Premiers cours 2/2

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— Filez-moi votre fric les gamines ou je la casse en deux.

Musclor et quatre potes sont derrière nous. Les trois jeunes filles sont en panique et cherchent de l’aide du regard. Nous ne sommes entourés que de secondes terrorisées. Je soupire d'agacement. Même pas dix secondes et j’en ai déjà marre. Mélia explose de rire. Elle sait ce qui va se passer dans les prochains instants. Elle me connaît trop bien. J’ai besoin de me défouler en plus. Je lui demande du regard le droit d'intervenir afin de remettre ce malotru à sa place. Elle me l'accorde d'un clin d'œil complice.

— Tu as encore une chance de t'en tirer indemne si tu t'excuses immédiatement, murmure Mélia d'une voix douce et calme au crétin qui ose me déranger.

Loupé. Il commence à s'énerver en bon gros butor stupide qu’il est. Il ne réalise pas l'énorme erreur qu'il est en train de commettre. Il menace Mélia en croyant lui faire peur. Il ne faut jamais sous-estimer son adversaire. Surtout quand l’adversaire est une teigne et petite fille de militaire. Ma jumelle rit de plus en plus fort, en me voyant en profiter pour m’étirer. Je fais un clin d'œil à ma licorne. Je fais un décompte silencieux du bout des lèvres. Cinq. Quatre. Trois. Deux. Un. TOP.

Talon droit dans l'entrejambe. Il hurle de douleur sous l’impact violent. La souffrance le fait se replier en deux en lâchant mes poignets. Alors que mes pieds regagnent le sol, j'envoie mon coude dans son nez pendant ma descente. J'enchaîne aussitôt en me retournant et sans lui laisser une seconde de répit, mon talon gauche lui fait un croche-pied et défonce l'arrière du genou pour le faire plier. Dans la seconde qui suit, je saute pour lui envoyer mon autre coude dans les dents puis dans l’œil.

Vive l'entraînement au combat au corps-à-corps avec un ancien soldat d'élite. Les coups, je sais les recevoir et surtout les donner. Je connais où et comment frapper pour faire un maximum de douleur et de dégâts. Musclor est en boule, par terre, la tête protégée par les mains. Je ne le laisse pas se relever. J'enchaîne les coups de pieds en direction du dos sans cesser de bouger pour qu'il ne puisse pas m'attraper. Il est en position fœtale, saignant de partout.

— Eh Farmer, arrête de faire le ninja. Tu es vraiment barge la grunge, sort une voix de crécelle.

Miss Pimbêche est au bras de Maltez avec la bande à sa suite. Ils ont vu Musclor et ses potes de loin nous menacer. Les basketteurs rappliquent pour nous aider. Je ne leur ai pas laissé le temps de se faire ce plaisir. Les quatre camarades de Musclor ont déjà fui loin. Je m'arrête aussitôt quand j’entends la voix de Naya. De toute façon, je ne frappe pas indéfiniment un homme à terre. Juste assez pour montrer ma supériorité au combat.

Mélia vient me faire un bisou et me tapote la main comme pour calmer un enfant en pleurant de rire. Elle simule me donner un sucre en sortant un morceau de biscuit de sa poche. J’accepte d'être soumise à mon double, surtout pour rire. Les trois Kawaï ont la bouche ouverte, stupéfaites et n’arrivent pas encore à comprendre ce qui vient de se passer sous leurs yeux. Les mecs me regardent bizarrement, sauf Blaise qui vient me faire un câlin avec son immense sourire et sa joie contagieuse. Il me serre dans ses bras et me fait un bisou sur la joue.

— Cool. Mélia a un garde du corps très efficace.

Je ris avec lui et j'accepte son côté tactile. Blaise touche tout le monde, y compris ses potes. C'est sa façon de communiquer. En plus, il fait très attention où il pose ses mains et se montre respectueux. Et il sent super bon. Il faut dire que je l'ai bien massacré le crétin bodybuildé. Ça lui apprendra à vouloir faire du mal à des plus petites que lui. Le karma voulait qu’il me rencontre pour lui donner une leçon de vie. En plus, j’aurais pensé qu’il serait plus musclé et moins gras. C’était tendre comme de la pâte à modeler, pas comme du steak ferme. Je suis presque déçue que la chose ait été si aisée.

— Mélia a prévenu que je suis une teigne. Mais ne t'inquiète pas mon chou. À part Musclor et Maltez, vous n'avez rien à craindre de moi. Mélia m'a bien dressé.

Thibaut tend la main pour aider Musclor, alias Jonathan, à se relever. Il est en sang. Son nez doit être cassé je pense. Son œil gauche présente les prémices d’un cocard dans les prochaines heures. Sa lèvre inférieure gonfle déjà. Son œil encore intact me regarde avec terreur. Son air abruti est aussi stupéfait que les trois Kawaï. Lui aussi n’a pas eu le temps de comprendre ce qui lui arrivait. Je me demande aussi, vu la lenteur de ses réactions, s'il a la capacité de comprendre quoi que ce soit. Le peu de parole que j'ai entendu de sa part en une soirée et à l'instant me permet de le classer dans la catégorie des écervelés de naissance comme les deux bécasses.

Il s'enfuit honteusement en boitant. Il est terrifié. Toute la cour me regarde, moitié comme un super-héros, moitié comme la future terreur de la cour de récré. Maltez hausse un sourcil à ma pique. Je le regarde d’un air de défi, sans ciller. Il vient d’avoir un bel exemple de ce qui pourrait lui arriver s’il me cherche encore des poux et se moque de mes livres. Quoique je pense que ça ne sera pas aussi facile. Je gagnerais sans aucun doute, toutefois Maltez est vif et agile. Je prendrais sûrement quelques coups. En plus, je pense qu’il a de vrais muscles, développés mais souples. Mes coups rencontreront un obstacle aussi dur et ferme que mes sacs de frappe. C’est aussi une teigne comme moi. Il ne lâchera pas tant qu’il ne sera pas à terre avec les deux yeux aveuglés par le sang.

Il meurt d'envie de m'envoyer bouler, mais la présence du bras de Blaise sur mes épaules lui fait mordre sa lèvre. Son meilleur pote m’aime bien, donc il se retient comme moi je le fais parfois pour Mélia. Il n’a pas peur de moi malgré ma petite démonstration. Il est partagé entre l'envie de m'étrangler et une pointe de respect pour avoir mis à terre le caïd des bacs à sable. Nous nous foudroyons du regard sans un mot, nous mordant les lèvres pour rester silencieux.

Naya sourit de mon attitude provocante. Je crois que ça l'amuse mon animosité avec son chéri. Pour une fois que quelqu’un lui fait dégonfler les chevilles à cet égocentrique narcissique. À moins que ce soit mon regard prétentieux à l'égard du reste du lycée. Je me la pète grave. J'ai conscience que cette petite démonstration de mes talents vient de me donner un nouveau statut social, ainsi qu'aux demoiselles qui me sont proches. Un nouveau caïd est dans la place !

Pour désamorcer la cocotte-minute en train de monter en pression, j'engage amicalement la discussion avec Thibaut à propos de son père. Je lui raconte le cours du matin et compare les similitudes physiques et pédagogiques entre lui et son paternel. J’exagère à peine et je suis tout en nuances aussi subtiles qu’un coup de pelle dans la tronche. Thibaut est d'une patience rare, donc je cherche à le mettre en pétard. Logique non ? Oui, je suis une chieuse et fière de l'être.

J'appuie sur tous les boutons à ma disposition. La pédagogie. Le niveau scolaire. La blondeur. Thibaut subit mes taquineries avec un sourire d'ange, sans jamais se fâcher. Il a compris que je cherchais uniquement à lui casser les pieds et Mélia me file quelques claques molles sur la nuque par instant. Je suis en train de blaguer le blondinet sur le fait que physiquement, lui et son père se ressemblent beaucoup.

— Tu te rends compte que dans vingt ans, tu ressembleras à ça ? J'éclate de rire.

— Pourriez-vous détailler un peu plus le CA, mademoiselle Farmer ? Je suis assez curieux d'avoir votre avis, déclare d'une voix calme un brin moqueuse le professeur Noguerra.

Mince, il était juste derrière moi. Je me décompose et cherche une réponse adéquate tandis que ceux qui m'entourent gloussent de ma situation délicate. Je réfléchis à toute vitesse pour trouver quelque chose à dire d’intelligent et qui me sorte de ce potentiel problème avec mon enseignant.

— Thibaut, voici ton livre d'Anglais. Tu l'as mis dans ma sacoche ce matin. Mademoiselle Farmer... Auriez-vous trouvé moyen de vous rattraper avec d'ignobles mensonges ?

Je fais un grand sourire. Il n'est pas fâché, plutôt amusé. Je respire un peu. Je décide de faire le pitre et de le faire rire davantage. Quitte à mentir, autant mettre le paquet et exagérer grossièrement la caricature. Je vais jouer l’élève amoureuse totalement en extase. Enfin si Mélia parvient à ne pas rire de mes loufoqueries.

- CA pour dire cet être magnifique et resplendissant, plein de charisme et de charme. CA qui fait craquer toutes ses élèves avec un sourire éclatant... CA pour la perfection faite homme… Votre beauté nous fascine et votre intelligence nous éblouit… J’ai tellement de chance de vous avoir comme professeur, principal de surcroît... Je vais adorer passer une année entière à vos côtés, buvant vos paroles …

Je fais la révérence et la midinette en continuant mon léchage de bottes, ce qui lui arrache un sourire. Ça pue la duperie tant j’en rajoute sans vergogne. Mélia n’en peut plus. Son fou rire cristallin me coupe la parole en plein éloge. Elle décrédibilise tout mon pompeux discours.

— Ce n'est pas beau de mentir mademoiselle Farmer. Je n'en crois pas un mot, mais merci. J’en tiendrai compte dans ma prochaine interrogation. Un dernier conseil : vous qui aimez le combat, pensez à surveiller vos arrières la prochaine fois.

Il repart en secouant la tête, amusé. Thibaut m'ébouriffe les cheveux. Lui aussi rigole. Je crois que le blondinet m'aime bien. Je suis une adorable emmerdeuse qui ment comme un arracheur de dents avec un aplomb rare. Comme son père, il n’a pas cru un mot de ce tissu de mensonge. Il sait que mon intention première était de le faire s’imaginer en vieux. Il ne m’en veut pas le moins du monde. Ce n’est que des espiègleries pas bien méchantes de gamine un peu trop bavarde et taquine à ses yeux.

Blaise ayant lâché mes épaules pour celles de Sarah et de Fleur, c'est Thibaut, pas rancunier, qui passe son bras autour des miennes et de celles de Mélia pour rentrer dans la cafet. Lilou est au bras d'un autre basketteur. Les terminales ont priorité d'accès et nous devançons donc la foule. On entre en groupe conquérant dans le lieu de nourrissage tant attendu par mon estomac qui se réveille et grommelle. Ce petit kata de self défense m'a encore plus ouvert l'appétit.

Je tolère les côtés tactiles de Blaise et Thibaut. Ils sont gentillets et protecteurs. Je ne suis pas contre être prise dans les bras. Je fais des tonnes de câlins à ma jumelle et à ma cousine. Je suis moi aussi tactile avec les gens que j’apprécie. Et puis sans avoir les hormones en chaleur, ils sont plutôt beaux gosses et le regard de jalousie des autres filles me fait mourir de rire. J'en rajoute une couche par plaisir pour faire enrager un max de nanas. Entre fausses minauderies ou regard narquois, je m'éclate à faire criser les pouffes sur le chemin.

— Mais tu es vraiment une peste toi, me sort Mélia.

Elle a capté que je me pavane pour faire chier les autres filles de l'école. Je ne peux rien cacher de mes mauvaises intentions à ma jumelle. Elle devine même parfois mes conneries avant même que je les fasse. On est connectées. Je lui réponds par un bisou moqueur. Naya est la seule à comprendre la phrase de ma sœur. Elle me regarde quelques secondes et voit ma parade de chieuse. Elle ricane comme une hyène.

— Damien n'a peut-être pas tort. Il est possible qu'on finisse par s'entendre toutes les deux la grunge. On a des points communs de pouffiasse et de chiantitude.

— On est attachiantes alors ? Déclarais-je d'une voix enfantine et innocente en faisant mes yeux de chien battu.

— Comme toutes les filles, mais toutes les deux, vous en tenez une sacrée bonne couche, souffle Maltez, exaspéré, avant de s'asseoir avec son plateau repas.

Bien que de mauvaise humeur, il rapproche plusieurs tables pour que les cinq filles de seconde se joignent aux basketteurs et aux pétasses. Cela confirme leur statut de petites protégées aux yeux de tous. Enfin pour elles. Moi je n’ai pas besoin de protection. Je suis un pitbull croisé tigresse avec une rage de dents.

Pour assurer la sérénité du repas, Mélia se place entre Maltez et Thibaut, m’éloignant du deuxième ronchon. Blaise et sa sœur sont tout près de moi ainsi que les deux timides demoiselles. Les gars papotent de tout et de rien, et surtout de sport. Les basketteurs s'alternent avec les filles. Je suis étonnée d'entendre mon double bavarder amicalement avec la reine des abeilles et l'autre naze. Le blondinet et Blaise s'assurent que Sarah, Fleur, Lilou et moi ne manquons de rien. Ils nous maternent. La petite souris gronde son grand frère qui veut lui couper son repas. Il est aux petits soins pour elle. Une vraie maman poule. C'est adorable. Tous discutent en riant. Personne n’ose revenir sur l’incident avec Musclor.

Je tente de piquer son dessert à Blaise pour rigoler. C’est aussi un estomac sur pattes. Sa sœur le défend farouchement en riant. Elle a compris que je ne ferais pas de mal à son frère et veut juste l’embêter un peu. Je me fais taper sur les doigts avec une fourchette. Je ne me défends pas. La petite souris est inoffensive. Je préfère rire et jouer. J'insiste tellement sur mon besoin de nourriture qu'une de mes colocataires, je ne sais plus son prénom, déjà au régime, me donne généreusement le mets sucré pour ne pas se faire gronder par la cantinière et surtout me faire taire. Chaque gâchis de nourriture entraîne un blâme. C’est bien normal. Ce règlement est tout à fait justifié. Trop de gens ont faim dans le monde. Moi la première.

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