IX
Après avoir fait ses adieux à sa mère et à sa sœur, Aurore se mit en route en direction de la chaumière d'Edmyre. Il ne s’agissait pas de sa destination principale. A vrai dire, c'était une étape qu'elle préférait éviter. Bien qu'elle éprouvait de l'amitié pour cette dame, Aurore craignait que ses bons conseils la découragent à mener à bien son entreprise, comme ce fut le cas la première fois où elles s'étaient rencontrées. La jeune fille ne voulait plus se sentir protégée avec la même insistance qu'auparavant. Il lui suffirait de ne pas se montrer trop enthousiaste, mais Edmyre avait certainement remarqué l'intérêt qu'éveillait en elle ce château mystérieux. Tant pis. Elle ignorerait ses avertissements, même si cela lui faisait honte. Après tout, ce sentiment de protection partait d'un beau geste. Ce devait être aussi le cas pour sa mère.
Le chemin menant au sentier lui sembla beaucoup moins long que la dernière fois. Cela était dû au fait que la jeune fille avait décidé de contourner Beaugard afin de s'épargner le regard insistant des villageois sur elle. Lorsqu'elle atteignit la chaumière de la vielle dame, Aurore frappa à la porte en espérant qu'elle ne la dérangerait pas pendant son repas de midi.
Pas de réponse.
Aurore attendit quelques instants avant de frapper à nouveau, ne voulant pas se montrer impolie. Au final, il était fort probable qu'elle fut en train de la déranger.
A sa troisième tentative, Aurore abandonna. Edmyre devait s'être absentée, où bien peut-être avait-elle décidé de l'ignorer.
Aurore se retourna pour regarder le sentier, là où se trouvait jadis le portail de l'entrée du château. Elle hésitait. Lorsqu'elle s'était dit qu'elle n'avait pas besoin de l'aide d'une vielle dame pour décider si elle devait, oui ou non, essayer de trouver ce château, Aurore n'avait pas pensé à l'inquiétude qui aurait pu la traverser. Il était vrai que ces bois sombres n'étaient pas accueillants, même pour les plus curieux.
Après avoir jeté un dernier coup d'œil à la chaumière d'Edmyre, Aurore emprunta le sentier pour atteindre le vieux portail. Le feuillage semblait beaucoup moins épais que la dernière fois... La pénombre avait même disparu pour dévoiler un chemin éclairé par les rayons du soleil qui se faufilaient à travers les branches. Aurore avait juste la place pour s'y engager, ce qu'elle fit après avoir pris une grande inspiration.
Avançant parmi les branches fines qui lui fallait sans cesse repousser, la jeune fille espérait retrouver rapidement le château. Cela ne servait pas à grand-chose de se promener sans but dans la foret lorsqu'on avait passé toute son enfance au milieu des bois, pensait-elle. Cependant, la chose était différente cette fois-ci: il ne s’agissait pas d'une ballade d'agrément, mais bien d'une exploration. Aurore avait l'impression de partir à l'aventure. Tout comme les chevaliers et les princes de l'ancien temps dont sa mère avait conté les exploits. Trouver ce château était son but ultime. Ensuite, peut-être aurait-elle le courage de l'explorer.
Après quelques minutes de marche, Aurore aboutit à un croisement. Deux chemins s'offraient à elle, parfaitement indissociables l'un de l'autre. Elle décida alors de se fier à son instinct et pris le chemin de droite.
Au cours de sa marche, Aurore rencontrait sans cesse des croisements semblables, des carrefours et parfois même des impasses au cours de sa marche. Elle avait eu beau essayer de se fier à sa mémoire et à la direction de la lumière du soleil pour tenter de repérer le château, rien n'y faisait. Au désespoir, elle se mit à grimper sur un arbre en espérant apercevoir l'une des tours du château qu'elle avait pourtant si bien repéré lorsqu'elle était encore sur la route de Beaugard.
Aurore commençait à se sentir lasse de parcourir ce labyrinthe végétal sans avoir la moindre piste pour atteindre ce qu'elle recherchait. Tout semblait se liguer contre elle pour l'obliger à rebrousser chemin. Pourtant, Aurore n'avait pas la moindre envie d'abandonner. Une force intérieure la poussait à avancer, un désir puissant de prouver à sa famille et à elle-même qu'elle était parfaitement capable de se débrouiller seule et d'assumer les conséquences de ses actes.
Lorsque le feuillage prit une couleur orangée et que la lumière se fit de plus en plus terne, Aurore se mit à avoir peur. La nuit tomba bientôt sur la forêt, une nuit sans lune. Il faisait si noir que la jeune fille n'eut plus aucun moyen de savoir où elle allait. Elle ne pouvait diriger qu'en tendant une main devant son visage et l'autre en direction du sol afin de pouvoir se rattraper en cas de chute. Peu à peu, ses yeux s'habituèrent à l'obscurité: elle pouvait maintenant distinguer la forme des branches, même si il lui était toujours impossible de savoir dans quelle direction elle avançait. La jeune fille était entourée par les ténèbres et un silence angoissant ne faisait que rendre l'atmosphère plus pesante encore.
Aurore sentit son cœur battre à vive allure, elle suffoquait mais ne pouvait pas s'arrêter de marcher. Son obstination à ne pas rebrousser chemin lui interdisait également de prendre le moindre moment de pause.
Un bruit étrange, semblable à un grognement, déchira le silence. Aurore se figea. Elle se retourna avec prudence. Le bruit venait de derrière elle.
Elle vit une présence qui la glaça d'épouvante: dans les ténèbres, une masse de poils hirsute pourvue de deux énormes crocs la fixait de ses yeux rouges, luisant comme des flammes au milieu de l'obscurité totale.
Les grognements de la créature se faisaient de plus en plus insistants. Aurore se mit à reculer le plus doucement possible... Cela n'eut pas d'autre effet que d'éveiller une rage folle dans l'esprit de l'animal qui, après avoir poussé un cri assourdissant, se mit à charger la jeune fille.
Aurore courrait à toutes jambes, sans prêter la moindre attention au branches et aux ronces qui lui lacéraient ses vetements et sa peau. La créature se rapprochait de plus en plus... Aurore ne put s'empêcher de crier.
Soudain, la jeune fille sentit tout le poids de son corps s'enfoncer dans le vide. Elle glissait à présent au fond d'un précipice, se cognant violemment le dos contre des racines épaisses et des bosses. Pour finir, elle tomba tète le première dans une flaque poisseuse. Elle inspira de l'eau, ce qui manqua de l'étouffer pour de bon.
Les efforts déployés pour fuir la créature et pour expier toute l'eau et la crasse qui lui emplissait les poumons avait sapé les dernières forces de la jeune fille. Elle essaya de se lever, mais s'effondrait lamentablement sur le sol humide à chaque tentative. Il fallait qu'elle s'en aille... Le monstre finirait par la retrouver... il le fallait...
Aurore se laissa aller. Son corps ne pouvait plus lui obéir. Elle allait mourir ici, victime de son imprudence. Est-ce que sa mère et sa chère sœur pourraient jamais lui pardonner?
Ses yeux se fermaient d'eux-mêmes. Au loin, Aurore put-entendre le bruit des sabots d'un cheval avant de succomber à un profond sommeil.
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