Folles Furieuses 1/2
Sur le chemin du retour, nous sommes silencieuses et quelque peu moroses, nerveuses aussi. Avoir des nouvelles du professeur sans pour autant le revoir nous brise le cœur. La nuit est tombée. La situation est extrêmement dangereuse. Nous sommes encore dans la banlieue de Georgia. Nous avons pris du retard afin de repasser une dernière fois aux abords du piège du professeur avant de partir. Nous devons redoubler de prudence, dans le noir, nous pouvons être attaquées à n'importe quel moment. Mélia se concentre sur la route. Moi, je tiens mon fusil et j'observe les alentours avec les deux chiens. Ils sont eux aussi très attentifs, conscient du danger et leurs oreilles tendues écoutent minutieusement chaque bruit.
Alors que nous sommes presque à la sortie de la ville, nos deux compagnons poilus s'agitent soudain et couinent doucement en pointant du museau ma fenêtre. Happy remue la queue, mais Killer grogne. Je ne sais pas si ce sont de bonnes ou de mauvaises nouvelles. Un mélange des deux, je pense. Killer veut sortir, ce qui est très étrange. Il veut affronter le danger, lui qui est plutôt prudent, comme moi. Mélia arrête la voiture et j'ouvre ma fenêtre un peu pour écouter davantage. Nous entendons des cris et des coups de feu. Ma sœur et moi enfilons nos lunettes à vision thermique. Au loin, tout au bout d'une grande rue à notre droite, nous apercevons un grand nombre de silhouettes courant vers nous, mais poursuivies par un plus grand nombre d'autres au corps plus chaud. Estimation plus de vingt survivants / trente humanoïdes et une centaine d’autres créatures assez loin, mais se rapprochant.
Des survivants potentiels en train d'être attaqués. Notre cœur manque un battement de joie et de peur en même temps. C'est extrêmement risqué, mais Mélia et moi décidons à toute allure de les sauver. Elle s'enferme dans la cabine avec les deux chiens et redémarre pour foncer dans leur direction tandis que je sors par la fenêtre. Pas besoin de se parler. On a déjà un plan et puis on communique par la pensée elle et moi. À force d'élaborer des stratégies au cas où, et d'envisager un grand nombre de cas de figure, nous savons quoi faire dans un bon nombre de situations. Ma frangine va jouer au bowling version créatures. Elle va essayer de renverser un maximum de poursuivants à l'aide des épais pare-buffles, pour que les humains puissent avoir une possibilité de fuite tandis que les créatures seront KO ou en train de se dévorer. Le véhicule a été conçu dans cette éventualité, défoncer une horde de monstres en pleine course.
Agilement, je grimpe à l'arrière, puis sur le toit. Je me sangle au grillage des enceintes placées en hauteur. Bien que la vitesse ne me dérange pas, je ne veux pas prendre le risque de tomber avec les secousses. J'arme mon fusil et ma mitraillette rapidement. Ma mission est de canarder les créatures les plus proches afin de couvrir les humains. Je dois empêcher les saletés de monter sur le pick-up et permettre aux humains de me rejoindre et les aider à fuir. Notre plan est prêt depuis des mois et nous l'avons répété suffisamment pour ne perdre aucune seconde en hésitation.
Mélia met la musique extérieure à fond et les pleins phares. Le pick-up est couvert de projecteurs lumineux qui s'éclairent aussitôt à puissance maximum. La stratégie est simple, efficace bien que très risquée. Elle s'occupe de faire un strike d'infectés et moi un tir au pigeon. Plus on blesse de créatures, plus elles se boufferont et lâcheront les humains. Le professeur est peut-être dans ce groupe. Même s'il n'y est pas, ce sont des humains à priori sains. Nous devons nous entraider. Mélia accélère. Elle dépasse les premiers coureurs sans s'arrêter, les faisant se retourner, étonnés et sans comprendre. Ma frangine se dirige vers les derniers, ceux le plus en danger. Elle vise les saletés qui les poursuivent et qui les rattrapent presque. Le groupe d'humains en pleine course voient une luciole rapide et hurlant une musique assourdissante foncer à vive allure droit sur l'ennemi, avec un sniper sur le toit qui commence à canarder au loin.
À fond la caisse, Mélia évite les quatre derniers humains et continue sa course en direction de la cible. Visant droit devant dans le centre de l'amas, elle fait un strike parfait sur les plus proches de rattraper les survivants. Les créatures, percutées à plus de cent kilomètres-heures, volent au-dessus de la voiture. La voiture encaisse le choc sans problème. Mélia atteint le gros du groupe de créatures. Elle les percute de plein fouet sans ralentir. Je les vois valser de part et d'autre du véhicule. Je pousse un cri de joie à la limite de la folie. Mélia ralentit très légèrement une fois sortie du troupeau éparpillé. Elle fait ensuite un dérapage parfaitement contrôlé pour se retourner sans perdre trop de vitesse, faisant voler la poussière. Parrain a eu une excellente idée en nous faisant prendre des cours de conduite avec un pilote cascadeur.
Mélia revient vers les survivants, tout en s'assurant de renverser un maximum de créatures. Elle roule à toute vitesse, tourne et retourne. Elle renverse, écrase et fait décoller ces immondes êtres. En marche avant, en marche arrière. La voiture semble totalement folle, comme vivante et habitée d'un esprit meurtrier. Plus de cinquante créatures sont au sol, en plusieurs morceaux ou inconscients. Je surveille avec mes jumelles thermiques qu'aucun bout de bidoche chaud n'atterrit à l'arrière de notre pick-up. La voiture percute puis roule sur les infectés, à plusieurs reprises parfois. Beaucoup d'entre eux s'arrêtent de courir pour dévorer leurs "camarades". D’autres, en grand nombre, arrivent au loin. Nous avons enfin une bonne distance entre eux et les derniers survivants qui courent toujours. Mélia se dirige enfin vers eux et se stoppe au niveau des premiers humains.
J'entre alors en action. Je dois gérer notre zone de sécurité. Je canarde les créatures éloignées qui continuent de nous poursuivre et les autres aussi au cas où. Mes tirs sont précis. Ils font mouche à chaque fois. Chaque balle traverse la tête des créatures, même ceux allongés au sol ont droit à leurs balles. Je tire sans relâche. Je ne les autorise pas à se rapprocher du véhicule. Une distance d'au moins cinq cents mètres est maintenue. Je chante à tue-tête sur la musique entêtante pour me donner du cœur à l’ouvrage. Faux et en hurlant presque. J'ai besoin d'extérioriser l'adrénaline pour rester concentrée. Heureusement que j'ai mon casque anti-bruit pour atténuer le boucan environnant, sinon je finirais sourde.
Du coin de l'œil, j'observe le groupe des retardataires qui est composé de quatre humains. Assez grands et larges d'épaules, ils m'ont l'air plutôt gaillards bien que pas très épais. Ce doit être des hommes au vu de la largeur des épaules. L'un d'eux boite et est porté par deux autres. Malgré cela, ils ont un rythme de déplacement honorable. Le dernier est le seul porteur d’une arme et vise les poursuivants. Il protège le groupe. Les deux sherpas jettent leur chargement qui pousse un cri, mais qui se déplace rapidement pour se placer au mieux à l'arrière. Ils sautent prestement pour le rejoindre ainsi que le tireur. Ils doivent être athlétiques. Nous n'avons pas le temps de s'éterniser. L'ennemi se rapproche. Je tape sur le toit pour donner à Mélia le signal pour repartir.
Je ne cesse de tirer tandis qu'elle avance et récupère un à un les survivants. L'homme armé tente de m'aider à maintenir la distance de sécurité. Il vise moins bien et il est bien plus perturbé que moi par les soubresauts du véhicule. Son arme est plus lente. Un pistolet de petit calibre d'après la taille et le bruit. Les trois autres chopent et assistent les autres pour rentrer le plus vite possible dans le véhicule. La méthode est sans ménagement, les jetant parfois brutalement sur la tôle, toutefois, elle a l'avantage d'être efficace. Mélia ne s'arrêtant que quelques secondes ou même ralentit sans se stopper avant que je ne redonne le signal de départ.
— Tiens, prends ça dans ta face.
Je hurle des injures aux créatures. Dès que quelque chose bouge, je tire en visant si possible la partie céphalique. À défaut, je vise le poitrail pour être certaine de toucher de la bidoche. Je chante et j'insulte. J'éjecte mes balles, recharge et tire en quelques secondes. Les secousses me perturbent à peine. Je me suis entraînée régulièrement. Ma position haute, plaquée contre les haut-parleurs est celle qui assure la meilleure stabilité. Ma concentration est bonne. Mon arme rapide. Sa capacité de blessure est importante. Je suis à mon maximum de dégâts.
— YESSSSSSS Explosion de cervelle
Je recharge à toute vitesse. Je maintiens une distance de presque huit cents mètres entre la voiture et les nouveaux attaquants qui arrivent au loin. Je suis efficace et sécurise un espace suffisant pour récupérer en sécurité les humains.
— VA YYYYY ! Bouffe-le pour que je te défonce.
Un nombre incroyable de créatures, humanoïdes ou animales rappliquent. Je ne peux pas les compter. Si je ne réagis pas vite, ils vont se rapprocher davantage et le danger sera encore plus important. Je canarde sans merci, adoptant la mitraillette, moins précise, mais à la cadence de tir plus rapide. Je dois faire un maximum de dégâts et de victimes. Il suffit de blesser pour que les autres se jettent dessus. J'ai un mélange d'humanoïdes, de chiens, chats, mais aussi de petits rongeurs si j'arrive à comprendre et à analyser ma vision thermique. Ceux à terre se font dévorer par des tout petits trucs. Je n'ai pas vraiment le temps de réfléchir. Je vise les plus gros, pour que les petits cessent la course pour se restaurer sur les copains.
— OUAIIIISSSS, c'est ça. Mangez-vous. Ça me fera économiser des balles.
Entre les enceintes à fond et mon fusil, c'est un vacarme à peine supportable. Je vais finir sourde à force. Heureusement que mes oreilles ont souvent du repos dans notre village plutôt calme. Les bruyantes oies sont le boulot de Mélia. Malgré mes tirs, les saletés se rapprochent à moins de cinq cents mètres. J'ai besoin d'aide. La musique et les balles ne sont pas assez dissuasives. Je dois surtout les aveugler et les étourdir. D'un coup rapide, je fais basculer une partie des projecteurs du toit du pick-up vers les créatures qui hurlent de douleur. C'est la souffrance la plus insupportable d'après nos études.
— Ça fait mal la lumière, hein mochetés ?
Le puissant faisceau qui illumine toute la rue ralentit fortement le galop de poursuivants. La lumière aide aussi le tireur du groupe d'humains qui voit mieux les cibles. Il met un temps fou à recharger son arme. Je n'ai pas trop le temps de le regarder. Moi, je vise à la lunette thermique alors l'obscurité ne me dérange pas. Je crie de joie à chaque tête explosée. J'insulte les créatures. Je les élimine sans vergogne, sans pitié. J'y prends même du plaisir. Cela se ressent dans mes paroles, dans mes hurlements de victoire. J'aime les voir se déchiqueter entre eux, s'éliminer tout seuls, comme les monstres qu'ils sont. Le nombre de poursuivants finit par diminuer pour manger ceux à terre. Il doit y en avoir au moins deux cents, dont cinquante humanoïdes.
Quand je le peux, j'observe du coin de l'œil les passagers en surveillant les créatures lointaines, celles hors de portée de tir, en train de bouffer les autres monstres. Mis à part un, aucun des passagers ne semble avoir d'armes. Je ne peux pas voir leurs visages avec mes lunettes. À la taille des épaules, ce sont des hommes. Aucun ne présente de chaleur excessive suspecte. Mélia fonce puis freine pour récupérer chaque humain. Au dernier du groupe, je questionne mes futurs prisonniers pour m'assurer qu'ils sont tous là. J'en ai compté vingt-trois, mais comme ils sont tous debout à part le blessé, je pense en avoir raté quelques-uns, trop concentrée sur le massacre de créatures. L'un d’eux semble les compter puis me fait un geste avec le pouce pour m'indiquer que c'est ok. Sur un signe de l'un des humains, la musique ne nous permettant guère de parler, je donne le signal du retour à Mélia. Nous avons un code pour le oui et le non et puis au pire, elle connait le morse façon tape du pied sur le plafond.
Elle roule à toute allure pour s'éloigner le plus possible. Nous devons gagner une zone plus sûre très rapidement. Georgia et sa banlieue de nuit sont mortelles. Ma frangine se dirige vers Town et ses lumières, endroit presque sûr le plus proche. Elle baisse la musique et ouvre un peu la fenêtre pour m'entendre si besoin. Je reste debout à surveiller les alentours, prête à tirer au cas où.
— Dans la caisse noire, il y a un petit chalumeau et un morceau de cuir. Placez le cuir entre les dents du blessé. Cramez la plaie de votre camarade. Je sais que ça fait mal, malheureusement, c'est le seul moyen pour qu'il ne soit pas infecté s'il a été mordu. On a vingt minutes après la morsure où on a des chances de le sauver. Après, c'est une balle dans la tête. Si vous n'obéissez pas, c'est une balle directe pour chacun d'entre vous.
Je suis très directive. Je n'ai pas le temps de mettre les formes, ni de prendre des risques. Entre mes paroles à destination des monstres prouvant mon instabilité mentale et mon fusil prêt et prompt à tirer, je ne peux pas dire que je suis très rassurante. Mélia au volant qui continue de chanter faux ses mélodies sirupeuses n’aident pas à dissiper les inquiétudes potentielles de nos rescapés. Le regard de loup de Killer que je ne vois pas, mais que je devine aisément renforce notre potentiel de terreur. Happy doit être le seul élément amical sauf s'il sent Mélia en danger.
Je vois les rescapés obtempérer sans broncher. Même celui qui est armé pose son pistolet et fait ce que je dis en ouvrant la caisse noire. Bien qu'entassés et secoués dans tous les sens par la conduite folle de Mélia, le groupe parvient à allonger le blessé. Deux tiennent le haut et deux autres le bas du corps. Un cinquième allume le chalumeau. Ils m'obéissent sans réfléchir. Bon point pour eux. Le blessé hurle de douleur tandis que le flambeur passe et repasse sur la blessure. Ça sent le cochon grillé. J'ai mal pour l'homme toutefois pas de place pour les sentiments. Il finit par s'évanouir de douleur. Quand j'estime que la brûlure est suffisante, je leur dis d'arrêter. Rien ne sert de le torturer non plus.
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