Château fort moderne 2/2
Je traîne beaucoup avec Richard. Mélia se moque de moi en disant que j'ai besoin d'une figure paternelle. Ce n'est pas complétement faux, toutefois, Parrain et Papinou ont toujours été mes références en termes de gent masculine. C’est dire le haut niveau que j’exige pour les mecs. En réalité, il n'y a qu'elle et Parrain qui savent comment me mettre au pas. Tout le groupe me respecte et me traite comme le second de Richard, comme la petite fille du Général Farmer. À leurs yeux, je suis une personne ayant de grandes capacités stratégiques et de combat, mais qui a encore besoin d'apprendre la diplomatie. Je ne vois pas encore l'utilité de cet apprentissage. Je fonctionne d'une manière beaucoup plus simple. On ne négocie pas avec des créatures ou des malfrats. On les bute, point final.
Avec l'aide de Richard et celle de quelques compatriotes, nous finissons de sécuriser chaque domicile ou bâtiment de manière individuelle. Des barreaux sont posés aux fenêtres. Les portes sont blindées. Les différents toits sont ornés d'ouvertures velux permettant le tir au loin et de projecteurs éclairant les alentours. Les toitures de chaque bâtiment sont en panneaux solaires pour produire eau chaude et électricité, mais suffisamment solides pour permettre de marcher dessus afin d'avoir un point de tir ou de sécurité en hauteur. Des plants de tomates ou des pots de maraîchages fournissent un apport supplémentaire en nourriture au besoin. Chaque bâtiment devient un refuge potentiel pouvant résister contre des attaques nocturnes d'animaux ou d'humains non armés. Un immense système anti-incendie les protège des risques de feu. Si pour l'instant, nous tenons tous facilement dans le bâtiment principal central, nous avons de quoi accueillir une centaine de personnes en termes de lits et de logements. Pour la nourriture, c'est moins sûr.
Les murs d'enceinte du village sont pourvus en hauteur de meurtrières refermables pour pouvoir tirer sur les éventuels intrus qui voudraient rentrer, tout en restant à l'abri. La conception de l'organisation du hameau par un sniper est flagrante. Les alentours de notre hameau sont dépourvus d'obstacles à la vision. Des postes de tirs debout ou allongés sont disséminés en hauteur tout le long du chemin de ronde. Des points de ravitaillement en armes et munitions sont disposés régulièrement dans chaque recoin. Des robinets d'essence avec pompe autonome sont également répartis de manière à pouvoir jouer au barbecue avec des lance-flammes perfectionnés sur ce qui tenterait de grimper sur le mur extérieur. À la suite des attaques de rats, une substance proche du verre a été coulée côté extérieur sauvage pour lisser et empêcher l'escalade y compris à un grand nombre d'animaux. À part des lézards et des oiseaux, rien ne rentre sans notre accord.
À l'intérieur du village, une volière sécurisée est installée et mélange lapins, poules pondeuses et oies. Ils seront notre apport principal de protéines animales. Leur élevage est facile avec quelques notions et leur rapidité de reproduction permet de s'ajuster facilement aux besoins. Un grillage fin d'acier a été posé à trois mètres de profondeur puis recouvert de terre lors de la construction. Nul plus gros qu'un ver de terre ne sort ou rentre par les fondations. Le bâtiment central avec de nombreuses petites entrées de chaque côté permet un accès à un petit extérieur clôturé et un abri bétonné pour la nuit. Un couloir interne permet aux humains de rentrer dans les enclos. Un simple grillage tendu différencie les zones au sol. Des filets souples isolent à hauteur de plafond. Plusieurs troncs ou autres suspensions permettent aux volatiles de voler et de se poser en hauteur tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. Les mâles sont séparés dans plusieurs petits espaces afin de pouvoir les alterner pour la génétique.
Un endroit est prévu pour les poules "fécondées" et leurs poussins, un autre pour les poules pondeuses réformées à destination de la casserole et un dernier, le plus grand, pour celles qui fourniront des œufs non fécondés. Sur le même principe de reproduction, des lapins partagent l'espace des poules. Lapins mâles avec les coqs ou jars ; lapines et lapereaux avec poules, oies, poussins et oisons. Les lapins apporteront une viande de qualité et des morceaux de fourrure. Les oies fourniront aussi des œufs et de la viande, mais leur boulot principal, c'est la protection du poulailler. On les a choisis avec un caractère similaire au mien. Protectrices et agressives.
Un gros bâtiment éloigné des parties destinées aux habitations humaines est le nouveau domicile des cochons. Trois verrats, beaucoup de cochettes et truies pour la reproduction, le reste pour la nourriture. C'est plus difficile à entretenir et ça pue atrocement, mais c'est une source de viande appréciable pour varier. En plus, les cochons peuvent servir au médecin pour des expériences ou la production de vaccins même si je n'ai pas tout compris à la théorie. Deux bergeries sont voisines pour des moutons et des chèvres et une étable pour des vaches. Pour l'instant, comme on ne peut pas sécuriser les pâturages, on n'a pas acheté ces animaux. Toutefois, on prévoit la place au cas où.
Un petit plan d'eau intérieur permet de fournir l'eau aux animaux au sein du mas, permet d'irriguer et sert également de mini-pisciculture carpe/truite. Je suis chargée de la chasse aux grenouilles qui viennent squatter. Le nombre de poissons est faible mais appréciable. Un forage est fait en plein milieu de la cour intérieure pour l'eau potable pour les humains, il puise dans une nappe d'eau souterraine à l'abri de contamination et aussi suffisamment profond pour être constamment approvisionné.
Deux grandes serres sont montées dans l'enceinte protégée. Elles nous permettront de produire des légumes et des fruits toute l'année. Un séchoir/fumoir de grande capacité est construit pour permettre la conservation des viandes et de certains végétaux. Plusieurs vergers sont dans les alentours du mas, sur des terres nous appartenant. Un mini barrage hydraulique est installé au niveau des écluses de la fosse. Pour l'instant, l'électricité produite est envoyée vers le réseau public. Mais un simple commutateur peut l'envoyer vers la ferme. Pour l'instant, nous sommes ouverts au monde extérieur, mais en moins d'une heure, nous pouvons nous refermer en totale autarcie pour plusieurs années.
Disséminées à plusieurs endroits au sein du village, là où la sécurité est maximale, six petites chambres froides indépendantes sont installées. De la taille au sol pouvant garer un tracteur, et hautes de trois mètres, elles peuvent stocker un grand nombre d'aliments entre la température d'un congélateur et celle d'un frigo. Des pallox superposables complètent l'arsenal d'entreposage possible dans chacune d'elles. Pour le moment, nous n'en utilisons que deux en alternance pour ne pas user les moteurs et favoriser un vide sanitaire.
Nous sommes autonomes pour quinze à vingt personnes à l'exception pour ce qui est du matériel médical et des médicaments que l'on stocke au maximum. De grandes quantités de nourriture peu périssable, d'eau potable, de matériel varié et surtout d'armes, de munitions et de produits chimiques de traitement des cultures ou de soin du vivant s'additionnent et se renouvellent très souvent. Rien qu'avec ce qu'il y a à l'intérieur de la forteresse, avec les potagers et les animaux, nous pouvons tenir un bon bout de temps en cas de siège. D'après les calculs du biologiste, avec une bonne gestion, on peut tenir plus de dix ans à vingt-cinq personnes sans manquer de nourriture en supposant qu'il n'y a pas de pertes humaines liées à des attaques ou à des épidémies. Ou que les femelles ne se reproduisent pas, ce qui est peu probable vu qu'on est entourés de vieux schnocks et que le premier qui songe à toucher à un de nos cheveux finira en steak haché soit par mes soins, soit par ceux de Parrain soit par tous les gars qui nous traitent comme leur propre fille. Sinon, ils peuvent fâcher Mélia à leurs risques et périls. Même Parrain et moi, on a peur d'elle quand elle est en colère.
Pour les besoins en soins et ceux en armes, c'est très difficile d'évaluer correctement la situation. Nous ignorons ce qui va arriver précisément. Un plan détaillé de la région a été installé dans la pièce principale du bâtiment d'habitation central. Les lieux stratégiques tels les magasins d'alimentation, les stations-essences, les grossistes en armes, les points d'eau sont indiqués avec des punaises. Nous inventorions de notre mieux les dépôts secondaires possibles de stocks aux alentours de type pharmacies, cliniques humaines ou vétérinaires, petits laboratoires d'analyses médicales, stands de tir, gendarmeries, commissariats ou base militaire.
Richard est méticuleux. Il agit en silence, sans alerter. Si je ne le connaissais pas aussi bien, je pourrais croire qu'il prépare un coup d'Etat. En élargissant peu à peu le cercle de ses cartes, il détaille chaque zone en prévision d'une expansion de territoire. Nous ignorons beaucoup de détails sur le danger "créatures" mais le médecin et le biologiste nous font agir comme pour une épidémie. Dans ce cas-là, les gouvernants se planquent ou tombent et la population est alors soumise à la loi de la jungle. Richard et ses gars sont des rois de la savane à ce jeu-là. La bassesse humaine n'a malheureusement plus de secrets pour eux. C'est ce qui fait notre chance et notre espoir. Nous nous attendons au pire sans perdre la tête. De redoutables prédateurs avec un instinct de survie aiguisé et expérimenté qui auront eu du temps pour se préparer.
Les armes sont stockées à trois endroits différents en cas d'attaques ou d'incendie. Nous avons cinq radios CB. Nous apprenons tous à nous en servir. L'un des hommes nous montre comment enregistrer et diffuser un message via les ondes. Nous localisons les antennes et les stations de radios locales. Les bases de fonctionnement et de piratage des petits émetteurs locaux sont vite maîtrisées. Certains animateurs radios locaux nous donnent un double des clés du studio en riant, tant on inspire la sympathie.
Peu à peu, nous construisons et adaptons notre refuge en lieu ultra sécurisé pour survivalistes extrêmes. Tout est réfléchi et décidé en commun avec suivi en priorité de l'expert du domaine. Quelques voisins cools acceptent de prêter des machines ou des locaux comme point de ravitaillement secondaires. Nous sécurisons quelques abris agricoles ou de chasses éparses. Les enfants découvrent avec bonheur la construction de cabanes perchées dans les arbres qui deviennent des lieux de jeux très amusants. Avec l’accord de leurs parents ou de leurs professeurs, nous leur apprenons à fabriquer des arcs et des flèches, à reconnaître les bons champignons, à faire des garrots...
En farfouillant dans le village, j'ai découvert quelques cachotteries de Parrain. Deux beaux tanks, quelques missiles et le nécessaire pour le lancement planqué bien à l'abri sous une fausse façade ou dans des espaces cachés entre deux murs. J'ai également trouvé l'une des entrées des souterrains façons bunker. Je me suis fait botter les fesses quand il m'a trouvé en train de redécorer la pièce qui ressemblait le plus à ce qui pourrait être sa chambre en rose bonbon avec Mélia. Ma jumelle n'a eu aucun blâme comme toujours. Nos questions incessantes ont permis d'avoir confirmation que tout cela n'est pas connu de ses gars et date de notre enfance.
Papinou et lui avait choisi cet endroit pour d'autres raisons que les terres fertiles. Une guerre eut lieu, il y a presque cent ans et le sol des environs est truffé de petits bunkers. Richard a relié peu à peu tous ceux qui étaient sur ses terres, et même un peu au-delà. En cas d'attaque nucléaire, on pourra survivre à l'intérieur de cette mini-ville enterrée. Pas tous, mais un bon petit nombre. En presque vingt ans, le boulot effectué à l'abri des regards est impressionnant. Les stocks enfouis sont minces et principalement des armes, cependant, la place dont nous disposons de manière secrète est impressionnante.
Toujours dans une logique de préparation pour une survie de longue durée, j'ai fait remarquer à mon tuteur un mini laboratoire chimique dans une ville voisine. L'endroit me semble idéal pour fabriquer discrètement des bombes à partir de l'engrais et des déjections animales. Les magasins de matériel agricole deviennent de nouvelles punaises. Je me découvre une nouvelle passion pour ce qui explose et brûle. Une véritable fascination pour le feu. Parrain bride mes instincts de pyromane en herbe en riant. Je fais déjà assez de bêtises comme ça.
Il ne sait déjà rien faire contre mon aversion pour les rats et mon génocide par braconnage des environs lui pose quelques soucis diplomatiques à cause de chats ou petits chiens qui disparaissent quelques jours. Toutefois, je n'extermine que les rats. Je relâche toujours les autres animaux. Je n'aimais déjà pas avant ces saletés de rongeurs. Maintenant, c'est une haine farouche en dépit de toutes les tentatives pour me raisonner sur leur rôle dans l'écosystème. Je m'en fous royalement. Ils peuvent devenir des créatures alors par principe de précaution, je les élimine systématiquement. J’ai un problème existentiel avec les rats.
Dans cette zone agricole, ils pullulent. Que ce soient les rats bruns d'égouts ou les noirs, tous les rongeurs et petits prédateurs mangeant de la viande ou du grain même occasionnellement finissent dans mes pièges. Belettes, fouines, renards et blaireaux, parfois, sont libérés sans problème. La peau des rats suffisamment gros est stockée pour la fourrure. Les souris, campagnols et la chair sont brûlés puis broyés pour finir au compost ou en nourriture d'appoint après stérilisation pour les poules et les cochons. Les agriculteurs les plus proches commencent à voir les effets de mon intense activité sans savoir pourquoi la population de rongeurs diminue. Eux aussi n'aiment pas les rats alors ils sont contents.
Je pense que quelques-uns se doutent de mes activités illicites. Certains de mes pièges sont visités et nettoyés ou réparés. Parfois, un petit cadeau est posé à proximité. De l'argent, des fleurs, une boite de conserve ou un pot de confiture sont de plus en plus réguliers. Je crois que les dégâts qu'ils font dans les greniers ou les poulaillers devenaient trop importants. Déjà à l'époque de Papinou, nous avions commencé un contrôle des populations aux alentours de notre maison d'enfance. Les mairies alentour offraient des récompenses lors de l'apport des queues, ce qui arrondissait nos cagnottes d'argent de poche. Bien que ce soit principalement moi qui braconnais, je partageais toujours l'argent avec mon double.
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