Château fort moderne
Ellipse de six mois.
Richard nous a ramenées chez lui. Grâce au père de Maltez, et à un peu d'argent versé sur le compte déjà vide de mes géniteurs, Parrain a eu l'autorisation officielle de s'occuper de nous. Il est devenu notre tuteur. L'influence de la famille du grand dadet et les relations des Farmer ont permis d'obtenir la résolution de ce désagrément juridique rapidement. Personne ne nous cherchait d'ennuis, cependant Richard aime quand c'est carré. Le directeur du lycée a dissimulé notre fuite sans faire le moindre problème. Il a même accordé le droit de départ à de nombreux élèves qui avaient eu vent des attaques en ville.
Nous voici donc à plusieurs centaines de kilomètres de notre lycée, mais une vingtaine de notre ancien domicile, la ferme de Papinou. Nous sommes déjà venues ici très souvent quand Parrain nous gardait pendant une absence de Papinou. C'est notre seconde maison. Nous avons nos chambres respectives et personnalisées. Rien n'a bougé et le ménage est fait régulièrement. Connaître la région alentour par cœur, chaque odeur, chaque bruit apaise quelque peu mon énervement chronique. Mélia et moi avons déjà une carte mentale de toutes les zones sauvages ou agricoles ainsi que des industries et magasins. Les courses d'orientation façon Papinou sont d'excellentes méthodes d'apprentissage.
Ce n'est pas non plus tout le monde qui abandonnerait régulièrement des fillettes dans des lieux inconnus depuis leurs six ans avec pour seul outil un couteau et une boussole. Bon aussi un garde du corps à mine patibulaire qui restait à distance sans lever le petit doigt. Ma jumelle trichait toujours à cet exercice. Elle disposait de deux armes supplémentaires des plus redoutables par rapport à moi. Son immense sourire et ses joues roses la ramenait à chaque fois en moins d’une heure. Moi, je mettais parfois plusieurs jours avec mes guiboles selon les distances. Bon, je dois reconnaître que je ne rentrais jamais directement. Je profitais de ma liberté pour glandouiller un peu et je faisais aussi des pauses pour tester de nouvelles choses comme le tir à l'arc artisanal ou le braconnage avec lacets de chaussures. Je rendais chèvre Parrain et bien souvent, c'était lui qui me ramenait à coup de pied au postérieur quand je tentais de me débarrasser de lui avec des pièges ou en intoxiquant sa bouffe avec des champignons hallucinogènes. C'était le bon vieux temps.
Je connais parfaitement mon nouveau lieu de vie. Parrain a déniché il y a longtemps un ancien hameau campagnard abandonné, constitué d'une dizaine de maisons et de mas de fermes. Il a commencé à le transformer depuis que je suis tout bébé. Entre son côté asocial et son peu de confiance dans les divers gouvernements, il se fabriquait déjà son propre territoire bunker pour survivalistes. Au fur et à mesure des achats de maisons et de terres, plusieurs bâtiments anciens ont été reliés par d'épaisses constructions pour former un espace assez important et clos, comme une immense cour intérieure. Un mur de plus de cinq mètres de haut sans prise d'escalade a été construit pour sécuriser une bonne étendue de sol fertile, suffisamment de surface pour nourrir quinze personnes et leurs animaux.
Richard s'est inspiré des fortifications médiévales en les améliorant. De l'extérieur, on ne voit qu'un immense mur de pierres avec deux solides ponts-levis. À l'intérieur, c'est totalement différent. Certains morceaux de murs sont des trompe-l'œil qui laissent passer la lumière et illuminent les ruelles. Au besoin, des miroirs savamment disposés renvoient les rayons de soleil dans les coins sombres. Les maisons et les bâtiments sont espacés et permettent une impression d'espace et d'ouverture dans ce lieu clos. Chaque toiture est équipée de panneaux solaires pour fournir eau chaude et électricité. Au sommet du mur, un chemin de ronde avec projecteurs éclairant toute la zone extérieure. Les alentours sont visibles à 360 degrés. On ne rentre sur le chemin de ronde que par l'intérieur. L'entrée dans le hameau ne peut se faire que par l'entrée principale au travers d'un petit pont surplombant la rivière. Le second passage est fermé constamment et ne sert que comme issue de secours au cas où. Au sol, entourant le hameau et fournissant de l'eau à l'intérieur, un fossé profond et bétonné de plusieurs mètres de large et de fond rempli avec l'écoulement naturel de la rivière qui a été détourné légèrement. C’est un petit village médiéval fortifié.
Je sais que des bestioles carnivores nagent dans le fossé. J'ignore lesquelles précisément. Des grilles et filins de sécurité ont été placés au niveau des écluses d'arrivée et de départ de l'écoulement. Richard me fait tourner en bourrique. Une fois, ce sont des silures. Une autre fois, des brochets, des serpents, des sangsues, des piranhas, des crocodiles. J'ai éliminé crocodiles et serpents puisqu'ils pourraient s'enfuir ou attaquer les voisins, ce que Richard ne permettrait jamais. Je penche pour silure ou brochets puisque ça peut se manger au besoin. Hors de question que je plonge dedans pour vérifier. Je m'attends au pire avec sa mine de gamin espiègle.
Avec le temps et je pense l'aide financière de Papinou et d'autres personnes, Parrain a acheté l'ensemble des terres qui se situent entre le hameau et le fleuve, en suivant le parcours de la rivière, ce qui fait une distance de trois kilomètres de long sur deux de large environ à vol d'oiseau. Il réfléchit aujourd'hui avec son équipe sur la façon de sécuriser ce morceau pour les animaux et les cultures par rapport à la menace actuelle. Le peu d'informations dont nous disposons pour l'instant ne permet pas une optimisation de la sécurité. On ne peut pas éclairer une si grande surface, ni couper tous les arbres, fourrés et autres refuges ombragés. Cela demanderait un travail immense et surtout, ce serait nuisible à la faune et flore sauvage et ça, c'est interdit par nos principes. La nature, c'est précieux. Il faut la protéger.
Quand j'étais petite, Richard se préparait pour une guerre mondiale, un truc en rapport avec la nature cupide et rancunière des humains. Bien qu'il envisageât la possibilité d'une épidémie, il ne pensait pas devoir se protéger de monstres. Parrain révise tous ses plans et s'adapte de son mieux à ce changement de situation. Enfin, il avait prévu deux ou trois trucs pour les épidémies, mais pas pour une invasion de créatures. Aucune personne saine d'esprit n'y aurait pensé. Il a besoin d'informations pour s'adapter efficacement. Les terres où nous nous situons sont fertiles mais dépourvues des ressources naturelles intéressantes pour les premiers pilleurs. L'expérience de vie des deux militaires qui nous ont élevés, leur permet de savoir que lors de conflit, les premières choses qui sont recherchées par les profiteurs sont l'or, les pierres précieuses, le pétrole, les bijoux et les armes. Après, vient les filles et les esclaves et en dernier l'eau, la nourriture et les soins. Pour la survie, l'ordre est presque inverse.
Parrain fait en sorte d'avoir de quoi boire, manger et se soigner pour les humains et animaux, tout en ayant assez d'armes, de munitions et de défenses contre les pilleurs. Bien souvent, pour survivre, il faut juste faire en sorte de ne pas attirer l'attention au début. Pendant qu'ils accumulent les choses inutiles, il faut rester suffisamment fort et quand ils seront affamés, être capable de résister. Ils s'entretueront entre eux tout seuls dans les premiers temps. Tout est souvent une question de stratégie dans une guerre. Pas de qui est le plus fort au début.
Nous sommes actuellement une vingtaine de personnes, dont seulement deux filles, deux adolescentes. L'équipe est composée de plusieurs militaires avec chacun leur spécialité, d'un médecin ainsi que d'un professeur de biologie. Officiellement, on est juste une sorte de secte de survivalistes. Des gentils allumés qui ne font de mal à personne. Nous organisons notre quotidien en fonction des capacités de chacun. Nous apprenons tous à tirer, se battre, soigner, s'occuper des animaux, utiliser les tracteurs, etc. Si nous avons des experts, nous apprenons à tout faire au cas où la personne expérimentée disparaîtrait. Une formation à la survie. Survivre, c'est se préparer et apprendre.
Richard est notre chef. C'est le plus haut gradé et surtout le plus chevronné. Il supervise tout et répartit les tâches. Il est le plus instruit sur l'ensemble des connaissances. Il est respecté et écouté par tous. Il est obéi sans broncher, y compris le médecin et le biologiste qui sont des civils. Ils l'ont connu sur des fronts de guerre, où ils étaient présents pour des associations de type Médecins sans frontières. Parrain était le responsable chargé de leur protection et ils lui font une confiance absolue. Richard a toujours été pédagogue à sa manière et enseigne plus ou moins patiemment tout ce qu'il peut avec la méthode la plus appropriée à l'élève. C'est-à-dire avec douceur et gentillesse pour Mélia, coup de pied au derrière pour moi. Le manuel de Papinou est devenu une sorte de bible pour notre groupe. Chacun a son rôle et s'y tient sans souci. Chacun a un remplaçant en cas de défaillance.
Mélia est souvent avec les deux civils à préparer les aspects médicaux. Nous stockons les médicaments et les pansements ainsi que les fournitures diverses comme des scalpels ou des outils de chirurgie. Mon double tente de faire pousser différentes plantes médicinales. Nous avons aussi un élevage de moisissures pour la pénicilline et tout le matos pour distiller les huiles essentielles ou sécher correctement les plantes. Les deux hommes approfondissent ses connaissances. Elle devient une bonne infirmière. Le médecin lui apprend même les bases de certains actes chirurgicaux, comme l'amputation au cas où. Elle prend part aussi aux soins aux animaux ou aux tâches domestiques comme le ménage ou la cuisine. Sa douceur, sa patience, sa rigueur et surtout sa gentillesse nous apaise tous. Tout le monde l'adore et la chouchoute.
À la demande de ma jumelle, ainsi qu'à celle du médecin et du biologiste, l'intérieur du village est pourvu de décorations utiles mais réchauffant l'ambiance quelque peu militaire. Des couleurs vives, des fleurs certes comestibles ou médicinales, des petits carillons, quelques fontaines... Tout est fait pour préserver du mieux possible la santé mentale qui pourrait pâtir des conditions de vie. Certains murs sont recouverts de véritables œuvres d'art par mon double d'amour. Nous nous forçons à garder quelques beaux vêtements et à les porter un jour par semaine. Les hommes se rasent régulièrement et coupent leurs cheveux. Nous gardons tous un aspect propre et entretenu. Nous nous autorisons des pauses futiles comme des bagarres de paintball ou des barbecues géants. Richard et Mélia tiennent absolument à ces instants de relâche mentale qui assurent notre bien-être général.
Ma connerie et ma mauvaise foi sont souvent à l'origine de bonne partie de fous rires. Les blagues ou tentatives d'attaques à l'encontre de Parrain me valent souvent des réprimandes ou des vengeances. Pendant que Richard et moi, nous nous chamaillons, les autres se roulent d'amusement devant notre stupidité et notre esprit vicieux et tordu sans jamais prendre parti pour l'un ou pour l'autre. Ils ont trop peur des représailles. Bien qu'on hurle souvent, dans le fond, cela fait travailler notre cerveau et notre sens de la stratégie. Et puis on rigole bien, y compris quand on finit tous les deux dans la fosse à purin après s'être battus sur les toits. Richard est aussi grave que moi sous ses dehors sérieux et mature. Mais nos âneries restent à l'intérieur du hameau. Nous voulons garder notre semblant de sérieux aux yeux des externes du domaine.
Tant que le risque est limité, nous allons tous discuter avec les voisins et entretenons des liens amicaux et sociaux. Les artisans du coin nous aiment bien ainsi que les agriculteurs. On est des doux dingues qui payent bien. On promet une place en cas de danger sans révéler nos informations. Mélia refait du baby-sitting et du caritatif près de nos nouveaux voisins et nous attire de la sympathie. En plus, notre équipe est en train de nettoyer et sécuriser à coup de pelleteuse le fleuve et la rivière afin de limiter les inondations futures dans le secteur. Nous laissons les élevages voisins pâturer dans nos prés vides et troquons ou offrons le surplus d'œufs, de fruits et de légumes aux écoles ou associations de la région. Notre entrée est toujours ouverte et nous aidons dès que possible les habitants des environs. Nombreux sont ceux qui viennent visiter la demeure des gentils loufoques que nous sommes, par curiosité le week-end.
Près de l'entrée, une maison a été aménagée en "infirmerie prison". Une salle d'opération, cinq belles chambres indépendantes, mais closes, avec deux grands lits confortables par chambre. Un beau lavabo avec miroir et une petite douche complètent chaque mini appartement cellule. Des petits objets de décoration sont disséminés pour rendre les lieux plus chaleureux, agrémentés de quelques livres et d'une télévision. Des chambres d'hôtel, avec de belles et grandes fenêtres pourvues de barreaux solides, et une porte d'entrée blindée sont installées. On voit la lumière extérieure, mais on ne peut pas sortir ou y entrer. Pour accueillir de futurs malades et vérifier s'ils sont contaminés sans les laisser s'échapper et nous mettre en danger. Des caméras pour surveiller les chambres. Aucune communication entre elles sauf au travers d'un micro et des haut-parleurs. Un sas de sécurité pour entrer ou sortir de chacune. Des portes d'entrée verrouillables par l'intérieur ou l'extérieur selon d'où vient le risque.
Un des anciens mas de ferme a été aménagé en grange améliorée. Trois camions-citernes d'essence sont rangés sagement à l'intérieur. Nous avons aussi plusieurs groupes électrogènes, d'autres véhicules et du matériel variés. Elle accueille dans sa partie droite les chevaux et leur nourriture. Deux autres sections communicantes ont été rajoutées pour entreposer les stocks et les véhicules. Chaque section peut être verrouillée et condamnée. Ainsi, si un mur tombe, on peut se réfugier dans les trois segments. Si l'écurie tombe, on peut évacuer les chevaux.
En plus d'Etoile et de Grognon, plusieurs chevaux rapides et quelques-uns de trait forment un troupeau équin disparate qui s'entend plutôt bien. Les montures légères nous servent à nous déplacer principalement et pour quelques petits travaux de force. Ceux de traits permettent le labourage à l'intérieur de l'enceinte, mais aussi quelques tâches nécessitant de la puissance dans un petit espace comme du débardage dans les bois. Parrain prévoit toujours le pire et envisage des solutions si les tracteurs tombent en panne ou à court d'essence. Nous avons la localisation de trois élevages équins dans les environs proches et plusieurs agriculteurs logent nos chevaux en échange de menus services.
Je traîne beaucoup avec Richard. Mélia se moque de moi en disant que j'ai besoin d'une figure paternelle. Ce n'est pas complétement faux, toutefois, Parrain et Papinou ont toujours été mes références en termes de gent masculine. C’est dire le haut niveau que j’exige pour les mecs. En réalité, il n'y a qu'elle et Parrain qui savent comment me mettre au pas. Tout le groupe me respecte et me traite comme le second de Richard, comme la petite fille du Général Farmer. À leurs yeux, je suis une personne ayant de grandes capacités stratégiques et de combat, mais qui a encore besoin d'apprendre la diplomatie. Je ne vois pas encore l'utilité de cet apprentissage. Je fonctionne d'une manière beaucoup plus simple. On ne négocie pas avec des créatures ou des malfrats. On les bute, point final.
Avec l'aide de Richard et celle de quelques compatriotes, nous finissons de sécuriser chaque domicile ou bâtiment de manière individuelle. Des barreaux sont posés aux fenêtres. Les portes sont blindées. Les différents toits sont ornés d'ouvertures velux permettant le tir au loin et de projecteurs éclairant les alentours. Les toitures de chaque bâtiment sont en panneaux solaires pour produire eau chaude et électricité, mais suffisamment solides pour permettre de marcher dessus afin d'avoir un point de tir ou de sécurité en hauteur. Des plants de tomates ou des pots de maraîchages fournissent un apport supplémentaire en nourriture au besoin. Chaque bâtiment devient un refuge potentiel pouvant résister contre des attaques nocturnes d'animaux ou d'humains non armés. Un immense système anti-incendie les protège des risques de feu. Si pour l'instant, nous tenons tous facilement dans le bâtiment principal central, nous avons de quoi accueillir une centaine de personnes en termes de lits et de logements. Pour la nourriture, c'est moins sûr.
Les murs d'enceinte du village sont pourvus en hauteur de meurtrières refermables pour pouvoir tirer sur les éventuels intrus qui voudraient rentrer, tout en restant à l'abri. La conception de l'organisation du hameau par un sniper est flagrante. Les alentours de notre hameau sont dépourvus d'obstacles à la vision. Des postes de tirs debout ou allongés sont disséminés en hauteur tout le long du chemin de ronde. Des points de ravitaillement en armes et munitions sont disposés régulièrement dans chaque recoin. Des robinets d'essence avec pompe autonome sont également répartis de manière à pouvoir jouer au barbecue avec des lance-flammes perfectionnés sur ce qui tenterait de grimper sur le mur extérieur. À la suite des attaques de rats, une substance proche du verre a été coulée côté extérieur sauvage pour lisser et empêcher l'escalade y compris à un grand nombre d'animaux. À part des lézards et des oiseaux, rien ne rentre sans notre accord.
À l'intérieur du village, une volière sécurisée est installée et mélange lapins, poules pondeuses et oies. Ils seront notre apport principal de protéines animales. Leur élevage est facile avec quelques notions et leur rapidité de reproduction permet de s'ajuster facilement aux besoins. Un grillage fin d'acier a été posé à trois mètres de profondeur puis recouvert de terre lors de la construction. Nul plus gros qu'un ver de terre ne sort ou rentre par les fondations. Le bâtiment central avec de nombreuses petites entrées de chaque côté permet un accès à un petit extérieur clôturé et un abri bétonné pour la nuit. Un couloir interne permet aux humains de rentrer dans les enclos. Un simple grillage tendu différencie les zones au sol. Des filets souples isolent à hauteur de plafond. Plusieurs troncs ou autres suspensions permettent aux volatiles de voler et de se poser en hauteur tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. Les mâles sont séparés dans plusieurs petits espaces afin de pouvoir les alterner pour la génétique.
Un endroit est prévu pour les poules "fécondées" et leurs poussins, un autre pour les poules pondeuses réformées à destination de la casserole et un dernier, le plus grand, pour celles qui fourniront des œufs non fécondés. Sur le même principe de reproduction, des lapins partagent l'espace des poules. Lapins mâles avec les coqs ou jars ; lapines et lapereaux avec poules, oies, poussins et oisons. Les lapins apporteront une viande de qualité et des morceaux de fourrure. Les oies fourniront aussi des œufs et de la viande, mais leur boulot principal, c'est la protection du poulailler. On les a choisis avec un caractère similaire au mien. Protectrices et agressives.
Un gros bâtiment éloigné des parties destinées aux habitations humaines est le nouveau domicile des cochons. Trois verrats, beaucoup de cochettes et truies pour la reproduction, le reste pour la nourriture. C'est plus difficile à entretenir et ça pue atrocement, mais c'est une source de viande appréciable pour varier. En plus, les cochons peuvent servir au médecin pour des expériences ou la production de vaccins même si je n'ai pas tout compris à la théorie. Deux bergeries sont voisines pour des moutons et des chèvres et une étable pour des vaches. Pour l'instant, comme on ne peut pas sécuriser les pâturages, on n'a pas acheté ces animaux. Toutefois, on prévoit la place au cas où.
Un petit plan d'eau intérieur permet de fournir l'eau aux animaux au sein du mas, permet d'irriguer et sert également de mini-pisciculture carpe/truite. Je suis chargée de la chasse aux grenouilles qui viennent squatter. Le nombre de poissons est faible mais appréciable. Un forage est fait en plein milieu de la cour intérieure pour l'eau potable pour les humains, il puise dans une nappe d'eau souterraine à l'abri de contamination et aussi suffisamment profond pour être constamment approvisionné.
Deux grandes serres sont montées dans l'enceinte protégée. Elles nous permettront de produire des légumes et des fruits toute l'année. Un séchoir/fumoir de grande capacité est construit pour permettre la conservation des viandes et de certains végétaux. Plusieurs vergers sont dans les alentours du mas, sur des terres nous appartenant. Un mini barrage hydraulique est installé au niveau des écluses de la fosse. Pour l'instant, l'électricité produite est envoyée vers le réseau public. Mais un simple commutateur peut l'envoyer vers la ferme. Pour l'instant, nous sommes ouverts au monde extérieur, mais en moins d'une heure, nous pouvons nous refermer en totale autarcie pour plusieurs années.
Disséminées à plusieurs endroits au sein du village, là où la sécurité est maximale, six petites chambres froides indépendantes sont installées. De la taille au sol pouvant garer un tracteur, et hautes de trois mètres, elles peuvent stocker un grand nombre d'aliments entre la température d'un congélateur et celle d'un frigo. Des pallox superposables complètent l'arsenal d'entreposage possible dans chacune d'elles. Pour le moment, nous n'en utilisons que deux en alternance pour ne pas user les moteurs et favoriser un vide sanitaire.
Nous sommes autonomes pour quinze à vingt personnes à l'exception pour ce qui est du matériel médical et des médicaments que l'on stocke au maximum. De grandes quantités de nourriture peu périssable, d'eau potable, de matériel varié et surtout d'armes, de munitions et de produits chimiques de traitement des cultures ou de soin du vivant s'additionnent et se renouvellent très souvent. Rien qu'avec ce qu'il y a à l'intérieur de la forteresse, avec les potagers et les animaux, nous pouvons tenir un bon bout de temps en cas de siège. D'après les calculs du biologiste, avec une bonne gestion, on peut tenir plus de dix ans à vingt-cinq personnes sans manquer de nourriture en supposant qu'il n'y a pas de pertes humaines liées à des attaques ou à des épidémies. Ou que les femelles ne se reproduisent pas, ce qui est peu probable vu qu'on est entourés de vieux schnocks et que le premier qui songe à toucher à un de nos cheveux finira en steak haché soit par mes soins, soit par ceux de Parrain soit par tous les gars qui nous traitent comme leur propre fille. Sinon, ils peuvent fâcher Mélia à leurs risques et périls. Même Parrain et moi, on a peur d'elle quand elle est en colère.
Pour les besoins en soins et ceux en armes, c'est très difficile d'évaluer correctement la situation. Nous ignorons ce qui va arriver précisément. Un plan détaillé de la région a été installé dans la pièce principale du bâtiment d'habitation central. Les lieux stratégiques tels les magasins d'alimentation, les stations-essences, les grossistes en armes, les points d'eau sont indiqués avec des punaises. Nous inventorions de notre mieux les dépôts secondaires possibles de stocks aux alentours de type pharmacies, cliniques humaines ou vétérinaires, petits laboratoires d'analyses médicales, stands de tir, gendarmeries, commissariats ou base militaire.
Richard est méticuleux. Il agit en silence, sans alerter. Si je ne le connaissais pas aussi bien, je pourrais croire qu'il prépare un coup d'Etat. En élargissant peu à peu le cercle de ses cartes, il détaille chaque zone en prévision d'une expansion de territoire. Nous ignorons beaucoup de détails sur le danger "créatures" mais le médecin et le biologiste nous font agir comme pour une épidémie. Dans ce cas-là, les gouvernants se planquent ou tombent et la population est alors soumise à la loi de la jungle. Richard et ses gars sont des rois de la savane à ce jeu-là. La bassesse humaine n'a malheureusement plus de secrets pour eux. C'est ce qui fait notre chance et notre espoir. Nous nous attendons au pire sans perdre la tête. De redoutables prédateurs avec un instinct de survie aiguisé et expérimenté qui auront eu du temps pour se préparer.
Les armes sont stockées à trois endroits différents en cas d'attaques ou d'incendie. Nous avons cinq radios CB. Nous apprenons tous à nous en servir. L'un des hommes nous montre comment enregistrer et diffuser un message via les ondes. Nous localisons les antennes et les stations de radios locales. Les bases de fonctionnement et de piratage des petits émetteurs locaux sont vite maîtrisées. Certains animateurs radios locaux nous donnent un double des clés du studio en riant, tant on inspire la sympathie.
Peu à peu, nous construisons et adaptons notre refuge en lieu ultra sécurisé pour survivalistes extrêmes. Tout est réfléchi et décidé en commun avec suivi en priorité de l'expert du domaine. Quelques voisins cools acceptent de prêter des machines ou des locaux comme point de ravitaillement secondaires. Nous sécurisons quelques abris agricoles ou de chasses éparses. Les enfants découvrent avec bonheur la construction de cabanes perchées dans les arbres qui deviennent des lieux de jeux très amusants. Avec l’accord de leurs parents ou de leurs professeurs, nous leur apprenons à fabriquer des arcs et des flèches, à reconnaître les bons champignons, à faire des garrots...
En farfouillant dans le village, j'ai découvert quelques cachotteries de Parrain. Deux beaux tanks, quelques missiles et le nécessaire pour le lancement planqué bien à l'abri sous une fausse façade ou dans des espaces cachés entre deux murs. J'ai également trouvé l'une des entrées des souterrains façons bunker. Je me suis fait botter les fesses quand il m'a trouvé en train de redécorer la pièce qui ressemblait le plus à ce qui pourrait être sa chambre en rose bonbon avec Mélia. Ma jumelle n'a eu aucun blâme comme toujours. Nos questions incessantes ont permis d'avoir confirmation que tout cela n'est pas connu de ses gars et date de notre enfance.
Papinou et lui avait choisi cet endroit pour d'autres raisons que les terres fertiles. Une guerre eut lieu, il y a presque cent ans et le sol des environs est truffé de petits bunkers. Richard a relié peu à peu tous ceux qui étaient sur ses terres, et même un peu au-delà. En cas d'attaque nucléaire, on pourra survivre à l'intérieur de cette mini-ville enterrée. Pas tous, mais un bon petit nombre. En presque vingt ans, le boulot effectué à l'abri des regards est impressionnant. Les stocks enfouis sont minces et principalement des armes, cependant, la place dont nous disposons de manière secrète est impressionnante.
Toujours dans une logique de préparation pour une survie de longue durée, j'ai fait remarquer à mon tuteur un mini laboratoire chimique dans une ville voisine. L'endroit me semble idéal pour fabriquer discrètement des bombes à partir de l'engrais et des déjections animales. Les magasins de matériel agricole deviennent de nouvelles punaises. Je me découvre une nouvelle passion pour ce qui explose et brûle. Une véritable fascination pour le feu. Parrain bride mes instincts de pyromane en herbe en riant. Je fais déjà assez de bêtises comme ça.
Il ne sait déjà rien faire contre mon aversion pour les rats et mon génocide par braconnage des environs lui pose quelques soucis diplomatiques à cause de chats ou petits chiens qui disparaissent quelques jours. Toutefois, je n'extermine que les rats. Je relâche toujours les autres animaux. Je n'aimais déjà pas avant ces saletés de rongeurs. Maintenant, c'est une haine farouche en dépit de toutes les tentatives pour me raisonner sur leur rôle dans l'écosystème. Je m'en fous royalement. Ils peuvent devenir des créatures alors par principe de précaution, je les élimine systématiquement. J’ai un problème existentiel avec les rats.
Dans cette zone agricole, ils pullulent. Que ce soient les rats bruns d'égouts ou les noirs, tous les rongeurs et petits prédateurs mangeant de la viande ou du grain même occasionnellement finissent dans mes pièges. Belettes, fouines, renards et blaireaux, parfois, sont libérés sans problème. La peau des rats suffisamment gros est stockée pour la fourrure. Les souris, campagnols et la chair sont brûlés puis broyés pour finir au compost ou en nourriture d'appoint après stérilisation pour les poules et les cochons. Les agriculteurs les plus proches commencent à voir les effets de mon intense activité sans savoir pourquoi la population de rongeurs diminue. Eux aussi n'aiment pas les rats alors ils sont contents.
Je pense que quelques-uns se doutent de mes activités illicites. Certains de mes pièges sont visités et nettoyés ou réparés. Parfois, un petit cadeau est posé à proximité. De l'argent, des fleurs, une boite de conserve ou un pot de confiture sont de plus en plus réguliers. Je crois que les dégâts qu'ils font dans les greniers ou les poulaillers devenaient trop importants. Déjà à l'époque de Papinou, nous avions commencé un contrôle des populations aux alentours de notre maison d'enfance. Les mairies alentour offraient des récompenses lors de l'apport des queues, ce qui arrondissait nos cagnottes d'argent de poche. Bien que ce soit principalement moi qui braconnais, je partageais toujours l'argent avec mon double.
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