Travailler sa souplesse 2/2

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Jeudi soir, je suis sur les nerfs. Le club de lecture me gonfle profondément malgré la gentillesse du professeur de français qui nous supervise et la présence du blondinet. J'aime lire et même écrire un peu. Cependant, je ne supporte pas les pompeux qui se prennent pour des grands esprits parce qu'ils alignent trois mots de français soutenu. Le même genre qui adore s'écouter parler. Je les choque avec mon langage de charretier. Ça m'amuse de voir leurs yeux écarquillés. L'enseignant sait que j'ai bien plus de culture générale que cette bande d'andouilles qui se la pète. Non seulement je comprends parfaitement leur langage précieux mais j'y réponds en argot ou en verlan juste pour me moquer d'eux. Je cite des passages méconnus de grands ouvrages puis je m'étonne qu'ils ne connaissent pas. Bref, ils me gonflent tous à part le professeur et aussi le blondinet.

Ce soir, je décide de faire un mauvais coup. Nous sommes en pleine étude de la poésie et nous devons écrire quelque chose sur le thème de l'amour. Je manque de me pisser dessus de rire tout le jour en concoctant ma bêtise avant le cours. Je leur prépare une ode à la patate.

— Ô noble patate, humble tubercule terrien,

Ton écorce rugueuse cache un trésor caché,

En cuisine, tu te transformes tel un magicien,

En frites dorées, purée onctueuse, ou gratinée.

Ton nom varie selon les contrées et les saisons,

Pomme de terre, tater tots, ou pommes nouvelles,

Dans le sol, tu grandis sans prétention,

Pour nourrir les affamés, les gourmands, les rebelles.

Patate douce, amie des papilles sucrées,

Ta chair orangée évoque le soleil couchant,

En purée, en soupe, ou en frites épicées,

Tu apportes douceur et réconfort à chaque instant.

Et que dire de la pomme de terre en robe des champs,

Cuite à la braise, sa peau craquante et dorée,

Accompagnée de beurre fondant, c’est un enchantement,

Un hymne à la simplicité, à la vie bien menée.

Ô patate, tu es humble, mais essentielle,

Dans nos assiettes, dans nos souvenirs d’enfance,

Ton goût réconfortant, ta polyvalence exceptionnelle,

Font de toi une étoile discrète de notre existence.

Alors, saluons la patate, ce trésor souterrain,

Qui nourrit nos corps et nos âmes sans relâche,

Dans la simplicité de son humble quotidien,

Elle nous rappelle que la vie est belle, qu’elle nous attache.

L'enseignant s'est mordu la lèvre à sang pour garder son sérieux. Je l'amuse au plus haut point avec mes pitreries. Thibaut est sorti de la classe en prétextant un besoin urgent mais son rire à peine sorti l'a trahi. Lorsqu’il se calme, il recopie mon ode. Je trouve cela étrange et je l'interroge. Il refuse de me répondre et évite mon regard. Quand le cours se termine, il s'enfuit en me disant qu'il va faire lire mon texte à ses potes et son père. Je le poursuis dans les couloirs pour lui arracher la feuille, non pas que j'ai honte, mais plus pour dépenser mon trop plein d'énergie et remplacer ma mauvaise humeur par du jeu. Il sprinte de peur de se faire plaquer et appelle tous les gars sur le passage pour me retarder. Quelques-uns tentent de se mettre sur ma route sans succès.

Nous arrivons haletants au gymnase. Thibaut se planque derrière Mélia et demande à Blaise de me faire un gros câlin pour me retenir. Je râle et exige qu'il me rende la feuille. Ma sœur lit donc et soupire. Je la désespère. Elle déclame alors le texte d'une voix mélo dramatique et fait s'écrouler par terre les gars. Maltez as besoin de plusieurs minutes pour arrêter le fou rire qu'il attrape à chaque fois qu'il regarde un de ses potes ou moi qui tire la langue. Son estomac de morfale finit par valider l'objet de ma poésie. C'est bien l'un des rares points communs entre lui et moi. Notre appétit insatiable et notre vénération pour la bouffe.

Ce petit sprint a fait fuir ma mauvaise humeur. Thibaut vient me faire un câlin pour se faire pardonner. J'accepte avec un sourire. J'aime bien me blottir contre lui, sans aucune ambiguïté entre nous. En plus, les yeux furieux de Clarissa sont une motivation supplémentaire. Elle est encore plus jalouse que Naya, cependant, elle ne peut pas l'exprimer puisque le blondinet n'accepte pas ce genre de comportement. Du coup, dès qu'on a une occasion de tripoter Thibaut, les kawai, ma sœur ou moi en profitons allégrement.

Ma frangine veut montrer des mouvements de salsa et de tango aux filles. Du coup, les basketteurs ne sont absolument pas concentrés et je leur pique le ballon très facilement. Furieuse, j'envoie la balle sur leur corps pour les réveiller. Il n'y a pas moyen de détourner leurs regards des demoiselles qui se déhanchent sensuellement. Quitte à ce qu'ils les matent, autant en profiter. Je fais un signe à ma sœur et nous débutons un tango des plus torrides, en se piquant mutuellement le ballon. Les mecs se motivent d'un seul coup et essayent de reproduire notre chorégraphie avec l'une des pom-pom girls.

Afin de bien foutre la merde, je me précipite vers le blondinet avant Clarissa. Thibaut comprend mes intentions et me chuchote que je suis une petite peste. Il sait que je n'aime pas sa nouvelle copine et trouve très distrayant que je m'amuse à titiller la jalousie de la pouffe. Je sais lâcher du lest quand il faut afin de continuer à faire sourire mon ami sans jamais être lourde. Il connaît mon animosité envers Clarissa, cependant, il apprécie que je ne fasse jamais de commentaires désagréables sauf en face d'elle et me contente de l'embêter avec ce genre de petites actions à priori innocentes et surtout espiègles.

Mélia est une excellente danseuse et un bon professeur. Elle parvient assez rapidement à enseigner les mouvements de base et les enchainements classiques à tout le monde. Pour qu'on apprenne à le faire avec différents partenaires, nous nous échangeons les couples. Je ricane en voyant que Sarah, Fleur et Lilou s'amusent elles aussi à kidnapper le blondinet en utilisant leur timidité comme prétexte. D'autres pom-pom girls agissent de concert. Clarissa n'a vraiment pas beaucoup d'amies. Je ne peux m'empêcher d'intervenir quand Blaise puis Maltez veulent faire danser Thibaut. En les bousculant ingénieusement, je parviens à ce qu'une fille arrive avant les deux andouilles.

Pétunia finit par réaliser la coalition en cours contre sa meilleure amie et pâlit en voyant que tout le monde parmi les populaires, y compris le roi et la reine du lycée, fait de son mieux pour enquiquiner Clarissa. Je vois qu'elle a du mal à réaliser nos motivations. Au contraire de son amie, Pétunia est appréciée par la majorité des autres. Il n'y a que moi qui ne m'entends pas avec elle, et en grande majorité à cause de ses fréquentations. Elle hésite et ne sait pas quoi faire. Je m'apprête à aller l'aider quand Alex me devance. Il lui chuchote quelque chose à l'oreille. Elle a les larmes au bord des yeux et se cache dans le cou du garçon. Je pense que l'animosité envers sa meilleure amie lui pèse. Mélia s'en aperçoit aussi et fait en sorte que Clarissa puisse enfin danser avec son mec.

Ses roucoulades nous donnent envie de vomir et agacent quelque peu le blondinet. Maintenant qu'elle est dans ses bras, elle ne veut plus le lâcher et lance des yeux méprisants sur les autres filles dans le dos de son chéri. Malheureusement pour elle, elle commet le crime de faire sa pimbêche contre Sarah qui est dans les bras de Maltez. Aussitôt, le grand dadet réagit et protège celle qu'il considère comme sa petite sœur.

— OH ! CLARISSA ! C'est quoi cette façon de regarder Sarah aussi méchamment ? Tu as intérêt à te calmer ou je te vire illico presto. Tu n'as pas encore compris qu'on te tolère juste par égard à Thibaut et que sans lui, tu ne mettrais pas les pieds ici ?

— Oui. Fais profil bas ou tu dégage des pom-pom-girls, rajoute Naya exaspérée par sa colocataire.

La situation commence à dégénérer. Blaise récupère sa sœur et l'emporte plus loin. Le blondinet réalise enfin le cirque de la soirée et d'autres moments similaires antérieurs. Il est surpris et réalise à quel point tous ses potes et les filles détestent Clarissa. Il hésite entre les remercier d'avoir intégré sa petite amie et prendre sa défense dans cette dispute. Il est pris entre deux feux et n'ose pas bouger, ne voulant se prendre la tête avec personne.

— STOP ! On se calme tous. Clarissa, tu baisses les yeux et tu continues de danser avec Thibaut. Maltez et Naya. Tout doux. Ne bousillez pas notre soirée s'il vous plaît.

Ma sœur intervient énergiquement et éloigne la détestable du conflit en faisant un sourire compatissant au blondinet. Elle rappelle d'un geste autoritaire aux deux leaders que l'énervement est mauvaise conseillère. Pour l'aider à apaiser tout le monde, je saisis les mains de Naya et tente de la faire danser en prenant le rôle masculin et je lance des piques sur le manque de virilité et aussi de talent en danse de Maltez. Ce qui est faux, c'est un très bon danseur, toutefois, je préfère me couper la langue que de lui dire. Bingo. Son attention se dirige sur moi qui kidnappe sa nana et qui le fait courir dans la salle. Il accepte mon petit jeu et me cherche querelle.

Blaise rentre dans la chamaillerie et entraîne Naya au loin en me confiant Sarah. Alex puis d'autres basketteurs font de même, empêchant le grand dadet de se rapprocher de sa cible. Naya est hilare et se laisse faire. Un nouveau jeu commence. Les gars empêchent Maltez de rejoindre sa belle. Les filles occupent le grand dadet et demandent toutes à danser avec lui, sauf moi évidement. Le couple est chamaillé gentiment et la tension qui montait, redescend très vite pour faire place à un moment de franche rigolade.

Ma sœur tente de rajouter encore un peu d'agitation en essayant de mixer les couples pour que je finisse avec l'autre naze. Malheureusement pour elle, j'ai compris son plan diabolique et esquive malicieusement ses tentatives en lui tirant la langue. J'ai déjà eu beaucoup de mal à danser avec la reine des abeilles, il est hors de question que je supporte le bourdon bruyant. Même si elle recrute la quasi-totalité des deux équipes, je suis rapide et stratège. De toute façon, lui aussi a deviné les intentions malveillantes de ceux qui sont censés être ses potes et il fuit le plus loin possible.

Le personnel de ménage arrive et nous renvoie vers nos dortoirs. Nous rangeons illico les quelques objets qui trainent et leur laissons place nette. A force de faire les andouilles, nous sommes en transpiration et la fraîcheur nocturne nous saisit. Blaise enveloppe Sarah dans son blouson pour qu'elle n'ait pas froid. Les basketteurs font de même avec les autres filles. Mélia et moi allons-nous retrouver les seules sans assistance quand Maltez retire son pull pour couvrir les épaules de ma sœur tandis que Blaise l'enlace pour lui tenir chaud. Le sourire inquiétant du crétin dans ma direction est un mauvais présage. Cette andouille est allée chercher une couverture à chevaux pendant qu'on rangeait la salle. Il cherche à me revêtir du tissu puant pour se venger de mes piques incessantes.

Une bagarre gentille se profile. Il court plus vite que moi et est leste. J'ai de meilleurs réflexes et je suis plus souple. Le pire, comme le souligne si gentiment mon double en soupirant, c'est que je m'en fiche pas mal de porter une couverture à chevaux. Je ne veux juste pas laisser gagner le grand dadet. A force de courir, nous arrivons en bas des escaliers du dortoir des filles. Les blousons sont rendus avec parfois des bises rougissantes. Mélia se moque de moi. Même si nous nous disputons, Maltez a prévu le moyen de me réchauffer, ce qui prouve qu'il m'aime bien dans le fond. Je réfute à grands cris cette théorie. Lui ricane et prétexte plus utiliser tous les moyens possibles pour me casser les pieds puis ose insinuer que je suis déjà pénible au quotidien et qu'il ne veut pas voir ce que cela serait si je tombais malade. Je me retourne alors à ces mots. Putain ! Mélia a raison. Ce crétin m'aime bien. Il va falloir que je devienne encore plus chiante pour régler ce problème le plus vite possible. Je vais me coucher en ronchonnant.

Je me lève de bien meilleure humeur. Aujourd'hui, c'est vendredi. Les cours sont plutôt cool ce jour-là. En plus, cette aprèm, je vais enfin pouvoir participer à un vrai chantier de rénovation pour mon activité caritative. Trois mois que j'apprends la théorie du plantage de clou, élaboration du ciment, l'art de la peinture et du ponçage. Je vais enfin pouvoir mettre la main à la pâte pour de vrai. Le responsable m'a prévenu que pour des raisons de sécurité, malheureusement, je serais sous la supervision d'un Terminale qui rénove depuis plusieurs années. En tant que Seconde, première année de rénovation et surtout en tant que seule fille parmi cette bande de misogynes.

Le responsable de chantier m'a promis de me mettre avec son meilleur élève. Il m'a prévenu qu'il avait un caractère difficile, mais était très investi. Je soupçonne le responsable d'avoir dit ça pour que je tienne ma langue, il m'apprécie malgré mon caractère. Lors des cours théoriques, j'ai discuté avec intérêt et j'ai posé des questions très pertinentes. Je suis d'après lui bien plus formée que les débutants habituels. Les quelques travaux pratiques ont été réalisés avec brio. J'aime bricoler et je fais de mon mieux pour produire quelque chose de qualité. Le responsable me vante les qualités de l'élève chargé de veiller sur moi en me conduisant du dortoir au futur chantier. J'ai hâte de rencontrer cet élève si altruiste. Mon sourire s'efface pour devenir une grimace dès que je l'aperçois. MALTEZ.

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