Préparer la guerre
Depuis le tout premier incident, Richard est inquiet. Très inquiet. Il ressent un immense danger imminent et s'inquiète de tout. Beaucoup de groupes de survivalistes disent qu'il en fait trop. Ils le blaguent, lui disent qu'il se prépare à une apocalypse, pas juste à une épidémie ou une guerre. Ses précautions et sa préparation rigoureuse lui font perdre la confiance de certains de ses amis qui pensent qu'il est devenu extrême. Quelle bande d'idiots. L'instinct de Richard lui indique une catastrophe à laquelle l’humanité n'a jamais été confrontée. Son instinct ne l'a jamais trompé. Tout le groupe est anxieux. Tous ceux de notre groupe lui font confiance sans pour autant être aveugle.
Ma présence ainsi que les photos que j'ai pu prendre sont des preuves suffisantes du danger. Je ne suis pas une menteuse, du moins pour un truc aussi grave. Je suis encore moins une froussarde. J'ai vu les créatures. Je les ai combattus. J'ignore ce qu'elles sont mais elles existent et elles sont méga dangereuses. Les militaires que je côtoie ou les gens qui me connaissent soutiennent Richard.
Parrain est trop tendu. Cela ne lui ressemble pas. Il pressent quelque chose. Moi-même, pour avoir vu les monstres, n'est pas pleinement tranquille. Ça ne peut pas se finir aussi facilement. Les créatures sont trop dangereuses, trop agressives pour disparaître en quelques mois. Le lieutenant Mitchell supervise avec quelques amis un abri dans un immeuble de la ville. Un autre, dirigé par Mathilde, une ancienne femme de Papinou qui nous a élevé Mélia et moi, construit une deuxième ferme fortifiée au Sud après la forêt. D'autres groupes relâchent la pression. La préparation de leurs abris stagne. Leurs stocks diminuent. Pour beaucoup, cela fait un an et demi qu'ils se préparent et rien n'arrive. Richard a plusieurs fois contacté les parents de ma cousine pour qu'ils nous rejoignent, sans succès. Eux aussi ne croient pas à une catastrophe pour bientôt.
Le maire de la ville voisine dont nous dépendons nous accorde facilement nos permis de construire et les autres autorisations, nous lui avons promis une place pour sa famille en cas de besoin. Nous ne faisons aucun mal et avons même calmé certains petits délinquants locaux. Notre présence assure une tranquillité et une sécurité pour de nombreuses personnes. Nos « folies » font tourner l'économie locale. Nous aidons nos voisins de notre mieux et faisons beaucoup de choses pour l'amélioration des environs comme le drainage des cours d'eau ou l'entretien des forêts. Nous sommes sympas et n'inspirons pas la peur. Les enfants nous adorent, enfin surtout Mélia.
Nous nous renseignons sur les nouvelles de l'extérieur en surveillant étroitement la zone proche de notre ancien lycée. D'après nos amis, Mitchell et Mathilde, les foyers que nous connaissons semblent sous contrôle. Le gouvernement a fourni une explication à la population pour la réinstallation des militaires dans les zones : des groupes de terroristes. La vérité n'est pas diffusée. La réalité a été étouffée sous un flot d'informations gouvernementales destiné à rassurer les curieux.
Il n'y a que des groupes d'adeptes de la théorie du complot ou très bien renseignés comme le nôtre qui ne croient pas les beaux discours des politiciens. Cependant, comme nous ne cherchons pas le scandale, le gouvernement nous laisse tranquilles. Nos amis nous tiennent au courant de leur quotidien, nous de nos travaux. La ville fait l'objet de patrouilles militaires chaque soir. Il y a eu une seule nouvelle d'attaque au lycée. Fort heureusement, la seule victime à déplorer est le chat du concierge qui s'est fait dévorer par une créature supposée canine vite maîtrisée. Personne parmi les civils, à part nos potes, n'a fait le lien avec les événements précédents et ils croient à un cas de rage d'un chien vagabond. Rien ne se passe dans le reste du pays, et même à l'étranger.
C'est maintenant fortement probable que tous les prédateurs et carnivores mammifères peuvent être potentiellement contaminés. Il nous faut bien plus d'informations. Nous manquons cruellement de données fiables pour nous préparer et gérer la situation. Malgré tous les contacts haut placés des familles Farmer et Maltez, des militaires sympathisants et un bon service de renseignements sur l'ensemble du territoire, nous n'arrivons pas à obtenir le moindre indice supplémentaire. Le médecin et le biologiste ont émis plusieurs hypothèses réalistes à partir des maigres informations dont nous disposons. Ils ont écrit des protocoles expérimentaux pour valider ou infirmer ces suppositions. Pour l'instant, cela reste de la théorie.
Le peu de données fiables provient de mes souvenirs ou de ceux de Mitchell. Le "truc" que ce soit une bactérie, un virus ou une mutation touche les humains et les rats, principalement, quelques chats, chiens et renards pour le moment. Il les rend très agressifs, combattifs, insensibles à la douleur, mais sensibles aux bruits forts et aux lumières vives. Corps en hyperthermie par rapport aux normes. Potentiellement, cela toucherait aussi les carnivores mammifères au vu des autres animaux détectés. La possibilité que les omnivores soient aussi victimes est envisagée. La contamination ne doit pas être facile vue qu'il n'y a pas d'explosions de foyers. Tout le reste, c'est un jeu de devinettes sans réponses.
En raison des similitudes et des différences physiologiques entre rats et humains, chats, chiens et renards, le biologiste suppose que tous les mammifères et peut être les êtres à sang chaud peuvent être infectés. La contamination doit se faire par un contact prolongé ou une ingestion, ce qui limiterait la propagation dans un premier temps. Toutefois, cela est temporaire. Il n'y a que peu de cas. Soit ça s'étouffe dans l'œuf, soit ça explose d’un coup. Le facteur agressivité et absence de douleur rend pessimistes nos deux experts en biologie et médecine. Les informations en provenance du gouvernement sont incohérentes avec celles des hommes et femmes de terrain. Nous stagnons depuis plus de deux ans et ça nous énerve.
Nous finissons par avoir de la chance d'une certaine manière. Des amis de notre ferme kidnappent une bestiole humanoïde fortuitement une nuit. Ils étaient partis chercher du matériel dans une ville éloignée du lycée. S'étant arrêté sur le bord de la route pour changer un pneu, ils se sont fait attaquer aux abords de la forêt par un blaireau et un humanoïde. Trois militaires réactifs et une cage à chiens bâchée ont vite su contrôler la situation sans blessure pour les humains.
Le blaireau est mort de deux balles dans la tête. L'humanoïde est dans la cage, seul refuge contre les projecteurs du véhicule. À peine remis de leurs émotions, et après délibération entre eux, ils choisissent de désobéir, enfin du moins de ne pas dire toute la vérité à leur hiérarchie. Puisque les ordres sont de brûler sans recherche, et que pour bien se préparer, il faut connaître l'ennemi, les trois hommes mentent à leur direction. D'un commun accord, ils appellent Parrain qui vient chercher le spécimen immédiatement et ramène une cage similaire. Ils ne gardent que le blaireau et crèvent un second pneu pour justifier leur retard.
L'échange de cage passe inaperçu. L'attaque est signalée aux autorités qui ont un blaireau pour leurs expériences. Parrain effectuera des recherches secrètes et en toute sécurité. Les militaires ont bonne conscience. Ils ne dissimulent pas un potentiel foyer et permettent à des personnes compétentes et fiables de se préparer de manière efficace secrètement. La forêt est quadrillée minutieusement pendant une semaine. Deux renards, des souris et des surtout des rats s'ajoutent au blaireau. Cela confirme la possible contamination aux mammifères. Tous en fin de vie, en train de mourir de faiblesse dans leur terrier. D'après les militaires, les foyers autour de notre lycée semblent taris. Cela fait des mois qu'il n'y a rien de nouveau. Le chien serait une fausse alerte. Il a été brûlé sans examen, tous comme les cadavres trouvés. Les hauts fonctionnaires parlent d'épidémie contrôlée et éradiquée.
Le truc récupéré est en très mauvais état et proche de la mort. Ses os sont saillants au niveau des côtes et des bras. Parrain le ramène afin de l'étudier à l'insu du gouvernement. Notre groupe le garde enfermé dans une cage à ours au sein du laboratoire spécial risque épidémiologique construit à la hâte dans les derniers mois près de notre abri. Nous devons absolument recueillir un maximum de données le plus vite possible. Je suis chargée de la capture d'un grand nombre de rongeurs et d'autres animaux pour produire des sujets à examiner rapidement pour pouvoir émettre des conclusions préalables plausibles.
Je n'aime pas particulièrement l'expérimentation animale. Toutefois, c'est la seule solution pour avoir des réponses et il y a urgence. Que sont quelques centaines de rats face à plusieurs milliards d'humains et d'autres animaux ? Les vegans et autres défenseurs des animaux n'ont qu'à aller se faire voir s'ils ne sont pas d'accord. Nous ne faisons pas de mal inutile aux autres êtres vivants et ne prolongerons pas les souffrances plus que nécessaire. Avec toute l'éthique possible dans de telles circonstances, le médecin et le biologiste font des prélèvements et des observations avec l'aide de toute l'équipe sur le captif que nous nourrissons abondamment pour le pas le perdre. En permanence surveillés par un militaire armé, ils effectuent une batterie d'examen de toute sorte sur lui et sur nos sujets d'expériences.
Les deux scientifiques confirment en moins de deux semaines qu'il ne s'agit pas d'un cancer, mais d'une bactérie qui se transmet via les fluides corporels : sang, salive, urine, selles, sécrétions sexuelles ou lait maternel... Les plantes ne sont pas du tout atteintes et leur pollen, fruits, sève ou feuilles ne transportent pas la bactérie. La bactérie ne tient pas plus de quelques secondes sur la surface végétale. Même une injection directement par le phloème tue la bactérie en moins d'une minute. Elles seront donc une source de nourriture sûre en cas de contamination générale.
De nombreux tests nous rassurent sur la contamination par l'air ambiant qui semble impossible. Nous avons enfermé des souris infectées dans une cage hermétique avec d'autres saines. Partageant le même air pendant un long moment, aucune des souris saines n'a présenté de symptômes. Les particules de salive qui s'échappent dans l'air lors d'une proximité ne semblent pas parvenir à devenir contaminantes. Cela est une bonne chose, il est quasi impossible de se protéger de l'air à grande échelle. Le truc est moins contagieux que la grippe ou la gastro. Cela explique en partie le faible nombre de cas sans pour autant être rassurant.
Une ouverture type blessure ou ingestion est nécessaire pour servir d'entrée à la bactérie. La contamination par contact de salive sur une plaie ou dans la bouche est possible. Sur trois souris, nous avons vérifié que l'anus, le vagin et la vessie sont aussi des portes d'entrée. Celles-ci sont faciles à contrôler et ne devraient pas poser de problèmes. Pas besoin de tester sur plus de souris. Il faudrait être quand même sacrément con pour pisser ou chier sur un infecté ou se reproduire avec eux. Aucun animal ne ferait cela. Et si ça élimine quelques dégénérés humains, ce n'est pas plus mal. Ce sont donc les carnivores et omnivores qui risquent le plus en ingérant la viande contaminée.
En se tenant à un bon mètre les uns des autres, on devrait éviter les problèmes. La bactérie semble se propager vite à l'intérieur d'un corps animal contaminé et atteindre les connections nerveuses en provoquant une forte fièvre. D'après le biologiste, seuls les animaux à sang chaud peuvent être atteints. Il a vérifié auprès de quelques insectes, oiseaux et poules, poissons, serpents et grenouilles que j'ai capturés. Les insectes éliminent tout de suite la bactérie. Le système immunitaire des batraciens et reptiles redeviennent sains en se plaçant en hibernation instinctivement. Les poissons ne conservent pas la bactérie au-delà de quelques heures, que ce soient des prédateurs type brochet ou des végétariens type carpe.
La bactérie provoque une multiplication de certaines cellules et le pourrissement d'autres. La bactérie semble consumer la créature de l'intérieur. L'eau souillée par un cadavre ou des déjections peut être rendue saine en la faisant bouillir. La bactérie résiste aux antibiotiques et aux désinfectants, très mal à la lumière, aux ultra-violets et à la chaleur. Elle ne tient pas longtemps en milieu de culture, dévorant en quelques heures tous les nutriments présents. Bien qu'elle semble avoir besoin d'un minimum de vingt degrés de chaleur pour se développer, elle est très sensible aux hautes températures. Son optimum est entre 30 et 40° Celsius. Elle meurt dès cinquante degrés. Dans un milieu nutritif, elle fonctionne au ralenti entre 10 °C et 20 °C. Elle se met en stase et peut survivre entre 5 °C et 10 °C. Elle meurt en dessous de 5 °C. Les œufs de poules contaminées redeviennent sains et propres à la consommation s’ils sont mis au frigo à moins de 5°C pendant trois heures. Nous n'en savons pas plus, ce qui est déjà beaucoup.
L'observation de la créature nous fait comprendre qu'elle ne supporte pas la lumière. Elle vocifère dès que nous braquons une simple torche sur elle. Un projecteur ou une forte lumière la fait hurler de douleur. De la même manière, elle semble hypersensible aux bruits forts tant les basses que les aigus. La vision précise semble déficiente. Les mouvements normaux et rapides sont détectés. Pas les mouvements lents. Les petits objets mobiles de type balle coloré ou billes roulant au sol sont ignorés. La bestiole cherche l'origine du bruit, mais ne voit clairement pas les choses de moins de cinq centimètres en mouvements. Nos hypothèses de la fête foraine se confirment également sur les souris et rats ainsi que les poules que nous avons contaminées.
Plusieurs parties molles du corps de l'humanoïde se décomposent rapidement. La créature s'auto-mange lorsqu'un bout de sa chair tombe. Nous lui avons proposé divers aliments. Elle ne touche que la viande et le sang. Elle semble affamée. Un cochon est mort d'une crise cardiaque. Nous avons donné son cadavre à la créature qui a dévoré les deux cents kilos de la bête en quelques heures à peine. Sa faim semble insatiable.
Les animaux contaminés gardent leur régime alimentaire pendant environ cinq jours. Ensuite, ils ne veulent que de la viande et du sang en quantité. Les plus atteints mangeant leurs congénères si la nourriture vient à manquer ou s'ils se blessent. Ils recherchent l'alimentation la plus facile. Cela est une excellente chose. Blesser un assaillant peut nous sauver d'une attaque de masse. Lancer un caillou, un pétard ou un bout de bidoche au loin aussi.
Au bout de vingt jours et malgré un nourrissage abondant, la créature meurt. Le médecin et le biologiste l'autopsient à l'aide de combinaisons de protections. Leur théorie du contrôle nerveux est confirmée. Les nerfs sont comme digérés et le cerveau est réduit des trois-quarts. La bactérie a formé un nouveau réseau remplaçant le système nerveux. Malgré une conservation au réfrigérateur à 8°C, nous ne pouvons en apprendre beaucoup plus. La bactérie décompose le peu de chair et d'os restants en trois jours.
Par sécurité, nous passons au chalumeau la table d'examen, le sol de la cage et la cage elle-même, ainsi que tout ce qui a approché la créature. Les animaux atteints meurent aussi très vite et nous n'avons plus de quoi expérimenter au bout de trois mois, la bactérie tuant plus vite que nous n'arrivons à reproduire nos rongeurs. Nous brûlons chaque cadavre de la même manière et nous désinfectons les locaux et le matériel.
Sur nos premiers spécimens, les deux scientifiques ont essayé de produire un vaccin ou un médicament sans succès. Nous n'avons rien trouvé, pas la moindre piste. À part la chaleur, le froid, la lumière ou le manque de nourriture, rien ne tue la bactérie ou l'affaiblit. Le plan est de rester confiné le plus possible pour que la bactérie se meurt toute seule après avoir tué ses hôtes. D'après le biologiste, elle mute peu et lentement. Elle meurt donc avant de pouvoir s'adapter. C'est d'ailleurs assez étrange. Son origine n'est pas naturelle d'après lui. Il en est certain et cela veut dire que quelqu'un l'a créé, quelque part dans le monde. Et surtout, que ce quelqu'un doit en savoir plus que nous.
Bien que maigres, les données recueillies permettent un début de plan pour se protéger et survivre. Nous avons des sources de nourriture sans aucun risque grâce aux plantes, reptiles, poissons et batraciens et dans le pire des cas, des insectes. L'eau peut facilement être potable. Nous avons les premiers symptômes pour détecter les infectés. Nous avons quelques techniques dissuasives et repoussantes avec le son et lumière pour éloigner les indésirables et moyens de nettoyer par le feu ou le froid les surfaces pour les rendre saines. Ce n'est pas grand-chose et en même temps, très précieux car pouvant potentiellement nous sauver la vie.
Nous transmettons nos informations à un maximum de gens via Internet. Nous diffusons nos trouvailles en français, anglais et espagnol à d'autres survivalistes du monde entier qui le transmettent et traduisent autour d'eux. Nos images permettent qu'on nous reprenne enfin au sérieux. Les abris sont de nouveaux remis en fonctionnement et s'adaptent. Le nombre de cas est faible, toutefois, le danger est suffisamment inquiétant pour prendre ses précautions. Des experts de notre réseau valident les conclusions de nos expériences. Le peu d'informations est fiable. C'est déjà ça.
Richard se fait un peu taper sur les doigts par quelques membres du gouvernement qui nous permettent toutefois de continuer la diffusion tant qu'elle reste entre survivalistes et pas à grande échelle. Ils ne veulent pas d'une panique générale. Ils jurent sur l'honneur que notre pays n'est pas le fabricant de la bactérie. À contrecœur, ils nous fournissent les résultats afin d'augmenter le nombre de données. Leurs propres recherches ont obtenu les mêmes constats. Ils ont au moins l'amabilité de valider nos conclusions. Eux aussi ne parviennent pas à conserver la bactérie suffisamment pour prolonger l'étude. C’est la raison pour laquelle ils pensent que ça va se tasser tout seul, tout en restant inquiets au vu du potentiel destructeur.
Des scientifiques du pays et quelques militaires haut gradés nous aident de leur mieux pour diffuser sans provoquer la terreur. Les services secrets cherchent dans les pays voisins des incidents ou événements suspects sans rien trouver. Intimement convaincus également de l'origine humaine, ils veulent trouver le coupable, pour jauger au mieux du danger. Ils sont nerveux eux aussi. Ils ont peur d'un projet d'attaque biologique et arment le pays silencieusement en suivant nos propres conseils. Plusieurs bases militaires subissent des travaux d'envergure et un budget d'urgence est alloué à la recherche et à l'armement. Ils nous promettent enfin de nous fournir tout nouvel élément qui parviendrait à leur connaissance.
Après avoir vu les spécimens de leurs propres yeux, notre équipe signe un accord. Une charte. Si l'un de nous est contaminé, il autorise les autres à pratiquer des expériences sur lui pour en apprendre le plus possible sur cette bactérie. Nous rédigeons un code de conduite d'expérimentations respectant le plus possible le peu d'humain restant en nous lors d'une infection. Nous acceptons d'être enfermés et soumis à des examens si les autres le jugent nécessaire.
Nous nous engageons pour que nos familles ne puissent pas porter plainte si nous sommes tués lors d'une bataille ou si nous sommes tués par l'un de nous à la suite d’une contamination. Le bien commun et la survie du plus grand nombre deviennent la priorité sur notre propre vie. Cependant, s'il reste une possibilité infime de nous guérir ou de nous secourir, nous n'abandonnerons pas les nôtres ou n'importe quel humain ayant besoin d'aide.
Les oiseaux pouvant être contaminés, Richard et ses amis décident de couper tous les arbres et de détruire toutes les cachettes potentielles autour du mas, à l'intérieur de la fortification et aux alentours proches. Nous posons des filets plus étroits, empêchant l'entrée des moineaux ou des souris dans nos poulaillers et dans la porcherie afin de sécuriser notre apport en viande. Toutes les fenêtres ou aérations possibles sont sécurisées. Nous avons un stock de bois suffisant pour faire un bûcher chaque jour pendant un an. Mis à part l'intérieur des bâtiments sécurisés, tout est exposé à la lumière du jour et peut être exposé à la lumière des projecteurs la nuit. Un grand nombre de caméras thermiques sont disposées pour couvrir le périmètre.
Un gros stock de jumelles nocturnes est acheté. Davantage de projecteurs sont installés. Des haut-parleurs puissants ornent nos façades pour diffuser du bruit si besoin. Des klaxons, mégaphones et tout objets facilement transportables et faisant un maximum de bruit font grossir notre arsenal. Notre poulailler est déjà sécurisé par le vacarme des oies. L'intérieur et les abords proches de notre village sont optimisés contre la bactérie. Le véritable danger sera les humains belliqueux qui arriveront en cas d'épidémie mondiale ou de guerre.
Nous négocions avec les maires des villages alentour pour créer un immense bassin de pisciculture en libre accès en détournant la rivière. Ce sera un apport inestimable de nourriture animale sans danger. Pour eux, c'est une base de loisirs aquatique et un lieu de pêche pour le tourisme qui se construit à moindres frais. Avec les champs et vergers, qui n'intéressent pas les contaminés, nous devrions avoir de quoi manger sans avoir à s'inquiéter. Survivre, c'est apprendre à identifier les dangers, en savoir le plus possible dessus et ainsi savoir s'en protéger ou les combattre efficacement.
Je continue de piéger aux alentours du mas afin de surveiller l'apparition de quelque chose, tout comme nos amis éparpillés. Aucun nouveau foyer n'arrive à nos oreilles. Je surveille particulièrement la région de mon ancien lycée. Mis à part le blaireau et le chien, dont nous ne sommes pas sûrs qu'il était bien malade, il n'y a absolument rien depuis notre départ. Ni au lycée, ni en ville ni dans le monde. Rien de rien. On dirait que la menace est finie. Seuls les rhumatismes de Richard et mon échine, qui se dresse la nuit, nous tiennent en alerte permanente. Nous refusons de croire que le danger est inexistant.
Quelques-uns des nôtres partent vers d'autres groupes de survivalistes pour expliquer au mieux ce qu'ils ont vu. D'autres nous rejoignent et se forment. Nous faisons de notre mieux pour qu'un maximum de personnes soit averti et préparé. À notre demande, nos amis se rapprochent des lieux sécurisés à proximité du lycée afin de compléter leur formation et de se protéger au cas où. Le professeur Noguerra et le père de Naya vont héberger le lieutenant Mitchell au cœur même de l'établissement scolaire. Il a pour ordre de ramener la bande et leurs proches au sein de notre bunker si jamais les choses venaient à se compliquer.
Trois semaines passent sans changement. C'est le petit matin. Mélia et moi sommes en train de faire travailler les jeunes chevaux. Nous essayons d'apprendre l'art de cultiver à l'ancienne où les chevaux remplaçaient les tracteurs. Toujours dans un but de préparation au pire. Richard est auprès de nous avec son fusil. Il surveille les alentours selon le code instauré par le groupe. Continuellement un guetteur armé. Constamment un moyen de fuite (ici les chevaux) à proximité.
Un des militaires nous hèle par le talkie-walkie. Nous devons rentrer d'urgence. Il y a du nouveau. La voix affolée de notre coéquipier nous fait accourir au triple galop à ses mots. Dans la pièce principale, tout le monde est rassemblé en silence. La télévision est allumée sur la chaîne d'informations en continu. Des images horribles sont diffusées en boucle. Le secret n'est plus. Le monde vient d'apprendre sans comprendre.
C'est un rassemblement. Un immense marché estival nocturne dans un pays éloigné. Des centaines de personnes sont en train de déambuler dans la joie et dans l'insouciance. Soudain, des cris et des hurlements. Des créatures humaines et animales attaquent et se montrent devant les caméras de surveillance. C'est un massacre. Les images sont celles des téléphones de quelques personnes présentes sur les lieux à ce moment-là et qui, pensant être en sécurité dans un véhicule, les ont envoyées à des proches ou postées sur le net. Les journalistes proches qui se sont précipités sur les lieux ont été précédés par les militaires. La zone a été interdite en moins d'une demi-heure. Les hélicos et drones non-militaires tentant de survoler sont abattus.
En direct, les journalistes entendent des explosions. Un hélicoptère militaire lâche des minies bombes sur la zone, ne laissant aucune chance de survie aux personnes prisonnières, s'il y en a encore. Trois autres mitraillent le sol. C'est une boucherie sous les yeux du monde entier. Un brasier à ciel ouvert. À la fin des bombes, un immense cordon de militaires sur cinq rangs s'aligne tout autour du périmètre de sécurité. Ils sont tous armés de lance-flammes. Distants de cinq mètres entre les rangs et de moins d'un mètre sur le rang. Les soldats brûlent tout en se dirigeant vers le centre de la zone. Flanqués de pelleteuses sur le dernier rang, ils rassemblent les étals et les voitures pour les cramer à très haute température. Ce n'est pas du feu. C'est du napalm qui fait fondre les carrosseries.
Des cris et des hurlements se font entendre au loin sans que nous ne voyions quelque chose. Les télévisions diffusent en continu les images. Durant les deux heures du carnage, les spéculations vont bon train. Une clôture électrifiée empêchant toute sortie de la zone est installée et surveillée par les militaires jours et nuits. Les reporters se voient confisquer leurs caméras. Il est interdit de filmer. Les personnes présentes sont toutes déclarées disparues sans autre jugement. Un pays entier pleure ses morts sans comprendre ce qui vient de se passer.
Notre groupe est lui aussi en pleurs devant la cruauté des images. Sans regard pour la demande du gouvernement, Richard lance la diffusion de nos recherches et de notre guide de survie à grande échelle, via tous ses amis survivalistes ou militaires et surtout via Internet. Cette fois, aucun membre du gouvernement ne lui tape sur les doigts. Au contraire, dès le lendemain de l'attaque, le site gouvernemental renvoie vers le téléchargement de notre manuel et diffuse des alertes d'informations pour se protéger et indiquer tout événement suspect.
À la suite de cette attaque, les derniers survivalistes du monde entier qui avaient délaissé leurs abris reprennent d'arrache-pied leurs travaux. Ils sont imités par un grand nombre de personnes qui, sous l'effet de la peur, se mettent à stocker et à s'armer. La peur s'installe et des stocks stupides de pâtes ou de papier toilette sont fait par des civils stupides et craintifs. Des émeutes ont lieu dans le pays de l'attaque et les pays frontaliers. Les habitants sont terrorisés.
Nous voulons rapatrier nos amis, toutefois, les déplacements de plus de vingt kilomètres ont été interdits dès la diffusion du carnage. Nous sommes confinés pour notre sécurité. Nous ne pouvons pas les faire venir et ils ne peuvent pas bouger non plus. Heureusement, un abri sûr est proche. Mitchell les incite à se rendre dans la ferme en dehors de la ville. Il tente de sécuriser la zone de son mieux avec ses camarades militaires ou survivalistes présents dans le coin. Parrain lui fait confiance. J'ai peur et pour la première fois depuis la mort de Papinou, je pleure par moments.
Durant le mois qui suit, cinquante-huit attaques d'ampleur se font savoir à travers le monde entier. C'est la panique mondiale. Tous les dirigeants tentent de communiquer. Nous apprenons à demi-mots que des incidents isolés se sont produits comme chez nous et ont été étouffés par les chefs d'Etats. Des couvre-feux et des lois martiales sont instaurés en urgence de partout. Certains pays s'isolent et ferment leurs frontières. D'autres veulent s'entraider et échangent leurs données de recherches. D'autres en profitent pour attaquer leurs voisins. C'est une guerre mondiale. Humains contre créatures. Humains contre Humains. Chacun pour soi. Pas de pitié. Pas de compassion. Comme Richard l'avait senti dans ses rhumatismes.
Toutes les communications radios ou télévisions à grande échelle sont interrompues une à une. La communication devient locale. Les satellites fonctionnent, mais sont contrôlés par les dirigeants. Le monde s'entre-tue pour survivre. Les dernières informations qui me parviennent du monde extérieur sont une communication en morse via la radio CB du gouvernement. La maison de notre oncle a été bombardée. Nos parents, notre oncle, notre tante et notre cousine ont péri sous les bombes. Nous n'avons plus que Richard. Nous sommes sans nouvelles de nos amis et du reste du monde. Nous n'avons pas le temps pour les pleurer. Nous devons nous préparer davantage. Bientôt, nous aurons la guerre à nos portes.
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