Nettoyage 2/2
Avec toutes les cochonneries inutiles que je trouve en ville, je fais un énorme brasier qui va brûler pendant plusieurs jours et sera visible de loin. De très loin avec l'épaisse fumée noire nauséabonde qui s'élève. Pour indiquer qu'il y a de la vie par ici. De la vie en journée, qui sait faire un feu, donc potentiellement en train de nettoyer de l'infecté. Des personnes qui ont su survivre depuis. Faire un tel signal, c'est un risque si on tombe sur des mercenaires. Un risque à prendre si on veut trouver d'autres humains. Survivre, c'est se regrouper pour être plus forts.
L'électricité fonctionnant toujours par miracle, j'illumine la ville. Toutes les pièces de chaque maison, tous les bâtiments, tous les lampadaires, toutes les enseignes néons ... Chaque source lumineuse est en fonctionnement. De jour comme de nuit. Les trois ponts ayant un apport d'électricité, notamment par des lampadaires, nous avons rajouté en plus des sas, de fortes lumières récupérées dans un chantier de construction. Pour passer les ponts, il faut savoir ouvrir des verrous, mais aussi supporter des lumières vives aussi forte que le plein jour en été.
Je mets aussi la musique à fond de partout. J'allume les télévisions, les radios, les haut-parleurs. Mélia a trouvé des enceintes puissantes dans un magasin d'électroménager et les deux discothèques. Les trois plus énergiques sont placées sur les ponts, à l'abri de la pluie. Les autres sont aussi à l'abri des intempéries, mais disséminées partout dans la ville. Nous avons trouvé la station de radio locale. Nous faisons diffuser en boucle la playlist de ma Kawai d'amour à travers toute la ville et à fond. C'est infernal.
C'est marrant. La ville est une discothèque géante. Un lieu diabolique pour les créatures infectées. Notre moral grimpe en hausse à chaque visite, à chaque quartier vérifié et propre, à chaque point de ressources rajouté. Nous répertorions les stocks et lieux intéressants de la cité. Nous récupérons ce qui est nécessaire. Nous congelons la nourriture en surplus de notre mas. Nous améliorons l'odeur générale en brûlant les déchets, la nourriture moisie et en plantant de la menthe ou d'autres trucs odorants. Nous personnalisons la ville à notre image.
C'est important pour nous de préparer la ville à une reconquête future. Une façon de rester optimiste et de garder espoir. Nous agissons dans ce but. Nous produisons de la nourriture et des outils. Nous stockons tout ce qui peut être utile. Nous éliminons tout ce qui est inutile, dangereux ou moisi. On nettoie, on assainit, on répare, on aménage et on laisse en stand bye pour le jour où on en aura besoin. Sur vingt-cinq kilomètres de diamètre environ sauf la ville de Town, tout est opérationnel. Encore un mois maximum et Town sera prête aussi.
Six mois avec le répertoire des boys-band au quotidien. Ma santé mentale s'amenuise de jour en jour. Mélia se met à écouter les vieilles chansons de Richard, celles qui ont plus de quarante ans. Elle aussi perd la boule. Nous répétons les chorégraphies de nos chansons préférées en boucle. Pour faire travailler notre mémoire et nous défouler. Pour nous vider la tête et avoir l'impression de faire la fête. Survivre, c'est rester soi-même et profiter des moments joyeux pour reprendre des forces.
Sur deux autres fréquences, nous diffusons notre message le plus loin possible. En demandant à ceux qui le reçoivent de le renvoyer sur les ondes au maximum. Je n'ai pas pu m'empêcher de mettre un avertissement aux types belliqueux, malintentionnés. Pour les prévenir que cela ne sert à rien de nous chercher, s'ils viennent avec de mauvaises intentions, je lâcherais un troupeau de créatures sur eux. J'ai même décrit la torture d'être dévoré par des rats de son vivant en détaillant ce qu'il était advenu des derniers belligérants qui avaient osé s'en prendre à nous. Cet horrible mensonge paraît si réel quand on entend mon rire dément en fin de message. C'est sûr. Je n'ai plus toute ma tête. Je me fais auto-flipper.
Dans notre cercle vingt-cinq, nous pouvons déjà faire pâturer nos animaux de plus en plus loin du mas, en les faisant dormir dans des refuges. Les chèvres ont commencé un débroussaillage des vergers qui reprennent un bel aspect. Nous pensons essayer de les faire aller sur les abords de la forêt, enlever des ronces qui forment un abri ombragé potentiel pour infectés. Les moutons entretiennent et fertilisent les productions des arbres fruitiers. Les vaches s'occupent des près et des prairies d'origine. Les cochons se vautrent dans leurs porcheries d'origine. Les chevaux sont les seuls à rester près du mas car trop difficile à faire rentrer en urgence.
Les volailles sont éparpillées un peu partout en minie basse-cour en journée. Elles rentrent dans des maisons avec l'aide d'Happy tous les soirs. Les lapins, c'est le plus compliqué. On tente de les faire courir dans de grands enclos mobiles sur nos prairies. On a des fugues, surtout des mâles, toutefois cela reste limité. Cela nous permet de voir que les individus sains ne se recontaminent pas sur notre cercle des vingt-cinq. Nous ne pouvons plus gérer et trop d'animaux en liberté sont un risque de cibles pour les infectés. Entre le troupeau de base et tous les animaux récupérés en piteux état au fur et à mesure de notre reconquête, enfermés sans nourriture dans les bergeries, nous avons maintenant un si grand nombre que nos terres ne suffisent plus.
Nous avons dû improviser en faisant dormir nos cheptels dans de nouveaux abris éloignés. Nous divisons les troupeaux en groupes plus petits. Nous avons arrêté la reproduction de nos animaux de notre mieux depuis que nous sommes deux. Nous tuons un grand nombre de mâles, ne gardant que quelques reproducteurs mis en repos forcé. Nous congelons leur viande. En plus, en les plaçant à de multiples endroits, nous aurons un nombre limité à abattre si jamais il y a contamination et un faible apport de nourriture en cas d'attaques. Heureusement que Happy est d'une aide inestimable pour la gestion des animaux. Il rentre ou déplace les troupes à une vitesse folle, parfois, nous pouvons le faire avec nos chevaux pour un maximum d'efficacité tant il court vite. Killer se contente de s'asseoir là où il faut pour bloquer le passage, sa simple présence ayant l'effet dissuasif nécessaire. Bien qu'ils ne sortent pas tous les jours, notre bétail se porte bien et nous ne le gérons pas trop mal.
Afin de continuer notre travail de nettoyage, et dans l'espoir de trouver des survivants à aider, Mélia et moi faisons des expéditions de plus en plus lointaines. Nous avons un planning précis. Un jour pour explorer et assainir nos vingt-cinq. Un jour pour explorer l'Ouest au-delà des vingt-cinq kilomètres, Un pour le Sud, Un pour l'Est et un pour le Nord. Deux jours pour entretenir plus précisément nos terres et nos troupeaux.
Nous avons avancé très vite aujourd'hui. Au fur et à mesure de la journée, nous en profitons pour aller vers le Nord, au-delà du périmètre des vingt-cinq kilomètres quasi-sains. Folles certes, mais nettoyeuses efficaces. Nous avons assaini la forêt. Nous sommes proches du but sur la ville de Town. D'ici quelques semaines, je pense que ce sera fait. Des îlots de progression à l'Ouest, Est et Sud du mas sont en bonne voie de nettoyage sur cinquante kilomètres carrés. Ce sont des zones assez agricoles et pourvues de beaucoup de fossés et petits cours d'eau. Le Nord est plus compliqué car plus urbanisé. Une grosse ville nous envoie encore beaucoup de créatures notamment humanoïdes. Nous agissons très prudemment, par petits pas. En partant de Town, il y a une surface parcourue de rivières qui mène à une très grosse ville, à cinquante kilomètres au Nord du mas : Georgia. C'est notre prochain objectif.
Il est loin. La zone entre les deux villes est criblée d'eau, ce qui veut dire facilement nettoyable. Malheureusement, il y a beaucoup de villages et de micros-villes, ce qui augmente le nombre de cachettes pour les infectés. Nous avons commencé par limiter le nombre de ponts. Très vite, il était clair que les infectés venaient principalement de Georgia, y compris les quelques pigeons retrouvés à Town. Les pigeons, ces rats des airs. Alors, nous avons décidé d'agir à la source. À l'aide d'une minie pelle trouvée sur place, nous avons posé deux pièges à l'entrée Sud de Georgia pour commencer.
Nous allons les inspecter puis nous rentrerons pour aujourd'hui. Ceux-ci sont pleins chaque semaine. Les trois-quarts d'animaux, des rats charognards, des humanoïdes aussi. De beaux brasiers hebdomadaires. Nous avons déjà inondé de musique Kawai trois grosses rues au Sud. Elles brillent de mille feux. Ma jumelle et moi utilisons la même méthode qu'à Town. Transformer la ville en discothèque. C'est notre prochaine tâche. Assainir Georgia.
Il va nous falloir du temps, car la ville est très grande. L'idée est de faire un couloir de passage pour accéder au côté Nord de la ville et pouvoir s'occuper des ponts qui apportent des contaminants. On fermera les vannes. Ensuite, on fera diminuer le nombre par piégeage et manque de nourriture. Nos prévisions sont de six mois supplémentaires pour assainir Georgia. Peu importe le temps. Tant qu'on diminue le nombre d'infectés et qu’on les prive de bouffe, on progresse. On se donne de l'espoir en se réjouissant de chaque diminution de piégeage et de chaque coin mis en sécurité.
Après mon premier incendie, je monte sur un toit en hauteur pour observer la ville et repérer mes prochaines cibles. Je cherche aussi tout signe de vie, les magasins et les stations essence. Sur le chemin d'accès au second piège, je fais faire un détour et stopper Mélia. J'ai repéré quelque chose dans un quartier non sécurisé encore. Un autre traquenard, inspiré du notre si j’en crois ce que j'ai vu aux jumelles, est en construction. En roulant au ralenti et en regardant partout, nous observons les alentours, en s'assurant de pouvoir fuir rapidement en cas de soucis. Les abords montrent une présence humaine. Les voitures sont sur les côtés, laissant un large espace pour circuler. Nous ne sommes qu'à quelques mètres du piège. Il y a quelque chose d'écrit sur les panneaux de signalisation. Mélia s'approche le plus possible. Elle laisse le moteur tourné et reste au volant, une arme dans la main.
Je descends avec Killer. Je reste à côté du véhicule le temps que mon binôme canin écoute tous les bruits. Il ne détecte rien de suspect et m'autorise à m'éloigner. Je lis alors ce qui est écrit sur le panneau principal. Des messages d'information du danger, par dessin ou mot. Quelques vieilles données de sécurité, précisant que la journée est plus sûre que la nuit et que le bruit fort peut faire fuir les monstres. Ce sont des anciennes informations. Ceux qui ont écrit ont donc eu vent de notre manuel. Rien d'intéressant ou de neuf sinon que bien qu'il soit inachevé, il y a une quarantaine de créatures que je crame avant de relancer un morceau d'appât. Je dépose un exemplaire récent de notre guide de survie et les coordonnées d'un refuge dans la campagne.
Mélia est heureuse de savoir qu'il y a encore des humains dans le coin. En plus, vu qu'ils construisent un piège et diffusent le manuel, il y a possibilité qu'ils soient de bonne volonté. Nous restons méfiantes et essayons de ne pas nous réjouir de trop. Nous repartons en direction de notre dernier point d'arrêt.
À peine en approche, nous détectons tout de suite que l'endroit a été nettoyé en partie et que le manuel accroché aux avertissements a disparu. Plusieurs véhicules ont été déplacés pour faciliter l'accès. Des traces de feu récentes sont visibles. Killer sort par la fenêtre et renifle. Il m'indique en remuant la queue que les odeurs ne l'inquiètent pas. Je sors donc pour jeter mon cocktail molotov de nettoyage. Le piège est à moitié plein. Je souris en voyant qu'une faute d'orthographe a été corrigée sur mes indications alentours. La fin des données est bien plus intéressante. Il s'agit d'un mot écrit sur une feuille et agrafé à la hâte sur un morceau de bois.
— FEU LUNDI 24 Février. Remplissage total. 47 Humanoïdes, plus de 200 rats, 15 chiens et oiseaux divers. HELP. On est vingt-huit. On a faim. On est épuisés et cernés. On a vu vos pièges. On ne sait pas qui vous êtes. On a lu votre manuel. Vous semblez savoir vous défendre contre la menace. S'il vous plaît ! Aidez-nous ! Nous sommes pacifiques. Jules NOGUERRA
Le professeur Noguerra. Le père de Thibaut. Le mot est daté, très récent. Je préviens aussitôt Mélia. Nous réfléchissons à peine trente secondes avant de décider de lui venir en aide. De toute manière, tout humain qui demande de l'aide sera secouru. La seule différence, c'est qu'avec lui, on a confiance et donc un peu moins de méfiance. Je lui écris un mot. En plus, il connaît l'adresse du mas.
— CA pour professeur charismatique et pédagogue dont toutes les élèves sont folles d'amour à son égard. Vous trouverez de la nourriture et de l'eau saine dans le coffre de la voiture bleue en face. La clé est sur le siège de la voiture rouge. Allumez les lumières et mettez de la musique dans votre refuge et dans toute la ville si vous pouvez. Évitez l'ombre et le silence. Voici trois boîtes de mort au rat pour chaque piège. J'ai rechargé en cadavres empoisonnés aujourd'hui mercredi. Nous reviendrons dans sept jours. Fuyez de cette ville si vous le pouvez. Venez à Town. C'est une petite ville au Sud à environ vingt-cinq kilomètres. La zone est quasi saine. Il y a de nombreux refuges sécurisés. La voiture bleue et la voiture rouge ont le plein. Une élève folle notamment de vous.
Mélia et moi croisons les doigts. Peu de personnes comprendront l'intégralité de ce mot. Le professeur et nos amis uniquement en fait. Nous enfermons notre ravitaillement comme indiqué dans la lettre. Nous ne pouvons pas rester. La nuit va bientôt tomber. La zone est plus que malsaine. Nous opérons un demi-tour la mort dans l'âme. Retrouver des survivants ne doit pas se faire au péril de notre vie. Nous sommes en train de décider dans la voiture de passer à Town chaque soir avant la tombée de la nuit durant la semaine qui suit, nous voulons surveiller ceux qui viendraient. Nous ne pouvons pas revenir à Georgia avant sept jours.
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