La rentrée 2/2
Pour m’occuper, et aussi pour ne pas fixer les têtes d’andouilles qui m’entourent, j’observe les alentours et note les informations qui pourraient être utiles. Il y a six bâtiments assez semblables, plus le gymnase. Quatre aux crépis jaunes qui semblent être les salles de cours et l’administratif. Un au crépis rose qui doit être le dortoir des filles au vu du nombre de pouffes qui squattent le bas et les dentelles qui déjà ornent les fenêtres. Un dernier au crépis orangé ou rouge délavé. Celui-là, c’est le dortoir des mecs je suppose. Un ramassis de crétins est attroupé devant et les couleurs de l’intérieur me semblent plutôt brutes et sombres.
Les bâtiments se ressemblent assez. Ils sont hauts de trois beaux étages. Je dirais une douzaine de mètres de haut. Largeur vingt -cinq mètres. Longueur au moins cinquante mètres. Une large porte d’entrée à doubles portes sur chacun. De grandes baies vitrées pour les bâtiments jaunes. Une tonne de petites fenêtres pour les dortoirs. Des escaliers de secours de part et d’autre de la longueur. Ce qui semble un toit terrasse au sommet des dortoirs.
Le gymnase est un long bâtiment métallique bleu d’une soixantaine de mètres de long sur une trentaine de large et trois mètres de haut. Rien de particulier. Les vestiaires et leurs vitres hautes et troubles sont sur le côté gauche. Plusieurs longues vitres sur la longueur doivent fournir une belle lumière intérieure. Le toit me semble pourvus de verrière mais je ne suis pas sûre. Je suis trop loin.
L’extérieur fournit assez de verdure pour que je ne me sente pas malade. Dans les trois à quatre hectares. Certes le gazon impeccable est tout sauf naturel. Surement des bandes en provenance d’une pépinière. Ça manque de fleurs et de plantes variées sauvages. Je sens que je vais semer des graines discrètement pour mettre un peu de variété. Quelques parterres fleuris dessinent de belles armoiries et cassent la monotonie du vert. Une petite dizaine d’arbres permettent des coins d’ombres sur l’étendue verdâtre.
Dans le fond, quelque chose d’intéressant se dessine. On dirait qu’il y a une forêt et juste devant des carrières et des près à chevaux. Il faudra que j’aille voir ça dès que j’aurais cinq minutes. C'est bien le seul lieu qui me semble accueillant dans ce désert vert. De la poussière s'envole de là-bas et perturbe la perfection énervante. Si je ne me trompe pas, j'ai trouvé mon prochain refuge pour les trois années qui me restent avant de pouvoir partir de cet enfer. M'occuper d'animaux, surtout des chevaux puissants, est une activité qui a le don de me calmer. J’espère que mes impressions sont bonnes et surtout que l'ambiance péte-sec qui règne me permettra de prendre soin des équidés. Je ne voudrais pas être une de celle qui se contente de monter une heure sur son cheval, sans le panser, le nourrir, lui donner à boire et surtout lui parler de tout et de rien.
Je m’ennuie. Mélia est en longue discussion avec une fille devant nous à propos d’un dessin animé dont je ne connais absolument rien. Je surveille juste que le ton reste amical et rêvasse. J’essaye d’identifier tous les bruits d’animaux que je peux percevoir quand le brouhaha des andouilles se calme un peu. Je ne parle pas de ma sœur. Sa voix douce ne me dérange jamais quand j’écoute un piaf ou une autre bestiole. J’ai repéré trois écureuils, six moineaux, deux mésanges, un couple de colombes, pas mal de grillons et trois corbeaux. Les animaux sont si silencieux. On dirait qu'ils craignent de déranger et d'être chassés s’ils osent vivre. D'ailleurs, j'aperçois un téméraire qui vient chiper une chips à un groupe de larves avachis sur la pelouse. Il se fait vite balayer du revers de la main. Quelle bande de cons. Il est trop mignon ce piaf. Je m'en serais fait un copain à leur place.
Une heure, plus tard, nous pouvons enfin rentrer dans la salle. Quatre bureaux dans lesquels il faut aller l'un après l'autre. Dossier d'inscription. Attribution des chambres. Emploi du temps. Et ? NON, je rêve ! Ils se foutent de moi. Activités caritatives ? C'est quoi cette connerie ? Le seul bénévolat que je fais, c'est pour distribuer des baffes aux crétins et pimbêches. Je me renfrogne d'avance tandis que mon petit manga me tire par la manche vers le premier bureau.
Une jeune femme un peu revêche contrôle que nos parents ont déposé tous les documents nécessaires. Nous relisons les formulaires en silence. Je souris en voyant que mes géniteurs ont précisé à mon égard : tendance à la rébellion. Génial ! Les profs vont m'avoir à l'œil. Manquait plus que cela. Bon d’un autre côté, ce n’est pas totalement faux. Je ne peux pas leur en vouloir de dire la vérité pour une fois. Je me demande si je rajoute « allergie aux choux » mais ce n’est médicalement pas possible. Tant pis pour moi. Je scrute le dossier de Mélia. Elle hérite d'une tendance rêveuse. Je me pince les lèvres quand je vois qu'elle ose rajouter qu'elle souffre de narcolepsie. J'en connais une qui prévoit de faire des siestes en cours si c'est trop nul. Malin ! J'aurais dû y penser. Cette formalité est heureusement vite finie.
Le second bureau et son petit monsieur replet m'apportent la joie d'apprendre que, non seulement, je vais être séparé de ma sœur, mais en plus, je devrais partager mon quotidien avec trois bécasses. J'ai déjà des envies de meurtres. Mélia tente une négociation avec un immense sourire, prétextant que nous n’avons jamais été séparées et que nous sommes en deuil. Cette épreuve sera mal vécue. C’est un peu exagéré mais totalement vrai. En revanche, elle ne précise pas que ce sont mes futures colocataires qui vont mal le vivre. Le petit monsieur replet ne peut rien faire. C’est la politique de l’école de séparer les frères et sœurs, surtout des jumeaux, pour favoriser le développement de la personnalité propre. Non mais quelle connerie ! Il suffit de nous regarder pour voir qu'on a déjà nos propres caractères et qu'on est complétement différentes. Encore un truc de bureaucrates qui ne savent rien de la vraie vie. Je peste dans mes dents pour ne pas insulter le type.
Emploi du temps. Une vieille assez souriante et compréhensive. Ouf ! Je suis avec mon petit manga pour tous les cours sauf pour les options. Il y en a quatre à choisir selon les jours de la semaine. Nous sautillons de joie en voyant équitation le lundi, cette option va nous permettre de garder un contact avec la nature, ce qui nous rendra moins dépressives. J'ai donc raison et le fond du lycée est bien un endroit des plus intéressants. Mardi, secourisme pour elle, endurance pour moi. Je ne suis pas du genre à faire des pansements, plutôt à provoquer les blessures. Les deux autres possibilités, initiation à la philosophie et club d'échecs ne nous inspirées pas du tout. Je sens que j'ai intérêt à faire un maximum de sport si mes camarades de classe tiennent à leurs vies. J'ai déjà des crampes dans les jambes. Je n'ai pas eu ma dose de dépense physique quotidienne.
Mercredi, cuisine pour toutes les deux. Une activité que nous apprécions chacune, je suis salé, plats en sauce et gras, Mélia est pâtisserie et décoration colorée, c'est la reine des Rainbow-cakes. Pour l'instant, les options ne sont pas trop mauvaises. J'ai très peur pour la suite. Une sorte de pressentiment. Jeudi, métiers de l'esthétisme pour elle, club de lecture pour moi. Mélia veut peaufiner ses techniques de maquillage et de soins de beauté. J'ai pris le moins pire entre club de lecture, arts plastiques ou enseignements des bonnes manières. L'horreur. Je me serais suicidée si c'était une matière obligatoire. Même ma chérie d'amour a grimacé en lisant cela. Mais quelle personne saine d'esprit choisirait cette matière ? Et qui est le prof qui se pense être parfaitement éduqué pour enseigner ça ? Surement une pouffe avec des ascendants nobles et qui se la péte en trouvant grave de se tromper de couverts lors d'un diner sur nappe blanche. J'ai la gerbe rien qu'à cette idée. D'un autre côté, j'aurais adoré faire criser dans ce cours. Avec mon talent pour foutre le bordel, la prof aurait fait une dépression nerveuse. Ça aurait été marrant.
La mort dans l'âme, je me dirige vers le dernier bureau, tenue par une Miss Pimbêche. La bimbo de service. Il ne manquait plus que ce cliché. Fringues griffées, griffes manucurées. Brushing impeccable avec le sac à main et escarpins assortis. Dos parfaitement droit, une demi-fesse sur la chaise, avec les jambes pliées selon un angle parfait de 45°. Les mains posées l'un sur l'autre telle une statue. La totale. Elle s'y croit vraiment. Mélia a mille fois plus de classe qu'elle avec sa robe à froufrous maison. Sa voix de crécelle dès qu'elle ouvre la bouche me donne envie de la gifler, ou de prendre l'agrafeuse pour lui fermer sa bouche maquillée comme un camion volé. En plus, elle se donne un faux accent pour se rendre intéressante. Peut-être que si je plaide la folie passagère, je peux tenter le coup de l’agrafeuse sans trop de conséquences… Malheureusement, mon double lit dans mes pensées et me dissuade de mon idée foireuse d'un battement de cils désapprobateurs. Je hausse un sourcil. Je suis certaine qu'elle a la même envie. Son sourire complice me calme instantanément. Elle me comprend si bien. Je l'aime tellement. Je lui envoie un bisou dans l'air pour lui dire que je serais sage rien que pour elle.
Bon, Miss pimbêche nous fait un discours dont je n’écoute que le quart mais dans l’idée, le truc, c'est que vu qu'on est dans un lycée de richards, on se doit pour la pérennité de notre âme, de venir en aide aux défavorisés, nous les biens nés. En gros, faire l'aumône pour se sentir mieux et surmonter notre traumatisme d''être issu d'un milieu aisé et privilégiés. C'est sûr qu'aucun des gosses ici présents n'a dû récurer de chiottes de sa vie à par ma chérie et moi. Attention, je n'ai aucun problème à aider les gens en difficulté. Bien au contraire, Papinou m'a toujours appris à rester humble et à tendre la main à ceux qui en ont besoin. Il n'y a pas de sot métier ni de jugement à avoir quand on ne sait pas le vécu de la personne en face de soi. Un éboueur est un milliard fois plus méritant à ses yeux qu'un rentier au sang bleu. Je suis parfaitement d'accord avec cela. On mesure la valeur d'une personne à ses actes et non à sa fortune, son nom de famille ou pire à son apparence physique. Bref, ce bénévolat m'insupporte à cause de celle qui est devant moi. J'ai juste du mal à supporter les pouffes qui se donnent bonne conscience en se pinçant le nez. En plus, elle veut donner des leçons d’humilité et d’abnégation alors qu’elle a encore du lait dans les narines. A moins que ce soit un excès de fond de teint.
Un coup de coude dans les côtes m'invite à rester calme et à choisir mon activité caritative du vendredi. Il y a trois options possibles. Très rapidement, Mélia trouve son bonheur. Elle préfère répondre au téléphone de SOS dépressifs. Ma chérie d'amour a une voix douce et calme, fait preuve d'une empathie et d'une capacité au réconfort à toute épreuve. Et d'une patience…. Elle a quinze ans d'entraînement avec moi, il faut dire. En plus, elle aime aider les gens qui ont une baisse de moral. C'est un don chez elle. Cette option lui convient si bien. C'est idéal. Je valide d'un regard fier son choix.
Je regarde la liste avec un brin de dégout pour les ongles vernis rouge sang qui tiennent le stylo. SOS dépressifs, il vaut mieux que j’évite. Je suis naze pour remonter le moral et je n’ai aucune patience. Je risque de les inciter à faire une connerie. Ça résout le problème, mais ce n'est pas le but recherché. La soupe populaire, ce n’est pas une bonne idée non plus. Sentir la bouffe sans pouvoir manger, c’est de la torture. A moins qu’ils aient besoin d’un service de sécurité contre les clochards ivres. Mélia me devance en demandant les missions précises. J'ai confirmation qu'il est préférable d'éviter pour le bien-être de mon estomac toujours vide.
Je décide de participer au chantier de rénovation de maisons insalubres. C'est le seul truc où le risque de péter un câble parait réduit. Au pire, j'aurais des outils dans les mains pour me défendre. J'espère en apprendre plus sur le bricolage basique. C’est une activité que j’aime beaucoup et en plus cela est très utile pour la vraie vie. La saleté ne me fait pas peur, ni le port de matériaux lourds et poussiéreux. Ça me rappellera les corvées de Papinou et avec un peu de chance, je pourrais défoncer des murs à la masse. Le kiff total !
Miss Pimbêche fronce le nez. C'est une activité de garçon d'après elle. En voyant mon look, elle accepte après une pique qu'elle croît blessante. Au moins, elle a vu que j’étais une fille. D’autres ont encore des doutes avec mon allure indéfinie. Je fais mine d’être dévastée de sa remarque et je me marre doucement en cachette. Je me contrefiche de son opinion. Sa narine gauche qui se dilate me montre qu'elle n'est pas aussi stupide qu'elle ne parait et a compris combien ce qu'elle pense n'a pas d'intérêt à mes yeux.
Enfin, nous sortons. Nous devons trouver les chambres 326 et 330. Bon au moins, on n'est pas très loin. En cas de crise, ma jumelle sera dans les parages pour faire rentrer la tigresse dans sa cage. Le risque de blessures graves pour mes colocataires diminue. Le dortoir des filles est situé sur la droite de la cour. 300 pour troisième étage, sans ascenseur. Heureusement, on est sportive et nos bagages sont vite montés. Les sacs à dos, ce n’est pas esthétique mais c’est pratique. On est débrouillardes. On trouve en moins de deux minutes nos chambres malgré le brouhaha. Je détecte aussitôt la présence de garçons et par où ils passent en fraude. Le toit terrasse. Ils sautent de leur dortoir au nôtre via les deux terrasses. Au moins, je sais comment fuir si besoin. Le toit puis l'escalier de service extérieur.
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