq étoiles à payer. Richard a fait le nécessaire pour qu'ils ne puissent plus accéder à nos comptes sans notre accord. Mélia n'a pas répondu. Moi, je leur ai rétorqué qu'ils toucheront l'argent de mon assurance-vie le jour où je crèverais dans d'atroces souffrances. Il leur suffit d'attendre que les créatures me fassent la peau. Je crois que le dessin du doigt d'honneur en fin de lettre était de trop. Peu importe, le dessiner m'a fait un bien fou au moral.

Les fêtes ne vont plus tarder. Il ne reste que quelques jours avant que tout le monde parte dans sa famille et que de nouveau, Mélia et moi restions seules au lycée. Cette fois encore, nous sommes consignées au lycée malgré les propositions d’hébergement de nos amis. Je suis en train de travailler avec Grognon. Naya est avec Prince. Je l'aide à entraîner son étalon au saut d'obstacles avec le mien pour concurrent. Maltez nous observe et discute avec sa chérie. Ils songent à se présenter à leur famille respective, le père de Naya a déjà connaissance de leur relation et apprécie le jeune homme. Je comprends que la famille du grand dadet est assez guindée et peu ouverte aux "petites gens" comme la reine des abeilles. Pourtant, son père m'a parlé avec beaucoup de respect. Damien me fait comprendre que la présence de mon parrain et mon nom de famille me classer parmi "l'élite". Quelle connerie.

Nous sommes sur le manège du milieu à mi-distance de la forêt et de l'écurie. Celui qui a le moins de neige. Maltez nous complimente toutes les deux sur nos prouesses. Nos deux étalons ont l'esprit de compétition et sautent de plus en plus haut pour se défier l'un l'autre. Même mon cheval devient abruti sous l'effet de la testostérone. Sur ce point, les filles sont bien plus censées et intelligentes que les gars. Elles ont l'esprit de compétition certes, mais pas en perdant toute intelligence. C'est même l'inverse. Les filles, ce sont des garces !

Musclor est en retenue. Il est en train de fendre des bûches juste à coté du paddock. On entend ses coups de hache réguliers et rageurs. Il fait des pauses de temps en temps pour reprendre son souffle. Tout à l'heure, en levant la tête, je l’ai vu rouge et transpirant à grosses gouttes. C'est un faux sportif. Il parait baraqué de loin, toutefois quand on regarde plus attentivement, il est gras et pataud. Je ne me rappelle plus pourquoi il a été puni. Je crois qu'il a eu trois F consécutifs en chimie ou un truc du genre. Il n'a vraiment rien pour lui. Aucune gentillesse, aucune intelligence, aucun charme, aucune résistance sportive. En plus, je sais qu'il fume et se défonce. Aucun respect pour son corps.

Grognon et Prince baissent les oreilles d'un coup. Ils s'agitent et refusent de nous obéir. Ils sont nerveux. Ils piaffent inquiets. Naya et moi n'arrivons pas à nous faire entendre. Ils ne veulent plus continuer l'entraînement et tournent en trottinant dans tous les sens. J'observe Grognon. Il cherche à sortir du paddock. Un truc cloche. Je dis à Naya et Damien de se taire et je me mets à écouter les bruits alentours et à regarder les environs. Je dois comprendre les étalons. Qu'est-ce qu'ils voient ou entendent ?

Un beuglement déchirant nous fait tourner brusquement la tête vers Musclor. Trois créatures humanoïdes se rapprochent de lui à toute vitesse. Je lui hurle de courir mais il est tétanisé par la peur. J’ai sauté à terre pour le rejoindre en attrapant sa hache et le défends farouchement. Une dizaine de monstres se dirige vers nous. Venant de la forêt et cherchant à nous encercler. Merde.

Survivre, c'est parfois savoir s'échapper. En dix secondes, j'ai analysé la situation. Le manège est fermé et la porte est lourde, du côté de la forêt. Trop dangereux d'aller par là pour qui que ce soit. Une seule chance, sauter avec nos chevaux de l’autre côté. J’ordonne à Musclor de courir avec moi en lui tirant la main. Il reste immobile et je ne peux le faire bouger. Les monstres se rapprochent et je vais finir par me faire tuer. Musclor se recroqueville par terre et deux créatures le dévorent. Il est trop tard pour lui.

Grognon est venu me chercher au bord de la clotûre. Je préviens les autres. J'aide Maltez à grimper avec moi. Mon étalon est le plus puissant et le plus entraîné. Il saura sauter avec deux personnes sur son dos. Surtout qu'en plus, je ne lui ai pas mis sa selle, ce qui le rend plus léger. Naya et moi lançons immédiatement nos chevaux au triple galop. Les deux étalons, en pleine confiance en leurs cavalières, bondissent au-dessus des rambardes de l'enceinte et nous offrent une chance de fuite.

Nous nous réfugions dans l'écurie comme la dernière fois. Je saute du dos de Grognon dès que j'arrive à l'intérieur pendant qu'il freine. Je ferme les portes tandis que mes deux compagnons d'infortune mettent pied à terre. Je leur crie de poser les barres pour sécuriser les portes de leur mieux. J'ai une arme, envoyée par Richard et planquée dans le box de Grognon. Je fonce la récupérer tandis que Maltez et Naya ont récupéré la pelle et la hache. Je me mets à la fenêtre de la mezzanine et tire. Je vise la tête comme m'a appris Parrain. J’essaye de tuer en priorité ceux qui approchent de Jonathan. Mes deux amis protègent les fenêtres. Grognon est à la porte, prêt à ruer si elle cède. Prince se trouve à ses côtés, deux étalons prêts à défendre leur troupeau. Je vide mon chargeur en faisant mouche à chaque fois.

Le bruit a attiré des renforts. Un autre tireur me vient en aide. La sécurité du lycée. J'entends des coups de feu en provenance de la droite et je vois des impacts. La personne ne vise pas parfaitement, mais au moins, elle ralentit et étourdit les agresseurs. Naya et son chéri ont trouvé une super technique. Elle assomme ceux qui entrent par la fenêtre de gauche pour permettre à Maltez de les décapiter avec la hache. Rapide et efficace. C'est un bon duo. La fenêtre de droite cède elle aussi. Mon étalon fait son devoir. D'une bonne ruade, il explose la cervelle qui tentait de passer puis tous les morceaux qui pointent. Nous tuons finalement le groupe de créatures. Survivre, c'est aussi savoir se battre et trouver une arme.

J'envoie un message à Richard. Puis, j'aide Damien à calmer Naya qui devient hystérique. Une bonne gifle lui fait vite retrouver sa santé mentale. Elle et Damien n'ont rien. Les chevaux non plus. Musclor est mort. Il a été dévoré, jusqu'aux os. Je prends des photos à toute vitesse que je me dépêche d'envoyer à mon ami pendant que le type de la sécurité vomit dans un coin devant le carnage. Je compte quinze créatures humanoïdes, des chiens et des chats d'après le nombre et la forme des crânes. La police puis les militaires débarquent en moins d'un quart d'heure et réquisitionnent nos portables immédiatement. Nouvel examen médical. Nouvelle douche désinfectante. Naya porte super bien le treillis.

Les chevaux vont devoir subir le même traitement pendant que nous sommes interrogés. Allez dire ça à deux étalons ayant déjà sale caractère à la base et nerveux sous l'adrénaline. Heureusement, un des militaires me reconnaît. Je peux donc lui faire une suggestion pour éviter un coup de sabot malencontreux. Il accepte que les chevaux soient nettoyés par un civil sous sa supervision. Le père de Naya est accouru et s'occupe donc de Prince et de Grognon. Mon étalon aurait dévissé la tête de l'indésirable si quelqu'un d'autre s'était approché de lui. Il sait trouver les gestes pour l'apaiser en mon absence.

Je fonce vers la chambrée 326. Mélia voit à mon air que quelque chose ne va pas. Je lui explique brièvement la situation, dans notre langage secret de jumelles. Nous décidons de prévenir tout de même nos amis. Pas tout le monde, juste Fleur, Lilou, Sarah, Blaise et Thibaut. Ils ne sont pas du genre à paniquer pour rien et c'est important pour nous deux de leur dire la vérité. Alors que Mélia demande aux gars de nous rejoindre dans la chambre, Maltez et Naya rentrent. Eux aussi ont décidé de désobéir et de raconter les agressions. Clarissa et Pétunia, le professeur Noguerra, le prof d'équitation et les deux autres basketteurs dont Alex nous rejoignent.

Le lendemain matin, Richard est là. Mon ami me dit de rejoindre Mélia et de faire mes valises. Il nous emmène chez lui, pas loin de là où on a grandi. Ses sources lui ont indiqué que plusieurs attaques ont eu lieu ces derniers jours. Dans l'immeuble à côté de la fac, ce sont au moins trente humanoïdes qui ont été trouvés. Richard et ses amis comptent non pas trois, mais dix foyers dans toute la ville, et d'autres dans tout le pays. De nouveaux chaque jour. Il se contrefiche qu'il n'a pas l'autorité parentale. Il veut nous mettre en sécurité Mélia et moi. C'est le début d'une pandémie. Le foyer d'origine est cette ville. Richard dit tout ce qu'il sait à nos amis. Il propose de les emmener, mais tous refusent. Je leur donne nos numéros et notre nouvelle adresse. On se fait un câlin, y compris Maltez et moi. Blaise et Thibaut ont du mal à me lâcher et me font mille recommandations. Je les supplie de faire attention. Mélia et moi savons nous défendre. Nous allons dans un lieu sécurisé, truffé de militaires, dans une zone où aucune attaque n'a eu lieu encore.

Eux, ils sont en plein dans la zone d'attaque. Ils ne savent pas se défendre. Le lycée et la fac sont des passoires du point de vue sécurité. Il n'y a quasi aucun militaire à proximité. J’ai peur pour mes amis. Je m'inquiète pour tous, Pétunia et Clarissa y compris. Je leur photocopie le guide de Papinou. Je prête mon couteau à cran d'arrêt à Sarah en lui faisant promettre de me le rendre. Je donne mon flingue à Maltez qui sait comment s'en servir. Mélia et moi rejoignons Richard à l'écurie. Dans la nuit, avec l'aide du professeur d'équitation, nous fuguons avec Grognon et Étoile, pour un lieu où nous serons les deux seules adolescentes. J'ai l'impression d'être une lâche qui fuit le danger en abandonnant les autres. Mes amours et mon moral sont loin d'être au beau fixe.

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