Presque sociable 2/2

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Nous raccompagnons nos amis au fourgon bus qui les attend. Exceptionnellement, et afin de nous laisser profiter de lui un maximum, les militaires nous autorisent à rentrer au lycée à pied tous les trois si on prend une radio. Nous avons des armes sur nous. Avec l'accord de leurs supérieurs, ils hébergeront Richard dans leurs quartiers cette nuit. Les hommes blaguent sur les pauvres créatures qui croiseraient trois tueurs comme nous. Bien que ma double tente de se faire passer pour une douce et innocente enfant, les soldats ne croient pas un mot de ses paroles. Elle est la seule qui fait plier la teigne que je suis. Alors, à leurs yeux, la terreur, c'est elle, ce qui la fait rire.

Nous bavardons tranquillement en nous éloignant du brouhaha ambiant et en profitons pour faire un gros câlin. Après les divers ragots, et une fois loin du peuple, nous rediscutons des attaques et des informations faibles dont nous disposons. Pas-grand-chose en réalité. Toutefois, l'autorisation de cette kermesse est un bon indice sur les moyens de défense contre les créatures. Les lumières vives tourbillonnantes ainsi que la musique ont été poussées à fond par les militaires, y compris loin du lieu de fête.

Le bruit et en particulier les basses et les sirènes stridentes doivent sûrement être dissuasifs et tenir éloignés les indésirables. Les lumières qui bougent dans tous les sens aussi. Tout ceci est confirmé par le passage régulier, et totalement inutile, des ambulances et véhicules de police avec leurs gyrophares et signalétique sonore. Le lapsus fait par un militaire il y a quelques jours est validé. Nous notons l'information qui peut se révéler importante, tant pour se défendre qu’en préventif. Parrain nous conseille d'acheter des klaxons de fête la prochaine fois que nous irons à la ducasse, toutefois, il m'interdit de les utiliser pour autre chose que pour me défendre ou protéger mes amis contre les monstres. Mélia a le droit pour me réveiller. Cette différence de traitement totalement injuste me fait bien rigoler.

Je me fais gentiment gronder pour mes kidnappings masculins hebdomadaires. Mitchell a cafté et tente lui aussi d'utiliser l'autorité de Richard pour que j'obéisse enfin aux consignes militaires, ou du moins, que je respecte les règles élémentaires de sécurité. Parrain vérifie surtout que j'agis avec prudence et que je ne vagabonde pas en dehors des dortoirs. Il ne veut pas que cela entraîne des soucis aux militaires. De toute manière, la plupart des soldats même gradés font en sorte de regarder ailleurs si, par hasard, ils m'aperçoivent. Aucun des bureaucrates ne sait pour mes activités illicites nocturnes ni pour mon potager clandestin. Je confirme à Richard que j'ai toujours une arme et je contrôle ma progression. En plus, j'aurai très bientôt un klaxon. Il sait qu'il est impossible de m'empêcher de faire des bêtises, alors, autant que ce soit des bêtises utiles et sans danger.

Tout en me grondant en riant, Parrain nous donne ses dernières découvertes. Il n'a pas beaucoup de données supplémentaires. Quelques humains, beaucoup de rats tués. Les trois chats et le renard contaminés avaient encore des morceaux de rats à l'intérieur de leur estomac et présentaient des traces de morsures récentes. Ils ont sûrement dû attraper par prédation un rat contaminé peu avant de se faire piéger. Pas d'autres animaux contaminés pour l'instant. L'eau, les végétaux, le sol et d'autres choses comme des champignons ont été contrôlés. Rien qui ne pourrait provoquer un cancer foudroyant qui ne se développerait que chez les humains, les rats et les carnivores.

Bien que les hauts fonctionnaires disent le contraire, un virus ou une bactérie, transmissible par ingestion ou morsure est plus probable qu'un cancer. Parrain est informé à la source, c'est à dire par les soldats sur le terrain et quelques gradés ou scientifiques bien placés. On ignore qui est le Patient Zéro si c'est un humain ou un rat. Le foyer semble concentré sur la ville et ne pas s'être disséminé ailleurs dans le monde. Les amis survivaliste de Parrain essayent d'infiltrer les laboratoires de recherche via des biologistes confirmés et complices. L'ordre de brûler au napalm toutes les créatures et preuves n'aide pas à progresser. Même les rapports ne sont qu’en version papier manuscrite et sont brulés dès lecture. Tout est fait pour en laisser aucune trace. Certains militaires ont déjà voulu mettre de côté une bestiole pour l'envoyer à Parrain et ses amis. Malheureusement, ils sont étroitement surveillés et tout est filmé. Ils espèrent finir par y parvenir.

Depuis la maison, il n'y a plus rien qui implique des civils. Le quartier de l'immeuble a été contrôlé sans trouver de nouvelles traces suspectes. Celui de la maison montrent quelques rats qui se sont échappés mais pas grand-chose. La forêt a été renettoyée et continue d'être surveillée de très près. L'abondance d'animaux et de cachettes rend la tâche du nettoyage plus difficile. Parrain nous informe que des caméras thermiques surveillent les activités nocturnes, tant en ville que dans la forêt. C'est pour cela que les militaires interviennent aussi vite lors des sorties non autorisées. Je devrais songer à dissimuler ma chaleur corporelle lors de mes prochaines escapades de nuit. Des dispositifs à ultra-sons fonctionnent la nuit pour empêcher les félins et d'autres animaux d'effectuer leurs activités nocturnes habituelles. Richard obtient toutes ses informations moitié en surveillant frauduleusement, moitié par complicité avec les militaires. Quelques passe-droits, venant de Maltez Senior ou de ses relations, facilitent les choses si besoin.

Le père de Maltez utilise lui aussi ses relations et son influence pour récupérer des photocopies de rapports ou des photos auprès des bureaucrates et des civils scientifiques. Il a confiance en son fils qui estime la situation très dangereuse. Lui et Richard collaborent et ont beaucoup de moments d'échanges. Sans être aussi méfiant envers le gouvernement dont il fait partie, Maltez senior n'apprécie pas le climat de secret et cette crainte qui leur fait tout brûler avant de cumuler des informations. Il a cependant réussi à capter une donnée essentielle. Si notre gouvernement ignore tout de cette nouvelle menace, les plus hauts dirigeants suspectent une attaque étrangère et les services d'espionnages internationaux sont sur le pied de guerre. Chez eux, les rapports sont conservés et des recherches continuent en sous-marin. Ni lui ni Parrain n'ont les contacts là-bas. Notre grand-mère adoptive, Mathilde, est la seule qui puisse obtenir des informations. Parrain l'a contacté hier et il attend de ses nouvelles.

Nous arrivons à notre dortoir. Nos amis sont déjà là et les garçons nous attendent avec Mitchell pour nous faire un dernier bisou. Maltez s'éloigne un peu avec Richard et semble discuter avec lui des événements. Je sais que c'est son instinct protecteur qui agit et je ne me mêle pas de leurs affaires. Son père a surement aussi donné des choses à transmettre à son fiston. Blaise et Thibaut sont heureux d'avoir fait plus ample connaissance de notre papa adoptif. Ils ont appris tellement de choses sur nous deux en une soirée. Ces deux-là nous traitent comme leurs petites sœurs espiègles. Ils sont vraiment tendres avec nous et compensent l'absence de Parrain.

C'est Mélia qui souffre le plus du peu de câlins familiaux bien qu'elle en ait des amicaux tous les jours par les Kawai, moi et les autres. Elle aime nos amis, toutefois, son enfance lui manque. Nous devons attendre nos dix-huit ans et l'obtention de notre diplôme pour enfin avoir le droit de rejoindre qui nous voulons. Ma jumelle gère l'attente en correspondant avec notre petit cœur et Parrain. Moi en élaborant des plans de vengeance contre nos géniteurs.

Mitchell raccompagne Parrain aux baraquements militaires. Nous allons dormir un brin triste de ne pas pouvoir le garder pour la nuit. Fort heureusement, nous avons le plaisir de pouvoir prendre le petit-déjeuner avec notre vieil ami. Le directeur de l'école lui accorde quelques libertés pour nous voir de temps en temps ainsi que les responsables militaires locaux. Ainsi, quand il est en ville, Parrain peut venir passer quelques heures au lycée. À part notre bande, les élèves et professeurs le prennent pour notre oncle. Sa prestance rassurante et sa grande culture générale le rendent sympathique et personne ne se plaint de le voir. D'autant plus qu'il peut me faire taire en plein ronchonnage d'un simple regard ou haussement de sourcils. Je ronchonne beaucoup, ce qui épuise mes camarades. Les militaires l'utilisent pour m'obliger à rester tranquille. Eux aussi, je les épuise. Je suis heureuse de le voir à chaque fois et Mélia se scotche à lui pour profiter de chaque minute de sa présence.

La présence régulière de Parrain ne m'empêche pas de détester le lycée et de faire des bêtises. Aujourd'hui, en cours de biologie, l'enseignant ne trouve pas de meilleure idée que de vouloir nous faire étudier les grenouilles la semaine prochaine. L'idée est de faire des petites expériences sur des bestioles vivantes pour comprendre le système nerveux. Il s'agira d'un contrôle obligatoire. Or, il n'a pas encore touché à cette partie du programme. Les Kawai pleurent d'être obligés de faire du mal à un pauvre petit animal sans défense et si mignon. J'émets des réserves sur la beauté de la face de batracien cependant, je ne suis pas fan de la torture animale inutile. Il existe des logiciels simulateurs parfaits pour cela.

Les Kawai organisent dans la journée une pétition avec un très grand nombre de signatures. Ma sœur joue les diplomates, toutefois, le professeur reste inflexible. Il argumente que l'expérimentation nous formera bien plus si nous ignorons ce que nous cherchons. C'est un abruti. Il veut que les enfants se plantent. Il ne sait pas à qui il a affaire. Les élèves ont droit dans la semaine à un cours magistral par Mélia et Thibaut qui fournissent mille détails et explications. Monsieur Noguerra Senior veille à ce que chaque adolescent reçoive une formation correcte. En parfaites rebelles, Mélia et moi piratons, durant la nuit du jeudi, l'ordinateur central et récupérons le fichier d'examen. Sachant déjà les réponses depuis longtemps, ma jumelle et moi filons les bons résultats à toutes les classes de secondes dès le lendemain matin. Monsieur Noguerra senior cautionne notre crime en contrôlant les réponses avant la transmission. Nos camarades ont trois jours minimums pour apprendre par cœur. Aucun ne nous trahira.

Il est temps de sauver les batraciens. J'organise une opération kidnapping des trois cartons de grenouilles. Le livreur arrivera lundi vers les sept heures et demie. Il suffit de réceptionner la livraison et de la planquer le temps de pouvoir relâcher les sautillants. Nous avons des alliés pour notre crime. Le père de Naya prend les devants et signe à la place du concierge. Les palefreniers acceptent de stocker quelques heures notre bruyant contenu dans un box, où personne n'ira vérifier. Les militaires les récupéreront pour les délivrer au cœur de la forêt, près d'une petite mare, lors d’une ronde. L'affaire est convenue.

Lundi matin, lors du premier examen, le professeur se retrouve sans matériel vivant. Il est contraint d'utiliser à la dernière minute le logiciel généreusement fourni depuis une semaine et se retrouve face à des étudiants surdoués qui connaissent les réponses sans même expérimenter. Un sans-faute général. Bien qu'il soupçonne les coupables, il sait qu'il n'aura aucune preuve. Mon air méprisant lui fait bien comprendre qu'il n'a pas intérêt à chercher un responsable ou à faire un coup fourré aux autres élèves. La prochaine fois, il acceptera notre solution pacifique du premier coup.

Le reste des contrôles se passe sans problème. Nous n'avons triché que pour le cours de Biologie. Mélia est sur le podium à la première place. Je suis deuxième. Les campagnardes écrasent les citadins afin de faire honneur à la mémoire de Papinou et aussi d'éviter les représailles de Richard pour ma part. Sous ses airs de gentil, il est, après Papinou, le pire professeur que je n’ai jamais eu en termes de sévérité. Un tortionnaire un peu plus pédagogue quand même. L'enseignant de biologie arrive troisième, mais lui, c'est à cause de sa bêtise. C'est dommage car j'adore cette matière et j'aurais adoré pouvoir discuter avec quelqu'un ayant de bonnes connaissances.

Mon préféré, c'est Monsieur Noguerra. Non seulement, il est très doué dans ses explications, mais il est aussi patient et s'adapte à l'enfant en face de lui. Il a de l'autorité sans être un dictateur. Les curieux ont droit à des cours avancés en supplément, les élèves à la traîne du soutien sur simple demande. Il m’autorise, ainsi que les Kawai, Blaise et Mélia, à venir à un cours spécial à destination des Terminales participants aux projets de rénovation. Des bases d'architectures, de calcul de résistance de matériaux et d'autres bases hyper utiles. Je me régale.

Pour le remercier, ma jumelle et moi lui montrons le manuel de survie coécrit par Papinou, Richard et quelques-uns de leurs amis. Nous lui donnons un aperçu plus précis de l'étendue de nos connaissances théoriques et pratiques. Les parties construction et mécanique se mélangent à la médecine de base, l’élevage et l'agriculture. Il rigole sur les techniques de défense de type fonctionnement d'un fusil d'assaut et Krav maga. Jamais il ne critique et au contraire, il est fasciné par ce condensé technique et détaillé. Nous lui en offrons un exemplaire avec grand plaisir.

Il n'est pas le seul adulte à vouloir lire le document. Le père de Naya et quelques autres feuillettent et commentent. Nous en profitons pour enrichir quelques parties en fonction des connaissances de chacun. Les palefreniers font grossir le chapitre soin, dressage des chevaux et aussi la culture de différentes céréales et légumes. Le responsable des chantiers rajoute lui aussi des informations utiles. L'enseignant de Français nous fait rire en élaborant une liste d'œuvres à protéger de toute urgence. Un ami de Parrain est gestionnaire d'une bibliothèque de renom. Chaque livre en sa possession, et même d'autres ont été numérisés et sont stockés dans une atmosphère protectrice avec mesure de contrôle du feu, de l'humidité et d'autres paramètres. La liste est depuis longtemps à l'abri. Monsieur Noguerra complète ou vulgarise quelques données mathématiques un peu trop complexes. Parrain est très heureux de ces rajouts.

Nous sommes deux élèves atypiques qui sont sympathiques aux yeux de grand nombre d'enseignants. Papinou ne respectait pas vraiment le programme officiel et nous avons donc des lacunes sur cela. Nous les rattrapons bien vite. L'étendue de nos autres connaissances surclasse nos camarades. Nous avons une grande curiosité et une ouverture d'esprit qui nous attire la compréhension et la patience des adultes. Leur méfiance des débuts fait maintenant place à des sourires complices. Ma tendance à la rébellion, qui les inquiétait au début, les fait rire doucement avec l'aide de ma despote de sœur qui me contrôle facilement.

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