S'occuper 2/2
Je sais aussi pour avoir fouillé dans les papiers de Papinou une nuit alors qu'il était souffrant que quand Maman a accouché, mon grand-père a "dilapidé" une partie de ses biens en les offrant à Parrain et à Tata. Il n'a gardé que l'essentiel pour satisfaire les goûts de luxe de sa fille aînée et du sextoy qu'elle s'était trouvée. Le plus gros de la fortune est en sécurité et ne pourra pas être gaspillé dans des choses inutiles. Je cherchais un secret de famille qui expliquerait l'absence de similitudes avec notre géniteur. Je n'ai rien trouvé en ce qui concerne notre géniteur.
Juste que Papinou a eu trois femmes, deux filles avec la première puis rien avec la seconde ou Mathilde, la troisième, celle que ma jumelle et moi considérons comme notre grand-mère de cœur. Richard est orphelin de guerre. Il a commencé à faire des bêtises et a été envoyé dans des camps de redressement puis à l'armée où il a connu Papinou. Notre grand père lui en a fait baver mais l'a adopté non officiellement quand Parrain avait vingt ans. Tata a épousé un type bien et respectable qui n'a aucun attrait pour l'argent. Il est d'ailleurs plus riche que Tata. J'adore mon oncle. Lui aussi a parlementé avec nos parents pour nous adopter, quitte à signer un papier de renoncement à l'héritage. Sans aucun succès.
Parrain nous a rapporté une surprise. Nos cadeaux de Noël, de la part de Papinou qui les avaient achetés avant son décès. Une énorme peluche de panda pour Mélia. Un couteau à cran d'arrêt dernier cri pour moi. Lui nous achète des fringues et des outils en plus de notre merveilleuse journée. Robes roses à froufrous et nécessaires de couture pour Mélia. Vêtements sombres et pratiques pour moi avec l'arsenal pour installer un câble tendu entre les bâtiments et jouer au funambule. Il sait déjà que je squatte les toits la nuit pour faire des choses pas nettes. Le voir toute une journée nous a sacrément remonté le moral à toutes les deux.
Ce qui nous a fait le plus plaisir après la présence de Richard, ce sont les photos de ma cousine. Notre petit bébé nous a fait un album sous forme de journal intime de tout ce qui lui est arrivé depuis cet été. Le cahier est composé de manière hétéroclite, avec des photos, des dessins, des petits récits avec son écriture enfantine, des tas de paillettes et de gommettes colorées, des dessins de pistolet ou de grenades aussi. Notre bébé est un mélange parfait entre Mélia la Kawai et Mégane le soldat. On l'aime tellement. Lorsqu'on la voyait aux vacances chez Papinou, nous la couvions comme deux mères poule. Ses parents sont géniaux. Ils sont très présents pour elle tout en lui laissant de l'autonomie. Ils nous permettaient, Mélia, Papinou, Richard et moi, de couvrir la petite d'attentions. C'est notre chouchoute à tous.
Mon oncle et ma tante ont toujours été prévenants et attentionnés envers ma jumelle et moi. Tonton est un ancien sous-fifre de Papinou et un compagnon de régiment de Richard. Parrain et lui sont d'excellents amis. Il est beaucoup moins extrême qu'eux et plus enclins aux techniques de négociation. Il a tenté de nous les enseigner. Mélia est une bonne élève, moi le cancre assumé. J'écoute attentivement et retient ce qu'il nous apprend. Je n’ai juste pas envie de l'appliquer. La discussion non-violente ne convient tout bonnement pas à ma personnalité profonde. Tonton a fini par abandonner le cas désespérant que je suis en riant. Il préfère m'apprendre l'Histoire et les grandes stratégies militaires, domaine où je suis plus attentive.
Richard nous rapporte aussi un cadeau de la part de Tonton et Tata. Outre la découverte d'un petit compte bancaire que nos parents ignorent, ils ont racheté la ferme familiale à nos géniteurs et les documents sont fait de manière que nous en devenions les propriétaires légitimes à nos dix-huit ans. J'enrage de voir que ce qui nous aiment sont obligés de racheter ce qui nous appartient à ces deux pompes à fric. Après nos chevaux et plusieurs affaires de Papinou auxquelles nous sommes attachées sentimentalement, c'est notre maison, berceau de notre enfance. Nos géniteurs sont vraiment des êtres abjects et je bouillonne d'avoir la majorité afin de leur coller un procès.
Le jour de Noël est tristounet. On n'a même pas un appel ou un cadeau de nos deux abrutis de géniteurs. Mélia est déçue. Moi, j'enrage encore plus. Surtout que je sais que le directeur leur a écrit pour leur faire part de mon agression. Ils ne se préoccupent aucunement de nous. Nos amis ont pensé à nous et le téléphone de Mélia n'arrête pas de sonner sous les messages amicaux. Le directeur ainsi que le père de Naya et quelques palefreniers nous appellent aussi. Moi, il y a juste ma puce, ses parents et Richard. Mais c'est normal, je n'ai pas donné mon numéro aux autres. Je rigole en voyant que chacune de nous reçoit un appel personnalisé des membres de la famille. Nul secret entre nous, plus une attention pour chacune.
Il pleut, nous devons rester en intérieur, alors on fait un grand ménage aux écuries. Mélia et moi sommes travailleuses et en plus, nous adorons les animaux. En trois mois, nous avons toutes les deux sympathisé avec les palefreniers. Nous sommes très souvent fourrées à l'écurie, moi encore plus que Mélia. Quand on est là, on ne reste jamais les bras croisés. On nettoie, donne à boire, panse... Du coup, les palefreniers, mais aussi le prof d'équitation nous aime bien, ce qui nous a permis d'avoir ce job temporaire malgré notre jeune âge.
Hier, nous avons déjà réparé des petites choses par-ci par-là. Quelques tapis troués. Quelques portes qui couinaient. Une auge d'eau qui fuyait. Pas grand-chose, les palefreniers travaillant très bien. Nous avons aussi nettoyé de fond en comble chaque stalle et chaque cheval. Les boxes sont nickel, les chevaux aussi. Enfin sauf Grognon qui refuse d'être débarrassé de ses poils et de la poussière. C'est un crado ce canasson. Il me laisse juste gratter son dos avec le râteau. Il a de la chance que c'est l'hiver et qu'il fait froid sinon je l'aurais douché sans préavis.
Prince est bien mieux élevé et adore les gratouilles. Il se laisse soigner sans problème bien qu'il ait ses préférés parmi les palefreniers. Depuis le rodéo, l'étalon m'apprécie et aime travailler en compagnie de nos chevaux, de ma sœur et moi. Nous sommes désormais quatre à pouvoir le monter sans problème. Naya se moque de moi et me taquine en disant que le caractère de son étalon s'adoucit et se sociabilise à mon contact. Je pense plutôt à un effet calmant de la part de ma frangine et d'Étoile. Prince devient coquet et prend grand plaisir aux soins. Mélia lui as même tressé une partie de la queue et taillé la crinière pour les fêtes.
Aujourd'hui, on a décidé de faire un gros nettoyage et soin aux cuirs des selles, rênes et harnachements et des bottes. Le cuir nécessite d'apporter les bons produits et les bons gestes régulièrement pour qu'il reste souple et beau. Nous démontons, astiquons, graissons, vernissons toute la matinée. Ça brille comme si c'était neuf. Le matériel est assez bien entretenu au quotidien. Les palefreniers sont compétents et travailleurs. Il n'y a rien de cassé ou en mauvais état par défaut de soin. On donne juste un peu d'huile de coude pour que ce soit rutilant.
Demain, Mélia a prévu de personnaliser les tapis de selles des chevaux à l'aide de vieux chiffons et bouts de tissus qu'on a récupérés. Moi, je rangerais tout le petit matériel : étrilles, brosses, cure pieds... J'en profiterais pour le nettoyer un peu aussi et dresser un inventaire. Bref, on s'occupe. Les palefreniers vont retrouver leurs écuries dans un état de propreté et de rangement parfait. Ils vont gagner un temps fou sur les corvées de début d'année que l'on a entamée à leur place. C'est notre cadeau de Noël. Rendre heureux les autres nous permet de nous sentir utiles et nous redonnent de la joie. Les professeurs et le directeur qui passent chaque jour sont très contents de notre travail.
Dans l'après-midi, nous mettons la touche finale à nos petits présents faits mains pour nos amis. Par mesure diplomatique, Mélia me force à m'occuper des cadeaux de mes colocataires, de Thibaut et d'Alex, le colocataire des trois mecs qui traîne parfois avec nous. Mélia se charge des trois Kawai, de Blaise et de Maltez. Je crois que Blaise est son préféré des gars et qu'elle craint que je fasse une crasse à Maltez. Elle n'a pas tort. J'ai déjà fait son lit en portefeuille et mis un serpent en plastique à l'intérieur des draps pour me venger. Il est préférable qu'elle gère le cadeau de Maltez.
Pour Thibaut et Alex, la chose est aisée. Les mecs, c'est moins compliqué que les filles et je pense souvent comme eux. Pour faire plaisir, le ventre est un excellent moyen. J'opte donc pour des sucreries comme celles fabriquées en cours de cuisine. Je fais deux énormes boîtes de petits gâteaux secs, type navettes, des pâtes de fruits et des caramels. Ils ont chacun deux bons kilos de bouffe. Pour ma douce moitié, j'ai réuni des tonnes de photos de nous deux pour faire un album de nos bêtises. Enfin un résumé, les principales et les plus importantes. Il m'aurait fallu au moins dix cahiers si j'avais tout répertorié.
Pour les filles, en revanche, j'ai séché longtemps pour trouver l'idée. Leur bazar permanent, qui me hérisse le poil et m'irrite les yeux, me fait finalement penser à des suspensions à bijoux. C'était ça ou des sacs-poubelles pour stocker les fringues jamais mises ou squattant mon territoire. Me voilà donc en train d'assembler harmonieusement des branches et de les coller sur un socle pour former un mini arbre utile pour les bracelets et colliers. Les nombreuses ramifications sont idéales et sur celui de Naya, j'ai même installé des petits crochets pour ses bagues. Un bon coup de peinture légèrement pailletée, et mes trois chefs d'œuvres orneront leurs tables de chevet. Pratique et nature pour moi, pailletée pour le trio de folles girly.
Mélia coud trois mini-peluches pour ses colocataires à l'effigie d'un dessin animé que je ne connais pas. C'est très coloré et mignon, tout à fait le style de Mélia et de ses copines. Ma sœur se fabrique une peluche pour elle également. Pour Blaise, elle personnalise un tee-shirt et une chemise avec des motifs en patchwork, en forme de tigre, comme la mascotte de leur équipe de basket. Pour moi, elle me fabrique une veste avec des tonnes de poches pour cacher des choses et de fausses étoiles et galons d'inspiration militaires.
C'est pour le cas de Maltez qu'elle a du mal. Ce type a tout. Sa famille est très riche et en plus, cet énergumène se permet d'être difficile. Après avoir suggéré mes idées foireuses de chemise avec un chaton rose pailleté ou de pantalon slim disco, je me fais virer de ma propre chambre pour qu'elle réfléchisse en paix. La copieuse finit par s'inspirer de mon idée pour les trois fashionistas. Maltez as une impressionnante collection de montres et de bracelets masculins. Elle lui construit donc un mini arbre avec de petits rondins pour ranger ses beaux bijoux. Pas de paillettes, mais un vernis incolore qui sublime le bois. Elle se donne beaucoup de mal. Il a intérêt à aimer l'autre naze, sinon je lui fais bouffer.
Ellipse de quelques jours.
Reprise des cours et retour de la populace. Ma paix est finie. Les lycéens boutonneux sont de retour. Je vais devoir trouver une nouvelle façon de gérer ma colère pour ne pas commettre de crimes. Un petit mot de Parrain me fait heureusement apprendre l'installation d'un sac de frappe dans le débarras de stockage des affaires de ménage de mon étage. Je ne veux même pas savoir comment il a fait cela. Je vais illico visiter l'endroit et teste mon nouveau jouet sous le regard amusé de ma sœur et de ses copines.
Blaise, qui vient d'arriver, demande à Maltez une photo afin de la coller sur le sac. L'éclat de rire et l'insulte qui suit me prouve que le grand dadet ne prend pas mal la suggestion de son pote. Les deux garçons donnent quelques coups pour tester eux aussi l'utilité d'un tel équipement. Je m'attends à une pique du capitaine qui finit par sourire de mon impatience et avoue qu'il pense plutôt à Musclor et son père qu'à moi. Frapper une fille même en pensée lui est impossible.
Naya éclate elle aussi de rire en découvrant ma cachette. Elle me promet de ne rien dire malgré qu'elle soit la responsable de l'étage. Elle me demande juste d'être discrète et de ne pas faire de bruit la nuit. Les autres filles sur notre palier m'apprécient depuis que j'ai terrorisé Musclor et elles ne me feront pas d'ennui. Chacun regagne sa chambre. Nos amis adorent leurs petits cadeaux. Les kawai nous font un nouveau gros câlin. Mes colocataires nous offrent un sourire sincère et gentil. Naya nous fait une bise à toutes les deux. Mélia et moi recevons même un bisou sur le front des garçons. Bon d’accord, j’avoue. Il faut que Blaise, Thibaut, Alex et Mélia me ceinturent pour que j'accepte celui de l'autre naze. Lui n'a besoin que du battement de cils de Sarah pour s'exécuter.
J'observe parfois ce drôle de duo. Maltez traite vraiment Sarah comme sa petite sœur. Naya et sa jalousie sont très vite réduits au silence lors des insinuations. Entre la petite souris et sa petite amie, le grand dadet a déjà fait son choix et aussi beau que soit le cul de Naya, elle ne fait pas le poids.
En cherchant un peu, j'ai fini par comprendre que Maltez ne voyait pas souvent ses parents et a presque été élevé par la famille de Blaise. La maman de mon chouchou et de la petite souris est baby-sitter et a changé les couches du grand dadet. Il a connu Sarah alors qu'elle était encore dans le ventre et a grandi avec elle et Blaise. Ils sont sa famille de cœur, à tel point que lorsque Blaise n'est pas présent, il câline la petite souris. Sarah est aussi la seule à pouvoir le gronder sans qu'il ne s'énerve.
Il n'y a pas que nos amis qui soient heureux de nos cadeaux. Les palefreniers ont adoré notre boulot. Ils nous sont reconnaissants de leur avoir permis de passer les fêtes en famille. En plus des quelques sous qu'on a mis de côté, les palefreniers et les élèves ayant des chevaux se cotisent pour nous remercier et nous offrent du matériel pour nos chevaux. Même Naya, la radine égocentrique, met la main à la poche quand elle voit sur le planning que j'ai entraîné Prince tous les jours et que Mélia lui a fait un tapis de selle avec un magnifique dragon rouge. Grâce à Grognon et Étoile, son étalon progresse en dressage, en endurance et en saut depuis la rentrée.
Les entrainements à trois portent leurs fruits et sont très efficaces. D'autant plus que les deux étalons sont compétitifs et cherchent à se surpasser l'un l'autre dans une rivalité puérile remplie de testostérone et surtout d'une connerie digne des adolescents les plus immatures.
Nous reprenons les cours, fières de notre petit pécule. Même si nos géniteurs dilapident l'héritage, nous trouverons toujours moyen de nous en sortir et de gagner notre croûte. Nous sommes intelligentes, débrouillardes et surtout bosseuses. Mélia a aussi l'avantage d'être hyper sociable et de faire fléchir beaucoup de monde d'un battement de cils. Même si j'ai la réputation d'être un bouledogue, tout le monde sait que je suis quelqu'un de bien avec des valeurs d'honnêteté et de respect bien ancrées. On a peur de moi, on ne m'aime pas forcément, cependant, on me fait confiance et on me respecte même cette andouille de Maltez.
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