Préparer la guerre 2/2
Par sécurité, nous passons au chalumeau la table d'examen, le sol de la cage et la cage elle-même, ainsi que tout ce qui a approché la créature. Les animaux atteints meurent aussi très vite et nous n'avons plus de quoi expérimenter au bout de trois mois, la bactérie tuant plus vite que nous n'arrivons à reproduire nos rongeurs. Nous brûlons chaque cadavre de la même manière et nous désinfectons les locaux et le matériel.
Sur nos premiers spécimens, les deux scientifiques ont essayé de produire un vaccin ou un médicament sans succès. Nous n'avons rien trouvé, pas la moindre piste. À part la chaleur, le froid, la lumière ou le manque de nourriture, rien ne tue la bactérie ou l'affaiblit. Le plan est de rester confiné le plus possible pour que la bactérie se meurt toute seule après avoir tué ses hôtes. D'après le biologiste, elle mute peu et lentement. Elle meurt donc avant de pouvoir s'adapter. C'est d'ailleurs assez étrange. Son origine n'est pas naturelle d'après lui. Il en est certain et cela veut dire que quelqu'un l'a créé, quelque part dans le monde. Et surtout, que ce quelqu'un doit en savoir plus que nous.
Bien que maigres, les données recueillies permettent un début de plan pour se protéger et survivre. Nous avons des sources de nourriture sans aucun risque grâce aux plantes, reptiles, poissons et batraciens et dans le pire des cas, des insectes. L'eau peut facilement être potable. Nous avons les premiers symptômes pour détecter les infectés. Nous avons quelques techniques dissuasives et repoussantes avec le son et lumière pour éloigner les indésirables et moyens de nettoyer par le feu ou le froid les surfaces pour les rendre saines. Ce n'est pas grand-chose et en même temps, très précieux car pouvant potentiellement nous sauver la vie.
Nous transmettons nos informations à un maximum de gens via Internet. Nous diffusons nos trouvailles en français, anglais et espagnol à d'autres survivalistes du monde entier qui le transmettent et traduisent autour d'eux. Nos images permettent qu'on nous reprenne enfin au sérieux. Les abris sont de nouveaux remis en fonctionnement et s'adaptent. Le nombre de cas est faible, toutefois, le danger est suffisamment inquiétant pour prendre ses précautions. Des experts de notre réseau valident les conclusions de nos expériences. Le peu d'informations est fiable. C'est déjà ça.
Richard se fait un peu taper sur les doigts par quelques membres du gouvernement qui nous permettent toutefois de continuer la diffusion tant qu'elle reste entre survivalistes et pas à grande échelle. Ils ne veulent pas d'une panique générale. Ils jurent sur l'honneur que notre pays n'est pas le fabricant de la bactérie. À contrecœur, ils nous fournissent les résultats afin d'augmenter le nombre de données. Leurs propres recherches ont obtenu les mêmes constats. Ils ont au moins l'amabilité de valider nos conclusions. Eux aussi ne parviennent pas à conserver la bactérie suffisamment pour prolonger l'étude. C’est la raison pour laquelle ils pensent que ça va se tasser tout seul, tout en restant inquiets au vu du potentiel destructeur.
Des scientifiques du pays et quelques militaires haut gradés nous aident de leur mieux pour diffuser sans provoquer la terreur. Les services secrets cherchent dans les pays voisins des incidents ou événements suspects sans rien trouver. Intimement convaincus également de l'origine humaine, ils veulent trouver le coupable, pour jauger au mieux du danger. Ils sont nerveux eux aussi. Ils ont peur d'un projet d'attaque biologique et arment le pays silencieusement en suivant nos propres conseils. Plusieurs bases militaires subissent des travaux d'envergure et un budget d'urgence est alloué à la recherche et à l'armement. Ils nous promettent enfin de nous fournir tout nouvel élément qui parviendrait à leur connaissance.
Après avoir vu les spécimens de leurs propres yeux, notre équipe signe un accord. Une charte. Si l'un de nous est contaminé, il autorise les autres à pratiquer des expériences sur lui pour en apprendre le plus possible sur cette bactérie. Nous rédigeons un code de conduite d'expérimentations respectant le plus possible le peu d'humain restant en nous lors d'une infection. Nous acceptons d'être enfermés et soumis à des examens si les autres le jugent nécessaire.
Nous nous engageons pour que nos familles ne puissent pas porter plainte si nous sommes tués lors d'une bataille ou si nous sommes tués par l'un de nous à la suite d’une contamination. Le bien commun et la survie du plus grand nombre deviennent la priorité sur notre propre vie. Cependant, s'il reste une possibilité infime de nous guérir ou de nous secourir, nous n'abandonnerons pas les nôtres ou n'importe quel humain ayant besoin d'aide.
Les oiseaux pouvant être contaminés, Richard et ses amis décident de couper tous les arbres et de détruire toutes les cachettes potentielles autour du mas, à l'intérieur de la fortification et aux alentours proches. Nous posons des filets plus étroits, empêchant l'entrée des moineaux ou des souris dans nos poulaillers et dans la porcherie afin de sécuriser notre apport en viande. Toutes les fenêtres ou aérations possibles sont sécurisées. Nous avons un stock de bois suffisant pour faire un bûcher chaque jour pendant un an. Mis à part l'intérieur des bâtiments sécurisés, tout est exposé à la lumière du jour et peut être exposé à la lumière des projecteurs la nuit. Un grand nombre de caméras thermiques sont disposées pour couvrir le périmètre.
Un gros stock de jumelles nocturnes est acheté. Davantage de projecteurs sont installés. Des haut-parleurs puissants ornent nos façades pour diffuser du bruit si besoin. Des klaxons, mégaphones et tout objets facilement transportables et faisant un maximum de bruit font grossir notre arsenal. Notre poulailler est déjà sécurisé par le vacarme des oies. L'intérieur et les abords proches de notre village sont optimisés contre la bactérie. Le véritable danger sera les humains belliqueux qui arriveront en cas d'épidémie mondiale ou de guerre.
Nous négocions avec les maires des villages alentour pour créer un immense bassin de pisciculture en libre accès en détournant la rivière. Ce sera un apport inestimable de nourriture animale sans danger. Pour eux, c'est une base de loisirs aquatique et un lieu de pêche pour le tourisme qui se construit à moindres frais. Avec les champs et vergers, qui n'intéressent pas les contaminés, nous devrions avoir de quoi manger sans avoir à s'inquiéter. Survivre, c'est apprendre à identifier les dangers, en savoir le plus possible dessus et ainsi savoir s'en protéger ou les combattre efficacement.
Je continue de piéger aux alentours du mas afin de surveiller l'apparition de quelque chose, tout comme nos amis éparpillés. Aucun nouveau foyer n'arrive à nos oreilles. Je surveille particulièrement la région de mon ancien lycée. Mis à part le blaireau et le chien, dont nous ne sommes pas sûrs qu'il était bien malade, il n'y a absolument rien depuis notre départ. Ni au lycée, ni en ville ni dans le monde. Rien de rien. On dirait que la menace est finie. Seuls les rhumatismes de Richard et mon échine, qui se dresse la nuit, nous tiennent en alerte permanente. Nous refusons de croire que le danger est inexistant.
Quelques-uns des nôtres partent vers d'autres groupes de survivalistes pour expliquer au mieux ce qu'ils ont vu. D'autres nous rejoignent et se forment. Nous faisons de notre mieux pour qu'un maximum de personnes soit averti et préparé. À notre demande, nos amis se rapprochent des lieux sécurisés à proximité du lycée afin de compléter leur formation et de se protéger au cas où. Le professeur Noguerra et le père de Naya vont héberger le lieutenant Mitchell au cœur même de l'établissement scolaire. Il a pour ordre de ramener la bande et leurs proches au sein de notre bunker si jamais les choses venaient à se compliquer.
Trois semaines passent sans changement. C'est le petit matin. Mélia et moi sommes en train de faire travailler les jeunes chevaux. Nous essayons d'apprendre l'art de cultiver à l'ancienne où les chevaux remplaçaient les tracteurs. Toujours dans un but de préparation au pire. Richard est auprès de nous avec son fusil. Il surveille les alentours selon le code instauré par le groupe. Continuellement un guetteur armé. Constamment un moyen de fuite (ici les chevaux) à proximité.
Un des militaires nous hèle par le talkie-walkie. Nous devons rentrer d'urgence. Il y a du nouveau. La voix affolée de notre coéquipier nous fait accourir au triple galop à ses mots. Dans la pièce principale, tout le monde est rassemblé en silence. La télévision est allumée sur la chaîne d'informations en continu. Des images horribles sont diffusées en boucle. Le secret n'est plus. Le monde vient d'apprendre sans comprendre.
C'est un rassemblement. Un immense marché estival nocturne dans un pays éloigné. Des centaines de personnes sont en train de déambuler dans la joie et dans l'insouciance. Soudain, des cris et des hurlements. Des créatures humaines et animales attaquent et se montrent devant les caméras de surveillance. C'est un massacre. Les images sont celles des téléphones de quelques personnes présentes sur les lieux à ce moment-là et qui, pensant être en sécurité dans un véhicule, les ont envoyées à des proches ou postées sur le net. Les journalistes proches qui se sont précipités sur les lieux ont été précédés par les militaires. La zone a été interdite en moins d'une demi-heure. Les hélicos et drones non-militaires tentant de survoler sont abattus.
En direct, les journalistes entendent des explosions. Un hélicoptère militaire lâche des minies bombes sur la zone, ne laissant aucune chance de survie aux personnes prisonnières, s'il y en a encore. Trois autres mitraillent le sol. C'est une boucherie sous les yeux du monde entier. Un brasier à ciel ouvert. À la fin des bombes, un immense cordon de militaires sur cinq rangs s'aligne tout autour du périmètre de sécurité. Ils sont tous armés de lance-flammes. Distants de cinq mètres entre les rangs et de moins d'un mètre sur le rang. Les soldats brûlent tout en se dirigeant vers le centre de la zone. Flanqués de pelleteuses sur le dernier rang, ils rassemblent les étals et les voitures pour les cramer à très haute température. Ce n'est pas du feu. C'est du napalm qui fait fondre les carrosseries.
Des cris et des hurlements se font entendre au loin sans que nous ne voyions quelque chose. Les télévisions diffusent en continu les images. Durant les deux heures du carnage, les spéculations vont bon train. Une clôture électrifiée empêchant toute sortie de la zone est installée et surveillée par les militaires jours et nuits. Les reporters se voient confisquer leurs caméras. Il est interdit de filmer. Les personnes présentes sont toutes déclarées disparues sans autre jugement. Un pays entier pleure ses morts sans comprendre ce qui vient de se passer.
Notre groupe est lui aussi en pleurs devant la cruauté des images. Sans regard pour la demande du gouvernement, Richard lance la diffusion de nos recherches et de notre guide de survie à grande échelle, via tous ses amis survivalistes ou militaires et surtout via Internet. Cette fois, aucun membre du gouvernement ne lui tape sur les doigts. Au contraire, dès le lendemain de l'attaque, le site gouvernemental renvoie vers le téléchargement de notre manuel et diffuse des alertes d'informations pour se protéger et indiquer tout événement suspect.
À la suite de cette attaque, les derniers survivalistes du monde entier qui avaient délaissé leurs abris reprennent d'arrache-pied leurs travaux. Ils sont imités par un grand nombre de personnes qui, sous l'effet de la peur, se mettent à stocker et à s'armer. La peur s'installe et des stocks stupides de pâtes ou de papier toilette sont fait par des civils stupides et craintifs. Des émeutes ont lieu dans le pays de l'attaque et les pays frontaliers. Les habitants sont terrorisés.
Nous voulons rapatrier nos amis, toutefois, les déplacements de plus de vingt kilomètres ont été interdits dès la diffusion du carnage. Nous sommes confinés pour notre sécurité. Nous ne pouvons pas les faire venir et ils ne peuvent pas bouger non plus. Heureusement, un abri sûr est proche. Mitchell les incite à se rendre dans la ferme en dehors de la ville. Il tente de sécuriser la zone de son mieux avec ses camarades militaires ou survivalistes présents dans le coin. Parrain lui fait confiance. J'ai peur et pour la première fois depuis la mort de Papinou, je pleure par moments.
Durant le mois qui suit, cinquante-huit attaques d'ampleur se font savoir à travers le monde entier. C'est la panique mondiale. Tous les dirigeants tentent de communiquer. Nous apprenons à demi-mots que des incidents isolés se sont produits comme chez nous et ont été étouffés par les chefs d'Etats. Des couvre-feux et des lois martiales sont instaurés en urgence de partout. Certains pays s'isolent et ferment leurs frontières. D'autres veulent s'entraider et échangent leurs données de recherches. D'autres en profitent pour attaquer leurs voisins. C'est une guerre mondiale. Humains contre créatures. Humains contre Humains. Chacun pour soi. Pas de pitié. Pas de compassion. Comme Richard l'avait senti dans ses rhumatismes.
Toutes les communications radios ou télévisions à grande échelle sont interrompues une à une. La communication devient locale. Les satellites fonctionnent, mais sont contrôlés par les dirigeants. Le monde s'entre-tue pour survivre. Les dernières informations qui me parviennent du monde extérieur sont une communication en morse via la radio CB du gouvernement. La maison de notre oncle a été bombardée. Nos parents, notre oncle, notre tante et notre cousine ont péri sous les bombes. Nous n'avons plus que Richard. Nous sommes sans nouvelles de nos amis et du reste du monde. Nous n'avons pas le temps pour les pleurer. Nous devons nous préparer davantage. Bientôt, nous aurons la guerre à nos portes.
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