Presque sociable 1/2

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Le couvre-feu fait des mécontents dans toute la ville et surtout en dehors du lycée. Si les lycéens sont à peu près sages et acceptent la présence des militaires sans trop de problème, les habitants de la cité commencent à protester et tentent eux aussi de sortir après les horaires. Je pense que les adolescents restent dociles puisque les deux stars du lycée incitent elles-mêmes à la prudence ainsi que les basketteurs et les pom-pom girls. Les adultes, en revanche, font n'importe quoi. La répression est immédiate et quelques échauffourées ont lieu. Des tensions se font sentir et quelques bagarres en journée se produisent. Les gens ne supportent pas cette sensation d'être en permanence surveillés. Moi, j'ai l'habitude. C'était mon quotidien jusqu'à mon entrée au lycée et puis, je suis très douée pour faire le mur sans conséquences. J'ai même intensifié mes kidnappings et fait venir deux à trois fois par semaine les gars.

Pour alléger l'ambiance pesante en cours, les militaires ont une super idée pour une fois. Dans le stade municipal au cœur de la ville, ils organisent un mois de ducasse ouverte jusque vingt et une heures, soit les dernières lueurs du jour et en sécurisent l'accès par des bus de transports qui ramènent les habitants au bas de leur porte. Leurs véhicules ne sont pas des plus confortables toutefois, la population est ravie de ce vent de liberté. Les lycéens ont droit aux fourgons bâchés militaires pour les amener. Mes yeux doux me permettent ainsi qu'à quelques lycéens de prendre des cours de conduite de véhicules de transport en commun dans les moments creux. Mélia préfère négocier le permis pour les 4*4 qui accompagnent.

Bien que la tenue des stands laisse quelque peu à désirer sur l'amabilité des soldats et leur sens de la pédagogie, ils se débrouillent super bien pour la réalisation de gaufres, crêpes, chichis, barbe à papa et autres plaisirs coupables. Je les soupçonne de nous gaver de sucre pour nous contrôler et refuse d'avaler quoi que ce soit tant que je n'ai pas procédé à quelques analyses et expériences digestives sur des souris que j'ai capturées. Les petits rongeurs ne changent pas de comportement et le matériel du cours de chimie ne révèle en toxique que la présence de colorants et de glucose à forte concentration. Je peux donc me remplir de sucreries pendant les vingt-huit jours qui me restent.

Il y a un beau choix de manèges pour tout âge et tout courage. Les enfants sont clairement privilégiés avec des véhicules volants, des auto-tamponneuses et des pêches aux canards en grand nombre. Il y a même un tracteur déguisé en petit train qui fait le tour de la ducasse. Les plus grands ne sont pas oubliés avec des roller-coaster et autres machines à essorer pour les barjos comme moi et des stands de peluches et autres verroteries bas de gamme pour princesses chochottes. Ils ont fait les choses en grand avec un très large choix pour tous et des manèges de très bonne qualité.

Je m'amuse comme une enfant et profite des bruits forts et lumières colorées. Je mets au défi les gars pour savoir qui a l'estomac le plus résistant face aux machines à centrifuger nos dîners. Maltez et moi avons une longueur d'avance sur les autres. Nous sommes tous les deux déjà montés dans un avion de chasse pour un baptême de l'air et savons donc comment encaisser les jets. Mon second jeu est la puissance de frappe dans un punching-ball d'évaluation. Cela me permet d'évaluer le niveau de mes amis, mais aussi celui de la plupart des gars. Comme prévu, Jonathan alias Musclor n'a aucune technique et fait un score pitoyable. Thibaut me surprend et se classe troisième derrière Maltez et moi. Sa force est moindre mais sa technique est excellente. J'avoue que j'ai triché. J'ai utilisé mes pieds et non mes poings.

Les Kawai nous obligent à suivre le train de l'amour, à jouer aux pinces pour saisir les cadeaux ou à jeter des balles pour faire tomber des boites de conserves collées par magnétisme. Je m'en fous. Les bases de base-ball que j'ai apprises lors du séjour d'un ami étranger de Papinou me permettent de faire un lancer puissant qui contrecarre les aimants si on vise sur un point de fragilité. Les garçons y vont avec toutes leurs forces, comme des bons bourrins. C'est aussi très efficace. Toutes les suppliques de mes amies colorées ne peuvent me forcer à me faire maquiller en fée ou à porter une couronne de fleurs. Plutôt mourir que de perdre ma dignité.

Mélia repère très vite une énorme peluche arc-en-ciel à vomir sur un stand de tir. Comme elle ne veut pas montrer son niveau et que les gars sont vraiment trop nuls, elle me supplie pendant deux jours de lui décrocher l'objet de sa convoitise. Je finis par céder à ses yeux larmoyants, à moins que ce ne soit à ses menaces de réveil au seau d'eau glacée. Me voilà donc avec un fusil en plastique à le soupeser pour évaluer ses performances de tir de billes en plastiques sur une cible mouvante de ballons. Le responsable du stand refuse de me laisser tenter ma chance si je ne recule pas de deux bons mètres. Il faut dire que c'est Mitchell, l'un des snipers avec qui je m'entraîne parfois.

Il sait que je vais le dévaliser s'il ne me donne pas un malus. J'accepte de bonne grâce à la condition que lui aussi se place à deux mètres et tente de faire un score similaire au mien. S’il perd face à moi, j'ai droit à la monstrueuse peluche géante. Je titille son esprit de compétition en utilisant ses collègues alentour pour le charrier. Un défi plein de bêtises et un brin de testostérone adolescente. La chose est vite décidée. Nous faisons une compétition avec pour seul vrai lot le plaisir de gagner. Mélia aura son cadeau, reste à déterminer si c'est moi ou lui qui lui offrira. Nous tirons donc chacun notre tour en reculant d'un pas à chaque fois. Nous faisons mouche malgré les armes imprécises. Les civils encouragent la demoiselle que je suis. Les militaires taquinent leur camarade.

Très vite, la puissance de tir des jouets n'est plus suffisante pour s'éloigner et nous passons alors à de vraies armes. L'enjeu augmente. Il ne s'agit pas uniquement de la peluche bariolée. L'objectif est d'obliger les soldats à effectuer une chorégraphie élaborée du boys-band préféré des Kawai. Je n'ai pas bien compris mon gage. Je crois que ça parle de corvées dans leur cantine. Cela n'est pas important, je gagnerais de toute façon. Dans un coin tranquille et loin des autres jeux, les militaires nous installent un tir au pigeon improvisé et sécurisent notre champ de tir.

La difficulté augmente peu à peu. Mon adversaire et moi commençons à rater parfois le premier de nos trois essais, puis le second. Nos scores sont très proches et on ne peut nous départager. Nous bataillons pendant près d'une demi-heure. Puis nous ratons nos deux premiers essais. Il foire le troisième. Je vais pouvoir gagner. Malheureusement, mon excitation est trop forte et je vois ma balle effleurer sans briser l'assiette volante, la faisant tout de même dévier de sa trajectoire. Je la suis des yeux avec rage.

Soudain, elle éclate alors qu'elle est très loin. Dans la seconde qui suit, une autre balle fait voler le chapeau à plumes de mon adversaire et une dernière le ballon que tenait un militaire. Tout le monde se jette à terre aussitôt. Le tireur est bien deux cents mètres derrière nous. Je cherche du regard l'assaillant, mais au bout de cinq secondes, Mélia et moi hurlons et nous relevons pour courir vers l'origine des balles malgré les protestations des militaires qui tiennent leurs armes pour sécuriser les lieux. Il n'y a qu'une personne au monde pour réussir un tir lointain aussi rapide et précis.

— RICHARDDDDDDDDD, beuglons-nous comme deux folles en lui sautant au cou.

Heureusement que Parrain est robuste pour réceptionner les deux furies qui se jettent sur lui. Chacune sur une de ses hanches, nos jambes autour de sa taille, on le couvre de bisous. Deux bébés koalas. Il nous a manqués. Assez vite, les hommes et nos amis comprennent qu'il n'y a aucun danger et se calment. Blaise et Thibaut viennent délivrer le vieux de la position inconfortable et délicate des deux sangsues collantes agrippées. J'entends un enfant demander si c'est notre papa. C'est vrai que de l'extérieur, cela peut prêter à confusion même si l'innocent bambin donne une explication logique et dénuée de mauvaises pensées. Mélia fait un pieux mensonge pour ne pas embarrasser davantage Richard. Elle valide la question de l'enfant et justifie notre câlin en précisant que nous ne l'avons pas vu depuis longtemps. Même s'il ne dit rien, je vois combien il est ému en entendant ma jumelle l'appeler Papa devant tout le monde et lui faire des mamours câlines.

Les soldats se détendent immédiatement en découvrant l'identité du tireur. Quasiment tous le connaissent de visu ou de nom. Le peu qui ignore son identité fait juste confiance à leurs camarades de régiment. De toute façon, vu la précision et la vitesse des tirs, s'il avait voulu tuer, il aurait fait un carnage. Alors que là, il se débat courageusement contre les deux sales gosses qui ont l'affection des militaires en station sur la ville et le lycée. Il a sécurisé son arme aussitôt après ses trois tirs et ses deux mains sont occupées à tenter de nous repousser pour respirer sans grand succès.

Après avoir récupéré la peluche source du crime pour étouffer Mélia et surtout occuper ses bras pour que j'aie accès à Richard plus facilement, je conduis Parrain à notre bande d'amis. Je suis tellement fière d'être pendue à son bras. Mon sourire inhabituel doit me donner un air niais mais je m'en contrefous tellement je suis heureuse.

Même si j'essuie quelques remarques sur le fait que je me comporte de manière presque civilisée quand il est là, je savoure sa présence avec grand bonheur. Mélia file vite son chargement au pauvre Alex qui ne demandait rien afin de reprendre ses câlins dans les bras de notre vieil ami. Nous sommes des vrais pots de colle et des pipelettes qui racontent les derniers potins. Les Kawai se sentent tout de suite à l'aise avec Parrain qui est doux et presque maternel avec elles. Il a cette capacité caméléon qui lui donne une apparence inoffensive et un brin séducteur lui ouvrant bien des portes, surtout auprès des filles. Naya aime sa galanterie et son élégance tout en raffinement et délicatesse qui toutefois remet à sa place d'un simple haussement de sourcils les tentatives de ronchonnage de ma part.

Nos amis et moi passons un excellent moment avec Parrain. Les adolescents sont à l'aise avec lui et rient facilement sans aucun malaise. Ils apprennent vraiment à le connaître, la dernière fois ayant été trop courte pour discuter correctement. Blaise se moque gentiment de moi et reproduit l'enchaînement de combat que j'ai réalisé sur Musclor en exagérant la violence des coups à l'aide de bruitage de bouche amusants. Richard valide les mouvements et mes explications. Il montre aussi aux kawai d'autres mouvements faciles d’auto-défense pour le plus grand plaisir du grand frère protecteur. Maltez m'imite lorsque j'ai effectué le balayage de rats avec la grâce d'une danseuse de ballet d'après lui. J'ai un doute sur son compliment jusqu'à ce que je comprenne qu'il tente de rendre jalouse Naya. Je fais mine de rougir pour rire en douce.

Thibaut est le plus gentil de tous et vante ma culture générale et ma soif de savoir. A l'entendre, je serais presque une élève modèle. Il a compris que Parrain surveille de près ma scolarité et il cherche à m'attirer des félicitations. Alex, quant à lui, apprécie mes talents en cuisine et mon potager illicite. Au moins un qui est honnête et réaliste en utilisant notre estomac souvent vide en commun. Ce n'est pas ma faute si je suis en permanence affamée. Pourtant, Papinou surveillait de près que je n'ai pas de vers ou un problème digestif. J'ai un gouffre à la place du ventre.

Si je subis pas mal de critiques, en revanche, les gars couvrent Mélia de compliments sincères qui la font rougir. Sa douceur, sa joie de vivre, son petit caractère, sa diplomatie et surtout ses connaissances variées sur des tas de sujets sont vantés. Les quatre garçons l'adorent clairement. Ils n'ont aucun reproche à lui faire et félicitent Parrain pour l'éducation exemplaire qu'elle a reçu. Ma sœur est gênée de tant de gentilles choses, pourtant, elle mérite chacune d'entre elles.

Coté filles, la tendance est assez semblable. Mélia est un amour pour toutes. Les Kawai me trouvent des qualités. Naya et les deux pestes me cherchent des poux. Je laisse dire sans me préoccuper plus que ça de leurs mensonges ou plaintes. Je profite du contact et de la voix de Parrain comme d'un effet magique qui me rend presque douce et calme. Richard est ravi de voir que nous avons de bons amis. Il me décoiffe et s'amuse de mes bêtises. Il embrasse le front de Mélia et laisse sa main sur son épaule pour qu'elle fasse le plein de câlins. Il est fier de nous deux.

J'écoute distraitement les discussions, répondant parfois d'un bisou aux Kawai ou d'un coup de pied aux fesses aux gars. Je ricane doucement quand Naya vante l'aspect physique de Parrain, le trouvant très classe et admirant sa fine barbe entretenue. La reine des abeilles se venge en piquant la jalousie de Maltez avec la complicité de toutes les autres filles, moi y compris. C'est vrai qu'il est beau Parrain. Bien qu'il ait presque quarante ans, il est en aussi bonne forme que les garçons. Son visage possède des traits fins et pourtant virils. Ses épaules larges et puissantes soulignent sa taille fine et ses muscles souples. C'est une panthère racée et séductrice qui se déplace toujours en silence. Un mélange d’Alain Delon et de George Clooney dans leurs belles années. J'entends les gars et Parrain échanger sur les bienfaits de certains entraînements ou sur les régimes alimentaires pour prendre du muscle sans danger pour la santé. Un corps sain dans un esprit sain. Sur ces points, ils peuvent avoir confiance en Richard.

Ma jumelle tente de savoir la vérité sur la fameuse soirée en utilisant l'autorité paternelle et surtout le talent en interrogatoire de Richard. Jamais je n'avouerais. Alors la curiosité des deux se tourne vers les trois pimbêches, moins rompues aux techniques d'espionnage. Je les défends de mon mieux. Je ne m'en sortirais pas aussi facilement. Ces deux-là ont senti que j’avais fait un truc pas net et ne me lâcheront pas de sitôt. C'est avec bonheur qu'Alex fait cesser le feu des questions en appelant au respect de la vie privée des adolescentes. Je le soupçonne de ne pas vouloir en savoir plus sur nos âneries par crainte d'être choqué à vie. La soirée est douce et agréable. Nous ne voyons pas le temps passer et les haut-parleurs nous rappellent à l'ordre pour le retour au cloisonnement.

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