Folles Furieuses
Sur le chemin du retour, nous sommes silencieuses et quelque peu moroses, nerveuses aussi. Avoir des nouvelles du professeur sans pour autant le revoir nous brise le cœur. La nuit est tombée. La situation est extrêmement dangereuse. Nous sommes encore dans la banlieue de Georgia. Nous avons pris du retard afin de repasser une dernière fois aux abords du piège du professeur avant de partir. Nous devons redoubler de prudence, dans le noir, nous pouvons être attaquées à n'importe quel moment. Mélia se concentre sur la route. Moi, je tiens mon fusil et j'observe les alentours avec les deux chiens. Ils sont eux aussi très attentifs, conscient du danger et leurs oreilles tendues écoutent minutieusement chaque bruit.
Alors que nous sommes presque à la sortie de la ville, nos deux compagnons poilus s'agitent soudain et couinent doucement en pointant du museau ma fenêtre. Happy remue la queue, mais Killer grogne. Je ne sais pas si ce sont de bonnes ou de mauvaises nouvelles. Un mélange des deux, je pense. Killer veut sortir, ce qui est très étrange. Il veut affronter le danger, lui qui est plutôt prudent, comme moi. Mélia arrête la voiture et j'ouvre ma fenêtre un peu pour écouter davantage. Nous entendons des cris et des coups de feu. Ma sœur et moi enfilons nos lunettes à vision thermique. Au loin, tout au bout d'une grande rue à notre droite, nous apercevons un grand nombre de silhouettes courant vers nous, mais poursuivies par un plus grand nombre d'autres au corps plus chaud. Estimation plus de vingt survivants / trente humanoïdes et une centaine d’autres créatures assez loin, mais se rapprochant.
Des survivants potentiels en train d'être attaqués. Notre cœur manque un battement de joie et de peur en même temps. C'est extrêmement risqué, mais Mélia et moi décidons à toute allure de les sauver. Elle s'enferme dans la cabine avec les deux chiens et redémarre pour foncer dans leur direction tandis que je sors par la fenêtre. Pas besoin de se parler. On a déjà un plan et puis on communique par la pensée elle et moi. À force d'élaborer des stratégies au cas où, et d'envisager un grand nombre de cas de figure, nous savons quoi faire dans un bon nombre de situations. Ma frangine va jouer au bowling version créatures. Elle va essayer de renverser un maximum de poursuivants à l'aide des épais pare-buffles, pour que les humains puissent avoir une possibilité de fuite tandis que les créatures seront KO ou en train de se dévorer. Le véhicule a été conçu dans cette éventualité, défoncer une horde de monstres en pleine course.
Agilement, je grimpe à l'arrière, puis sur le toit. Je me sangle au grillage des enceintes placées en hauteur. Bien que la vitesse ne me dérange pas, je ne veux pas prendre le risque de tomber avec les secousses. J'arme mon fusil et ma mitraillette rapidement. Ma mission est de canarder les créatures les plus proches afin de couvrir les humains. Je dois empêcher les saletés de monter sur le pick-up et permettre aux humains de me rejoindre et les aider à fuir. Notre plan est prêt depuis des mois et nous l'avons répété suffisamment pour ne perdre aucune seconde en hésitation.
Mélia met la musique extérieure à fond et les pleins phares. Le pick-up est couvert de projecteurs lumineux qui s'éclairent aussitôt à puissance maximum. La stratégie est simple, efficace bien que très risquée. Elle s'occupe de faire un strike d'infectés et moi un tir au pigeon. Plus on blesse de créatures, plus elles se boufferont et lâcheront les humains. Le professeur est peut-être dans ce groupe. Même s'il n'y est pas, ce sont des humains à priori sains. Nous devons nous entraider. Mélia accélère. Elle dépasse les premiers coureurs sans s'arrêter, les faisant se retourner, étonnés et sans comprendre. Ma frangine se dirige vers les derniers, ceux le plus en danger. Elle vise les saletés qui les poursuivent et qui les rattrapent presque. Le groupe d'humains en pleine course voient une luciole rapide et hurlant une musique assourdissante foncer à vive allure droit sur l'ennemi, avec un sniper sur le toit qui commence à canarder au loin.
À fond la caisse, Mélia évite les quatre derniers humains et continue sa course en direction de la cible. Visant droit devant dans le centre de l'amas, elle fait un strike parfait sur les plus proches de rattraper les survivants. Les créatures, percutées à plus de cent kilomètres-heures, volent au-dessus de la voiture. La voiture encaisse le choc sans problème. Mélia atteint le gros du groupe de créatures. Elle les percute de plein fouet sans ralentir. Je les vois valser de part et d'autre du véhicule. Je pousse un cri de joie à la limite de la folie. Mélia ralentit très légèrement une fois sortie du troupeau éparpillé. Elle fait ensuite un dérapage parfaitement contrôlé pour se retourner sans perdre trop de vitesse, faisant voler la poussière. Parrain a eu une excellente idée en nous faisant prendre des cours de conduite avec un pilote cascadeur.
Mélia revient vers les survivants, tout en s'assurant de renverser un maximum de créatures. Elle roule à toute vitesse, tourne et retourne. Elle renverse, écrase et fait décoller ces immondes êtres. En marche avant, en marche arrière. La voiture semble totalement folle, comme vivante et habitée d'un esprit meurtrier. Plus de cinquante créatures sont au sol, en plusieurs morceaux ou inconscients. Je surveille avec mes jumelles thermiques qu'aucun bout de bidoche chaud n'atterrit à l'arrière de notre pick-up. La voiture percute puis roule sur les infectés, à plusieurs reprises parfois. Beaucoup d'entre eux s'arrêtent de courir pour dévorer leurs "camarades". D’autres, en grand nombre, arrivent au loin. Nous avons enfin une bonne distance entre eux et les derniers survivants qui courent toujours. Mélia se dirige enfin vers eux et se stoppe au niveau des premiers humains.
J'entre alors en action. Je dois gérer notre zone de sécurité. Je canarde les créatures éloignées qui continuent de nous poursuivre et les autres aussi au cas où. Mes tirs sont précis. Ils font mouche à chaque fois. Chaque balle traverse la tête des créatures, même ceux allongés au sol ont droit à leurs balles. Je tire sans relâche. Je ne les autorise pas à se rapprocher du véhicule. Une distance d'au moins cinq cents mètres est maintenue. Je chante à tue-tête sur la musique entêtante pour me donner du cœur à l’ouvrage. Faux et en hurlant presque. J'ai besoin d'extérioriser l'adrénaline pour rester concentrée. Heureusement que j'ai mon casque anti-bruit pour atténuer le boucan environnant, sinon je finirais sourde.
Du coin de l'œil, j'observe le groupe des retardataires qui est composé de quatre humains. Assez grands et larges d'épaules, ils m'ont l'air plutôt gaillards bien que pas très épais. Ce doit être des hommes au vu de la largeur des épaules. L'un d'eux boite et est porté par deux autres. Malgré cela, ils ont un rythme de déplacement honorable. Le dernier est le seul porteur d’une arme et vise les poursuivants. Il protège le groupe. Les deux sherpas jettent leur chargement qui pousse un cri, mais qui se déplace rapidement pour se placer au mieux à l'arrière. Ils sautent prestement pour le rejoindre ainsi que le tireur. Ils doivent être athlétiques. Nous n'avons pas le temps de s'éterniser. L'ennemi se rapproche. Je tape sur le toit pour donner à Mélia le signal pour repartir.
Je ne cesse de tirer tandis qu'elle avance et récupère un à un les survivants. L'homme armé tente de m'aider à maintenir la distance de sécurité. Il vise moins bien et il est bien plus perturbé que moi par les soubresauts du véhicule. Son arme est plus lente. Un pistolet de petit calibre d'après la taille et le bruit. Les trois autres chopent et assistent les autres pour rentrer le plus vite possible dans le véhicule. La méthode est sans ménagement, les jetant parfois brutalement sur la tôle, toutefois, elle a l'avantage d'être efficace. Mélia ne s'arrêtant que quelques secondes ou même ralentit sans se stopper avant que je ne redonne le signal de départ.
— Tiens, prends ça dans ta face.
Je hurle des injures aux créatures. Dès que quelque chose bouge, je tire en visant si possible la partie céphalique. À défaut, je vise le poitrail pour être certaine de toucher de la bidoche. Je chante et j'insulte. J'éjecte mes balles, recharge et tire en quelques secondes. Les secousses me perturbent à peine. Je me suis entraînée régulièrement. Ma position haute, plaquée contre les haut-parleurs est celle qui assure la meilleure stabilité. Ma concentration est bonne. Mon arme rapide. Sa capacité de blessure est importante. Je suis à mon maximum de dégâts.
— YESSSSSSS Explosion de cervelle
Je recharge à toute vitesse. Je maintiens une distance de presque huit cents mètres entre la voiture et les nouveaux attaquants qui arrivent au loin. Je suis efficace et sécurise un espace suffisant pour récupérer en sécurité les humains.
— VA YYYYY ! Bouffe-le pour que je te défonce.
Un nombre incroyable de créatures, humanoïdes ou animales rappliquent. Je ne peux pas les compter. Si je ne réagis pas vite, ils vont se rapprocher davantage et le danger sera encore plus important. Je canarde sans merci, adoptant la mitraillette, moins précise, mais à la cadence de tir plus rapide. Je dois faire un maximum de dégâts et de victimes. Il suffit de blesser pour que les autres se jettent dessus. J'ai un mélange d'humanoïdes, de chiens, chats, mais aussi de petits rongeurs si j'arrive à comprendre et à analyser ma vision thermique. Ceux à terre se font dévorer par des tout petits trucs. Je n'ai pas vraiment le temps de réfléchir. Je vise les plus gros, pour que les petits cessent la course pour se restaurer sur les copains.
— OUAIIIISSSS, c'est ça. Mangez-vous. Ça me fera économiser des balles.
Entre les enceintes à fond et mon fusil, c'est un vacarme à peine supportable. Je vais finir sourde à force. Heureusement que mes oreilles ont souvent du repos dans notre village plutôt calme. Les bruyantes oies sont le boulot de Mélia. Malgré mes tirs, les saletés se rapprochent à moins de cinq cents mètres. J'ai besoin d'aide. La musique et les balles ne sont pas assez dissuasives. Je dois surtout les aveugler et les étourdir. D'un coup rapide, je fais basculer une partie des projecteurs du toit du pick-up vers les créatures qui hurlent de douleur. C'est la souffrance la plus insupportable d'après nos études.
— Ça fait mal la lumière, hein mochetés ?
Le puissant faisceau qui illumine toute la rue ralentit fortement le galop de poursuivants. La lumière aide aussi le tireur du groupe d'humains qui voit mieux les cibles. Il met un temps fou à recharger son arme. Je n'ai pas trop le temps de le regarder. Moi, je vise à la lunette thermique alors l'obscurité ne me dérange pas. Je crie de joie à chaque tête explosée. J'insulte les créatures. Je les élimine sans vergogne, sans pitié. J'y prends même du plaisir. Cela se ressent dans mes paroles, dans mes hurlements de victoire. J'aime les voir se déchiqueter entre eux, s'éliminer tout seuls, comme les monstres qu'ils sont. Le nombre de poursuivants finit par diminuer pour manger ceux à terre. Il doit y en avoir au moins deux cents, dont cinquante humanoïdes.
Quand je le peux, j'observe du coin de l'œil les passagers en surveillant les créatures lointaines, celles hors de portée de tir, en train de bouffer les autres monstres. Mis à part un, aucun des passagers ne semble avoir d'armes. Je ne peux pas voir leurs visages avec mes lunettes. À la taille des épaules, ce sont des hommes. Aucun ne présente de chaleur excessive suspecte. Mélia fonce puis freine pour récupérer chaque humain. Au dernier du groupe, je questionne mes futurs prisonniers pour m'assurer qu'ils sont tous là. J'en ai compté vingt-trois, mais comme ils sont tous debout à part le blessé, je pense en avoir raté quelques-uns, trop concentrée sur le massacre de créatures. L'un d’eux semble les compter puis me fait un geste avec le pouce pour m'indiquer que c'est ok. Sur un signe de l'un des humains, la musique ne nous permettant guère de parler, je donne le signal du retour à Mélia. Nous avons un code pour le oui et le non et puis au pire, elle connait le morse façon tape du pied sur le plafond.
Elle roule à toute allure pour s'éloigner le plus possible. Nous devons gagner une zone plus sûre très rapidement. Georgia et sa banlieue de nuit sont mortelles. Ma frangine se dirige vers Town et ses lumières, endroit presque sûr le plus proche. Elle baisse la musique et ouvre un peu la fenêtre pour m'entendre si besoin. Je reste debout à surveiller les alentours, prête à tirer au cas où.
— Dans la caisse noire, il y a un petit chalumeau et un morceau de cuir. Placez le cuir entre les dents du blessé. Cramez la plaie de votre camarade. Je sais que ça fait mal, malheureusement, c'est le seul moyen pour qu'il ne soit pas infecté s'il a été mordu. On a vingt minutes après la morsure où on a des chances de le sauver. Après, c'est une balle dans la tête. Si vous n'obéissez pas, c'est une balle directe pour chacun d'entre vous.
Je suis très directive. Je n'ai pas le temps de mettre les formes, ni de prendre des risques. Entre mes paroles à destination des monstres prouvant mon instabilité mentale et mon fusil prêt et prompt à tirer, je ne peux pas dire que je suis très rassurante. Mélia au volant qui continue de chanter faux ses mélodies sirupeuses n’aident pas à dissiper les inquiétudes potentielles de nos rescapés. Le regard de loup de Killer que je ne vois pas, mais que je devine aisément renforce notre potentiel de terreur. Happy doit être le seul élément amical sauf s'il sent Mélia en danger.
Je vois les rescapés obtempérer sans broncher. Même celui qui est armé pose son pistolet et fait ce que je dis en ouvrant la caisse noire. Bien qu'entassés et secoués dans tous les sens par la conduite folle de Mélia, le groupe parvient à allonger le blessé. Deux tiennent le haut et deux autres le bas du corps. Un cinquième allume le chalumeau. Ils m'obéissent sans réfléchir. Bon point pour eux. Le blessé hurle de douleur tandis que le flambeur passe et repasse sur la blessure. Ça sent le cochon grillé. J'ai mal pour l'homme toutefois pas de place pour les sentiments. Il finit par s'évanouir de douleur. Quand j'estime que la brûlure est suffisante, je leur dis d'arrêter. Rien ne sert de le torturer non plus.
Dans la caisse, il y a de la glace à placer sur la brûlure pour la calmer et refroidir les chairs. Il y a aussi de l'eau saine et quelques pommes. Je les invite tous à boire et à manger un peu, sans les quitter des yeux et surveillant nos arrières et les alentours. Vu notre vitesse, une attaque d'infectés est peu probable, mais je fais tout de même attention. De mon poste d'observation, je scrute le groupe. Ils se partagent le peu de nourriture et d'eau en faisant attention de ne pas toucher la bouteille avec leurs lèvres. Une pomme et le fond d'eau sont gardés pour le blessé. Ils savent donc pour la contamination par salive. C'est pour cela qu'ils ont brûlé la plaie sans broncher. Ils prennent soin les uns des autres, vu qu'ils pensent à leur copain inconscient lors du partage et s'entraident pour se tenir le mieux possible à la carrosserie. C'est un point positif pour eux. Les mercenaires et les cupides ont rarement un esprit de groupe protecteur et coopératif.
Ce sont clairement des hommes au vu des tonalités de voix, de la largeur d'épaules, de la silhouette plutôt en H qu'en huit et aussi l'absence totale de bosses au niveau pectoral. À part le mollet brûlé du blessé, rien ne dégage de chaleur importante chez eux. Le blessé est même un peu froid. Vu ce qu'il vient de subir, il faut l'aider à se maintenir à température. Je leur dis de sortir la couverture de survie et de le recouvrir. Puis ordonne que l'un des autres le prenne dans ses bras pour éviter que le blessé n'accentue les dégâts et ne soit pas trimballé dans tous les sens. C'est le tireur qui se charge de cela. Il a abandonné son arme que je suppose être à court de balles. Grossière erreur. Cela, plus ses faibles performances à viser, m'indiquent son statut de novice et donc de faible menace.
Mélia fonce comme un bolide. Tout en scrutant la nuit, je discute avec les passagers dans le but d'estimer leur potentiel. Enfin, j'aboie mes questions et ils répondent poliment. Ils ont des réponses cohérentes. Ils ne semblent pas agressifs. Ils sont en train de me remercier, y compris le blessé qui a repris conscience. Il doit être résistant vu sa récupération rapide. L'eau et la pomme lui font pousser un soupir de soulagement. Leurs voix sont fatiguées et un peu inquiètes. Ils n'ont pas le langage de militaires. Certains ont un vocabulaire élaboré. D'autres plus simple.
C'est un groupe qui semble fait d'individus disparates à l'oreille. Eux aussi tentent d'évaluer ma dangerosité. Ils sont encore tendus et sous adrénaline bien que le danger s'éloigne de plus en plus. Je dois reconnaître que je ne donne guère l'impression d'être saine d'esprit. J'ai aussi un fusil d'assaut en main et je viens de canarder au moins deux cents créatures en hurlant de joie comme une folle. Je perçois leur peur et cela me réjouit. S'ils ont peur, c'est qu'ils ne sont pas aussi dangereux que moi.
Il y a clairement deux leaders. Le tireur et un homme plus petit et mince. Tous les deux ont un langage soutenu et un riche vocabulaire. Ils m'ont l'air très bien éduqués. Le ton de leur voix et le langage corporel que je distingue semble être celui de la sincérité. Prudents mais sincères. Le blessé et celui qui a une arme sont clairement proches quand je vois comment ils se parlent et se comprennent. Le blessé venait de s'entailler sur une planche en sautant d'un obstacle lors de la fuite. Ce n'est pas une morsure et le délai des vingt minutes n’était pas atteint. Il y a peu de chances qu'il soit contaminé. Ils ont pourtant cramé son mollet sans poser de questions.
Ils étaient un groupe d'une cinquantaine au début de la guerre. Ils viennent de trois cents kilomètres au Nord, et cherchent à rejoindre un abri sûr ou la mer. Les créatures ont réduit leur nombre peu à peu. Ils confirment être tous des hommes d'une vingtaine à une cinquantaine d'années. Ils viennent d'arriver depuis six jours dans Georgia, survivant grâce à la nourriture mise en sécurité dans les congélateurs et aux quelques clés mises en évidence. Les anciens habitants de la ville ont dû suivre les conseils de Richard. Il y a donc espoir de trouver encore des ressources en nettoyant la ville.
Ils sont inquiets puisque n'ayant encore pas trouvé de zone moins dangereuse. Ils ont traversé beaucoup de grosses villes ressemblantes à Georgia. La campagne est quasi nulle au Nord. Le nombre de cachettes et de nourriture importantes. Je dois vraiment couper cette ville du reste du Nord si je veux l'assainir. Ils ignorent que nous dirigeons vers un lieu presque propre. Je ne leur réponds pas quand ils me questionnent sur notre destination. Ils me racontent brièvement leur périple. Ils ont rencontré quelques humains belliqueux et cupides, mais ont su les éviter. Le principal danger pour eux est l'omniprésence de créatures, dans le moindre recoin.
Georgia est le premier lieu où ils ont trouvé des signes de résistance et d'adaptation, tant par les refuges construits que par la sécurisation de la nourriture. Le premier où ils ont trouvé un abri qui leur a permis de dormir un peu la nuit sans avoir besoin de faire tous le guet. Afin de se déplacer, ils ont organisé leurs journées différemment. Ils bougent en matinée aux premières lueurs du jour, trouvent un abri sécurisé pour dormir l'après-midi puis veillent la nuit pour être prêts à se défendre. Le rythme est dur, surtout que la nourriture manque cruellement. Cette ville leur a permis de manger et de dormir un peu plus sans non plus les requinquer.
Ils commençaient à reprendre des forces quand un humanoïde a défoncé leur abri en utilisant une voiture bélier. Ils avaient croisé l'homme trois jours auparavant en train de voler dans une bijouterie. J'apprends que le véhicule attaquant est bleu et correspond à celui où j'ai mis des provisions cet après-midi. L'infecté est récent et encore capable de raisonner. Heureusement, le tireur me confirme lui avoir collé une balle dans la tête. La porte étant démolie, ils ont dû chercher en urgence un nouvel abri, se faisant courser par les infectés ayant perçu l'odeur du sang et le bruit de l'attaque. Il faudra que j'aille vérifier la mort de celui capable de lire.
Cela sera plus tard. Je note les informations dans un coin de ma tête. Je sais que ma jumelle doit entendre aussi par la lucarne à peine ouverte. La cabine n'est pas parfaitement insonorisée et les gars parlent fort pour couvrir le bruit du moteur et le vent dû à la vitesse. Ils se livrent à demi-mots, essayant d'en découvrir plus sur nous. Mélia ne pouvant parler, et moi étant une experte en mensonges, j'invente un bastion de militaires lourdement armés qui ont besoin de main d'œuvre docile. Je sais comment exagérer les choses et les déformer pour que cela reste crédible et surtout effrayant.
Ils baissent tous les épaules, déçus de tomber sur des esclavagistes, pourtant, leurs voix trahissent un peu de calme de se savoir bientôt à l'abri des créatures et de peut-être pouvoir dormir et manger un peu. Ils promettent de nous obéir si nous les aidons à survivre. Un des mecs se dit plombier et se propose pour réparer ou effectuer des travaux. Le leader le plus petit se dit instruit et capable d'aider pour de nombreuses choses. Le tireur reste assez silencieux et écoute. Il est clairement le plus dangereux de la bande. Donc, je l'interroge directement ainsi que le blessé. Ses réponses courtes et prudentes me confirment que je devrais le surveiller de près. Il agit en protecteur. Il fera ce qu'il estime le mieux pour le groupe. Bref, il ne se soumettra pas s'il perçoit un danger. Logique, mais à surveiller.
Soudain, un groupe musical que j'aime et parfaitement de circonstance passe dans la cabine conducteur. Les Cranberries. Je tape sur le toit pour que Mélia remonte le son de la musique. Elle comprend aussitôt. Nous avons le même genre d'idées débiles à force d'être ensemble 24h/24. Je tape en rythme du pied en improvisant une chorégraphie, hurlant avec la chanteuse et Mélia, tout en scrutant la nuit avec mon fusil. J'invite nos passagers à utiliser leurs cordes vocales, mais ils déclinent tous, voulant préserver leurs forces. Malgré mon boucan d'enfer, j'entends les chuchotis des hommes.
Ils parlent en pensant que je n'entends rien. Ma santé mentale et leur sécurité sont au centre des discussions. Je comprends tout à fait leurs raisonnements. Je me méfierais moi-même de ma personne dans de telles circonstances. L'homme armé a deviné avoir affaire à deux filles ou deux adolescents au vu des cheveux longs de Mélia, de nos épaules fines, de notre taille plus petite et surtout de ma voix plus aigüe. Il doute de mon discours. Il est le seul à ne pas me croire sur parole, ce qui prouve qu'il est intelligent, observateur et surtout potentiellement dangereux.
J'ai confirmation que l'arme est vide et sans munitions. Il réfléchit aux possibilités de fuite ou de défense avant que nous ne les amenions à notre bastion. Je rigole quand la possibilité de nous attaquer est envisagée. Elle est vite abandonnée en raison de mon fusil d'assaut pointé vers eux. En plus, ils ne m'ont pas l'air très entraînés, ni bien nourris. J'aurais vite fait d'en maîtriser quelques-uns et de pointer l'arme de ma poche arrière sur la tête de l'un d'eux, de préférence le leader anciennement armé.
Le blessé prend la parole et incite les autres à nous obéir. Il me plaît celui-là. J'espère qu'il ne sera pas infecté. Je n'ai pas envie de lui coller une balle entre les deux yeux. En plus, je ne sais pas pourquoi sa voix douce me rappelle une époque heureuse. Rien n'obligeait les deux filles à les recueillir en prenant des risques ni à leur indiquer comment désinfecter la plaie. Il se fiche d'être l'esclave d'une faction de militaires si ceux-ci sont capables de fournir à deux nanas de quoi fabriquer des pièges et survivre dans une ville bourrée de créatures. Si les filles ne fuient pas avec le véhicule, c'est qu'elles sont bien traitées et en sécurité là-bas.
Son discours est juste et empreint de bienveillance tout en restant prudent. Il me fait penser à Mélia. Doux mais ferme et surtout avec une grande réflexion. Maintenant qu'il s'est réchauffé et est réveillé, il présente une très légère fièvre cohérente avec la blessure. Il ne se plaint même pas alors que ça doit être très douloureux. Les autres l'écoutent, y compris celui qui a une arme. D'ailleurs, c'est assez étrange. Ils s'écoutent tous. Deux dirigent clairement, mais l'avis de chacun semble pris en compte. Ce ne sont pas des militaires à coup sûr. La hiérarchie semble inexistante. La voix du blessé me berce un peu et calme ma danse frénétique.
Je rêvasse dans ma bulle tandis que la musique diminue. Je continue de surveiller les alentours et d'écouter les gars parler, mais je me perds dans mes pensées, un brin nostalgique. Mélia sort de la route goudronnée et descend dans une rivière. Elle roule dedans pour la remonter légèrement. Les gars sont éclaboussés d'eau, cependant, ils ne posent pas de question. Ils nous font confiance. Je sais qu'elle nettoie la carrosserie et tente de déloger les rats qui pourraient s'être placés dessous. Rien de chaud n'apparaît dans le lit de la rivière.
Nous arrivons enfin au sas de sécurité de Town. Ils sont surpris de la musique et des éclairages. Le leader le plus petit comprend très vite les raisons de la présence des spots et des haut-parleurs comme repoussoirs à créatures. Je les entends discuter sur l'ingéniosité de ce bricolage. J'ordonne à l'un des mecs de sauter à terre et d'ouvrir le verrou de la première porte pour que la voiture rentre puis de refermer derrière nous. Le type à terre reçoit une torche pour inspecter le dessous de la carrosserie. Il se couche avec agilité. Très vite, il déclare que tout a l'air net et sans danger. Je lui fais alors ouvrir la seconde porte, puis la refermer et enfin pareil, avec la troisième et dernière porte. Il remonte à l'arrière.
Nous traversons Town à cent kilomètres heures. Nous avons baissé le son, je continue de chantonner. Mélia stoppe. Avant d'aller au mas, et malgré le blessé, nous devons évaluer nos passagers. Nous les avons secourus en prenant un énorme risque. On va arrêter là les conneries. Nous sommes sur un grand parking d'une petite zone artisanale et commerciale sous un projecteur puissant. Les alentours sont vides. Nous voyons sans obstacle sur un périmètre de cinq cents mètres.
Je leur ordonne de tous descendre et de se placer sous les lampes en tenant mon fusil fermement. Ils obéissent. Ils reprennent peur. Le plus petit leader tente de discuter avec moi pour comprendre nos intentions. Je suis claire et logique, ce qui semble le rassurer. Je dois contrôler personnellement le dessous du véhicule dans le garage à proximité équipé d'un pont. Je dois vérifier qu'ils n'ont pas d'armes ou de choses dangereuses dissimulées. Et surtout, je dois évaluer la gravité de la blessure et établir son potentiel de contamination. J’ai donc besoin de lumière forte pour cela. Nous les conduirons après en lieu sûr pour la nuit.
Ils se tranquillisent un peu en comprenant la logique derrière mes ordres. Il n'y a rien contre eux. J'agis de manière à vérifier les risques et pouvoir décider en toute connaissance. S'ils obéissent et satisfont mes demandes, je donne ma parole pour des heures de sommeil très prochainement. Ils n'ont pas de raison de douter de moi. Je viens de les sauver d'une mort imminente et ne montre une hostilité que tout à fait légitime en ces temps de guerre et de danger.
Tandis qu'ils descendent et aident le blessé à se mouvoir, je réponds à leurs questions et confirme que les lumières et le son sont des éléments dissuasifs et répulsifs. Tant qu'il s'agit de questions pour se protéger des affreux, je n'ai rien à cacher. Je les rassure sur notre lieu de stop. La ville est presque saine, au contraire de Georgia. Aussi, on peut s'arrêter ici sans trop de danger. Après un regard à 360, je quitte mes lunettes. Je regarde vers le blessé et ses infirmiers, surtout le type armé qui a récupéré discrétos son arme pourtant vide. Et là...
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