Château fort moderne 1/2

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Ellipse de six mois.

Richard nous a ramenées chez lui. Grâce au père de Maltez, et à un peu d'argent versé sur le compte déjà vide de mes géniteurs, Parrain a eu l'autorisation officielle de s'occuper de nous. Il est devenu notre tuteur. L'influence de la famille du grand dadet et les relations des Farmer ont permis d'obtenir la résolution de ce désagrément juridique rapidement. Personne ne nous cherchait d'ennuis, cependant Richard aime quand c'est carré. Le directeur du lycée a dissimulé notre fuite sans faire le moindre problème. Il a même accordé le droit de départ à de nombreux élèves qui avaient eu vent des attaques en ville.

Nous voici donc à plusieurs centaines de kilomètres de notre lycée, mais une vingtaine de notre ancien domicile, la ferme de Papinou. Nous sommes déjà venues ici très souvent quand Parrain nous gardait pendant une absence de Papinou. C'est notre seconde maison. Nous avons nos chambres respectives et personnalisées. Rien n'a bougé et le ménage est fait régulièrement. Connaître la région alentour par cœur, chaque odeur, chaque bruit apaise quelque peu mon énervement chronique. Mélia et moi avons déjà une carte mentale de toutes les zones sauvages ou agricoles ainsi que des industries et magasins. Les courses d'orientation façon Papinou sont d'excellentes méthodes d'apprentissage.

Ce n'est pas non plus tout le monde qui abandonnerait régulièrement des fillettes dans des lieux inconnus depuis leurs six ans avec pour seul outil un couteau et une boussole. Bon aussi un garde du corps à mine patibulaire qui restait à distance sans lever le petit doigt. Ma jumelle trichait toujours à cet exercice. Elle disposait de deux armes supplémentaires des plus redoutables par rapport à moi. Son immense sourire et ses joues roses la ramenait à chaque fois en moins d’une heure. Moi, je mettais parfois plusieurs jours avec mes guiboles selon les distances. Bon, je dois reconnaître que je ne rentrais jamais directement. Je profitais de ma liberté pour glandouiller un peu et je faisais aussi des pauses pour tester de nouvelles choses comme le tir à l'arc artisanal ou le braconnage avec lacets de chaussures. Je rendais chèvre Parrain et bien souvent, c'était lui qui me ramenait à coup de pied au postérieur quand je tentais de me débarrasser de lui avec des pièges ou en intoxiquant sa bouffe avec des champignons hallucinogènes. C'était le bon vieux temps.

Je connais parfaitement mon nouveau lieu de vie. Parrain a déniché il y a longtemps un ancien hameau campagnard abandonné, constitué d'une dizaine de maisons et de mas de fermes. Il a commencé à le transformer depuis que je suis tout bébé. Entre son côté asocial et son peu de confiance dans les divers gouvernements, il se fabriquait déjà son propre territoire bunker pour survivalistes. Au fur et à mesure des achats de maisons et de terres, plusieurs bâtiments anciens ont été reliés par d'épaisses constructions pour former un espace assez important et clos, comme une immense cour intérieure. Un mur de plus de cinq mètres de haut sans prise d'escalade a été construit pour sécuriser une bonne étendue de sol fertile, suffisamment de surface pour nourrir quinze personnes et leurs animaux.

Richard s'est inspiré des fortifications médiévales en les améliorant. De l'extérieur, on ne voit qu'un immense mur de pierres avec deux solides ponts-levis. À l'intérieur, c'est totalement différent. Certains morceaux de murs sont des trompe-l'œil qui laissent passer la lumière et illuminent les ruelles. Au besoin, des miroirs savamment disposés renvoient les rayons de soleil dans les coins sombres. Les maisons et les bâtiments sont espacés et permettent une impression d'espace et d'ouverture dans ce lieu clos. Chaque toiture est équipée de panneaux solaires pour fournir eau chaude et électricité. Au sommet du mur, un chemin de ronde avec projecteurs éclairant toute la zone extérieure. Les alentours sont visibles à 360 degrés. On ne rentre sur le chemin de ronde que par l'intérieur. L'entrée dans le hameau ne peut se faire que par l'entrée principale au travers d'un petit pont surplombant la rivière. Le second passage est fermé constamment et ne sert que comme issue de secours au cas où. Au sol, entourant le hameau et fournissant de l'eau à l'intérieur, un fossé profond et bétonné de plusieurs mètres de large et de fond rempli avec l'écoulement naturel de la rivière qui a été détourné légèrement. C’est un petit village médiéval fortifié.

Je sais que des bestioles carnivores nagent dans le fossé. J'ignore lesquelles précisément. Des grilles et filins de sécurité ont été placés au niveau des écluses d'arrivée et de départ de l'écoulement. Richard me fait tourner en bourrique. Une fois, ce sont des silures. Une autre fois, des brochets, des serpents, des sangsues, des piranhas, des crocodiles. J'ai éliminé crocodiles et serpents puisqu'ils pourraient s'enfuir ou attaquer les voisins, ce que Richard ne permettrait jamais. Je penche pour silure ou brochets puisque ça peut se manger au besoin. Hors de question que je plonge dedans pour vérifier. Je m'attends au pire avec sa mine de gamin espiègle.

Avec le temps et je pense l'aide financière de Papinou et d'autres personnes, Parrain a acheté l'ensemble des terres qui se situent entre le hameau et le fleuve, en suivant le parcours de la rivière, ce qui fait une distance de trois kilomètres de long sur deux de large environ à vol d'oiseau. Il réfléchit aujourd'hui avec son équipe sur la façon de sécuriser ce morceau pour les animaux et les cultures par rapport à la menace actuelle. Le peu d'informations dont nous disposons pour l'instant ne permet pas une optimisation de la sécurité. On ne peut pas éclairer une si grande surface, ni couper tous les arbres, fourrés et autres refuges ombragés. Cela demanderait un travail immense et surtout, ce serait nuisible à la faune et flore sauvage et ça, c'est interdit par nos principes. La nature, c'est précieux. Il faut la protéger.

Quand j'étais petite, Richard se préparait pour une guerre mondiale, un truc en rapport avec la nature cupide et rancunière des humains. Bien qu'il envisageât la possibilité d'une épidémie, il ne pensait pas devoir se protéger de monstres. Parrain révise tous ses plans et s'adapte de son mieux à ce changement de situation. Enfin, il avait prévu deux ou trois trucs pour les épidémies, mais pas pour une invasion de créatures. Aucune personne saine d'esprit n'y aurait pensé. Il a besoin d'informations pour s'adapter efficacement. Les terres où nous nous situons sont fertiles mais dépourvues des ressources naturelles intéressantes pour les premiers pilleurs. L'expérience de vie des deux militaires qui nous ont élevés, leur permet de savoir que lors de conflit, les premières choses qui sont recherchées par les profiteurs sont l'or, les pierres précieuses, le pétrole, les bijoux et les armes. Après, vient les filles et les esclaves et en dernier l'eau, la nourriture et les soins. Pour la survie, l'ordre est presque inverse.

Parrain fait en sorte d'avoir de quoi boire, manger et se soigner pour les humains et animaux, tout en ayant assez d'armes, de munitions et de défenses contre les pilleurs. Bien souvent, pour survivre, il faut juste faire en sorte de ne pas attirer l'attention au début. Pendant qu'ils accumulent les choses inutiles, il faut rester suffisamment fort et quand ils seront affamés, être capable de résister. Ils s'entretueront entre eux tout seuls dans les premiers temps. Tout est souvent une question de stratégie dans une guerre. Pas de qui est le plus fort au début.

Nous sommes actuellement une vingtaine de personnes, dont seulement deux filles, deux adolescentes. L'équipe est composée de plusieurs militaires avec chacun leur spécialité, d'un médecin ainsi que d'un professeur de biologie. Officiellement, on est juste une sorte de secte de survivalistes. Des gentils allumés qui ne font de mal à personne. Nous organisons notre quotidien en fonction des capacités de chacun. Nous apprenons tous à tirer, se battre, soigner, s'occuper des animaux, utiliser les tracteurs, etc. Si nous avons des experts, nous apprenons à tout faire au cas où la personne expérimentée disparaîtrait. Une formation à la survie. Survivre, c'est se préparer et apprendre.

Richard est notre chef. C'est le plus haut gradé et surtout le plus chevronné. Il supervise tout et répartit les tâches. Il est le plus instruit sur l'ensemble des connaissances. Il est respecté et écouté par tous. Il est obéi sans broncher, y compris le médecin et le biologiste qui sont des civils. Ils l'ont connu sur des fronts de guerre, où ils étaient présents pour des associations de type Médecins sans frontières. Parrain était le responsable chargé de leur protection et ils lui font une confiance absolue. Richard a toujours été pédagogue à sa manière et enseigne plus ou moins patiemment tout ce qu'il peut avec la méthode la plus appropriée à l'élève. C'est-à-dire avec douceur et gentillesse pour Mélia, coup de pied au derrière pour moi. Le manuel de Papinou est devenu une sorte de bible pour notre groupe. Chacun a son rôle et s'y tient sans souci. Chacun a un remplaçant en cas de défaillance.

Mélia est souvent avec les deux civils à préparer les aspects médicaux. Nous stockons les médicaments et les pansements ainsi que les fournitures diverses comme des scalpels ou des outils de chirurgie. Mon double tente de faire pousser différentes plantes médicinales. Nous avons aussi un élevage de moisissures pour la pénicilline et tout le matos pour distiller les huiles essentielles ou sécher correctement les plantes. Les deux hommes approfondissent ses connaissances. Elle devient une bonne infirmière. Le médecin lui apprend même les bases de certains actes chirurgicaux, comme l'amputation au cas où. Elle prend part aussi aux soins aux animaux ou aux tâches domestiques comme le ménage ou la cuisine. Sa douceur, sa patience, sa rigueur et surtout sa gentillesse nous apaise tous. Tout le monde l'adore et la chouchoute.

À la demande de ma jumelle, ainsi qu'à celle du médecin et du biologiste, l'intérieur du village est pourvu de décorations utiles mais réchauffant l'ambiance quelque peu militaire. Des couleurs vives, des fleurs certes comestibles ou médicinales, des petits carillons, quelques fontaines... Tout est fait pour préserver du mieux possible la santé mentale qui pourrait pâtir des conditions de vie. Certains murs sont recouverts de véritables œuvres d'art par mon double d'amour. Nous nous forçons à garder quelques beaux vêtements et à les porter un jour par semaine. Les hommes se rasent régulièrement et coupent leurs cheveux. Nous gardons tous un aspect propre et entretenu. Nous nous autorisons des pauses futiles comme des bagarres de paintball ou des barbecues géants. Richard et Mélia tiennent absolument à ces instants de relâche mentale qui assurent notre bien-être général.

Ma connerie et ma mauvaise foi sont souvent à l'origine de bonne partie de fous rires. Les blagues ou tentatives d'attaques à l'encontre de Parrain me valent souvent des réprimandes ou des vengeances. Pendant que Richard et moi, nous nous chamaillons, les autres se roulent d'amusement devant notre stupidité et notre esprit vicieux et tordu sans jamais prendre parti pour l'un ou pour l'autre. Ils ont trop peur des représailles. Bien qu'on hurle souvent, dans le fond, cela fait travailler notre cerveau et notre sens de la stratégie. Et puis on rigole bien, y compris quand on finit tous les deux dans la fosse à purin après s'être battus sur les toits. Richard est aussi grave que moi sous ses dehors sérieux et mature. Mais nos âneries restent à l'intérieur du hameau. Nous voulons garder notre semblant de sérieux aux yeux des externes du domaine.

Tant que le risque est limité, nous allons tous discuter avec les voisins et entretenons des liens amicaux et sociaux. Les artisans du coin nous aiment bien ainsi que les agriculteurs. On est des doux dingues qui payent bien. On promet une place en cas de danger sans révéler nos informations. Mélia refait du baby-sitting et du caritatif près de nos nouveaux voisins et nous attire de la sympathie. En plus, notre équipe est en train de nettoyer et sécuriser à coup de pelleteuse le fleuve et la rivière afin de limiter les inondations futures dans le secteur. Nous laissons les élevages voisins pâturer dans nos prés vides et troquons ou offrons le surplus d'œufs, de fruits et de légumes aux écoles ou associations de la région. Notre entrée est toujours ouverte et nous aidons dès que possible les habitants des environs. Nombreux sont ceux qui viennent visiter la demeure des gentils loufoques que nous sommes, par curiosité le week-end.

Près de l'entrée, une maison a été aménagée en "infirmerie prison". Une salle d'opération, cinq belles chambres indépendantes, mais closes, avec deux grands lits confortables par chambre. Un beau lavabo avec miroir et une petite douche complètent chaque mini appartement cellule. Des petits objets de décoration sont disséminés pour rendre les lieux plus chaleureux, agrémentés de quelques livres et d'une télévision. Des chambres d'hôtel, avec de belles et grandes fenêtres pourvues de barreaux solides, et une porte d'entrée blindée sont installées. On voit la lumière extérieure, mais on ne peut pas sortir ou y entrer. Pour accueillir de futurs malades et vérifier s'ils sont contaminés sans les laisser s'échapper et nous mettre en danger. Des caméras pour surveiller les chambres. Aucune communication entre elles sauf au travers d'un micro et des haut-parleurs. Un sas de sécurité pour entrer ou sortir de chacune. Des portes d'entrée verrouillables par l'intérieur ou l'extérieur selon d'où vient le risque.

Un des anciens mas de ferme a été aménagé en grange améliorée. Trois camions-citernes d'essence sont rangés sagement à l'intérieur. Nous avons aussi plusieurs groupes électrogènes, d'autres véhicules et du matériel variés. Elle accueille dans sa partie droite les chevaux et leur nourriture. Deux autres sections communicantes ont été rajoutées pour entreposer les stocks et les véhicules. Chaque section peut être verrouillée et condamnée. Ainsi, si un mur tombe, on peut se réfugier dans les trois segments. Si l'écurie tombe, on peut évacuer les chevaux.

En plus d'Etoile et de Grognon, plusieurs chevaux rapides et quelques-uns de trait forment un troupeau équin disparate qui s'entend plutôt bien. Les montures légères nous servent à nous déplacer principalement et pour quelques petits travaux de force. Ceux de traits permettent le labourage à l'intérieur de l'enceinte, mais aussi quelques tâches nécessitant de la puissance dans un petit espace comme du débardage dans les bois. Parrain prévoit toujours le pire et envisage des solutions si les tracteurs tombent en panne ou à court d'essence. Nous avons la localisation de trois élevages équins dans les environs proches et plusieurs agriculteurs logent nos chevaux en échange de menus services.

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