Nettoyage
Aujourd'hui, on relève nos pièges. Avant, c'était quotidien. Maintenant, c'est hebdomadaire. En raison du manque de personnel et du faible piégeage. Malgré cela, nous parvenons à agrandir la zone protégée peu à peu. C'est assez simple en somme. Il suffit de nous rendre à chacun de nos énormes trous, de compter combien il y a de cadavres et de quel type, animaux ou humains. Ensuite, on verse un peu d'essence. On jette une allumette. Quand le feu est éteint, on balance un bout de bidoche empoisonné. On peut tout faire du haut de la fosse sans danger. Richard avait bien prévu les choses. Sécurité avant tout.
Les dix pièges les plus proches de la forteresse sont vides. Les quinze suivants identiques. Dix kilomètres autour du mas sont parfaitement sains. Pour nous rendre aux dix derniers pièges de la zone saine, il va falloir traverser un morceau de forêt. C'est un endroit théoriquement dangereux. Beaucoup de cachettes et d'ombres pour les monstres. Je monte dans le pick-up avec Mélia, Killer et Happy nos chiens. Nous fermons bien nos fenêtres et verrouillons les portes. Elle conduit, moi, je serre mon arme. Ce n'est pas vraiment un pick-up, mais plutôt un camion militaire de transport de troupes auquel on a enlevé les bâches à l'arrière. On l'a aussi renforcé avec des pare-buffles et installé des haut-parleurs et un poste de tir sur le toit de la cabine. Le véhicule est sécurisé. Cependant, l'odeur de la viande à l'arrière est alléchante.
Nous traversons la forêt avec prudence et en faisons le tour. Nous ne croisons aucun être vivant, sain ou infecté. Les quatre pièges encerclant la forêt ont toujours été les plus prolifiques dans les débuts de notre nettoyage. Toutefois, nous ne trouvons rien ou si peu depuis plusieurs mois. La zone est quasi saine également. Depuis quatre mois, nous ne piégeons plus rien du tout sur un diamètre de quinze à vingt kilomètres. Que des oiseaux ou rats sur une bande des cinq à dix kilomètres les plus lointains du mas, comprenant Town, aux abords de notre dernière expédition. Je frissonne dès que je vais là-bas. Pas pour les créatures, pour les survivants restants qui cherchaient à nous tuer Mélia et moi.
À chaque fois que nous repassons sur les lieux, nous laissons un mot doux à nos futurs opposants. Pour leur dire qu'on est encore en vie et qu'on va leur péter leurs sales faces de cupides dès qu'on verra leurs gueules. Une guerre psychologique pour leur saper le moral. Richard et un militaire avaient tenté de négocier, de partager, de s'entraider pour survivre. Ils nous ont tirés dessus, ont essayé de nous voler notre véhicule, nos provisions. Les cupides ne méritent aucune pitié.
Lors de notre tout premier passage après l'attaque, nous savions ma sœur et moi que nos attaquants étaient les seuls humains restants de la ville. Mélia a peint leur cachette avec une cible rose. Moi, j'ai tagué "Fuck" ou bien "Mourez tous" sur les murs. On a mis des laxatifs dans un point de ravitaillement de bouffe ouvert. On a fermé tous les autres en gardant les clés.
Ma fureur tenait des comptes aussi. Ils en restaient cinq blessés, quand on est rentrés au mas. Trois ont été capturés dans nos pièges, infectés, quelques jours après. Il en restait encore deux lors de notre premier passage. L'un d'eux n'avait plus de bras droit. Je l'ai aperçu une fois. Mélia dessina son visage sur un mur avec une cible sur la tête, le trou d'une balle entre les deux yeux. Quinze jours après, je le tuais d'une balle. Il avait débuté sa transformation.
Le dernier fut plus long à exterminer. Une saleté de lâche qui sortait peu et se terrait. Il avait fermé la porte du refuge au trois plus fortement blessés, les abandonnant à une mort certaine sans même vérifier leur contamination. Un type squelettique qui n'avait rien de viril. Son collègue l'avait surnommé Titou une fois. Le type laissait son collègue prendre tous les risques et ne pointait le bout de son nez que très rarement. On le traque. On le piège. On écrit des "Crève Titou" sur les murs. Les haut-parleurs diffusent des hurlements "MEURRRRRSSSSS SALETÉ DE TITOU" parmi les chansons. Quand on le croise par hasard, on le course avec la voiture et on lui tire dessus.
On a réussi à visiter son refuge un jour qu'il était de sortie. Ce type est un malade. Il a des photos de fillettes dénudées dans ses affaires ainsi que des sous-vêtements féminins. Il a cloisonné ce qui lui sert de chambre pour être à l'abri des regards de ses anciens acolytes. Une raclure dégoutante qui mérite la mort. De fureur après ce qu'on a vu, et aussi de dégoût pour ce genre d'être ignoble, nous plaçons de la mort au rat dans sa bouffe ainsi que des laxatifs. Il finit par agoniser, empoisonné en mangeant nos appâts au cocktail de laxatifs et mort au rat. Il les avait mal nettoyés. On l'a retrouvé dans une mare de merde et de sang. Une mort digne du personnage. Mélia et moi, nous nous sommes réjouies. On est devenues méchantes et rancunières. Survivre, c'est aussi neutraliser ses ennemis.
Depuis, nous sommes les seules propriétaires de Town. Nous réouvrons donc les points de ravitaillement et enlevons la bouffe droguée. Nous récupérons toutes les armes et le matériel des bandits, ainsi que leurs véhicules. Nous écrivons un score sur le mur " Les Teignes 100 - Connards de malfrats cupides 0 ». Les chiffres sont inexacts. La réalité serait plus 100/28, mais on s'en fiche. L'idée, c'est de dissuader d'autres abrutis de vouloir nous attaquer.
Les morceaux de squelettes des assaillants ou supposés sont placés à des endroits stratégiques de la ville avec un panneau du score. À certains, j'ai décrit de fausses tortures comme si on les avait capturés et maltraités. Mon imagination sadique n'a eu aucun mal à inventer quelque chose de crédible en me basant sur les expériences que Papinou ou Richard m'avaient racontées de ce qui se passe en temps de guerre. Il est important que les futurs visiteurs soient informés de quoi nous sommes capables.
Afin de ne pas effrayer les innocents pacifiques, Mélia décore les abords de nos pièges avec des couleurs vives. Elle truffe nos lieux refuges de peluches et décorations mignonnes. Elle dessine sur les murs pour égayer le décor. Sa folie s'exprime dans la couleur et dans les images Kawai. Elle installe des fleurs comestibles, des plantes aromatiques ou médicinales et de la menthe de partout. Des nounours souriants ornent les fenêtres des lieux sécurisés, comme pour saluer et indiquer les endroits sûrs. Du sirop de menthe ou des tisanes de menthe font partie des coffrets alimentaires laissés dans chaque refuge. Elle place des projecteurs sur des rails ou des supports mobiles en haut des toitures pour créer des effets de lumières mouvantes la nuit, véritable cauchemar à créatures, mais une magnifique féerie pour les personnes saines au moins de corps. D'esprit, c'est moins sûr.
Ma folie fait ressortir mon instinct de chasseuse et de tueuse. Je me surprends à aimer brûler les cadavres d'animaux que nous trouvons. À moins que ce soit l'odeur de rat grillé qui me réjouisse. J'apprécie le frisson d'adrénaline avant de pénétrer dans un bâtiment ou une zone supposée dangereuse. Nous sécurisons Town de notre mieux pour en faire un second point de vie protégé comme notre mas. Je place des pièges dans certains bâtiments inintéressants au point de vue survie, mais pourvus de richesses inutiles comme des bijoux au cas où d'autres malfrats viendraient. Je sécurise les maisons une par une. En les vérifiant de fond en comble et en laissant éclairer toutes les pièces. Je ferme tous les volets des rez-de-chaussée et les portes en laissant la clé visible en extérieur. J'allume toutes les radios ou diffuseurs de sons que je trouve. Quartier par quartier, j'élimine les cachettes une par une. Je rends les lieux invivables pour un infecté même aux rats.
Si une maison devient silencieuse ou sombre, je prévois de quoi la dynamiter si besoin. Je me suis mis d'accord avec ma sœur. Tout nouvel arrivant humain sera évalué à distance. S'il présente le moindre risque de contamination ou de menace belliqueuse, on le bute sans sommation. Nous ne prendrons plus le risque de parlementer inutilement. La diplomatie nous a coûté Richard. Nous serons impitoyables avec toute forme de menace dorénavant. Toutefois, nous accueillerons et protégerons toujours les innocents.
Je suis assez fière de nous. Grâce aux pièges et à ma chasse, nous avons un périmètre d'environ vingt-cinq kilomètres autour du mas, comprenant la grosse ville de Town, qui est relativement propre, presque sain et surtout apte à la reconquête. Aujourd'hui, quelques oiseaux, et même pas certains d'être infectés. Les volatiles sont squelettiques, épuisés. Plusieurs restés vivants semblent supporter la lumière. Mais dans le doute, on crame les pigeons. Si nous arrivons à trouver des humains sains pour nous aider, nous avons de quoi manger, nous protéger et survivre en sécurité assez facilement. Mon objectif, ce sont les kilomètres afin d'atteindre la mer. À partir de ce point, je pourrais faire un îlot de reconquête avec un intérieur sain où les plus humains les plus faibles pourront cultiver. Mais à deux, c'est impossible. C'est déjà un miracle de maintenir un cercle de vingt-cinq km à deux gamines à moitié folles, un nounours berger et un chien-loup semi-sauvage.
En effet, le mas se situe dans le cœur d'un triangle formé par un fleuve qui se sépare en de multiples branches pour former un immense delta de plusieurs centaines de kilomètres de large et de long jusqu'à la mer. Nous sommes presque à équidistances de chaque pointe. La séparation principale au Nord-Est à deux cents kilomètres. Le lycée est juste derrière le fleuve, côté Nord. Les deux extrémités connectées à la mer sont à cent cinquante kilomètres au Sud-Est pour la plus proche, deux-cent cinquante pour la deuxième au Sud-Ouest. Si nous assainissons en descendant jusque-là mer, après, nous remonterons peu à peu, sans risque de recontamination derrière nous.
La taille de ce Delta est suffisante pour recueillir et permettre la survie de plusieurs milliers d'humains et d'animaux. Les terres sont fertiles et le climat ensoleillé. Il ne manque qu'à l'assainir et à avoir assez de main-d'œuvre. Nous aurions tant aimé avoir la capacité de créer cette zone refuge pour que les animaux sains et les civils puissent repeupler doucement. Si déjà on parvient à maintenir nos terres, il suffira d'attendre pour que les monstres disparaissent d'eux même. En croisant les doigts pour que nous ne soyons pas les quatre derniers êtres de type animal vivants.
Lorsqu'une maison est sécurisée, nous indiquons d'un rond coloré l'emplacement de la clé pour rentrer aux futurs voyageurs. Nous ne donnons plus l'emplacement du mas, mais celui de quelques refuges résistants aux infectés. Pour l'instant, ils restent vides. Nous les vérifions chaque semaine. Nous y laissons de la nourriture en conserve et des pansements. Les informations mises à jour sur la bactérie. Du papier et des crayons pour nous laisser un mot. Rien. Depuis six mois. Pas le moindre signe de vie.
Mélia bien à l'abri dans le pick-up, je rassemble les cadavres trouvés par-ci par-là dans une même fosse. Quelques oiseaux. Les os trouvés de partout dans la ville au fur et à mesure du nettoyage des quartiers. Je vide le repère des mercenaires et les bâtiments peu à peu. Tout ce qui n'est pas utile, je le jette dans le trou. Les morceaux de bois ou de combustibles divers non-utilisables aussi. Toute la nourriture moisie que je trouve. Quelques meubles ou bibelots que je trouve super moches. Les parfums au patchouli que je déteste. Je fais un énorme bûcher hebdomadaire. Un tas de déchets à faire disparaître. J'ai besoin de nettoyer, d'assainir. Les flammes me procurent un sentiment d'apaisement. Aucun doute, je suis cinglée.
Si nous parvenons à nettoyer parfaitement Town, ce sera un sacré point positif. Avec les méandres du fleuve et des rivières, cette ville est le dernier point contaminé de notre périmètre des vingt-cinq kilomètres. Très vite après la destruction des mercenaires, nous avons réalisé que Town était clairement l'endroit d'où tous les infectés que nous attrapions près de chez nous provenaient. Nous avons donc sécurisé les arrivées via les ponts de tout le reste de la zone. C'est d'ailleurs depuis que nous avons construit nos sas sur les trois passerelles à la sortie de la ville que le nombre d'infectés diminue vraiment de façon durable. Ceux que l’on piège sont en fin de vie. Depuis quatre mois, il n'y a que des oiseaux. Nous avons privé toutes les autres sortes d’infectés de nourriture et d'échappatoire. Ils sont prisonniers, traqués et détruits. Bientôt, ce périmètre sera sain et il faudra juste le protéger.
Mélia et moi continuons nos recherches sur la bactérie. Nous avons découvert que si les mammifères perdaient la capacité de nager, il en était de même pour la capacité de vol des oiseaux. Les tests sur quelques pigeons et poules indiquent une perte en quelques jours. Les volatiles restent la seule forme de contamination que nous ne pouvons pas bloquer. Tant que notre zone sera aussi petite, nous serons potentiellement ré-infectable. Nous n'avons pas les connaissances ni les moyens d'expérimenter davantage pour savoir quel périmètre serait nécessaire pour se protéger des oiseaux. Au vu des piégeages, les pigeons infectés parcourent moins de cinq kilomètres. Nous n'avons quasiment aucun autre type d'oiseau dans nos pièges.
Les pigeons semblent être les rats des airs, source principale et première de contamination. Quand les pigeons et les rats disparaissent, il n'y a plus de piégeage de quoi que ce soit. Cette indication n'est pas vérifiée. Nous n'avons pas assez de données, mais c'est un constat que Mélia et moi avons découvert d'après nos analyses des données de piégeage. Une chronologie de disparition se dessine peu à peu. Animaux sauvages herbivores/animaux sauvages omnivores / animaux sauvages carnivores/animaux d'élevage / animaux domestiques / humanoïdes / rongeurs/ rats / pigeons. Quand un piège "propre" se resalit, ce sont les rats et les pigeons qui reviennent en premier, mais ça ne dure pas. Le piège redevient propre en deux ou trois semaines.
Quelque part, j'ai l'impression de participer à la survie du genre humain et animal. Une belle oasis de pureté est en cours d'élaboration. Nous repeuplerons la zone des cinq kilomètres autour du mas avec nos lapins, poules, oies, chèvres, moutons, chevaux et vaches et si on trouve d'autres animaux à sang chaud. Des écureuils et quelques chevreuils parcourent nos terres et se reproduisent. Pour le genre humain, ça va être plus compliqué avec deux femelles, sœurs en plus. Idem pour les chiens, sauf qu’eux, ce sont des mâles. D'ailleurs, si Happy n'était pas son frère, la cohabitation avec Killer serait difficile. Mon chien n'est pas des plus sociables. Il terrorise les oies et les autres animaux excepté les chevaux. Je crois que Grognon y est pour beaucoup. Je les vois parfois courir comme deux abrutis quand mon étalon est au pré.
Avec toutes les cochonneries inutiles que je trouve en ville, je fais un énorme brasier qui va brûler pendant plusieurs jours et sera visible de loin. De très loin avec l'épaisse fumée noire nauséabonde qui s'élève. Pour indiquer qu'il y a de la vie par ici. De la vie en journée, qui sait faire un feu, donc potentiellement en train de nettoyer de l'infecté. Des personnes qui ont su survivre depuis. Faire un tel signal, c'est un risque si on tombe sur des mercenaires. Un risque à prendre si on veut trouver d'autres humains. Survivre, c'est se regrouper pour être plus forts.
L'électricité fonctionnant toujours par miracle, j'illumine la ville. Toutes les pièces de chaque maison, tous les bâtiments, tous les lampadaires, toutes les enseignes néons ... Chaque source lumineuse est en fonctionnement. De jour comme de nuit. Les trois ponts ayant un apport d'électricité, notamment par des lampadaires, nous avons rajouté en plus des sas, de fortes lumières récupérées dans un chantier de construction. Pour passer les ponts, il faut savoir ouvrir des verrous, mais aussi supporter des lumières vives aussi forte que le plein jour en été.
Je mets aussi la musique à fond de partout. J'allume les télévisions, les radios, les haut-parleurs. Mélia a trouvé des enceintes puissantes dans un magasin d'électroménager et les deux discothèques. Les trois plus énergiques sont placées sur les ponts, à l'abri de la pluie. Les autres sont aussi à l'abri des intempéries, mais disséminées partout dans la ville. Nous avons trouvé la station de radio locale. Nous faisons diffuser en boucle la playlist de ma Kawai d'amour à travers toute la ville et à fond. C'est infernal.
C'est marrant. La ville est une discothèque géante. Un lieu diabolique pour les créatures infectées. Notre moral grimpe en hausse à chaque visite, à chaque quartier vérifié et propre, à chaque point de ressources rajouté. Nous répertorions les stocks et lieux intéressants de la cité. Nous récupérons ce qui est nécessaire. Nous congelons la nourriture en surplus de notre mas. Nous améliorons l'odeur générale en brûlant les déchets, la nourriture moisie et en plantant de la menthe ou d'autres trucs odorants. Nous personnalisons la ville à notre image.
C'est important pour nous de préparer la ville à une reconquête future. Une façon de rester optimiste et de garder espoir. Nous agissons dans ce but. Nous produisons de la nourriture et des outils. Nous stockons tout ce qui peut être utile. Nous éliminons tout ce qui est inutile, dangereux ou moisi. On nettoie, on assainit, on répare, on aménage et on laisse en stand bye pour le jour où on en aura besoin. Sur vingt-cinq kilomètres de diamètre environ sauf la ville de Town, tout est opérationnel. Encore un mois maximum et Town sera prête aussi.
Six mois avec le répertoire des boys-band au quotidien. Ma santé mentale s'amenuise de jour en jour. Mélia se met à écouter les vieilles chansons de Richard, celles qui ont plus de quarante ans. Elle aussi perd la boule. Nous répétons les chorégraphies de nos chansons préférées en boucle. Pour faire travailler notre mémoire et nous défouler. Pour nous vider la tête et avoir l'impression de faire la fête. Survivre, c'est rester soi-même et profiter des moments joyeux pour reprendre des forces.
Sur deux autres fréquences, nous diffusons notre message le plus loin possible. En demandant à ceux qui le reçoivent de le renvoyer sur les ondes au maximum. Je n'ai pas pu m'empêcher de mettre un avertissement aux types belliqueux, malintentionnés. Pour les prévenir que cela ne sert à rien de nous chercher, s'ils viennent avec de mauvaises intentions, je lâcherais un troupeau de créatures sur eux. J'ai même décrit la torture d'être dévoré par des rats de son vivant en détaillant ce qu'il était advenu des derniers belligérants qui avaient osé s'en prendre à nous. Cet horrible mensonge paraît si réel quand on entend mon rire dément en fin de message. C'est sûr. Je n'ai plus toute ma tête. Je me fais auto-flipper.
Dans notre cercle vingt-cinq, nous pouvons déjà faire pâturer nos animaux de plus en plus loin du mas, en les faisant dormir dans des refuges. Les chèvres ont commencé un débroussaillage des vergers qui reprennent un bel aspect. Nous pensons essayer de les faire aller sur les abords de la forêt, enlever des ronces qui forment un abri ombragé potentiel pour infectés. Les moutons entretiennent et fertilisent les productions des arbres fruitiers. Les vaches s'occupent des près et des prairies d'origine. Les cochons se vautrent dans leurs porcheries d'origine. Les chevaux sont les seuls à rester près du mas car trop difficile à faire rentrer en urgence.
Les volailles sont éparpillées un peu partout en minie basse-cour en journée. Elles rentrent dans des maisons avec l'aide d'Happy tous les soirs. Les lapins, c'est le plus compliqué. On tente de les faire courir dans de grands enclos mobiles sur nos prairies. On a des fugues, surtout des mâles, toutefois cela reste limité. Cela nous permet de voir que les individus sains ne se recontaminent pas sur notre cercle des vingt-cinq. Nous ne pouvons plus gérer et trop d'animaux en liberté sont un risque de cibles pour les infectés. Entre le troupeau de base et tous les animaux récupérés en piteux état au fur et à mesure de notre reconquête, enfermés sans nourriture dans les bergeries, nous avons maintenant un si grand nombre que nos terres ne suffisent plus.
Nous avons dû improviser en faisant dormir nos cheptels dans de nouveaux abris éloignés. Nous divisons les troupeaux en groupes plus petits. Nous avons arrêté la reproduction de nos animaux de notre mieux depuis que nous sommes deux. Nous tuons un grand nombre de mâles, ne gardant que quelques reproducteurs mis en repos forcé. Nous congelons leur viande. En plus, en les plaçant à de multiples endroits, nous aurons un nombre limité à abattre si jamais il y a contamination et un faible apport de nourriture en cas d'attaques. Heureusement que Happy est d'une aide inestimable pour la gestion des animaux. Il rentre ou déplace les troupes à une vitesse folle, parfois, nous pouvons le faire avec nos chevaux pour un maximum d'efficacité tant il court vite. Killer se contente de s'asseoir là où il faut pour bloquer le passage, sa simple présence ayant l'effet dissuasif nécessaire. Bien qu'ils ne sortent pas tous les jours, notre bétail se porte bien et nous ne le gérons pas trop mal.
Afin de continuer notre travail de nettoyage, et dans l'espoir de trouver des survivants à aider, Mélia et moi faisons des expéditions de plus en plus lointaines. Nous avons un planning précis. Un jour pour explorer et assainir nos vingt-cinq. Un jour pour explorer l'Ouest au-delà des vingt-cinq kilomètres, Un pour le Sud, Un pour l'Est et un pour le Nord. Deux jours pour entretenir plus précisément nos terres et nos troupeaux.
Nous avons avancé très vite aujourd'hui. Au fur et à mesure de la journée, nous en profitons pour aller vers le Nord, au-delà du périmètre des vingt-cinq kilomètres quasi-sains. Folles certes, mais nettoyeuses efficaces. Nous avons assaini la forêt. Nous sommes proches du but sur la ville de Town. D'ici quelques semaines, je pense que ce sera fait. Des îlots de progression à l'Ouest, Est et Sud du mas sont en bonne voie de nettoyage sur cinquante kilomètres carrés. Ce sont des zones assez agricoles et pourvues de beaucoup de fossés et petits cours d'eau. Le Nord est plus compliqué car plus urbanisé. Une grosse ville nous envoie encore beaucoup de créatures notamment humanoïdes. Nous agissons très prudemment, par petits pas. En partant de Town, il y a une surface parcourue de rivières qui mène à une très grosse ville, à cinquante kilomètres au Nord du mas : Georgia. C'est notre prochain objectif.
Il est loin. La zone entre les deux villes est criblée d'eau, ce qui veut dire facilement nettoyable. Malheureusement, il y a beaucoup de villages et de micros-villes, ce qui augmente le nombre de cachettes pour les infectés. Nous avons commencé par limiter le nombre de ponts. Très vite, il était clair que les infectés venaient principalement de Georgia, y compris les quelques pigeons retrouvés à Town. Les pigeons, ces rats des airs. Alors, nous avons décidé d'agir à la source. À l'aide d'une minie pelle trouvée sur place, nous avons posé deux pièges à l'entrée Sud de Georgia pour commencer.
Nous allons les inspecter puis nous rentrerons pour aujourd'hui. Ceux-ci sont pleins chaque semaine. Les trois-quarts d'animaux, des rats charognards, des humanoïdes aussi. De beaux brasiers hebdomadaires. Nous avons déjà inondé de musique Kawai trois grosses rues au Sud. Elles brillent de mille feux. Ma jumelle et moi utilisons la même méthode qu'à Town. Transformer la ville en discothèque. C'est notre prochaine tâche. Assainir Georgia.
Il va nous falloir du temps, car la ville est très grande. L'idée est de faire un couloir de passage pour accéder au côté Nord de la ville et pouvoir s'occuper des ponts qui apportent des contaminants. On fermera les vannes. Ensuite, on fera diminuer le nombre par piégeage et manque de nourriture. Nos prévisions sont de six mois supplémentaires pour assainir Georgia. Peu importe le temps. Tant qu'on diminue le nombre d'infectés et qu’on les prive de bouffe, on progresse. On se donne de l'espoir en se réjouissant de chaque diminution de piégeage et de chaque coin mis en sécurité.
Après mon premier incendie, je monte sur un toit en hauteur pour observer la ville et repérer mes prochaines cibles. Je cherche aussi tout signe de vie, les magasins et les stations essence. Sur le chemin d'accès au second piège, je fais faire un détour et stopper Mélia. J'ai repéré quelque chose dans un quartier non sécurisé encore. Un autre traquenard, inspiré du notre si j’en crois ce que j'ai vu aux jumelles, est en construction. En roulant au ralenti et en regardant partout, nous observons les alentours, en s'assurant de pouvoir fuir rapidement en cas de soucis. Les abords montrent une présence humaine. Les voitures sont sur les côtés, laissant un large espace pour circuler. Nous ne sommes qu'à quelques mètres du piège. Il y a quelque chose d'écrit sur les panneaux de signalisation. Mélia s'approche le plus possible. Elle laisse le moteur tourné et reste au volant, une arme dans la main.
Je descends avec Killer. Je reste à côté du véhicule le temps que mon binôme canin écoute tous les bruits. Il ne détecte rien de suspect et m'autorise à m'éloigner. Je lis alors ce qui est écrit sur le panneau principal. Des messages d'information du danger, par dessin ou mot. Quelques vieilles données de sécurité, précisant que la journée est plus sûre que la nuit et que le bruit fort peut faire fuir les monstres. Ce sont des anciennes informations. Ceux qui ont écrit ont donc eu vent de notre manuel. Rien d'intéressant ou de neuf sinon que bien qu'il soit inachevé, il y a une quarantaine de créatures que je crame avant de relancer un morceau d'appât. Je dépose un exemplaire récent de notre guide de survie et les coordonnées d'un refuge dans la campagne.
Mélia est heureuse de savoir qu'il y a encore des humains dans le coin. En plus, vu qu'ils construisent un piège et diffusent le manuel, il y a possibilité qu'ils soient de bonne volonté. Nous restons méfiantes et essayons de ne pas nous réjouir de trop. Nous repartons en direction de notre dernier point d'arrêt.
À peine en approche, nous détectons tout de suite que l'endroit a été nettoyé en partie et que le manuel accroché aux avertissements a disparu. Plusieurs véhicules ont été déplacés pour faciliter l'accès. Des traces de feu récentes sont visibles. Killer sort par la fenêtre et renifle. Il m'indique en remuant la queue que les odeurs ne l'inquiètent pas. Je sors donc pour jeter mon cocktail molotov de nettoyage. Le piège est à moitié plein. Je souris en voyant qu'une faute d'orthographe a été corrigée sur mes indications alentours. La fin des données est bien plus intéressante. Il s'agit d'un mot écrit sur une feuille et agrafé à la hâte sur un morceau de bois.
— FEU LUNDI 24 Février. Remplissage total. 47 Humanoïdes, plus de 200 rats, 15 chiens et oiseaux divers. HELP. On est vingt-huit. On a faim. On est épuisés et cernés. On a vu vos pièges. On ne sait pas qui vous êtes. On a lu votre manuel. Vous semblez savoir vous défendre contre la menace. S'il vous plaît ! Aidez-nous ! Nous sommes pacifiques. Jules NOGUERRA
Le professeur Noguerra. Le père de Thibaut. Le mot est daté, très récent. Je préviens aussitôt Mélia. Nous réfléchissons à peine trente secondes avant de décider de lui venir en aide. De toute manière, tout humain qui demande de l'aide sera secouru. La seule différence, c'est qu'avec lui, on a confiance et donc un peu moins de méfiance. Je lui écris un mot. En plus, il connaît l'adresse du mas.
— CA pour professeur charismatique et pédagogue dont toutes les élèves sont folles d'amour à son égard. Vous trouverez de la nourriture et de l'eau saine dans le coffre de la voiture bleue en face. La clé est sur le siège de la voiture rouge. Allumez les lumières et mettez de la musique dans votre refuge et dans toute la ville si vous pouvez. Évitez l'ombre et le silence. Voici trois boîtes de mort au rat pour chaque piège. J'ai rechargé en cadavres empoisonnés aujourd'hui mercredi. Nous reviendrons dans sept jours. Fuyez de cette ville si vous le pouvez. Venez à Town. C'est une petite ville au Sud à environ vingt-cinq kilomètres. La zone est quasi saine. Il y a de nombreux refuges sécurisés. La voiture bleue et la voiture rouge ont le plein. Une élève folle notamment de vous.
Mélia et moi croisons les doigts. Peu de personnes comprendront l'intégralité de ce mot. Le professeur et nos amis uniquement en fait. Nous enfermons notre ravitaillement comme indiqué dans la lettre. Nous ne pouvons pas rester. La nuit va bientôt tomber. La zone est plus que malsaine. Nous opérons un demi-tour la mort dans l'âme. Retrouver des survivants ne doit pas se faire au péril de notre vie. Nous sommes en train de décider dans la voiture de passer à Town chaque soir avant la tombée de la nuit durant la semaine qui suit, nous voulons surveiller ceux qui viendraient. Nous ne pouvons pas revenir à Georgia avant sept jours.
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