III
Une fois lavées, habillées et parées, les filles Damester purent enfin sortir de la chaumière afin de visiter Beaugard pour la première fois de leur vie. Bien qu'elles en eussent toutes deux entendu parler à de nombreuses reprises, elles n'avaient encore jamais eu l'occasion d'y aller, pas même pour accompagner leur mère.
Alors que Jeanne s'apprêtait à sortir de la forêt, Aurore lui barra la route en lui touchant l'épaule.
- Ecoute moi, petite sœur.
Jeanne lui obéit, même l'expression sérieuse sur le visage de son ainée ne pouvait effacer la joie qui illuminait le sien.
- Je sais que mère nous a formellement défendues de nous éloigner l'une de l'autre, commença Aurore, je sais aussi que je... que nous risquons d'être sévèrement punies si nous désobéissons.
Jeanne hocha la tête. Aurore poursuivit.
- Mais j'aimerais que, juste une fois, je puisse rester seule. Au moins une heure ou deux. Pourrais-tu m'offrir cette chance?
Le sourire de Jeanne s'effaça. Elle ne savait que dire. Elle ne s'était encore jamais éloignée aussi longtemps d'Aurore et elle devait bien s'avouer que cette idée la terrifiait.
- Mais... si jamais tu te perdais? répondit-elle, Que devrais-je faire?
- Ne t'inquiète pas, je saurais trouver mon chemin, la rassura Aurore. Il te suffira de m'attendre au village, je te donnerai un point de rendez-vous une fois que nous serons arrivées. Cela te convient-il?
Jeanne soupira, un mauvais pressentiment commençait à lui ronger l'estomac. Néanmoins, elle acquiesça d'un signe de la tête. Aurore sourit et l'embrassa.
- Merci, petite sœur. Je te revaudrais ça, je te le promets!
Les deux jeunes filles avancèrent davantage dans la campagne à l'orée du bois, Aurore souriait et marchait la tête haute, sereine et sure d'elle. Quant à Jeanne, elle s'efforçait de dissimuler son inquiétude. Elle avait pu faire le bonheur de sa grande sœur, et pour l'instant, c'était tout ce qui lui importait.
Les sœurs Damester pouvaient admirer le village de Beaugard de leurs propres yeux. Bien que leur mère le leur ait décrit à de maintes reprises, rien ne pouvait se comparer à la sensation merveilleuse de parcourir les ruelles, de tout pouvoir observer dans les moindres détails... Ce charmant village dont elles avaient tant entendu parler était bien réel. Un nouveau monde s'ouvrait à elles.
Au premier abord, les villageois rendaient Jeanne et Aurore un peu mal à l'aise. Ils semblaient curieux de savoir qui étaient ces deux jeunes filles, personne ne les avaient jamais vues auparavant.
Beaugard était une communauté restreinte de vignerons, de paysans et de marchands dont la vie se résumait au travail de la vigne, du bétail et de la chasse. Il était donc compréhensible qu'ils fussent surpris de voir deux jeunes inconnues traverser leur village. Cependant, ils n'étaient pas curieux au point d'oublier leur prudence et chacun décida de rester dans son coin et de se mêler de ses affaire. Quelque chose ne semblait pas naturel chez ces deux jeunettes, elles semblaient proches et pourtant si différentes l'une de l'autre: une blonde à l'air innocent et une brune aux yeux rouges... Cela ne laissait rien présager de bon.
Malgré son inquiétude, Jeanne était ravie de pouvoir enfin visiter Beaugard. Elle s'approchait de chaque maison, de chaque fontaine et de chaque animal de compagnie qui croisait son chemin. Aurore quant à elle, était incommodée par le regard insistant des villageois. De toute manière, Beaugard lui importait peu. Il ne servait que de prétexte à pouvoir enfin découvrir un monde qui lui avait été interdit depuis sa venue au monde. Tout ce qu'elle souhaitait, c'était de pouvoir rester seule, vraiment seule, pour la première fois.
Après quelques longues minutes de promenade, Aurore se rapprocha de sa sœur qui caressait un chat sur une fontaine.
- Jeanne, j'aimerai partir maintenant.
Jeanne baissa les yeux et soupira doucement. Cette idée lui faisait terriblement peur. Elle ne craignait pas vraiment l'avertissement de sa mère, mais c'était les dangers exterieurs qui menaçaient sa soeur qui la terrifiaient.
- En es-tu sûre? demanda t'elle d'une voix faible. Il doit y avoir une bonne raison pour que mère ne veuille pas te laisser seule. Je t'en prie, essaye d'y réfléchir.
- J'ai pris ma décision, petite sœur, je ne reviendrai pas là-dessus. Sois sans crainte, je ne suis plus une enfant, je saurais me protéger par mes propres moyens. Attends-moi ici, à cette fontaine.
Jeanne n'insista plus, elle savait qu'elle ne pourrait empêcher sa sœur de faire selon son bon plaisir.
Aurore l'embrassa, puis elle s'éloigna en se dirigeant vers une ruelle déserte.
- Fais attention, Aurore... murmura Jeanne.
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