Seules 1/2

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Notre équipe se serre les coudes. Nous rapatrions tous ceux que nous pouvons plus ou moins légalement. Notre lycée étant sous haute surveillance, puisque point d'origine d'attaque, il est impossible de faire bouger nos amis. Nous parvenons au moins à les envoyer dans l'immeuble sécurisé par le lieutenant Mitchell. Nous recueillons les voisins civils en donnant priorité aux enfants. Les gendarmes et policiers des alentours viennent grossir nos troupes de défense. Les agriculteurs et les maçons, ceux des travailleurs avec leurs machines. Nous refusons de nous fermer au monde, mais restons vigilants. Nous voyons le monde se déchirer via l'écran de télé.

Nous accueillons environ cent cinquante personnes au sein de notre village médiéval et essayons d'en protéger une centaine d'autres aux alentours en leur donnant nos informations ou en les aidant à adapter leurs logements et lieux de vie. Tout le monde suit nos directives sans broncher, heureux d'avoir des indications claires et un commandement qui songe à les mettre à l'abri. Nous ne sommes pas avares de conseils et d'aide pour nos voisins et tous ceux qui nous le demandent. Pour l'instant, nous n'avons pas de signe de la présence de la bactérie sur notre voisinage. Pas la moindre attaque ou animal suspect. Nous sommes dans une zone qui semble saine.

Nous entendons par radio ou télévision les bombes et les combats qui résonnent sur toute la planète. Nous subissons quelques attaques d'humains locaux paniqués voulant s'emparer de nos ressources. La forteresse est bien conçue. Elle est défendue par des militaires chevronnés. Les pertes chez nous sont nulles. Nous limitons celles des assaillants en les raisonnant de notre mieux et en leur proposant un refuge sûr. Nous brûlons les morts adverses dignement pour qu'ils ne nourrissent pas les infectés si jamais il y en avait.

La mortalité n'est pas la même chose sur le reste du monde. Les quelques bribes d'informations que nous glanons nous indiquent des millions de morts. Les pays frontaliers des pays étiquetés comme infectés déversent leurs bombes sans pitié pour la population puis s'emparent des territoires et richesses. Le peu de survivants se fait tuer par cupidité. Ils n'ont même pas la décence de suivre les recommandations et ne font pas de bûchers mortuaires. Les morts nourrissent les infectés. Les infectés pullulent. Ils se multiplient et survivent avec l'abondance de nourriture.

Les premiers bovins carnivores font la une des rares journaux d'informations encore existants. Alors que des informations fiables circulent, les gens préfèrent inventer des théories foireuses et font n'importe quoi. Au lieu d'endiguer l'épidémie, ils la favorisent et la propagent. Ne respectant pas le confinement, ils sortent la nuit "pour tuer des créatures" et se font dévorer ou deviennent créatures. Ils ne brûlent pas leur mort. Ils abandonnent leurs animaux au lieu de les garder en sécurité. Ils stockent des trucs périssables ou inutiles. Ils se battent pour des futilités comme des bijoux ou des télés grand écran. Nous constatons les mauvais comportements à tous les niveaux, du simple civil au chef de gouvernement. La loi de la jungle est établie.

Richard a bien choisi notre zone d'habitation. Nous sommes loin du monde, des trop grandes villes et des ressources qui attirent les premiers pilleurs. Nos terres sont fertiles et l'accès à l'eau est facile, sans non plus prendre le risque d'être inondées. Bien que nous restions sur nos gardes, nous sommes dans une paix relative. Les maires des villages et villes voisines qui nous connaissent se placent tous sous les ordres de Richard et transmettent nos consignes à leurs habitants. Nos locataires et nos voisins comprennent nos conseils de couvre-feu, les règles basales de sécurité et notre besoin d'allumer un maximum de lumières la nuit. La sympathie que nous inspirions avant permet que nous sommes maintenant écoutés et respectés pour nos savoirs.

De nombreux civils se placent sous notre supervision. Nous récupérons quelques vaches, des chèvres et des moutons pour pâturer sur nos terres en journée. D'autres voisins sur un périmètre d'environ cinquante kilomètres sécurisent les accès et les entrepôts de nourriture ou de matériaux et placent un maximum d'aliments en congélateur et frigos. On stocke une quantité de viandes et de légumes surgelés impressionnante. Un grand nombre de personnes adaptent leurs logements ou des locaux de type salle des fêtes pour qu'ils deviennent des refuges en cas d'attaques en posant des barreaux et des grillages métalliques aux fenêtres et des projecteurs puissants en hauteur. Même fait à la hâte, cela renforce le potentiel de survie de notre zone.

Il faut six mois avant que nous ne voyions les premiers vrais infectés à nos murs. De nuit. Toujours de nuit. Au moins, la journée, on est tranquille en faisant un minimum attention. Des humanoïdes et des rats. La première vague de contamination. Pour les rats, je ne suis pas sûre, mais pour les humanoïdes, ils ne sont pas de la région au vu des vêtements citadins chics en lambeaux. Aucun d'eux ne parvient à franchir la muraille. Nous constatons avec bonheur que les contaminés ne savent pas ou plus nager. Nous retrouvons des humains et des rats noyés dans notre fossé et dans la rivière voisine. Nous avons donc un moyen de protéger des grandes zones en détournant la rivière ou les cours d'eau. Nous le diffusons de notre mieux à tous ceux que nous pouvons.

Je découvre le vrai traquenard du fossé d'eau. Nulle bestiole carnivore. Richard a installé un dispositif électrique dans l'eau. Dès qu'un être vivant touche l'eau, il se prend une petite décharge dissuasive puis quelques secondes après, une seconde suffisamment forte pour tuer sur le coup un ours. Aucun être vivant sain ne reste après la première décharge. Les rares canards qui se posent pour barboter redécollent aussitôt. Les infectés continuent d’avancer dans l’eau sans tenir compte du premier avertissement. Le corps flottant est abattu, récupéré et brûlé si malade ou doute, c'est-à-dire quasi systématiquement. Comme des panneaux indiquent clairement que l'eau est piégée, par des symboles visibles de nuit, il n'y a que des animaux ou des contaminés qui tentent leur chance. Pour les animaux sains, les abords ont été aménagés pour qu'ils n'aient pas accès à la partie électrifiée. Un point d'eau sécurisé pour s'abreuver est à proximité, les détournant de notre piège.

Aussitôt après la confirmation de la perte de capacité de nage, nous effectuons des travaux pour construire un canal profond permettant de sécuriser notre zone de culture puis nous avancerons vers les villages des alentours. Tous les entrepreneurs et agriculteurs qui disposent de matériel de chantier nous aident bénévolement. Ils ont compris l'urgence et la nécessité. Nous commençons par nos terres afin de créer un îlot sain de départ puis avançons de notre mieux pour protéger d'autres morceaux. Régulièrement, des échelles pour sortir sont visibles, fortement éclairées de nuit. En cas d'attaque, on peut sauter dans l'eau et ressortir plus loin.

Nous démontons tous les petits ponts de promenade et les remplaçons par des ponts-levis ou des échelles. Nous plaçons de multiples projecteurs sur les gros ponts pourvus d'électricité qui permettent le passage des véhicules, en créant des couloirs de lumières et parfois de sons. Nous ne pouvons les détruire puisque nous devons garder la possibilité de circulation rapide. Toutefois, nous tentons de limiter l'arrivée des infectés avec les moyens du bord. Sur ceux où nous n'avons pas accès à l'électricité, nous installons des sortes de sas avec trois grilles. Une à chaque extrémité, une au milieu, toujours fermées de manière simple avec des verrous basiques. Un humain peut facilement les ouvrir rapidement, un infecté non. Un haut grillage qui se termine par des plaques métalliques ou des panneaux de verre lisses sans accroche possible. Les animaux vecteurs y compris les petits seront bloqués en quasi-totalité. Il n'y a que le problème des piafs à résoudre.

Grâce à mon braconnage, nous capturons d'autres créatures en vue d'études. Les humains viennent clairement de loin. La nourriture doit leur manquer. Quelque part, c'est rassurant de ne pas voir de tête connue. Si les infectés s'éloignent de leur lieu de vie, c'est que ces endroits n'ont plus rien à manger ou que les humains se sont bien protégés. C'est donc soit une catastrophe, soit un espoir. Les animaux sauvages sont présents en zone urbaine, mais les éclairages et les bâtiments peuvent sécuriser les zones assez facilement avec un peu de savoir-faire.

Le biologiste effectue quelques tests supplémentaires sur des cadavres humains ou animaux que nous récupérons. Grâce à un fermier qui nous donne le poison, nous découvrons que la mort au rat par anticoagulant semble avoir un effet sur la bactérie. À très faible dose, elle tue les bactéries. Mais aussi l'hôte sur les quelques rats que nous testons. La dose létale est abaissée en cas de contamination. Nous ne comprenons pas le mécanisme précisément, mais il semblerait que la mort au rat provoque la lyse des bactéries qui relargue des toxines mortelles. L'administration de vitamine K, antidote en temps normal, ne change rien à la létalité. Cette réduction de dose permet de tuer à coup sûr un infecté et rend juste bien malade un être sain.

Nous trouvons de nouvelles façons de tuer, mais aucune pour guérir. Toutefois, cette piste intéressante est tout de même diffusée de notre mieux dans notre guide de survie et auprès des scientifiques avec qui nous sommes encore en contact. Si nous ne savons pas pourquoi, quelqu’un peut comprendre et nous aider dans notre recherche d'un antidote. Certains anticoagulants humains fonctionnent aussi à des doses variables, uniquement ceux agissant sur la vitamine K. Pas les autres.

En sacrifiant des saletés de rats, nous établissons un début de réponse quant au délai d'incubation, au développement de la maladie et à la durée de vie après contamination. Nous confirmons que la contamination peut se faire par contact direct avec tous les fluides corporels, mais que le réel danger vient du sang et des chairs infectées. Soit par morsure, griffure ou ingestion. Sans hôte, la bactérie s'autodétruit très rapidement, parfois en moins d'une minute. Si l'hôte n'est pas nourri, il meurt bien plus vite.

Un étrange phénomène est observé parmi les rats cobayes. Les créatures semblent préférer chasser les individus sains plutôt que leurs congénères tant que ceux-ci ne présentent pas de plaies fraîches. En revanche, si l'un d'eux se coupe ou saigne, tous se jettent sur lui et le dévorent avant de retourner vers les proies non contaminées. L'odeur de sang entraîne une frénésie et une bagarre générale qui augmente le cannibalisme ou offre une chance de fuite. Si on est attaqué, il suffit d'en blesser un de quelque manière que ce soit ou de balancer un bout de bidoche pour avoir un répit de quelques instants.

Il faut se terrer jusqu'à ce que la bactérie n'ait plus d'hôtes. C'est mal barré vu qu'elle se transmet à un grand nombre d'êtres à sang chaud. Les carnivores ou charognards se contaminent en mangeant la chair de créatures. Les autres en se faisant mordre. Les rats sont les principaux animaux infectés. On pense que c'est leur mode d'alimentation omnivore opportuniste et leur sortie aux dernières heures de soleil qui les rend potentiellement plus soumis au risque. Les souris et autres bestioles sont plus craintives ou mieux nourries. Les rats sont aussi les plus difficiles à combattre en raison de leur nombre et agressivité naturelle. Il suffit d'un pour contaminer une colonie entière. En plus, ils se faufilent partout. Quelle saloperie.

Nous ne trouvons aucun désinfectant efficace. Aucun médicament ne ralentit la progression. Nous essayons tout ce qui nous passe par l'esprit, de la pénicilline à l'huile essentielle de lavande. Nous testons toutes les substances chimiques de la pharmacie et du supermarché. Quelques habitants infectés récemment acceptent différentes méthodes pour survivre. Une seule donne un résultat probant, mais elle est horriblement barbare. Une personne venant d'être mordue peut éviter la contamination si sa blessure est brûlée en profondeur par un chalumeau ou de l'azote liquide dans les vingt minutes après contamination, et si la blessure n'est pas au niveau du cou ou de la tête. L'amputation même immédiate ne suffit pas. Il faut le feu ou la glace.

La méthode est horrible. Nous ne pouvons que rarement anesthésier avant de passer le chalumeau. Nombreux sont ceux qui se débattent et que nous devons tenir solidement. Tous finissent par tomber dans les pommes. Malgré l'atrocité, nous devons le faire pour sauver des vies. La cicatrice de brûlure restera à vie. Mais au moins, il y a des chances de survivre. C'est déjà ça. Richard et moi sommes les seuls capables de le faire sur un enfant sans états d’âme visible. Mélia et quelques militaires y arrivent également, même s'ils vomissent après. Les gamins repartent traumatisés et avec une cicatrice, mais vivants. Nous sauvons des dizaines de personnes en quelques semaines par cette solution barbare.

Les quelque infectés qui acceptèrent de servir de cobaye durant leur incubation, nous apprîmes une perte rapide de la vision, compensée par une ouïe et un odorat développé. Dès les premiers jours, nous découvrons totalement par hasard que l'odeur de la menthe leur est fortement désagréable, carrément répulsive en fin de vie. D'autres odeurs fortes sont testées sans succès. Une sensibilité aux sons forts au point d'être désorienté très facilement si de la musique forte est diffusée. On peut ainsi s'échapper si on leur balance des sons puissants, car ils ne parviennent plus à nous repérer. En plus, les sons forts sont douloureux. Surtout, s'ils sont des extrêmes graves ou aigus. Vive le klaxon !

Une perte de sensation de douleur et de réponse aux stimuli nerveux sauf en cas de brûlure lumineuse ou thermique. La perte ou la blessure d'un bras, d'une jambe ou au ventre ne stoppent pas un infecté. Seuls les coups au niveau céphalique et surtout une balle dans la tête ou une décapitation le stoppe. Le feu consume les chairs jusqu'à la dernière cellule. Aucun être à sang chaud ne supporte l'hyper ou l'hypothermie nécessaire pour tuer la bactérie et cela ne ralentit pas la progression. Si l'endroit de la blessure n'est pas vital, il faut le brûler. C'est la seule solution qui fonctionne quasiment à chaque fois.

Nous découvrons ainsi qu'après une contamination, un humain met entre trois et dix jours maximums à développer des symptômes détectables. Faim accrue. Perte de cohérence dans un discours ou un travail intellectuel. Perte de mémoire et notamment des apprentissages tels la nage. Et surtout, premières pustules de pourriture et intolérance à la lumière. Toute torche visant les yeux provoque des hurlements et de la douleur. Le raisonnement et les actions réfléchies ne sont plus possibles quinze jours après la contamination. L'espérance de vie varie en fonction de la nourriture disponible. Non nourri, un contaminé humain meure au bout d'un mois maximum. Nourri en quantité, il met jusqu'à six mois.

Nous n'avons malheureusement pas que les infectés ou assaillants à gérer. Les civils réfugiés posent eux aussi problème. Les enfants et les adolescents respectent assez facilement les consignes. Ce sont les adultes non-militaires qui sont source de danger. Quelques-uns de nos convives ne supportent plus l'enfermement. Ils deviennent imprudents. Ils emmènent leurs familles pour rentrer chez eux malgré notre désapprobation. Ils se font attaquer en s'approchant trop de la forêt ou d'habitations abandonnées. Ils se font tuer ou contaminer. C'est un suicide collectif par stupidité. Nous perdons des troupes en tentant de les sauver ou de les raisonner. Nous isolons chaque personne suspecte dans notre infirmerie. Le médecin et le biologiste notent leurs observations et leurs conclusions.

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