Seules

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Notre équipe se serre les coudes. Nous rapatrions tous ceux que nous pouvons plus ou moins légalement. Notre lycée étant sous haute surveillance, puisque point d'origine d'attaque, il est impossible de faire bouger nos amis. Nous parvenons au moins à les envoyer dans l'immeuble sécurisé par le lieutenant Mitchell. Nous recueillons les voisins civils en donnant priorité aux enfants. Les gendarmes et policiers des alentours viennent grossir nos troupes de défense. Les agriculteurs et les maçons, ceux des travailleurs avec leurs machines. Nous refusons de nous fermer au monde, mais restons vigilants. Nous voyons le monde se déchirer via l'écran de télé.

Nous accueillons environ cent cinquante personnes au sein de notre village médiéval et essayons d'en protéger une centaine d'autres aux alentours en leur donnant nos informations ou en les aidant à adapter leurs logements et lieux de vie. Tout le monde suit nos directives sans broncher, heureux d'avoir des indications claires et un commandement qui songe à les mettre à l'abri. Nous ne sommes pas avares de conseils et d'aide pour nos voisins et tous ceux qui nous le demandent. Pour l'instant, nous n'avons pas de signe de la présence de la bactérie sur notre voisinage. Pas la moindre attaque ou animal suspect. Nous sommes dans une zone qui semble saine.

Nous entendons par radio ou télévision les bombes et les combats qui résonnent sur toute la planète. Nous subissons quelques attaques d'humains locaux paniqués voulant s'emparer de nos ressources. La forteresse est bien conçue. Elle est défendue par des militaires chevronnés. Les pertes chez nous sont nulles. Nous limitons celles des assaillants en les raisonnant de notre mieux et en leur proposant un refuge sûr. Nous brûlons les morts adverses dignement pour qu'ils ne nourrissent pas les infectés si jamais il y en avait.

La mortalité n'est pas la même chose sur le reste du monde. Les quelques bribes d'informations que nous glanons nous indiquent des millions de morts. Les pays frontaliers des pays étiquetés comme infectés déversent leurs bombes sans pitié pour la population puis s'emparent des territoires et richesses. Le peu de survivants se fait tuer par cupidité. Ils n'ont même pas la décence de suivre les recommandations et ne font pas de bûchers mortuaires. Les morts nourrissent les infectés. Les infectés pullulent. Ils se multiplient et survivent avec l'abondance de nourriture.

Les premiers bovins carnivores font la une des rares journaux d'informations encore existants. Alors que des informations fiables circulent, les gens préfèrent inventer des théories foireuses et font n'importe quoi. Au lieu d'endiguer l'épidémie, ils la favorisent et la propagent. Ne respectant pas le confinement, ils sortent la nuit "pour tuer des créatures" et se font dévorer ou deviennent créatures. Ils ne brûlent pas leur mort. Ils abandonnent leurs animaux au lieu de les garder en sécurité. Ils stockent des trucs périssables ou inutiles. Ils se battent pour des futilités comme des bijoux ou des télés grand écran. Nous constatons les mauvais comportements à tous les niveaux, du simple civil au chef de gouvernement. La loi de la jungle est établie.

Richard a bien choisi notre zone d'habitation. Nous sommes loin du monde, des trop grandes villes et des ressources qui attirent les premiers pilleurs. Nos terres sont fertiles et l'accès à l'eau est facile, sans non plus prendre le risque d'être inondées. Bien que nous restions sur nos gardes, nous sommes dans une paix relative. Les maires des villages et villes voisines qui nous connaissent se placent tous sous les ordres de Richard et transmettent nos consignes à leurs habitants. Nos locataires et nos voisins comprennent nos conseils de couvre-feu, les règles basales de sécurité et notre besoin d'allumer un maximum de lumières la nuit. La sympathie que nous inspirions avant permet que nous sommes maintenant écoutés et respectés pour nos savoirs.

De nombreux civils se placent sous notre supervision. Nous récupérons quelques vaches, des chèvres et des moutons pour pâturer sur nos terres en journée. D'autres voisins sur un périmètre d'environ cinquante kilomètres sécurisent les accès et les entrepôts de nourriture ou de matériaux et placent un maximum d'aliments en congélateur et frigos. On stocke une quantité de viandes et de légumes surgelés impressionnante. Un grand nombre de personnes adaptent leurs logements ou des locaux de type salle des fêtes pour qu'ils deviennent des refuges en cas d'attaques en posant des barreaux et des grillages métalliques aux fenêtres et des projecteurs puissants en hauteur. Même fait à la hâte, cela renforce le potentiel de survie de notre zone.

Il faut six mois avant que nous ne voyions les premiers vrais infectés à nos murs. De nuit. Toujours de nuit. Au moins, la journée, on est tranquille en faisant un minimum attention. Des humanoïdes et des rats. La première vague de contamination. Pour les rats, je ne suis pas sûre, mais pour les humanoïdes, ils ne sont pas de la région au vu des vêtements citadins chics en lambeaux. Aucun d'eux ne parvient à franchir la muraille. Nous constatons avec bonheur que les contaminés ne savent pas ou plus nager. Nous retrouvons des humains et des rats noyés dans notre fossé et dans la rivière voisine. Nous avons donc un moyen de protéger des grandes zones en détournant la rivière ou les cours d'eau. Nous le diffusons de notre mieux à tous ceux que nous pouvons.

Je découvre le vrai traquenard du fossé d'eau. Nulle bestiole carnivore. Richard a installé un dispositif électrique dans l'eau. Dès qu'un être vivant touche l'eau, il se prend une petite décharge dissuasive puis quelques secondes après, une seconde suffisamment forte pour tuer sur le coup un ours. Aucun être vivant sain ne reste après la première décharge. Les rares canards qui se posent pour barboter redécollent aussitôt. Les infectés continuent d’avancer dans l’eau sans tenir compte du premier avertissement. Le corps flottant est abattu, récupéré et brûlé si malade ou doute, c'est-à-dire quasi systématiquement. Comme des panneaux indiquent clairement que l'eau est piégée, par des symboles visibles de nuit, il n'y a que des animaux ou des contaminés qui tentent leur chance. Pour les animaux sains, les abords ont été aménagés pour qu'ils n'aient pas accès à la partie électrifiée. Un point d'eau sécurisé pour s'abreuver est à proximité, les détournant de notre piège.

Aussitôt après la confirmation de la perte de capacité de nage, nous effectuons des travaux pour construire un canal profond permettant de sécuriser notre zone de culture puis nous avancerons vers les villages des alentours. Tous les entrepreneurs et agriculteurs qui disposent de matériel de chantier nous aident bénévolement. Ils ont compris l'urgence et la nécessité. Nous commençons par nos terres afin de créer un îlot sain de départ puis avançons de notre mieux pour protéger d'autres morceaux. Régulièrement, des échelles pour sortir sont visibles, fortement éclairées de nuit. En cas d'attaque, on peut sauter dans l'eau et ressortir plus loin.

Nous démontons tous les petits ponts de promenade et les remplaçons par des ponts-levis ou des échelles. Nous plaçons de multiples projecteurs sur les gros ponts pourvus d'électricité qui permettent le passage des véhicules, en créant des couloirs de lumières et parfois de sons. Nous ne pouvons les détruire puisque nous devons garder la possibilité de circulation rapide. Toutefois, nous tentons de limiter l'arrivée des infectés avec les moyens du bord. Sur ceux où nous n'avons pas accès à l'électricité, nous installons des sortes de sas avec trois grilles. Une à chaque extrémité, une au milieu, toujours fermées de manière simple avec des verrous basiques. Un humain peut facilement les ouvrir rapidement, un infecté non. Un haut grillage qui se termine par des plaques métalliques ou des panneaux de verre lisses sans accroche possible. Les animaux vecteurs y compris les petits seront bloqués en quasi-totalité. Il n'y a que le problème des piafs à résoudre.

Grâce à mon braconnage, nous capturons d'autres créatures en vue d'études. Les humains viennent clairement de loin. La nourriture doit leur manquer. Quelque part, c'est rassurant de ne pas voir de tête connue. Si les infectés s'éloignent de leur lieu de vie, c'est que ces endroits n'ont plus rien à manger ou que les humains se sont bien protégés. C'est donc soit une catastrophe, soit un espoir. Les animaux sauvages sont présents en zone urbaine, mais les éclairages et les bâtiments peuvent sécuriser les zones assez facilement avec un peu de savoir-faire.

Le biologiste effectue quelques tests supplémentaires sur des cadavres humains ou animaux que nous récupérons. Grâce à un fermier qui nous donne le poison, nous découvrons que la mort au rat par anticoagulant semble avoir un effet sur la bactérie. À très faible dose, elle tue les bactéries. Mais aussi l'hôte sur les quelques rats que nous testons. La dose létale est abaissée en cas de contamination. Nous ne comprenons pas le mécanisme précisément, mais il semblerait que la mort au rat provoque la lyse des bactéries qui relargue des toxines mortelles. L'administration de vitamine K, antidote en temps normal, ne change rien à la létalité. Cette réduction de dose permet de tuer à coup sûr un infecté et rend juste bien malade un être sain.

Nous trouvons de nouvelles façons de tuer, mais aucune pour guérir. Toutefois, cette piste intéressante est tout de même diffusée de notre mieux dans notre guide de survie et auprès des scientifiques avec qui nous sommes encore en contact. Si nous ne savons pas pourquoi, quelqu’un peut comprendre et nous aider dans notre recherche d'un antidote. Certains anticoagulants humains fonctionnent aussi à des doses variables, uniquement ceux agissant sur la vitamine K. Pas les autres.

En sacrifiant des saletés de rats, nous établissons un début de réponse quant au délai d'incubation, au développement de la maladie et à la durée de vie après contamination. Nous confirmons que la contamination peut se faire par contact direct avec tous les fluides corporels, mais que le réel danger vient du sang et des chairs infectées. Soit par morsure, griffure ou ingestion. Sans hôte, la bactérie s'autodétruit très rapidement, parfois en moins d'une minute. Si l'hôte n'est pas nourri, il meurt bien plus vite.

Un étrange phénomène est observé parmi les rats cobayes. Les créatures semblent préférer chasser les individus sains plutôt que leurs congénères tant que ceux-ci ne présentent pas de plaies fraîches. En revanche, si l'un d'eux se coupe ou saigne, tous se jettent sur lui et le dévorent avant de retourner vers les proies non contaminées. L'odeur de sang entraîne une frénésie et une bagarre générale qui augmente le cannibalisme ou offre une chance de fuite. Si on est attaqué, il suffit d'en blesser un de quelque manière que ce soit ou de balancer un bout de bidoche pour avoir un répit de quelques instants.

Il faut se terrer jusqu'à ce que la bactérie n'ait plus d'hôtes. C'est mal barré vu qu'elle se transmet à un grand nombre d'êtres à sang chaud. Les carnivores ou charognards se contaminent en mangeant la chair de créatures. Les autres en se faisant mordre. Les rats sont les principaux animaux infectés. On pense que c'est leur mode d'alimentation omnivore opportuniste et leur sortie aux dernières heures de soleil qui les rend potentiellement plus soumis au risque. Les souris et autres bestioles sont plus craintives ou mieux nourries. Les rats sont aussi les plus difficiles à combattre en raison de leur nombre et agressivité naturelle. Il suffit d'un pour contaminer une colonie entière. En plus, ils se faufilent partout. Quelle saloperie.

Nous ne trouvons aucun désinfectant efficace. Aucun médicament ne ralentit la progression. Nous essayons tout ce qui nous passe par l'esprit, de la pénicilline à l'huile essentielle de lavande. Nous testons toutes les substances chimiques de la pharmacie et du supermarché. Quelques habitants infectés récemment acceptent différentes méthodes pour survivre. Une seule donne un résultat probant, mais elle est horriblement barbare. Une personne venant d'être mordue peut éviter la contamination si sa blessure est brûlée en profondeur par un chalumeau ou de l'azote liquide dans les vingt minutes après contamination, et si la blessure n'est pas au niveau du cou ou de la tête. L'amputation même immédiate ne suffit pas. Il faut le feu ou la glace.

La méthode est horrible. Nous ne pouvons que rarement anesthésier avant de passer le chalumeau. Nombreux sont ceux qui se débattent et que nous devons tenir solidement. Tous finissent par tomber dans les pommes. Malgré l'atrocité, nous devons le faire pour sauver des vies. La cicatrice de brûlure restera à vie. Mais au moins, il y a des chances de survivre. C'est déjà ça. Richard et moi sommes les seuls capables de le faire sur un enfant sans états d’âme visible. Mélia et quelques militaires y arrivent également, même s'ils vomissent après. Les gamins repartent traumatisés et avec une cicatrice, mais vivants. Nous sauvons des dizaines de personnes en quelques semaines par cette solution barbare.

Les quelque infectés qui acceptèrent de servir de cobaye durant leur incubation, nous apprîmes une perte rapide de la vision, compensée par une ouïe et un odorat développé. Dès les premiers jours, nous découvrons totalement par hasard que l'odeur de la menthe leur est fortement désagréable, carrément répulsive en fin de vie. D'autres odeurs fortes sont testées sans succès. Une sensibilité aux sons forts au point d'être désorienté très facilement si de la musique forte est diffusée. On peut ainsi s'échapper si on leur balance des sons puissants, car ils ne parviennent plus à nous repérer. En plus, les sons forts sont douloureux. Surtout, s'ils sont des extrêmes graves ou aigus. Vive le klaxon !

Une perte de sensation de douleur et de réponse aux stimuli nerveux sauf en cas de brûlure lumineuse ou thermique. La perte ou la blessure d'un bras, d'une jambe ou au ventre ne stoppent pas un infecté. Seuls les coups au niveau céphalique et surtout une balle dans la tête ou une décapitation le stoppe. Le feu consume les chairs jusqu'à la dernière cellule. Aucun être à sang chaud ne supporte l'hyper ou l'hypothermie nécessaire pour tuer la bactérie et cela ne ralentit pas la progression. Si l'endroit de la blessure n'est pas vital, il faut le brûler. C'est la seule solution qui fonctionne quasiment à chaque fois.

Nous découvrons ainsi qu'après une contamination, un humain met entre trois et dix jours maximums à développer des symptômes détectables. Faim accrue. Perte de cohérence dans un discours ou un travail intellectuel. Perte de mémoire et notamment des apprentissages tels la nage. Et surtout, premières pustules de pourriture et intolérance à la lumière. Toute torche visant les yeux provoque des hurlements et de la douleur. Le raisonnement et les actions réfléchies ne sont plus possibles quinze jours après la contamination. L'espérance de vie varie en fonction de la nourriture disponible. Non nourri, un contaminé humain meure au bout d'un mois maximum. Nourri en quantité, il met jusqu'à six mois.

Nous n'avons malheureusement pas que les infectés ou assaillants à gérer. Les civils réfugiés posent eux aussi problème. Les enfants et les adolescents respectent assez facilement les consignes. Ce sont les adultes non-militaires qui sont source de danger. Quelques-uns de nos convives ne supportent plus l'enfermement. Ils deviennent imprudents. Ils emmènent leurs familles pour rentrer chez eux malgré notre désapprobation. Ils se font attaquer en s'approchant trop de la forêt ou d'habitations abandonnées. Ils se font tuer ou contaminer. C'est un suicide collectif par stupidité. Nous perdons des troupes en tentant de les sauver ou de les raisonner. Nous isolons chaque personne suspecte dans notre infirmerie. Le médecin et le biologiste notent leurs observations et leurs conclusions.

La nuit, nous voyons de plus en plus d'infectés. Des têtes connues commencent à apparaître. Souvent d'anciens convives qui sont partis. Nous abrégeons les souffrances des contaminés de nos infirmeries d'une balle dans la tête. Puis nous brûlons leurs cadavres. Leurs affaires sont soit brûlées soit mises au congélateur pour décontamination selon l'utilité. Un cheval mordu par un rat contaminé n'a pas eu de soins à temps. Nous le tuons sans délai avant qu’il ne devienne carnivore.

Nous laissons la façade des murailles allumée toute la nuit. Comme un phare de bord de mer, pour que les rats ne rentrent plus. Une lueur d'espoir pour les personnes saines. Nous plantons de la menthe à de multiples endroits. Tous les matins, nous abaissons les ponts-levis. Tous les soirs, nous les remontons. Grâce à cela, nous parvenons à sécuriser notre morceau de terre entouré d'eau. Des rats ou d'autres bestioles continuent de se faire contaminer, et beaucoup d'humains. Seul l'intérieur du village médiéval et de nos quelques kilomètres carrés de culture est quasi sain, puisque notre infirmerie est le seul lieu contaminé. Nous n'avons sur nos terres que de rares volatiles qui sont vite éliminés.

Afin de faire grandir notre îlot de sécurité, nous devons réduire le nombre d'infectés aux alentours et surtout les empêcher de faire d'autres victimes. Alors, à la méthode pour endiguer une espèce invasive, nous décidons de chasser à notre manière les créatures. Après de longues heures de discussion entre le biologiste, le médecin et les chasseurs, nous décidons d'une stratégie pour essayer de faire quelque chose sans faire de folies. Avec un risque limité, nous tentons de maximiser les pertes ennemies sans perdre nos propres troupes. En journée, à l'extérieur de notre village, Richard fabrique des pièges pour humanoïdes et pour animaux. Ils ont faim. Ils cherchent la facilité. On va les nourrir, avec des cadavres remplis de mort au rat. Le cheval va nous servir comme aliment de base pour créatures affamées.

Richard et nos hommes creusent plusieurs fosses avec une pelleteuse. Un truc bien profond en forme rectangulaire de longueur et largeur de piscine, c'est-à-dire cinq mètres sur dix, mais au creux entre trois et cinq mètres. Avec les matériaux disponibles, nous fabriquons une pente inverse lisse sur les bords des deux derniers mètres pour empêcher les infectés de remonter. Nous utilisons de grandes plaques de plexiglas pour cela. Au cas où, des personnes saines peuvent sortir en faisant la courte échelle. Parrain indique très clairement le piège pour les humains indemnes qui passeraient. Les têtes de mort, les chaînes ou les pierres entravent l'accès à toute personne saine d'esprit. Nous jetons des cadavres d'animaux empoisonnés ou des bouts du canasson. En cinq jours, nous avons fabriqué sept petits pièges sur nos terres et aux abords. Je pose le vice à mettre une bâche d'ombrage sur l'un des pièges, pour les choper au petit matin en fabriquant un faux abri.

Nous observons les résultats. Dès la première nuit de piégeage, nous intoxiquons neuf créatures en moyenne sur chacun des pièges à l'extérieur de nos terres. Nous avons preuve d'avoir un îlot quasi-sain en ne voyant que deux canards dans les fosses internes. Nous brûlons nos prises au petit matin. Nous recommençons aussitôt. Nous fabriquons d'autres pièges quand nous pouvons. Tous les soirs, pendant deux mois, nous capturons humanoïdes et animaux. De plus en plus nombreux chaque jour. Alors que notre nombre diminue cruellement.

Quinze mois après le début de la guerre, nous ne sommes plus qu'une trentaine de réfugiés. Quasiment que les militaires, les survivalistes de l'origine, les gendarmes et les policiers de la région. Les seuls capables de suivre les ordres et de gérer la pression mentale. Nous étions environ cent cinquante lors des premiers jours. Nos expéditions diurnes à la recherche de survivants ne nous fournissent aucun nouvel habitant. Malgré le décès du médecin, après une attaque par une fillette de cinq ans, nous continuons d'expérimenter pour en apprendre un maximum et tenter de trouver un remède. Inlassablement. Il le faut. Nous émettons sur les ondes CB toutes les informations de lutte que nous découvrons. Un message enregistré diffusé en boucle. Français, Anglais, Espagnol.

Nous voulons la survie des humains. Alors, lors de nos expéditions, nous sécurisons des maisons sur le chemin et laissons sur les murs environnants des instructions écrites pour trouver l'abri sécurisé et tout ce qu'on apprend au fur et à mesure. Grâce aux pièges, nous avons enfin presque sécurisé les alentours nos terres et pouvons faire pâturer nos animaux en journée. Une zone d'environ trois kilomètres de diamètre autour du mas qui est exempte de créatures. Une zone tampon de cinq où le nombre est très faible, quasiment que des oiseaux. Englobant un supermarché, une station-service, trois pharmacies, une dizaine de lieux refuges et un magasin d'ameublement. Tout ce que nous avons pu sécuriser par des canaux d'irrigation et des ponts-levis avant l'arrivée des monstres.

Nous savons donc que notre méthode d'isolation par l'eau est efficace pour limiter la propagation. Tous les poulaillers et bâtisses d'élevages qui sont hermétiques la nuit protègent les animaux d'élevage. Les animaux sauvages viennent trouver refuge sur notre îlot en traversant les ponts en journée. Nous essayons d'en recueillir un maximum en privilégiant les herbivores comme les chevreuils, écureuils ou les lapins.

Après, c'est une zone considérée comme dangereuse bien que riche en ressources utiles. Nous manquons de monde pour produire la nourriture, faire les réparations et s'occuper de l'assainissement. Nous faisons de notre mieux. Nous récupérons les matériaux des pièges des zones saines pour construire de nouveaux traquenards, en laissant tout de même le trou au cas où, avec un fond de bouffe. Heureusement, un morceau minuscule suffit à appâter un grand nombre de contaminés. Nous pouvons mettre du sang frais sain aussi. Nos chevaux et nos vaches nous servent grandement pour faire des prises de sang régulières et suffisantes sans mettre en danger leur vie. Les tampons hygiéniques de Mélia, des quelques filles et de moi sont aussi mis à contribution. Nous stockons le peu de poches de sang animal en surplus dans nos chambres froides.

La production d'électricité n'est pas stoppée pour le moment. Les barrages hydrauliques et les champs de panneaux photovoltaïques du pays fonctionnent en automatique. Nous allumons un maximum de lumière de partout dans le but d'empêcher les créatures de se cacher et ainsi sécuriser le plus grand nombre possible de lieux. Sur les lieux stratégiques comme les refuges ou les magasins utiles, nous diffusons de la techno pour empêcher les bêtes de venir. Quand nous pouvons, nous plantons de la menthe et nous sécurisons les rez-de-chaussée des bâtiments. Nous tentons de repousser l'ennemi de notre mieux.

Nous construisons des nouveaux pièges régulièrement. Malheureusement, nous ne pouvons vivre en autarcie et devons effectuer des raids de ravitaillement ou de recherche de survivants dans les zones dangereuses qui nous coûte des vies par attaque de créatures ou d'humains belliqueux. Souvent des rats qui nous sautent dessus, bravant la lumière tellement la faim est forte. Saleté de rats.

Deux ans après le début de la guerre, nous sommes dans la ville de Town, à vingt kilomètres environ du mas, quand nous sommes attaqués par un groupe de survivants belliqueux. Des mercenaires entraînés nous ont repérés. Nous sommes cinq contre une vingtaine. Un des nôtres tente de parlementer, mais ils n'ont clairement aucune envie de faire des survivants. Il nous faut les tuer avant qu'ils ne trouvent le mas. Tandis que notre groupe tient la position, je bats en retraite et gagne les toits. Je suis tireur d'élite. Je tue à distance une dizaine de types, mes camarades cinq autres.

Grâce à moi, notre groupe finit par vaincre, malheureusement, le niveau de nos assaillants a fait durer le combat et la nuit tombe. Des créatures profitent de la pénombre pour sortir se nourrir. Elles nous attaquent tandis qu'on se fait tirer dessus par des humains. Les deux groupes, assaillants et défenseurs, se font contaminer. Ils sont cinq assaillants à s'enfuir en fin de combat. Nous, on est cinq, tous contaminés, sauf moi qui étais sur les toits.

Nous étions séparés en six groupes de cinq pour le ravitaillement. Nous fonçons chercher les autres avec nos véhicules. Les quatre premiers groupes ont subi le même genre d'attaques. Ils se sont battus farouchement, mais ont été tués comme leurs assaillants. Nous ne retrouvons que leurs cadavres et ceux de leurs victimes sur le chemin. Tous en train d'être dévorés par des infectés. Nous les brûlons en les aspergeant d'essence et puis nous partons vite.

Il ne reste que Richard et Mélia sur le dernier groupe. Parrain a tué tous les assaillants en adoptons la même méthode de sniper. Il fait de son mieux pour tuer un maximum de bestioles en gardant sa position en hauteur, la seule sûre. Ma jumelle est avec lui et l'aide de son mieux. Mon cocktail molotov incendie les cadavres et il fait fuir les créatures suffisamment longtemps pour qu'on puisse les récupérer tous les deux.

Richard a été contaminé en protégeant ma jumelle contre un rat. Comme Mélia et moi sommes les seules à n'avoir aucune blessure et donc les seules à avoir espoir d'être saine, les cinq hommes survivants se placent d'eux-mêmes à l'infirmerie. Ils ont tous été mordu, et même s'ils ont brûlé leurs plaies, cela n'a pas été immédiat. Mélia me surveille. Je surveille Mélia. Nous nous occupons toutes les deux des gars de notre mieux pour les garder en vie et tester d'autres méthodes pour trouver un remède.

Nous tentons l'ingestion à forte dose de menthe dans les premiers jours, tant qu'ils acceptent les végétaux. Richard et un autre gars acceptent de prendre des minidoses de mort au rat, un quart de dose létale pour le premier, une demi-dose pour Parrain. Le régime de menthe n'a pas d'effet sur la contamination, tout juste sur la détection de la maladie qui est plus rapide. En revanche, l'ingestion quotidienne de mort au rat ralentit la contamination tout en affaiblissant fortement le sujet.

Richard est celui qui tient le plus longtemps avant de perdre son humanité. Un mois et demi avant de perdre le contrôle de ses actions, de sa santé mentale. J'abats chaque survivant d'une balle le jour où il ne sait plus parler. Richard est le dernier que je tue. Je ne pleure pas en brûlant son corps. Mais intérieurement, je suis détruite. Je perds un père, quelqu'un que j'aime pour la troisième fois. En plus, là, c'est ma balle qui l'achève. Mon deuil se transforme en rage. Je me donne pour mission d'exterminer les rats de la surface de la terre et le groupe de belliqueux dans d'atroces souffrances. Nous passons d'une trentaine à deux en quarante-cinq jours.

Mélia et moi, nous nous organisons pour survivre au mieux avec nos animaux. Peu après la disparition de tous nos camarades, nous avons adopté deux chiens type berger croisé loup de traîneau. Nous les avons trouvés tout bébé. C'est leur mère qui les a déposés à nos pieds. C'est une femelle que nous avons hébergée quelque temps avant que ses humains ne partent de notre refuge. Nous la connaissons. Elle est douce. Je repère immédiatement son flanc déchiré. Elle est salement amochée. Elle a dû être attaquée par des infectés. Elle sait ce qui va lui arriver.

Elle nous amène ses six chiots un par un puis s'allonge au sol, me suppliant de la tuer. Quatre d'entre eux sont contaminés, sûrement par son lait ou sa salive. Killer et Happy sont les seuls sains. Ils deviennent nos alliés les plus précieux. Ils ont une meilleure oreille et nous préviennent en cas d'approche du danger. C'est un atout dans notre quotidien. À la fois un soutien moral et aussi des alliés aux sens développés. Plusieurs fois, l'un des deux nous a permis de fuir à temps.

Killer déteste les rats autant que moi. Je lui apprends à ne pas les mordre, mais à me les indiquer pour que je les décapite à coup de pelle ou tout autre objet à portée, si je n'ai pas mon arme. Il n'aime pas les câlins et tel un chat bougon, il part quand les effusions ne l'intéressent plus. Son épais mais court pelage est noir avec des taches blanches. Sa densité le protège en partie des morsures. Il a des yeux d'un bleu azur absolument magnifiques mais terrifiants quand il n'est pas content. Happy est plus doux et très câlin. Son poil abondant est brun beige et on lui rase régulièrement afin qu’il ne soit pas trop gêné par les morceaux d’herbe qui se collent à son ventre. Il est un excellent chien de berger qui nous aide grandement pour rentrer le bétail tous les soirs. Il couvre Mélia de demandes de caresses et dort souvent au pied de son lit, pour l'aider à chasser les cauchemars et à calmer les crises de pleurs. Ses yeux noisette et ses babines semblent sourire en permanence. Il a une tête de nounours. Tous deux sont inestimables.

Bien que nous ne sommes que deux, nous gérons correctement nos terres sur les huit kilomètres de diamètre. Nous avons de la nourriture et des armes en abondance. Nous continuons de piéger dans les zones presque saines. Nous ne nous aventurons que très peu en zone dangereuse. Le nombre d'infectés semble diminuer. Les créatures empoisonnées sont de plus en plus faibles et affamées. De plus en plus en fin d'existence. Il n'y a que très peu de contaminés récents. Rien aux abords du mas ou sur notre zone des huit kilomètres. Pas d’humanoïdes sur dix kilomètres de diamètre. Rien que des saletés de rats et des pigeons.

Six mois. Six mois rien que toutes les deux. Six mois sans avoir vu un autre humain. Sans avoir entendu la présence de quelqu'un d'autre via la télé, la radio, un avion ou les nombreux messages muraux. Six mois à diffuser en boucle les informations à jour sur la bactérie. En français. En anglais et espagnol. Mélia tente quelque chose en chinois, arabe et russe. Tant bien que mal. Parfois en phonétique. C’est approximatif et maladroit. Mieux vaut quelque chose d'incomplet que rien du tout. On se dit qu'on sauve des vies. Survivre, c'est aussi garder sa force mentale.

Bien que je sois brisée à l'intérieur, je tiens bon pour Mélia. Pour qu'elle ne flanche pas. Ma jumelle a besoin de moi. Pour parler, Pour se disputer. Pour jouer. Pour la protéger. Mon double est un être sociable. Elle souffre cruellement du manque d'interactions. Je donne de ma personne pour combler le manque tactile de câlins. Nous nous forçons à agir comme si nous croisions des humains, en nous lavant et en portant parfois de beaux habits. Néanmoins, nous laissons libre cours à notre folie peu à peu.

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