Préparer la guerre 1/2
Depuis le tout premier incident, Richard est inquiet. Très inquiet. Il ressent un immense danger imminent et s'inquiète de tout. Beaucoup de groupes de survivalistes disent qu'il en fait trop. Ils le blaguent, lui disent qu'il se prépare à une apocalypse, pas juste à une épidémie ou une guerre. Ses précautions et sa préparation rigoureuse lui font perdre la confiance de certains de ses amis qui pensent qu'il est devenu extrême. Quelle bande d'idiots. L'instinct de Richard lui indique une catastrophe à laquelle l’humanité n'a jamais été confrontée. Son instinct ne l'a jamais trompé. Tout le groupe est anxieux. Tous ceux de notre groupe lui font confiance sans pour autant être aveugle.
Ma présence ainsi que les photos que j'ai pu prendre sont des preuves suffisantes du danger. Je ne suis pas une menteuse, du moins pour un truc aussi grave. Je suis encore moins une froussarde. J'ai vu les créatures. Je les ai combattus. J'ignore ce qu'elles sont mais elles existent et elles sont méga dangereuses. Les militaires que je côtoie ou les gens qui me connaissent soutiennent Richard.
Parrain est trop tendu. Cela ne lui ressemble pas. Il pressent quelque chose. Moi-même, pour avoir vu les monstres, n'est pas pleinement tranquille. Ça ne peut pas se finir aussi facilement. Les créatures sont trop dangereuses, trop agressives pour disparaître en quelques mois. Le lieutenant Mitchell supervise avec quelques amis un abri dans un immeuble de la ville. Un autre, dirigé par Mathilde, une ancienne femme de Papinou qui nous a élevé Mélia et moi, construit une deuxième ferme fortifiée au Sud après la forêt. D'autres groupes relâchent la pression. La préparation de leurs abris stagne. Leurs stocks diminuent. Pour beaucoup, cela fait un an et demi qu'ils se préparent et rien n'arrive. Richard a plusieurs fois contacté les parents de ma cousine pour qu'ils nous rejoignent, sans succès. Eux aussi ne croient pas à une catastrophe pour bientôt.
Le maire de la ville voisine dont nous dépendons nous accorde facilement nos permis de construire et les autres autorisations, nous lui avons promis une place pour sa famille en cas de besoin. Nous ne faisons aucun mal et avons même calmé certains petits délinquants locaux. Notre présence assure une tranquillité et une sécurité pour de nombreuses personnes. Nos « folies » font tourner l'économie locale. Nous aidons nos voisins de notre mieux et faisons beaucoup de choses pour l'amélioration des environs comme le drainage des cours d'eau ou l'entretien des forêts. Nous sommes sympas et n'inspirons pas la peur. Les enfants nous adorent, enfin surtout Mélia.
Nous nous renseignons sur les nouvelles de l'extérieur en surveillant étroitement la zone proche de notre ancien lycée. D'après nos amis, Mitchell et Mathilde, les foyers que nous connaissons semblent sous contrôle. Le gouvernement a fourni une explication à la population pour la réinstallation des militaires dans les zones : des groupes de terroristes. La vérité n'est pas diffusée. La réalité a été étouffée sous un flot d'informations gouvernementales destiné à rassurer les curieux.
Il n'y a que des groupes d'adeptes de la théorie du complot ou très bien renseignés comme le nôtre qui ne croient pas les beaux discours des politiciens. Cependant, comme nous ne cherchons pas le scandale, le gouvernement nous laisse tranquilles. Nos amis nous tiennent au courant de leur quotidien, nous de nos travaux. La ville fait l'objet de patrouilles militaires chaque soir. Il y a eu une seule nouvelle d'attaque au lycée. Fort heureusement, la seule victime à déplorer est le chat du concierge qui s'est fait dévorer par une créature supposée canine vite maîtrisée. Personne parmi les civils, à part nos potes, n'a fait le lien avec les événements précédents et ils croient à un cas de rage d'un chien vagabond. Rien ne se passe dans le reste du pays, et même à l'étranger.
C'est maintenant fortement probable que tous les prédateurs et carnivores mammifères peuvent être potentiellement contaminés. Il nous faut bien plus d'informations. Nous manquons cruellement de données fiables pour nous préparer et gérer la situation. Malgré tous les contacts haut placés des familles Farmer et Maltez, des militaires sympathisants et un bon service de renseignements sur l'ensemble du territoire, nous n'arrivons pas à obtenir le moindre indice supplémentaire. Le médecin et le biologiste ont émis plusieurs hypothèses réalistes à partir des maigres informations dont nous disposons. Ils ont écrit des protocoles expérimentaux pour valider ou infirmer ces suppositions. Pour l'instant, cela reste de la théorie.
Le peu de données fiables provient de mes souvenirs ou de ceux de Mitchell. Le "truc" que ce soit une bactérie, un virus ou une mutation touche les humains et les rats, principalement, quelques chats, chiens et renards pour le moment. Il les rend très agressifs, combattifs, insensibles à la douleur, mais sensibles aux bruits forts et aux lumières vives. Corps en hyperthermie par rapport aux normes. Potentiellement, cela toucherait aussi les carnivores mammifères au vu des autres animaux détectés. La possibilité que les omnivores soient aussi victimes est envisagée. La contamination ne doit pas être facile vue qu'il n'y a pas d'explosions de foyers. Tout le reste, c'est un jeu de devinettes sans réponses.
En raison des similitudes et des différences physiologiques entre rats et humains, chats, chiens et renards, le biologiste suppose que tous les mammifères et peut être les êtres à sang chaud peuvent être infectés. La contamination doit se faire par un contact prolongé ou une ingestion, ce qui limiterait la propagation dans un premier temps. Toutefois, cela est temporaire. Il n'y a que peu de cas. Soit ça s'étouffe dans l'œuf, soit ça explose d’un coup. Le facteur agressivité et absence de douleur rend pessimistes nos deux experts en biologie et médecine. Les informations en provenance du gouvernement sont incohérentes avec celles des hommes et femmes de terrain. Nous stagnons depuis plus de deux ans et ça nous énerve.
Nous finissons par avoir de la chance d'une certaine manière. Des amis de notre ferme kidnappent une bestiole humanoïde fortuitement une nuit. Ils étaient partis chercher du matériel dans une ville éloignée du lycée. S'étant arrêté sur le bord de la route pour changer un pneu, ils se sont fait attaquer aux abords de la forêt par un blaireau et un humanoïde. Trois militaires réactifs et une cage à chiens bâchée ont vite su contrôler la situation sans blessure pour les humains.
Le blaireau est mort de deux balles dans la tête. L'humanoïde est dans la cage, seul refuge contre les projecteurs du véhicule. À peine remis de leurs émotions, et après délibération entre eux, ils choisissent de désobéir, enfin du moins de ne pas dire toute la vérité à leur hiérarchie. Puisque les ordres sont de brûler sans recherche, et que pour bien se préparer, il faut connaître l'ennemi, les trois hommes mentent à leur direction. D'un commun accord, ils appellent Parrain qui vient chercher le spécimen immédiatement et ramène une cage similaire. Ils ne gardent que le blaireau et crèvent un second pneu pour justifier leur retard.
L'échange de cage passe inaperçu. L'attaque est signalée aux autorités qui ont un blaireau pour leurs expériences. Parrain effectuera des recherches secrètes et en toute sécurité. Les militaires ont bonne conscience. Ils ne dissimulent pas un potentiel foyer et permettent à des personnes compétentes et fiables de se préparer de manière efficace secrètement. La forêt est quadrillée minutieusement pendant une semaine. Deux renards, des souris et des surtout des rats s'ajoutent au blaireau. Cela confirme la possible contamination aux mammifères. Tous en fin de vie, en train de mourir de faiblesse dans leur terrier. D'après les militaires, les foyers autour de notre lycée semblent taris. Cela fait des mois qu'il n'y a rien de nouveau. Le chien serait une fausse alerte. Il a été brûlé sans examen, tous comme les cadavres trouvés. Les hauts fonctionnaires parlent d'épidémie contrôlée et éradiquée.
Le truc récupéré est en très mauvais état et proche de la mort. Ses os sont saillants au niveau des côtes et des bras. Parrain le ramène afin de l'étudier à l'insu du gouvernement. Notre groupe le garde enfermé dans une cage à ours au sein du laboratoire spécial risque épidémiologique construit à la hâte dans les derniers mois près de notre abri. Nous devons absolument recueillir un maximum de données le plus vite possible. Je suis chargée de la capture d'un grand nombre de rongeurs et d'autres animaux pour produire des sujets à examiner rapidement pour pouvoir émettre des conclusions préalables plausibles.
Je n'aime pas particulièrement l'expérimentation animale. Toutefois, c'est la seule solution pour avoir des réponses et il y a urgence. Que sont quelques centaines de rats face à plusieurs milliards d'humains et d'autres animaux ? Les vegans et autres défenseurs des animaux n'ont qu'à aller se faire voir s'ils ne sont pas d'accord. Nous ne faisons pas de mal inutile aux autres êtres vivants et ne prolongerons pas les souffrances plus que nécessaire. Avec toute l'éthique possible dans de telles circonstances, le médecin et le biologiste font des prélèvements et des observations avec l'aide de toute l'équipe sur le captif que nous nourrissons abondamment pour le pas le perdre. En permanence surveillés par un militaire armé, ils effectuent une batterie d'examen de toute sorte sur lui et sur nos sujets d'expériences.
Les deux scientifiques confirment en moins de deux semaines qu'il ne s'agit pas d'un cancer, mais d'une bactérie qui se transmet via les fluides corporels : sang, salive, urine, selles, sécrétions sexuelles ou lait maternel... Les plantes ne sont pas du tout atteintes et leur pollen, fruits, sève ou feuilles ne transportent pas la bactérie. La bactérie ne tient pas plus de quelques secondes sur la surface végétale. Même une injection directement par le phloème tue la bactérie en moins d'une minute. Elles seront donc une source de nourriture sûre en cas de contamination générale.
De nombreux tests nous rassurent sur la contamination par l'air ambiant qui semble impossible. Nous avons enfermé des souris infectées dans une cage hermétique avec d'autres saines. Partageant le même air pendant un long moment, aucune des souris saines n'a présenté de symptômes. Les particules de salive qui s'échappent dans l'air lors d'une proximité ne semblent pas parvenir à devenir contaminantes. Cela est une bonne chose, il est quasi impossible de se protéger de l'air à grande échelle. Le truc est moins contagieux que la grippe ou la gastro. Cela explique en partie le faible nombre de cas sans pour autant être rassurant.
Une ouverture type blessure ou ingestion est nécessaire pour servir d'entrée à la bactérie. La contamination par contact de salive sur une plaie ou dans la bouche est possible. Sur trois souris, nous avons vérifié que l'anus, le vagin et la vessie sont aussi des portes d'entrée. Celles-ci sont faciles à contrôler et ne devraient pas poser de problèmes. Pas besoin de tester sur plus de souris. Il faudrait être quand même sacrément con pour pisser ou chier sur un infecté ou se reproduire avec eux. Aucun animal ne ferait cela. Et si ça élimine quelques dégénérés humains, ce n'est pas plus mal. Ce sont donc les carnivores et omnivores qui risquent le plus en ingérant la viande contaminée.
En se tenant à un bon mètre les uns des autres, on devrait éviter les problèmes. La bactérie semble se propager vite à l'intérieur d'un corps animal contaminé et atteindre les connections nerveuses en provoquant une forte fièvre. D'après le biologiste, seuls les animaux à sang chaud peuvent être atteints. Il a vérifié auprès de quelques insectes, oiseaux et poules, poissons, serpents et grenouilles que j'ai capturés. Les insectes éliminent tout de suite la bactérie. Le système immunitaire des batraciens et reptiles redeviennent sains en se plaçant en hibernation instinctivement. Les poissons ne conservent pas la bactérie au-delà de quelques heures, que ce soient des prédateurs type brochet ou des végétariens type carpe.
La bactérie provoque une multiplication de certaines cellules et le pourrissement d'autres. La bactérie semble consumer la créature de l'intérieur. L'eau souillée par un cadavre ou des déjections peut être rendue saine en la faisant bouillir. La bactérie résiste aux antibiotiques et aux désinfectants, très mal à la lumière, aux ultra-violets et à la chaleur. Elle ne tient pas longtemps en milieu de culture, dévorant en quelques heures tous les nutriments présents. Bien qu'elle semble avoir besoin d'un minimum de vingt degrés de chaleur pour se développer, elle est très sensible aux hautes températures. Son optimum est entre 30 et 40° Celsius. Elle meurt dès cinquante degrés. Dans un milieu nutritif, elle fonctionne au ralenti entre 10 °C et 20 °C. Elle se met en stase et peut survivre entre 5 °C et 10 °C. Elle meurt en dessous de 5 °C. Les œufs de poules contaminées redeviennent sains et propres à la consommation s’ils sont mis au frigo à moins de 5°C pendant trois heures. Nous n'en savons pas plus, ce qui est déjà beaucoup.
L'observation de la créature nous fait comprendre qu'elle ne supporte pas la lumière. Elle vocifère dès que nous braquons une simple torche sur elle. Un projecteur ou une forte lumière la fait hurler de douleur. De la même manière, elle semble hypersensible aux bruits forts tant les basses que les aigus. La vision précise semble déficiente. Les mouvements normaux et rapides sont détectés. Pas les mouvements lents. Les petits objets mobiles de type balle coloré ou billes roulant au sol sont ignorés. La bestiole cherche l'origine du bruit, mais ne voit clairement pas les choses de moins de cinq centimètres en mouvements. Nos hypothèses de la fête foraine se confirment également sur les souris et rats ainsi que les poules que nous avons contaminées.
Plusieurs parties molles du corps de l'humanoïde se décomposent rapidement. La créature s'auto-mange lorsqu'un bout de sa chair tombe. Nous lui avons proposé divers aliments. Elle ne touche que la viande et le sang. Elle semble affamée. Un cochon est mort d'une crise cardiaque. Nous avons donné son cadavre à la créature qui a dévoré les deux cents kilos de la bête en quelques heures à peine. Sa faim semble insatiable.
Les animaux contaminés gardent leur régime alimentaire pendant environ cinq jours. Ensuite, ils ne veulent que de la viande et du sang en quantité. Les plus atteints mangeant leurs congénères si la nourriture vient à manquer ou s'ils se blessent. Ils recherchent l'alimentation la plus facile. Cela est une excellente chose. Blesser un assaillant peut nous sauver d'une attaque de masse. Lancer un caillou, un pétard ou un bout de bidoche au loin aussi.
Au bout de vingt jours et malgré un nourrissage abondant, la créature meurt. Le médecin et le biologiste l'autopsient à l'aide de combinaisons de protections. Leur théorie du contrôle nerveux est confirmée. Les nerfs sont comme digérés et le cerveau est réduit des trois-quarts. La bactérie a formé un nouveau réseau remplaçant le système nerveux. Malgré une conservation au réfrigérateur à 8°C, nous ne pouvons en apprendre beaucoup plus. La bactérie décompose le peu de chair et d'os restants en trois jours.
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