Le soldat dansant
Les gars ont un match avec un autre lycée. Pour la première fois depuis janvier, nous recevons l'équipe adverse pour trois jours. Les militaires ont fait en sorte que les garçons se déplacent à chaque fois ces quatre derniers mois, cependant, à force, ils sont contraints d'accepter la venue de nouveaux citadins temporaires. Comme il est prévu dans de telles occasions, une visite touristique de la ville doit s'organiser pour le groupe d'adolescents. Cela engendre de gros soucis tant pour le lycée que pour les troupes en stationnement.
Il y a environ un mois, la présence de terroristes ou de gangs criminels commençait à être mise en doute par les habitants qui se plaignaient à leurs proches. Les proches ont parlé. Plusieurs journalistes de petites chaînes locales ont tenté de faire des enquêtes. Les gros médias ont reçu des directives gouvernementales et ne mettront pas les pieds ici. Pour leur donner quelque chose à filmer, et pour calmer les curieux, une fausse fusillade a été organisée "en direct" lors d'un reportage filmé. Heureusement que personne n'a regardé de près les images. Mélia et moi avons éclaté de rire en voyant les amis de Mitchell grimés en caïd avec tatouages. Ils ont tiré à blanc en direction de la jeune journaliste terrifiée. Cela, en plus de quelques coups de fils aux directeurs des journaux locaux, a suffi pour éloigner les curieux et étouffer les enquêtes temporairement.
L'arrivée des jeunes, et les militaires au sein du lycée, endroit peu crédible comme cachette de grands criminels, risque de relancer les interrogations. Les soldats sont bien embêtés pour justifier leur présence sans fournir d'informations compromettantes. Il est déjà difficile de s'expliquer auprès de la population locale. Lorsque je traîne près des baraquements, les hommes discutent librement devant moi des tracas que cette visite leur procure. Ils n'ont pas envie de devoir recommencer leur simulacre devant les visiteurs et je les comprends. Les jeunes profitent souvent de ces visites pour faire des âneries la nuit. Les soldats cherchent une solution pour les tenir à l'abri.
Mélia, qui est venue récupérer des chutes de tissu militaire, suggère alors aux hommes d'accéder au besoin primaire de bêtises des adolescents. Il suffit de leur permettre une sortie, mais sous contrôle. Elle leur demande de remettre en place la fête foraine ou tout autre événement intéressant, de manière que les gamins aient envie de faire le mur, tout en permettant aux militaires de savoir où ils vont et d'en protéger les accès. L'idée enthousiasme les hommes qui vont la transmettre à la hiérarchie.
Ma frangine leur propose de parler à Maltez et à Blaise. Si les stars de l'équipe sont dans le coup, ce sera plus facile de tendre un piège aux visiteurs. À force d'entendre nos louanges sur Blaise et aussi de coopération entre le grand dadet, Thibaut, Alex et les militaires pour m'empêcher de faire des bêtises, les soldats ont sympathisé avec les quatre basketteurs. Le lieutenant Mitchell entretient aussi une bonne amitié avec les kawai, Naya et son père. J'écoute distraitement le plan s'élaborer pendant que j'aide les hommes à nettoyer leurs armes et le reste de leurs équipements. Le stratagème de ma petite chérie plaît énormément et très vite, ils parviennent à créer un truc pas trop mal.
Les corvées de Papinou me manquent. L'ambiance stricte aussi. Mon humeur s'en ressent de plus en plus. Les hommes me laissent squatter dans leurs baraquements. Ainsi, je les aide, ils peuvent me surveiller et surtout, je me tiens tranquille. Cela nous permet aussi, puisque ma sœur adorée vient également régulièrement, de voir Richard de manière discrète. Le directeur du lycée ferme les yeux sur nos fugues. C'est cela ou un génocide de lycéens de ma part. Les hauts gradés qui ne sont pas amis, ignorent tout de notre présence. Nous sommes chouchoutés d'une manière étrange qui nous rappelle notre enfance. Aucun n'a de gestes déplacés. Ils agissent comme des oncles ou des cousins casse-pieds, mais protecteurs. Ils nous parlent de leurs familles, nous donnent des nouvelles de la nôtre ou du monde, assurent la continuité de nos apprentissages en combat et savoir-faire pratique. Le pire casse-pieds est Mitchell qui s'est donné pour mission de me remettre correctement au sport et m'invente de nouvelles tortures chaque jour pour me fatiguer et me faire perdre le gras du bide qui commence à apparaître suite à mon inactivité depuis Septembre.
C'est ainsi qu'un troupeau de basketteurs, de pom-pom-girls et leurs professeurs débarquent un beau matin tranquille pour perturber ma quiétude. Tout est planifié, organisé. Les militaires sont présents en raison de répétition pour une parade annuelle et ils profitent des locaux disponibles du lycée pour stocker matériel et troupes. La majorité d'entre eux optera pour des tenues civiles pour patrouiller en ville sans attirer les soupçons. Leur nombre apparent diminuera d'autant. Ce n'est finalement pas une fête foraine, mais un concert d'une pop star à la mode qui aura lieu. Idéal pour faire un bruit pas possible et utiliser des lumières aveuglantes et tournoyantes. Personne ne traînera puisque le service des bus est assuré de manière régulière par les soldats déguisés. Tout est sous contrôle, y compris la future fugue des adolescents à l'initiative de Maltez et Naya qui les guideront droit vers le chemin sécurisé au préalable, avec l'accord bienveillant du directeur. Un beau traquenard.
La première journée se passe plutôt bien d'après mes camarades. Les visites du zoo et du parc botanique adjacent ont enchanté les adolescents qui ont cependant préféré le musée de la Bande dessinée. Nos amis ont laissé traîner leurs oreilles afin de détecter les éventuels rebelles qui voudraient sortir dès le premier soir. C'est rare. En général, les adolescents gardent leurs forces pour le match et le spectacle des pom-pom-girls toutefois, il y a toujours des plaisantins. D'après les basketteurs, la nuit devrait être calme. Les filles me parlent de deux bêcheuses, mais rien de plus. Ne pouvant pas dormir, je surveille les mouvements dans le dortoir des filles pendant que le lieutenant Mitchell veille sur les troupes masculines. Blaise a raison. Nous avons affaire à des visiteurs bien trop sages et je suis la seule lycéenne à veiller tard.
Le lendemain est jour de match. Afin de permettre aux athlètes de se reposer pleinement, les cours ont été annulés ce jour pour les sportifs. Les autres élèves ont droit à du soutien ou de l'approfondissement lorsque cela est possible. Sinon, le cours normal est assuré. Les professeurs fourniront un rattrapage aux absents si besoin, comme ils le font à chaque déplacement. Le match est prévu en fin d'après-midi, une fois les cours terminés. Les athlètes vont avoir droit à une petite visite d'une chocolaterie et surtout à des échauffements et des répétitions pour les filles.
C'est enfin l'heure du match. Tout le monde s'installe sur les gradins du grand gymnase. Je ne suis pas une grande fan, cependant, je fais acte de présence pour soutenir Blaise, Thibaut ainsi que Sarah et Lilou. Mélia et Fleur hurlent et commentent. Je reste tranquille sur mon banc, tentant de comprendre ce qui se passe tout en essayant de ne pas me faire voler mes pop-corn par l'estomac affamé bariolé qui m'agresse sans prévenir. On ne dirait pas à première vue, mais elle est bien plus dangereuse qu'il n'y parait. J'ai déjà subi la perte de cinq grosses poignées à la mi-temps. Mon maxi pot est presque vide. J'ai quinze minutes pour aller me ravitailler.
Nos gars sont en tête avec 19 points, toutefois, les adversaires sont proches avec quatorze points. Ils sont en sueur et encore très concentrés. Maltez semble donner des indications sur la suite de la tactique tout en buvant abondamment et en reprenant son souffle. Je rigole doucement en le voyant miner une tactique d'esquive que je lui ai sorti lors de nos affrontements d'entraînements. Je pense qu'il rappelle aux gars comment s'échapper lorsqu'ils sont encerclés. Blaise me lance un bisou de loin et me fait des signes pour me demander de prendre un paquet de pop-corn pour lui ce soir.
Lui et moi, on a les mêmes goûts alimentaires et un estomac insatiable. L'une des cantinières veut même nous vermifuger. D'après elle, et en raison de la quantité de nourriture ingurgitée chaque jour, elle pense que nous avons des vers tous les deux ainsi que Maltez. Pour moi, elle ose accuser mon adorable canasson crasseux de m'avoir refilé une saleté. Pour les deux garçons, elle n'a pas de théorie affirmée, toutefois, Sarah la soupçonne de s'inventer des triangles amoureux dans sa tête. Peu nous importe, tant qu'elle nous donne à manger. Par acquis de conscience, mais aussi pour se marrer un peu, on a demandé au médecin militaire de nous faire une échographie abdominale. Rien de suspect. Juste des kilomètres d'intestins vides chez chacun de nous trois. Je réponds à Blaise en lui montrant trois pots maxi format dans mes mains. Le plus difficile maintenant est de réussir à en planquer un des sales pattes de mon double.
Le spectacle des filles commence. À force de traîner avec les filles lors de répétitions, je connais la choré par cœur. Je les regarde donc voltiger avec leurs jupettes pour leur faire un retour sur les points à améliorer ou corriger dans quelques jours. Les filles me l'ont demandé. Les deux groupes de pom-pom-girls se font face et effectuent des démonstrations comme une sorte de défi en simultané. Ce début est très joli à voir des deux côtés. Soudain, quelque chose cloche. Deux nanas de la troupe adverse ne se positionnent pas normalement. Elles ne sont pas symétriques par rapport à leur groupe, trop en avant, trop près de mes amies. Je les vois faire un croche-patte à Lilou et Hélène qui réalisent un porté de Sarah. La petite souris chute et est rattrapée de justesse par une autre fille du groupe adverse. Lilou et Hélène tombent à terre. Le trio se fait très mal et les cris fusent de tous les côtés. Le spectacle est interrompu quelques secondes.
Blaise, Thibaut et Maltez se précipitent aussitôt et portent les filles jusqu'au banc de repos. Hélène a une sévère entorse à la cheville. Lilou saigne du nez, car elle a pris le pied de Sarah dans le visage. La petite souris est blessée au ventre bien qu'on ait amorti sa chute. Pendant que l'infirmier les soigne, je peste. J'ai vu clairement le sabotage et j'en fais part à Naya et aux autres filles. Mélia confirme ma version. Elle a distingué le geste mesquin et est furieuse. Elle veut aller casser la figure aux deux tricheuses. Des remous dans l'équipe adversaire montrent que les pom-pom-girls adverses ne sont pas d'accord avec ce qui vient de se passer et dispute les deux mesquines. Celle qui a rattrapé Sarah semble particulièrement en colère elle aussi. Elle agrippe le col de ses deux collègues et paraît leur passer un savon sévère.
— Vous êtes gentilles les deux folles, mais comment on fait ? Si on les agresse hors terrain, on prend un blâme. Et avec trois filles en moins, notre choré est foutue, râle Naya.
— Je peux remplacer l'une d'elles. Je connais la choré, annonce Clarissa qui s'est approchée.
— Nous aussi, on connaît la choré et en plus, on maîtrise la capoeira pour leur péter la tronche, déclarons d'une même voix Mélia et moi.
Naya sourit de notre réponse sortie droit du cœur. Elle accepte notre proposition. Il est clair qu’avec de tels renforts, il est possible de refaire l'enchaînement sans danger. Ma frangine et moi surveillerons les deux nanas et répondrons si besoin. Sur ce point, Naya a toute confiance dans le duo de folles Farmer. Clarissa et Mélia enfilent les tenues d'Hélène et de Lilou, dissimulant leur nudité temporaire par les blaser tendus des gars. Dès qu'elles sont habillées, Fleur les maquille aux couleurs de l'équipe de basket. Il reste un dernier point à régler.
— Blaisounet ? Tu peux me prêter ton maillot ? Mes fesses généreuses, nourries au chocolat, ne rentreront jamais dans la micro-jupette de la petite souris et tu es le plus grand après l'autre andouille. Je veux bien défendre et venger Sarah, mais je refuse catégoriquement de porter un seul vêtement avec l'odeur nauséabonde de ton capitaine. En plus, un beau gosse comme toi torse-nu, ça peut détourner l'attention de nos adversaires.
Un éclat de rire général me répond. Mon antipathie non dissimulée envers Maltez et ma drague digne d'un gros lourdaud envers Blaise détend l'atmosphère. Mon ami retire son maillot plein de transpiration avec un grand sourire et me le tends en secouant la tête pour rire de mes âneries. Je ne suis pas épilée comme les autres filles, mais je m'en fous d'avoir du poil aux pattes. Ça ne se verra pas de loin. Fleur a maquillé rapidement Mélia et Clarissa. Elle s'affaire sur moi en un temps record. Aucun doute, cette fille a de l'or dans les mains. Nous ressemblons à trois magnifiques tigresses humaines.
Nous reprenons la choré au départ. Clarissa devient voltigeuse à la place de Sarah. C'est la plus légère et surtout la moins apte à se battre si besoin. Mélia et moi sommes les porteuses. L'autre équipe a procédé aussi à un changement de place. La fille qui a rattrapé Sarah est à côté des deux autres et leur lance des regards noirs. Il y a de l'eau dans le gaz niveau cohésion équipe. Le début de la chorégraphie se déroule sans accroc. Comme prévu, au moment du porté, les deux pétasses essayent de nous faire tomber. La troisième tente de les empêcher. La triche est confirmée. Plus aucun doute sur les motivations des deux filles. La première fois, cela peut être une erreur. Une seconde fois, c'est volontaire. Mélia et moi décidons d'un commun accord de leur montrer ce qui arrive quand on met deux tigresses en colère. Nos appuis sont bien plus stables et surtout, nous sommes plus rapides et évitons la première tentative sans aucune difficulté.
Clarissa se réceptionne au sol, sans dommage. Au mouvement suivant, nous attaquons en rythme et en douceur. On va faire monter la pression peu à peu. Leur chorégraphie est basée sur le lancer de pompons et le rattrapage comme s'il s'agissait de ballons de basket. Rien de plus facile que de faire dévier les trajectoires innocemment pour leur faire rater leur cible. Nous les faisons tourner en bourrique pendant une bonne minute. Elles ratent toutes leurs réceptions et n'ont plus qu'à mettre les poings sur les hanches pour faire bonne figure.
Deuxième round. Cette fois, je porte seule ma frangine et nous prenons une pose digne des arts martiaux. Elle a une jambe sur ma hanche, nous nous tenons par les bras et de nos pieds libres, on fouette l'air en direction des deux pouffes. Ça ne me pose aucun problème. Ma sœur est légère et très stable. Ce n'est pas la première fois que nous faisons ce mouvement. On rigole en les voyant reculer craintivement. Nous venons de leur montrer un échantillon de notre capacité à leur péter la tronche.
Nous allons vraiment frapper maintenant. Trois blessées, trois blessures. Nous continuons notre danse différente du reste du groupe, mais qui s'y intègre parfaitement. Mélia écrase le pied de la fille en face d'elle en même temps que moi. Elles vacillent et reculent de quelques pas, manquant de faire tomber leurs coéquipières. Tout cela apparaîtra à la caméra comme des bousculades liées à la proximité. On ne pourra rien prouver même si on est filmées. Elles tiennent bon, mais comprennent la menace quand nous murmurons " Pour Hélène" dans un souffle.
Objectif deux, leur pif. Il suffit d'agiter les pompons devant nous puis, d'une droite rapide et efficace, un bon coup dans les narines pour chacune. Les énormes boules de tissu dissimulent parfaitement notre crime. Personne n'a le temps de voir pourquoi le nez des donzelles se met soudain à saigner. Les deux pouffes ne savent même pas qui a fait cela tant que nous ne chuchotons pas " Pour Lilou". Ma sœur et moi avons intégré la beigne dans la chorégraphie. Les deux frappes ont été si vives et fortes que les deux filles sont étourdies. Elles sont déstabilisées et se trompent dans leurs pas. La nana qui s'est disputée avec les deux tricheuses a clairement vu nos gestes. Elle nous observe Mélia et moi sans dire un mot. Elle se place en protection des autres filles, mais elles, on ne les touchera pas. Ma sœur et moi ne nous occupons que des deux qui ont attaqué nos amies.
Tout en restant dans le rythme de notre équipe, nous improvisons quelques mouvements pour faire reculer nos adversaires. Nous avons encore Sarah à venger. Celle que l'on protège le plus farouchement. Cette fois, c'est moi seule qui frappe pendant que ma jumelle me dissimule avec ses pompons. Je vise leur ventre d'un coup-de-poing si rapide qu'il est invisible. Enfin presque. La troisième nana comprend parfaitement mon geste, mais n'intervient pas. Pourtant, je ne ressens pas de peur chez elle. Plus de la curiosité et de la satisfaction. C'est elle qui souffle calmement "Pour Sarah" à ses deux camarades. Les coups sont finis, mais j'ai envie de continuer à les terroriser.
Ma frangine est aussi énervée et rancunière que moi. Une courte échelle fait voler Mélia dans les airs qui atterrit juste derrière l'une des donzelles. Je profite qu'elles suivent ma sœur du regard pour me placer derrière la seconde. Nos pompons en direction de leur visage, mais sans les toucher et surtout notre cri de folle imitant une tigresse qui rugit à leurs oreilles les fait sursauter et rater leurs mouvements. Elles finissent au sol et nous nous moquons d'elles sans aucune pitié.
La troisième fille se positionne clairement en protection du reste du groupe. Je lui envoie un bisou de défi pour la faire ronchonner et nous reprenons notre place. Elle m’a l'air aussi râleuse et protectrice que moi. Les deux tricheuses se tenant à carreaux, je m'amuse avec l'accord de ma sœur à tester les réflexes de la troisième fille. Histoire de voir à qui on a affaire. Je ne lui fais aucun mal. Elle a rattrapé Sarah et grondé les deux autres. Sa position protectrice et surtout ses réflexes me disent qu'elle est mieux entraînée que le reste de son équipe. Elle évite correctement quelques fausses frappes et reste stoïque quand je suis clairement trop loin.
Très vite, mes agacements ont une réponse souriante quand elle comprend que je ne lui ferais rien et que je joue juste. Une sorte de dialogue muet à coup de pompons à deux centimètres du visage nous laisse voir qu'elle sait aussi se battre. Moins bien que ma sœur et moi, mais avec un bon niveau quand même. Son corps est musclé et souple, très réactif. Ses cheveux châtains, nattés, me semblent longs. Elle maîtrise quelques parades et kata de base. Nous nous amusons à simuler à tour de rôle un combat de félines.
La lueur malicieuse dans ses yeux noisette me prouve qu'elle apprécie autant que moi ce petit aparté. Nous nous arrêtons pour effectuer les quelques portés ou mouvements d'équipes quand c'est nécessaire. Puis, nous reprenons nos taquineries mutuelles. Elle cogne dur et pourrait me faire très mal si nous ne simulions pas. Elle sait que je frapperais plus fort et encaisserais sans broncher. Les deux saletés se cachent au fond de leur groupe et ne bougent plus. Notre petite chamaillerie ne perturbe pas le reste de la choré magnifique de mon groupe.
Avec l'aide de ma frangine, Naya tente un mouvement de lancer et de réception hyper complexe et technique. C'est un succès. Je vois les yeux remplis d'admiration de toute la salle. Les filles sont acclamées. En fin de spectacle, et avant que je ne rende son maillot à Blaise, la troisième nana, qui s'appelle Laetitia vient présenter ses excuses au nom du reste du groupe. Les deux tricheuses sont la capitaine et sa seconde. Leur comportement non-fair-play n'est pas validé par les autres filles. Mais comme elles sont les deux enfants du directeur de l'école, elles ne peuvent rien faire. La dénommée Laetitia me semble sincère et je ne réponds pas à sa pique de félicitations pour les deux teignes qui sont entrées en seconde partie. Cette fille me plaît beaucoup. Son caractère semble proche du mien. Le rire de Naya signifie si bien que les deux bêcheuses n'ont eu que ce qu'elles méritaient que je n’aie pas besoin de rajouter quoi que ce soit.
Mélia fait semblant de me retenir quand la reine des abeilles ose me traiter de remplaçante grassouillette qui ne rentre pas dans la tenue classique pour justifier mon port de maillot masculin. De fausse colère, je vais rendre ses vêtements à Blaise et en profite pour me faire câliner et le tripoter un peu, afin de faire rager ses admiratrices. Maintenant que les chorégraphies sont finies, les yeux de beaucoup de filles s'attardent sur ses abdominaux sans aucune pudeur. Je fais mine de m'extasier et de défaillir. Sarah me laisse faire. Elle commence à avoir l'habitude de mes pratiques douteuses juste pour le plaisir de casser les pieds à quelqu'un, de préférence une fille. Je loue la beauté des abdos et des biceps de mon ami et cherche à le faire rougir. Lui aussi me connaît bien et en rajoute une couche en entrant dans mon jeu. Il me propose ses services pour m'aider à me rhabiller et se fait tirer les oreilles par sa sœur.
Le match ne va pas tarder à reprendre. Tout en reprenant mon treillis si confortable, je gronde les garçons et les incite à ma manière à se montrer plus agressif. Je les traite de chatons inoffensifs qui se pensent des tigres. Je pousse Maltez en sortant du rideau de blazer et l'agace un peu pour rappeler les techniques d'esquives et surtout d'offensives pour faire mordre la poussière aux autres. Bizarrement, il ne s'énerve pas et rigole en me disant d'aller ronronner sur les gradins pendant que les grandes personnes jouent. Il est étrangement de très bonne humeur et presque amical avec moi. Les basketteurs sont beaucoup trop gentils pour être honnêtes. Mon discours les a peut-être reboosté un peu.
Je remonte m'asseoir avant de découvrir la raison de leur si bonne humeur. Ils sont en hyperglycémie en raison de l'abus de sucre des trois pots de pop-corn oubliés qui ont été vidé pendant ma danse. Je trouverais les coupables et ils payeront pour leurs crimes. Comment osent-ils priver une fillette sans défense de nourriture ? C'est une honte. Les billets glissés au fond du dernier paquet, pour me rembourser de la perte financière ne sauront pas calmer ma colère. Je vais racheter trois pots géants en pestant. À la pause entre les deux quarts temps, j'esquive un signe mi-agressif mi-informatif à l'égard de Maltez, que j'ai auto désignée comme coupable principal. Mon majeur simule un tranché de gorge et finit en doigt d'honneur. Ce crétin ose me faire un bisou dans le vent pour m'exaspérer. Naya a suivi le geste, mais ricane en voyant qu'il m'est adressé. Sarah, Blaise et moi sommes les seuls à pouvoir recevoir des bisous de cette andouille sans subir de représailles de jalousie de la part de la reine des abeilles. Les deux premiers puisqu'ils sont comme frère et sœur du grand dadet, moi, puisque nous nous détestons mutuellement.
Les gars ont de nouvelles forces grâce à leur vol honteux et mettent en grande difficulté l'autre équipe durant les deux derniers quarts temps. Ils gagnent haut la main de 54 points contre 32. Ils attrapent les cheerleaders amies et les placent sur leurs épaules pour fêter leur victoire en commun. Du fait des remplacements, nous sommes trois filles de plus, quatre avec Fleur. Alors que je tente de porter ma sœur, on m'en empêche. Maltez a très diplomatiquement mis son bras sur les épaules de Clarissa. Alex porte Hélène sur son dos et pose un bras sur les épaules de Lilou. Thibaut serre fort Mélia et Fleur. Quant à moi, je me fais kidnapper par Blaise. Je m'agrippe au torse de mon pote comme un bébé koala, mes jambes autour de sa taille et faisant tout mon possible pour l'embêter. Sarah fait pareil. Heureusement qu'elle est légère et a un bon équilibre. Aussitôt, ma frangine, Fleur et Lilou nous imitent, puis toutes les pom-pom-girls sauf Clarissa qui préfère rester sage. C'est en beuglant comme des ânes que nous pénétrons tous dans les vestiaires avant que les adultes ne forcent les filles à sortir.
Nous prenons tous une bonne douche et surtout un bon repas. Notre mission de la soirée, conduire nos invités au concert. Tout est parfaitement planifié. Chaque invité est surveillé par l'un des nôtres. Notre plus grand nombre facilite grandement les choses. Mélia et moi assurons les arrières de tous. Par mesure de sécurité, nos amis ont des klaxons dans leurs sacs. Ma frangine et moi avons nos pistolets et nos couteaux soigneusement dissimulés sous nos fringues avec l’accord de la sécurité de l’événement. Le concert est génial et les gamins s'amusent comme des fous. Toute la ville, y compris les jeunes enfants y assistent avec grand plaisir. Les soldats en civils patrouillent dans toute la ville. Ma sœur ou moi envoyons un message à Mitchell à chaque groupe d'adolescents qui rentre. L'une de nous les suit discrètement jusqu'à l'arrivée du bus. Les militaires font à merveille leur boulot. Le service de transport assure à chacun un retour sans aucune mauvaise rencontre. Les habitants coopèrent un minimum et aucun ne rentre à pied.
Mélia et moi sommes dans le tout dernier groupe d'adolescents. Les insomniaques. Il y a trois basketteurs adverses, Maltez, Thibaut et nous deux. Les visiteurs tentent de nous draguer. Cette chipie de Mélia saute dans les bras de Thibaut et laisser entendre qu'ils sont en couple. Tout cela pour me laisser subir les compliments foireux. Comme ils savent que Maltez est avec Naya et surtout comme je ne pourrais jamais supporter même pour me débarrasser des trois boulets le moindre contact physique avec l'autre crétin, je ne peux pas me pendre au cou du grand dadet. Cette andouille les encourage en plus et vante mes jolies gambettes agiles de pom-pom-girls. Histoire de me défouler, je l'accuse du vol de mes pop-corn et me plains bruyamment. Cela a au moins l'avantage de me confirmer que les billets proviennent de lui et de me faire payer à bouffer par les trois andouilles au trop-plein d'hormones.
Durant tout le trajet à pied, je subis une drague lourde et insistante. Ils sont pitoyables. Aucun des trois ne trouve le moindre intérêt à mes yeux. Je ne peux pas répondre ou faire démonstration de mon habituelle mauvaise humeur car je suis en mission et dois garder à l'œil les trois visiteurs. Je souffre en silence.
Je suis enfin sauvée par les hommes qui assurent le service de sécurité et obligent les gars à entrer au dortoir. Nous grimpons dans le dernier bus. Mélia se blottit contre Thibaut qui joue le jeu avec plaisir. Maltez a enfin pitié de moi, ou alors il a peur que je n'étrangle un des trois invités. Il me permet de m'asseoir à côté de lui et joue le pseudo-grand frère protecteur. Nous rentrons. Les garçons nous raccompagnent galamment et nous verrouillons les portes du dortoir des filles derrière nous à triple tour. Je sais que les militaires surveillent et sécurisent les quelques mètres de chemin entre les deux dortoirs. Pourtant, je monte en quatrième vitesse pour m'assurer de les voir entrer et bloquer l'entrée. Maltez me fait un coucou de la main, devinant ma présence derrière le feuillage de mes plants de tomates.
La troisième journée offre un repas géant d'au revoir à la cantine qui nous remplit la panse. Les invités repartent sans se douter de quoi que ce soit. Les militaires remercient les adolescents de les avoir aidés à organiser le séjour de manière sereine. Quelques jours de calme et de joie suivent. Clarissa revient dans le groupe, timidement, pour la remercier d'être venue aider lors de l'incident. Elle est pom-pom-girl remplaçante et retrouve un peu de son prestige. Le calme ne dure pas. Les chaleurs et les beaux jours donnent des envies de sorties aux adolescents et à la population. Très vite, de nouvelles tensions apparaissent. L'ambiance au sein du lycée, et surtout des Terminales qui ont bientôt leur examen, devient électrique.
Moi-même, je commence à avoir les nerfs en pelote. J'en ai marre de tourner en rond et malgré l'aide de Mitchell, je ne fais pas assez de sport pour me détendre. Je traîne avec les Kawai, les seules qui m'apaisent un peu avec ma sœur. J'ai beau enchaîner les pompes et les abdos, je ne parviens pas à rester zen. Heureusement, le couvre-feu est levé au début du mois de juin.
Depuis que je récupère le droit de vagabonder quasiment partout et à n'importe quelle heure, je me détends en pouvant enfin respirer le bon air et surtout travailler avec Grognon. Mon étalon sait comment me calmer. Lui aussi a souffert du manque d'activité. Nous passons des heures à transpirer sans casser les pieds aux autres. Aucune nouvelle attaque ne filtre jusqu'à la fin de l'année scolaire. Pendant l'été, comme pour toutes les vacances, ma jumelle et moi sommes consignées au lycée officiellement.
Un soldat ayant pitié de nous demande à sa hiérarchie que je sois placée sous surveillance rapprochée. Il utilise mes nombreuses infractions comme preuve du besoin de me surveiller de près. Mitchell en rajoute une couche en prétendant que je suis la seule civile impliquée dans toutes les attaques envers la population. Nous pouvons ainsi sortir du lycée pour deux mois et rejoindre un camp militaire proche qui est en fait la nouvelle demeure de certains survivalistes amis de Richard. Cela nous a fait un bien fou.
Annotations