Nettoyage 1/2
Aujourd'hui, on relève nos pièges. Avant, c'était quotidien. Maintenant, c'est hebdomadaire. En raison du manque de personnel et du faible piégeage. Malgré cela, nous parvenons à agrandir la zone protégée peu à peu. C'est assez simple en somme. Il suffit de nous rendre à chacun de nos énormes trous, de compter combien il y a de cadavres et de quel type, animaux ou humains. Ensuite, on verse un peu d'essence. On jette une allumette. Quand le feu est éteint, on balance un bout de bidoche empoisonné. On peut tout faire du haut de la fosse sans danger. Richard avait bien prévu les choses. Sécurité avant tout.
Les dix pièges les plus proches de la forteresse sont vides. Les quinze suivants identiques. Dix kilomètres autour du mas sont parfaitement sains. Pour nous rendre aux dix derniers pièges de la zone saine, il va falloir traverser un morceau de forêt. C'est un endroit théoriquement dangereux. Beaucoup de cachettes et d'ombres pour les monstres. Je monte dans le pick-up avec Mélia, Killer et Happy nos chiens. Nous fermons bien nos fenêtres et verrouillons les portes. Elle conduit, moi, je serre mon arme. Ce n'est pas vraiment un pick-up, mais plutôt un camion militaire de transport de troupes auquel on a enlevé les bâches à l'arrière. On l'a aussi renforcé avec des pare-buffles et installé des haut-parleurs et un poste de tir sur le toit de la cabine. Le véhicule est sécurisé. Cependant, l'odeur de la viande à l'arrière est alléchante.
Nous traversons la forêt avec prudence et en faisons le tour. Nous ne croisons aucun être vivant, sain ou infecté. Les quatre pièges encerclant la forêt ont toujours été les plus prolifiques dans les débuts de notre nettoyage. Toutefois, nous ne trouvons rien ou si peu depuis plusieurs mois. La zone est quasi saine également. Depuis quatre mois, nous ne piégeons plus rien du tout sur un diamètre de quinze à vingt kilomètres. Que des oiseaux ou rats sur une bande des cinq à dix kilomètres les plus lointains du mas, comprenant Town, aux abords de notre dernière expédition. Je frissonne dès que je vais là-bas. Pas pour les créatures, pour les survivants restants qui cherchaient à nous tuer Mélia et moi.
À chaque fois que nous repassons sur les lieux, nous laissons un mot doux à nos futurs opposants. Pour leur dire qu'on est encore en vie et qu'on va leur péter leurs sales faces de cupides dès qu'on verra leurs gueules. Une guerre psychologique pour leur saper le moral. Richard et un militaire avaient tenté de négocier, de partager, de s'entraider pour survivre. Ils nous ont tirés dessus, ont essayé de nous voler notre véhicule, nos provisions. Les cupides ne méritent aucune pitié.
Lors de notre tout premier passage après l'attaque, nous savions ma sœur et moi que nos attaquants étaient les seuls humains restants de la ville. Mélia a peint leur cachette avec une cible rose. Moi, j'ai tagué "Fuck" ou bien "Mourez tous" sur les murs. On a mis des laxatifs dans un point de ravitaillement de bouffe ouvert. On a fermé tous les autres en gardant les clés.
Ma fureur tenait des comptes aussi. Ils en restaient cinq blessés, quand on est rentrés au mas. Trois ont été capturés dans nos pièges, infectés, quelques jours après. Il en restait encore deux lors de notre premier passage. L'un d'eux n'avait plus de bras droit. Je l'ai aperçu une fois. Mélia dessina son visage sur un mur avec une cible sur la tête, le trou d'une balle entre les deux yeux. Quinze jours après, je le tuais d'une balle. Il avait débuté sa transformation.
Le dernier fut plus long à exterminer. Une saleté de lâche qui sortait peu et se terrait. Il avait fermé la porte du refuge au trois plus fortement blessés, les abandonnant à une mort certaine sans même vérifier leur contamination. Un type squelettique qui n'avait rien de viril. Son collègue l'avait surnommé Titou une fois. Le type laissait son collègue prendre tous les risques et ne pointait le bout de son nez que très rarement. On le traque. On le piège. On écrit des "Crève Titou" sur les murs. Les haut-parleurs diffusent des hurlements "MEURRRRRSSSSS SALETÉ DE TITOU" parmi les chansons. Quand on le croise par hasard, on le course avec la voiture et on lui tire dessus.
On a réussi à visiter son refuge un jour qu'il était de sortie. Ce type est un malade. Il a des photos de fillettes dénudées dans ses affaires ainsi que des sous-vêtements féminins. Il a cloisonné ce qui lui sert de chambre pour être à l'abri des regards de ses anciens acolytes. Une raclure dégoutante qui mérite la mort. De fureur après ce qu'on a vu, et aussi de dégoût pour ce genre d'être ignoble, nous plaçons de la mort au rat dans sa bouffe ainsi que des laxatifs. Il finit par agoniser, empoisonné en mangeant nos appâts au cocktail de laxatifs et mort au rat. Il les avait mal nettoyés. On l'a retrouvé dans une mare de merde et de sang. Une mort digne du personnage. Mélia et moi, nous nous sommes réjouies. On est devenues méchantes et rancunières. Survivre, c'est aussi neutraliser ses ennemis.
Depuis, nous sommes les seules propriétaires de Town. Nous réouvrons donc les points de ravitaillement et enlevons la bouffe droguée. Nous récupérons toutes les armes et le matériel des bandits, ainsi que leurs véhicules. Nous écrivons un score sur le mur " Les Teignes 100 - Connards de malfrats cupides 0 ». Les chiffres sont inexacts. La réalité serait plus 100/28, mais on s'en fiche. L'idée, c'est de dissuader d'autres abrutis de vouloir nous attaquer.
Les morceaux de squelettes des assaillants ou supposés sont placés à des endroits stratégiques de la ville avec un panneau du score. À certains, j'ai décrit de fausses tortures comme si on les avait capturés et maltraités. Mon imagination sadique n'a eu aucun mal à inventer quelque chose de crédible en me basant sur les expériences que Papinou ou Richard m'avaient racontées de ce qui se passe en temps de guerre. Il est important que les futurs visiteurs soient informés de quoi nous sommes capables.
Afin de ne pas effrayer les innocents pacifiques, Mélia décore les abords de nos pièges avec des couleurs vives. Elle truffe nos lieux refuges de peluches et décorations mignonnes. Elle dessine sur les murs pour égayer le décor. Sa folie s'exprime dans la couleur et dans les images Kawai. Elle installe des fleurs comestibles, des plantes aromatiques ou médicinales et de la menthe de partout. Des nounours souriants ornent les fenêtres des lieux sécurisés, comme pour saluer et indiquer les endroits sûrs. Du sirop de menthe ou des tisanes de menthe font partie des coffrets alimentaires laissés dans chaque refuge. Elle place des projecteurs sur des rails ou des supports mobiles en haut des toitures pour créer des effets de lumières mouvantes la nuit, véritable cauchemar à créatures, mais une magnifique féerie pour les personnes saines au moins de corps. D'esprit, c'est moins sûr.
Ma folie fait ressortir mon instinct de chasseuse et de tueuse. Je me surprends à aimer brûler les cadavres d'animaux que nous trouvons. À moins que ce soit l'odeur de rat grillé qui me réjouisse. J'apprécie le frisson d'adrénaline avant de pénétrer dans un bâtiment ou une zone supposée dangereuse. Nous sécurisons Town de notre mieux pour en faire un second point de vie protégé comme notre mas. Je place des pièges dans certains bâtiments inintéressants au point de vue survie, mais pourvus de richesses inutiles comme des bijoux au cas où d'autres malfrats viendraient. Je sécurise les maisons une par une. En les vérifiant de fond en comble et en laissant éclairer toutes les pièces. Je ferme tous les volets des rez-de-chaussée et les portes en laissant la clé visible en extérieur. J'allume toutes les radios ou diffuseurs de sons que je trouve. Quartier par quartier, j'élimine les cachettes une par une. Je rends les lieux invivables pour un infecté même aux rats.
Si une maison devient silencieuse ou sombre, je prévois de quoi la dynamiter si besoin. Je me suis mis d'accord avec ma sœur. Tout nouvel arrivant humain sera évalué à distance. S'il présente le moindre risque de contamination ou de menace belliqueuse, on le bute sans sommation. Nous ne prendrons plus le risque de parlementer inutilement. La diplomatie nous a coûté Richard. Nous serons impitoyables avec toute forme de menace dorénavant. Toutefois, nous accueillerons et protégerons toujours les innocents.
Je suis assez fière de nous. Grâce aux pièges et à ma chasse, nous avons un périmètre d'environ vingt-cinq kilomètres autour du mas, comprenant la grosse ville de Town, qui est relativement propre, presque sain et surtout apte à la reconquête. Aujourd'hui, quelques oiseaux, et même pas certains d'être infectés. Les volatiles sont squelettiques, épuisés. Plusieurs restés vivants semblent supporter la lumière. Mais dans le doute, on crame les pigeons. Si nous arrivons à trouver des humains sains pour nous aider, nous avons de quoi manger, nous protéger et survivre en sécurité assez facilement. Mon objectif, ce sont les kilomètres afin d'atteindre la mer. À partir de ce point, je pourrais faire un îlot de reconquête avec un intérieur sain où les plus humains les plus faibles pourront cultiver. Mais à deux, c'est impossible. C'est déjà un miracle de maintenir un cercle de vingt-cinq km à deux gamines à moitié folles, un nounours berger et un chien-loup semi-sauvage.
En effet, le mas se situe dans le cœur d'un triangle formé par un fleuve qui se sépare en de multiples branches pour former un immense delta de plusieurs centaines de kilomètres de large et de long jusqu'à la mer. Nous sommes presque à équidistances de chaque pointe. La séparation principale au Nord-Est à deux cents kilomètres. Le lycée est juste derrière le fleuve, côté Nord. Les deux extrémités connectées à la mer sont à cent cinquante kilomètres au Sud-Est pour la plus proche, deux-cent cinquante pour la deuxième au Sud-Ouest. Si nous assainissons en descendant jusque-là mer, après, nous remonterons peu à peu, sans risque de recontamination derrière nous.
La taille de ce Delta est suffisante pour recueillir et permettre la survie de plusieurs milliers d'humains et d'animaux. Les terres sont fertiles et le climat ensoleillé. Il ne manque qu'à l'assainir et à avoir assez de main-d'œuvre. Nous aurions tant aimé avoir la capacité de créer cette zone refuge pour que les animaux sains et les civils puissent repeupler doucement. Si déjà on parvient à maintenir nos terres, il suffira d'attendre pour que les monstres disparaissent d'eux même. En croisant les doigts pour que nous ne soyons pas les quatre derniers êtres de type animal vivants.
Lorsqu'une maison est sécurisée, nous indiquons d'un rond coloré l'emplacement de la clé pour rentrer aux futurs voyageurs. Nous ne donnons plus l'emplacement du mas, mais celui de quelques refuges résistants aux infectés. Pour l'instant, ils restent vides. Nous les vérifions chaque semaine. Nous y laissons de la nourriture en conserve et des pansements. Les informations mises à jour sur la bactérie. Du papier et des crayons pour nous laisser un mot. Rien. Depuis six mois. Pas le moindre signe de vie.
Mélia bien à l'abri dans le pick-up, je rassemble les cadavres trouvés par-ci par-là dans une même fosse. Quelques oiseaux. Les os trouvés de partout dans la ville au fur et à mesure du nettoyage des quartiers. Je vide le repère des mercenaires et les bâtiments peu à peu. Tout ce qui n'est pas utile, je le jette dans le trou. Les morceaux de bois ou de combustibles divers non-utilisables aussi. Toute la nourriture moisie que je trouve. Quelques meubles ou bibelots que je trouve super moches. Les parfums au patchouli que je déteste. Je fais un énorme bûcher hebdomadaire. Un tas de déchets à faire disparaître. J'ai besoin de nettoyer, d'assainir. Les flammes me procurent un sentiment d'apaisement. Aucun doute, je suis cinglée.
Si nous parvenons à nettoyer parfaitement Town, ce sera un sacré point positif. Avec les méandres du fleuve et des rivières, cette ville est le dernier point contaminé de notre périmètre des vingt-cinq kilomètres. Très vite après la destruction des mercenaires, nous avons réalisé que Town était clairement l'endroit d'où tous les infectés que nous attrapions près de chez nous provenaient. Nous avons donc sécurisé les arrivées via les ponts de tout le reste de la zone. C'est d'ailleurs depuis que nous avons construit nos sas sur les trois passerelles à la sortie de la ville que le nombre d'infectés diminue vraiment de façon durable. Ceux que l’on piège sont en fin de vie. Depuis quatre mois, il n'y a que des oiseaux. Nous avons privé toutes les autres sortes d’infectés de nourriture et d'échappatoire. Ils sont prisonniers, traqués et détruits. Bientôt, ce périmètre sera sain et il faudra juste le protéger.
Mélia et moi continuons nos recherches sur la bactérie. Nous avons découvert que si les mammifères perdaient la capacité de nager, il en était de même pour la capacité de vol des oiseaux. Les tests sur quelques pigeons et poules indiquent une perte en quelques jours. Les volatiles restent la seule forme de contamination que nous ne pouvons pas bloquer. Tant que notre zone sera aussi petite, nous serons potentiellement ré-infectable. Nous n'avons pas les connaissances ni les moyens d'expérimenter davantage pour savoir quel périmètre serait nécessaire pour se protéger des oiseaux. Au vu des piégeages, les pigeons infectés parcourent moins de cinq kilomètres. Nous n'avons quasiment aucun autre type d'oiseau dans nos pièges.
Les pigeons semblent être les rats des airs, source principale et première de contamination. Quand les pigeons et les rats disparaissent, il n'y a plus de piégeage de quoi que ce soit. Cette indication n'est pas vérifiée. Nous n'avons pas assez de données, mais c'est un constat que Mélia et moi avons découvert d'après nos analyses des données de piégeage. Une chronologie de disparition se dessine peu à peu. Animaux sauvages herbivores/animaux sauvages omnivores / animaux sauvages carnivores/animaux d'élevage / animaux domestiques / humanoïdes / rongeurs/ rats / pigeons. Quand un piège "propre" se resalit, ce sont les rats et les pigeons qui reviennent en premier, mais ça ne dure pas. Le piège redevient propre en deux ou trois semaines.
Quelque part, j'ai l'impression de participer à la survie du genre humain et animal. Une belle oasis de pureté est en cours d'élaboration. Nous repeuplerons la zone des cinq kilomètres autour du mas avec nos lapins, poules, oies, chèvres, moutons, chevaux et vaches et si on trouve d'autres animaux à sang chaud. Des écureuils et quelques chevreuils parcourent nos terres et se reproduisent. Pour le genre humain, ça va être plus compliqué avec deux femelles, sœurs en plus. Idem pour les chiens, sauf qu’eux, ce sont des mâles. D'ailleurs, si Happy n'était pas son frère, la cohabitation avec Killer serait difficile. Mon chien n'est pas des plus sociables. Il terrorise les oies et les autres animaux excepté les chevaux. Je crois que Grognon y est pour beaucoup. Je les vois parfois courir comme deux abrutis quand mon étalon est au pré.
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