Seules 2/2

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La nuit, nous voyons de plus en plus d'infectés. Des têtes connues commencent à apparaître. Souvent d'anciens convives qui sont partis. Nous abrégeons les souffrances des contaminés de nos infirmeries d'une balle dans la tête. Puis nous brûlons leurs cadavres. Leurs affaires sont soit brûlées soit mises au congélateur pour décontamination selon l'utilité. Un cheval mordu par un rat contaminé n'a pas eu de soins à temps. Nous le tuons sans délai avant qu’il ne devienne carnivore.

Nous laissons la façade des murailles allumée toute la nuit. Comme un phare de bord de mer, pour que les rats ne rentrent plus. Une lueur d'espoir pour les personnes saines. Nous plantons de la menthe à de multiples endroits. Tous les matins, nous abaissons les ponts-levis. Tous les soirs, nous les remontons. Grâce à cela, nous parvenons à sécuriser notre morceau de terre entouré d'eau. Des rats ou d'autres bestioles continuent de se faire contaminer, et beaucoup d'humains. Seul l'intérieur du village médiéval et de nos quelques kilomètres carrés de culture est quasi sain, puisque notre infirmerie est le seul lieu contaminé. Nous n'avons sur nos terres que de rares volatiles qui sont vite éliminés.

Afin de faire grandir notre îlot de sécurité, nous devons réduire le nombre d'infectés aux alentours et surtout les empêcher de faire d'autres victimes. Alors, à la méthode pour endiguer une espèce invasive, nous décidons de chasser à notre manière les créatures. Après de longues heures de discussion entre le biologiste, le médecin et les chasseurs, nous décidons d'une stratégie pour essayer de faire quelque chose sans faire de folies. Avec un risque limité, nous tentons de maximiser les pertes ennemies sans perdre nos propres troupes. En journée, à l'extérieur de notre village, Richard fabrique des pièges pour humanoïdes et pour animaux. Ils ont faim. Ils cherchent la facilité. On va les nourrir, avec des cadavres remplis de mort au rat. Le cheval va nous servir comme aliment de base pour créatures affamées.

Richard et nos hommes creusent plusieurs fosses avec une pelleteuse. Un truc bien profond en forme rectangulaire de longueur et largeur de piscine, c'est-à-dire cinq mètres sur dix, mais au creux entre trois et cinq mètres. Avec les matériaux disponibles, nous fabriquons une pente inverse lisse sur les bords des deux derniers mètres pour empêcher les infectés de remonter. Nous utilisons de grandes plaques de plexiglas pour cela. Au cas où, des personnes saines peuvent sortir en faisant la courte échelle. Parrain indique très clairement le piège pour les humains indemnes qui passeraient. Les têtes de mort, les chaînes ou les pierres entravent l'accès à toute personne saine d'esprit. Nous jetons des cadavres d'animaux empoisonnés ou des bouts du canasson. En cinq jours, nous avons fabriqué sept petits pièges sur nos terres et aux abords. Je pose le vice à mettre une bâche d'ombrage sur l'un des pièges, pour les choper au petit matin en fabriquant un faux abri.

Nous observons les résultats. Dès la première nuit de piégeage, nous intoxiquons neuf créatures en moyenne sur chacun des pièges à l'extérieur de nos terres. Nous avons preuve d'avoir un îlot quasi-sain en ne voyant que deux canards dans les fosses internes. Nous brûlons nos prises au petit matin. Nous recommençons aussitôt. Nous fabriquons d'autres pièges quand nous pouvons. Tous les soirs, pendant deux mois, nous capturons humanoïdes et animaux. De plus en plus nombreux chaque jour. Alors que notre nombre diminue cruellement.

Quinze mois après le début de la guerre, nous ne sommes plus qu'une trentaine de réfugiés. Quasiment que les militaires, les survivalistes de l'origine, les gendarmes et les policiers de la région. Les seuls capables de suivre les ordres et de gérer la pression mentale. Nous étions environ cent cinquante lors des premiers jours. Nos expéditions diurnes à la recherche de survivants ne nous fournissent aucun nouvel habitant. Malgré le décès du médecin, après une attaque par une fillette de cinq ans, nous continuons d'expérimenter pour en apprendre un maximum et tenter de trouver un remède. Inlassablement. Il le faut. Nous émettons sur les ondes CB toutes les informations de lutte que nous découvrons. Un message enregistré diffusé en boucle. Français, Anglais, Espagnol.

Nous voulons la survie des humains. Alors, lors de nos expéditions, nous sécurisons des maisons sur le chemin et laissons sur les murs environnants des instructions écrites pour trouver l'abri sécurisé et tout ce qu'on apprend au fur et à mesure. Grâce aux pièges, nous avons enfin presque sécurisé les alentours nos terres et pouvons faire pâturer nos animaux en journée. Une zone d'environ trois kilomètres de diamètre autour du mas qui est exempte de créatures. Une zone tampon de cinq où le nombre est très faible, quasiment que des oiseaux. Englobant un supermarché, une station-service, trois pharmacies, une dizaine de lieux refuges et un magasin d'ameublement. Tout ce que nous avons pu sécuriser par des canaux d'irrigation et des ponts-levis avant l'arrivée des monstres.

Nous savons donc que notre méthode d'isolation par l'eau est efficace pour limiter la propagation. Tous les poulaillers et bâtisses d'élevages qui sont hermétiques la nuit protègent les animaux d'élevage. Les animaux sauvages viennent trouver refuge sur notre îlot en traversant les ponts en journée. Nous essayons d'en recueillir un maximum en privilégiant les herbivores comme les chevreuils, écureuils ou les lapins.

Après, c'est une zone considérée comme dangereuse bien que riche en ressources utiles. Nous manquons de monde pour produire la nourriture, faire les réparations et s'occuper de l'assainissement. Nous faisons de notre mieux. Nous récupérons les matériaux des pièges des zones saines pour construire de nouveaux traquenards, en laissant tout de même le trou au cas où, avec un fond de bouffe. Heureusement, un morceau minuscule suffit à appâter un grand nombre de contaminés. Nous pouvons mettre du sang frais sain aussi. Nos chevaux et nos vaches nous servent grandement pour faire des prises de sang régulières et suffisantes sans mettre en danger leur vie. Les tampons hygiéniques de Mélia, des quelques filles et de moi sont aussi mis à contribution. Nous stockons le peu de poches de sang animal en surplus dans nos chambres froides.

La production d'électricité n'est pas stoppée pour le moment. Les barrages hydrauliques et les champs de panneaux photovoltaïques du pays fonctionnent en automatique. Nous allumons un maximum de lumière de partout dans le but d'empêcher les créatures de se cacher et ainsi sécuriser le plus grand nombre possible de lieux. Sur les lieux stratégiques comme les refuges ou les magasins utiles, nous diffusons de la techno pour empêcher les bêtes de venir. Quand nous pouvons, nous plantons de la menthe et nous sécurisons les rez-de-chaussée des bâtiments. Nous tentons de repousser l'ennemi de notre mieux.

Nous construisons des nouveaux pièges régulièrement. Malheureusement, nous ne pouvons vivre en autarcie et devons effectuer des raids de ravitaillement ou de recherche de survivants dans les zones dangereuses qui nous coûte des vies par attaque de créatures ou d'humains belliqueux. Souvent des rats qui nous sautent dessus, bravant la lumière tellement la faim est forte. Saleté de rats.

Deux ans après le début de la guerre, nous sommes dans la ville de Town, à vingt kilomètres environ du mas, quand nous sommes attaqués par un groupe de survivants belliqueux. Des mercenaires entraînés nous ont repérés. Nous sommes cinq contre une vingtaine. Un des nôtres tente de parlementer, mais ils n'ont clairement aucune envie de faire des survivants. Il nous faut les tuer avant qu'ils ne trouvent le mas. Tandis que notre groupe tient la position, je bats en retraite et gagne les toits. Je suis tireur d'élite. Je tue à distance une dizaine de types, mes camarades cinq autres.

Grâce à moi, notre groupe finit par vaincre, malheureusement, le niveau de nos assaillants a fait durer le combat et la nuit tombe. Des créatures profitent de la pénombre pour sortir se nourrir. Elles nous attaquent tandis qu'on se fait tirer dessus par des humains. Les deux groupes, assaillants et défenseurs, se font contaminer. Ils sont cinq assaillants à s'enfuir en fin de combat. Nous, on est cinq, tous contaminés, sauf moi qui étais sur les toits.

Nous étions séparés en six groupes de cinq pour le ravitaillement. Nous fonçons chercher les autres avec nos véhicules. Les quatre premiers groupes ont subi le même genre d'attaques. Ils se sont battus farouchement, mais ont été tués comme leurs assaillants. Nous ne retrouvons que leurs cadavres et ceux de leurs victimes sur le chemin. Tous en train d'être dévorés par des infectés. Nous les brûlons en les aspergeant d'essence et puis nous partons vite.

Il ne reste que Richard et Mélia sur le dernier groupe. Parrain a tué tous les assaillants en adoptons la même méthode de sniper. Il fait de son mieux pour tuer un maximum de bestioles en gardant sa position en hauteur, la seule sûre. Ma jumelle est avec lui et l'aide de son mieux. Mon cocktail molotov incendie les cadavres et il fait fuir les créatures suffisamment longtemps pour qu'on puisse les récupérer tous les deux.

Richard a été contaminé en protégeant ma jumelle contre un rat. Comme Mélia et moi sommes les seules à n'avoir aucune blessure et donc les seules à avoir espoir d'être saine, les cinq hommes survivants se placent d'eux-mêmes à l'infirmerie. Ils ont tous été mordu, et même s'ils ont brûlé leurs plaies, cela n'a pas été immédiat. Mélia me surveille. Je surveille Mélia. Nous nous occupons toutes les deux des gars de notre mieux pour les garder en vie et tester d'autres méthodes pour trouver un remède.

Nous tentons l'ingestion à forte dose de menthe dans les premiers jours, tant qu'ils acceptent les végétaux. Richard et un autre gars acceptent de prendre des minidoses de mort au rat, un quart de dose létale pour le premier, une demi-dose pour Parrain. Le régime de menthe n'a pas d'effet sur la contamination, tout juste sur la détection de la maladie qui est plus rapide. En revanche, l'ingestion quotidienne de mort au rat ralentit la contamination tout en affaiblissant fortement le sujet.

Richard est celui qui tient le plus longtemps avant de perdre son humanité. Un mois et demi avant de perdre le contrôle de ses actions, de sa santé mentale. J'abats chaque survivant d'une balle le jour où il ne sait plus parler. Richard est le dernier que je tue. Je ne pleure pas en brûlant son corps. Mais intérieurement, je suis détruite. Je perds un père, quelqu'un que j'aime pour la troisième fois. En plus, là, c'est ma balle qui l'achève. Mon deuil se transforme en rage. Je me donne pour mission d'exterminer les rats de la surface de la terre et le groupe de belliqueux dans d'atroces souffrances. Nous passons d'une trentaine à deux en quarante-cinq jours.

Mélia et moi, nous nous organisons pour survivre au mieux avec nos animaux. Peu après la disparition de tous nos camarades, nous avons adopté deux chiens type berger croisé loup de traîneau. Nous les avons trouvés tout bébé. C'est leur mère qui les a déposés à nos pieds. C'est une femelle que nous avons hébergée quelque temps avant que ses humains ne partent de notre refuge. Nous la connaissons. Elle est douce. Je repère immédiatement son flanc déchiré. Elle est salement amochée. Elle a dû être attaquée par des infectés. Elle sait ce qui va lui arriver.

Elle nous amène ses six chiots un par un puis s'allonge au sol, me suppliant de la tuer. Quatre d'entre eux sont contaminés, sûrement par son lait ou sa salive. Killer et Happy sont les seuls sains. Ils deviennent nos alliés les plus précieux. Ils ont une meilleure oreille et nous préviennent en cas d'approche du danger. C'est un atout dans notre quotidien. À la fois un soutien moral et aussi des alliés aux sens développés. Plusieurs fois, l'un des deux nous a permis de fuir à temps.

Killer déteste les rats autant que moi. Je lui apprends à ne pas les mordre, mais à me les indiquer pour que je les décapite à coup de pelle ou tout autre objet à portée, si je n'ai pas mon arme. Il n'aime pas les câlins et tel un chat bougon, il part quand les effusions ne l'intéressent plus. Son épais mais court pelage est noir avec des taches blanches. Sa densité le protège en partie des morsures. Il a des yeux d'un bleu azur absolument magnifiques mais terrifiants quand il n'est pas content. Happy est plus doux et très câlin. Son poil abondant est brun beige et on lui rase régulièrement afin qu’il ne soit pas trop gêné par les morceaux d’herbe qui se collent à son ventre. Il est un excellent chien de berger qui nous aide grandement pour rentrer le bétail tous les soirs. Il couvre Mélia de demandes de caresses et dort souvent au pied de son lit, pour l'aider à chasser les cauchemars et à calmer les crises de pleurs. Ses yeux noisette et ses babines semblent sourire en permanence. Il a une tête de nounours. Tous deux sont inestimables.

Bien que nous ne sommes que deux, nous gérons correctement nos terres sur les huit kilomètres de diamètre. Nous avons de la nourriture et des armes en abondance. Nous continuons de piéger dans les zones presque saines. Nous ne nous aventurons que très peu en zone dangereuse. Le nombre d'infectés semble diminuer. Les créatures empoisonnées sont de plus en plus faibles et affamées. De plus en plus en fin d'existence. Il n'y a que très peu de contaminés récents. Rien aux abords du mas ou sur notre zone des huit kilomètres. Pas d’humanoïdes sur dix kilomètres de diamètre. Rien que des saletés de rats et des pigeons.

Six mois. Six mois rien que toutes les deux. Six mois sans avoir vu un autre humain. Sans avoir entendu la présence de quelqu'un d'autre via la télé, la radio, un avion ou les nombreux messages muraux. Six mois à diffuser en boucle les informations à jour sur la bactérie. En français. En anglais et espagnol. Mélia tente quelque chose en chinois, arabe et russe. Tant bien que mal. Parfois en phonétique. C’est approximatif et maladroit. Mieux vaut quelque chose d'incomplet que rien du tout. On se dit qu'on sauve des vies. Survivre, c'est aussi garder sa force mentale.

Bien que je sois brisée à l'intérieur, je tiens bon pour Mélia. Pour qu'elle ne flanche pas. Ma jumelle a besoin de moi. Pour parler, Pour se disputer. Pour jouer. Pour la protéger. Mon double est un être sociable. Elle souffre cruellement du manque d'interactions. Je donne de ma personne pour combler le manque tactile de câlins. Nous nous forçons à agir comme si nous croisions des humains, en nous lavant et en portant parfois de beaux habits. Néanmoins, nous laissons libre cours à notre folie peu à peu.

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