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Une fois revenue à elle, Aurore sentit la douceur molletonnée d'un matelas et d'une couette contre sa peau. Ses yeux à demi clos ne lui permettaient de ne voir qu'un monde flou, des tons de couleur pourpres et sombres qui bougeaient lentement au rythme de sa respiration. La couette recouvrait entièrement son champ de vision.
Aurore n'avait pas retrouvé toutes ses forces, aussi, sa surprise de se retrouver dans une chambre qu'elle ne connaissait pas ne se manifesta qu'après quelques minutes de torpeur. La jeune fille se redressa. Lentement, car la douleur était toujours présente, puis elle s'extirpa de la couette pour constater tardivement qu'elle était complètement nue. La couverture était tellement épaisse et le lit si chaud et confortable qu'il lui avait semblé porter plusieurs chemises de nuit à la fois.
Aurore parcourut la pièce du regard: elle se trouvait dans une chambre immense -du moins, comparée à celle qu'elle partageait avec Jeanne- éclairée par un lustre accroché au plafond. Les murs étaient en pierres grises solidement soudées les unes aux autres par un mortier à peine visible. Le plafond était en forme de coupole et avait été peint de façon à représenter des branches d'arbres dans un ciel rouge.
Aurore vit qu'une robe était posée sur la couette. Ce n'était pas la sienne, celle-ci était bien mieux faite. En la touchant, elle remarqua que le tissu lui était inconnu, il semblait rare et précieux: léger comme la soie et doux comme la laine. Quelqu'un l'avait sauvée et amenée ici. Ce devait être quelqu'un de très riche pour vivre dans un tel endroit.
Se trouvait-elle dans le château des Landebrune? Elle sortit du lit, enfila rapidement la robe et regarda par la fenêtre: il faisait encore trop noir pour tout observer en détail mais elle put néanmoins deviner la forme des arbres au loin.
Malgré sa déception de ne pas avoir pu y arriver elle-même, Aurore était heureuse de voir ses théories confirmée: ce château qui semblait abandonné était bel et bien habité par quelqu'un. Il restait maintenant à savoir qui.
Avant de sortir de la chambre, Aurore vérifia sur le reflet d'une fenêtre si son apparence était convenable. Elle ne pouvait pas voir grand-chose, hélas, mais elle remarqua tout de même que son visage n'était pas maculé de boue contrairement à ce à quoi elle s'était attendue. Il semblait que la personne ou les individus qui l’avaient secourue avaient pris soin de la laver.
Lorsqu'elle ouvrit la porte, la jeune fille tomba nez à nez avec un homme immense qu'elle prit d'abord pour une statue. Il n'eut aucune réaction lorsqu'elle sursauta. Après quelques secondes, il inclina la tête, comme pour la saluer. Il portait un masque doré qui lui recouvrait l'intégralité du visage et une partie des cheveux. Ses habits blanc crème ne laissaient pas dépasser un seul centimètre de chair. Aurore fit timidement la révérence, puis il s'éloigna lentement dans le couloir d'un pas lourd.
Aurore hésita quelques instants avant de décider si elle devait le suivre ou non, se demandant si cet étrange personnage était son sauveur ou l'un des domestiques du château. Ses habits ressemblaient à ceux d'un majordome, du moins, d'après les descriptions que sa mère en faisait lorsqu'elle racontait des histoires. Il s'arrêta à mi-chemin et se retourna. Aurore s'approcha précipitamment et le suivit. Elle voulait lui poser des questions mais il ne semblait pas être doué de parole. Ils marchèrent ensemble en silence le long de ce large couloir jusqu'a ce qu'ils atteignent une grande porte en bois sculpté.
Le supposé majordome l'ouvrit, puis passa devant Aurore, lui laissant le passage libre. La jeune fille vit ce qui ressemblait à un immense salon. Une cheminée particulièrement imposante, semblable à une fournaise, était construite au fond de la pièce. Au milieu de la lueur aveuglante des flammes, Aurore put distinguer la silhouette d'un homme qui se retournait dans sa direction.
- Entrez mademoiselle, je vous en prie.
Aurore s'avança avec méfiance, n'aimant pas l'idée de se retrouver seule face à cet inconnu qu'elle voyait à peine. Arrivée au niveau de la table à manger, l'homme s'avança et lui sourit.
- Bienvenue dans ma demeure. Comment vous portez vous?
Aurore demeura silencieuse. Cet homme était-il son sauveur? Ses habits étaient ceux d'un homme riche, faits de cuir sombre et de velours brodé du même rouge que la robe qu'elle portait. Il avait des cheveux noirs de jais, tout comme elle, qui entouraient un visage long aux pommettes saillantes et aux lèvres minces. Jamais Aurore n'avait vu un personnage semblable.
Rougissante, elle répondit: "Fort bien, Monseigneur", sans y croire vraiment. Elle se sentait mal à l'aise et aurait préféré sortir prendre l'air. La chaleur de la pièce l'étouffait.
- Vous me voyez rassuré, lui répondit-il en souriant de plus belle, lui laissant voir sa dentition impeccable. Je craignais que vous ne soyez pas encore entièrement rétablie de vos blessures, mais d'après ce que je peux voir, vous vous portez comme un charme.
Aurore se toucha machinalement la joue à l'endroit ou une ronce lui avait profondément griffé le visage. Il n'y avait pas de trace de cicatrice.
Remarquant son étonnement, l'homme apporta quelques explications.
- Je dispose d’étonnants pouvoirs de guérison. Vous étiez couvertes d'entailles et de griffures, je ne pouvais décemment pas vous laisser dans cet état.
La jeune fille ne sut quoi répondre à cela. La politesse aurait demandé à ce qu'elle remercie cet élégant personnage qui l'avait si généreusement recueillie et soignée mais sa langue était comme paralysée. Bien qu'elle ne voulut pas se l'avouer, cet homme l'intimidait, encore davantage maintenant qu'elle pouvait le voir de plus près. Ses traits étaient fins et harmonieux et si ce n'était pas pour cette lueur avide dans ses yeux d'une couleur étrange, Aurore l'aurait immédiatement considéré comme une personne de confiance. Cependant, il produisait en elle un sentiment de malaise dont il semblait parfaitement conscient, voire même satisfait.
- Veuillez pardonner mes manières, Mademoiselle, poursuivit-il en lui tendant la main. Je me nomme Vénior, héritier du seigneur Laelius Landebrune.
L'histoire d'Edmyre était donc vraie. Les époux Landebrune avaient eu un fils, mais quelque chose n'allait pas: Edmyre n'avait-elle pas dit que l'enfant était mort en couche?
- Très honorée de faire votre connaissance, Monseigneur. répondit Aurore, décidant qu'il ne serait pas sage de partager cette réflexion pour le moment.
En tendant la main à son tour, Aurore s'était attendue à ce qu'il la lui serre. Au lieu de cela, Vénior la lui prit délicatement et lui fit un baisemain.
Le cœur de la jeune fille s'emballa à ce contact. Lorsqu'il la lâcha, elle retira sa main plus vivement qu'elle ne l'aurait souhaité. Il lui sourit à nouveau, comme pour montrer que sa pudeur l'amusait.
-N'ayez crainte, dit-il, je ne vous ferai aucun mal.
Aurore baissa les yeux, peu convaincue. Elle n'avait encore jamais eu le moindre contact physique avec un homme. A dire vrai, elle ne s'était jamais retrouvée seule et enfermée en compagnie d'un. Cette situation était tout-à-fait nouvelle et profondément inconfortable. Elle espérait qu'il pourrait le comprendre.
- Que diriez-vous d'un bon repas chaud? reprit Vénior; Vous devez être affamée après toutes ces mésaventures.
Il n'avait pas tort, Aurore n'avait rien avalé depuis son départ de la chaumière de sa mère. Elle hocha la tête en esquissant un sourire timide. Vénior frappa deux fois dans ses mains et la créature vêtue de blanc qui attendait, immobile, de l'autre côté de la porte s'avança vers eux.
- Apporte un repas chaud à notre invitée, avec une carafe d'eau.
La créature s'inclina, exactement de la même manière qu'Aurore l'avait vu faire quelques minutes auparavant, avant de franchir l'une des portes du salon.
- Vous avez déjà rencontré mon serviteur, je présume? dit Vénior. Son nom est Roderich, il n'est pas très doué pour la conversation mais je n'ai jamais eu à me plaindre de ses services.
- Pourquoi ne parle-t-il pas? se hasarda à demander Aurore.
- Ce n'est pas un être de chair et de sang comme nous. Il était déjà au service de ma mère bien avant ma naissance. Sa fidélité au nom des Landebrune ne fait aucun doute.
Un nouveau moment de silence s'installa durant lequel Aurore se posait mentalement toutes sortes de questions qu'elle n'osait pas demander. Cet homme était manifestement d'un rang supérieur au sien. Sa curiosité pouvait être perçue comme de l'insolence et plus certainement, comme de la stupidité. Or, la dernière chose que la jeune fille souhaitait était de paraître stupide aux yeux de son sauveur.
Quelques minutes plus tard, Vénior leva la tête en direction de l'endroit où le serviteur était parti.
- Ah, dit-il, votre repas est prêt.
Aurore se retourna et vit l'automate lui apporter un plateau d'or sur lequel était posé un verre en cristal magnifiquement ouvragé, deux grappes de raisin blanc et une pintade entière. Il le déposa sur la table. L'odeur émanant de la viande visiblement rôtie et arrosée de sauce était particulièrement alléchante. Aurore n'avait jamais eu l'occasion de gouter du gibier, sa mère n'étant pas très douée pour la chasse. Elle regarda Vénior droit dans les yeux.
- Monseigneur... commença-t-elle timidement, Je vous remercie infiniment pour votre bonté mais je ne saurais manger tout cela...
- Mangez ce que vous pourrez, répondit-il, compréhensif.
La jeune fille n'aimait pas vraiment l'idée de toucher à de la nourriture offerte par un parfait inconnu. Ce n'était pas un problème qui s'était posé avec Edmyre puisqu’elles avaient toutes deux bu du thé provenant de la même théière. Cette fois-ci, Vénior ne mangeait pas à ses côtés. Il l'observait d'un air serein, mais avec une certaine insistance toutefois.
Aurore coupa une bouchée et la porta à sa bouche, la mâchant doucement pour tenter de déceler une trace de poison. Il n'y avait rien de bien remarquable, hormis le fait que cette viande était absolument succulente. Aurore coupa une autre bouchée qu'elle savoura davantage. Vénior sourit de satisfaction, visiblement heureux de voir que son invitée avait bon appétit.
Roderich sortit de la pièce voisine et apporta une carafe d'eau. Aurore mangeait vite. Elle ressentait le besoin de se rafraichir.
- Laissez-moi vous servir, lui dit Vénior après s'être levé pour lui tendre la carafe.
La jeune fille prit le verre et le lui tendit. Elle se sentait particulièrement honorée d'être servie par le maître du château en personne. Il lui versa de l'eau qu'elle but d'un trait en faisant bien attention de ne pas en renverser. Vénior partit se rasseoir après qu'Aurore l'eut remercié.
Ils passèrent quelques instants à discuter. La jeune fille savourait des grains de raisin, davantage pour meubler ses moments de silence que par appétit., Vénior lui posait toutes sortes de questions sur elle-même, sur sa famille et sur les raisons qui l'avaient conduite à parcourir les bois, et bien qu'Aurore lui réponde de manière précise mais courte, rien ne semblait pouvoir satisfaire sa curiosité.
Au bout d'un moment, Aurore se mit à avoir mal au genou. Cela lui parut totalement invraisemblable: sa mère le lui avait guéri et elle n'avait pas ressenti la moindre douleur depuis des jours. Au fur et à mesure que la discussion progressait; la douleur se faisait de plus en plus intense. Aurore se plaqua la main sur l'os en espérant pouvoir le remettre en place. Rien n'y faisait, elle avait même la sensation d'empirer les choses en procédant de la sorte.
- Quelque chose ne va pas? demanda Vénior qui avait remarqué l'air tendu de la jeune fille.
Aurore tendit la jambe avec beaucoup de peine, son mal était trop intense pour pouvoir le cacher plus longtemps. De plus, Vénior prétendait avoir guéri ses blessures, peut-être accepterait-il d'en soigner une autre.
- C'est que... Mon genou me fait terriblement souffrir, Monseigneur, répondit-il elle d'une voix involontairement plaintive.
Vénior se leva se sa chaise pour se mettre à genou devant les jambes de la jeune fille.
- Etrange... dit-il à mi-voix. Aurais-je oublié un endroit? Permettez-moi...
Aurore n'eut pas le temps de permettre quoi que ce soit. Vénior avait déjà posé les mains sur son genou. Même à travers l'épaisseur du tissu de sa robe, la jeune fille ne peut s'empêcher de rougir à ce contact. La chaleur des mains de cet homme avait même semblé étouffer la douleur pendant un court instant.
- Cela me semble plutôt sérieux, constata t'il. Allongez-vous sur le canapé, je vous soignerai mieux ainsi.
Vénior se redressa pour aider la jeune fille à se lever. Lorsqu'elle réussit péniblement à s'appuyer sur ses deux jambes, Aurore ressentit quelque chose se déchirer en elle. La douleur qu'elle ressentit à ce moment-là la força à s'abaisser. Vénior la soutint en l'entourant de ses bras. Un horrible craquement fit comprendre à Aurore et à son hôte que l'os avait déchiré la peau.
Aurore eut le souffle coupé. Elle voulait hurler, elle en avait terriblement besoin mais aucun son ne sortait. Elle haletait violemment tandis que Vénior la portait jusqu'au canapé. La douleur indescriptible qu'Aurore ressentait la plongea dans une sorte de transe. Elle but sans s'en rendre compte le verre d'eau que lui tendit Vénior en s'en renversant sur la poitrine.
Cette gorgée d'eau fraiche sembla la détendre quelque peu. Elle vit le regard inquiet de Vénior posé sur elle, son visage tout près du sien.
- Tout va bien, Aurore, dit-il en lui touchant le front, Essayez de vous détendre, je vais remettre l'os en place.
Vénior releva la robe d'Aurore et lui appuya une main sur le haut du genou et l'autre sous la jambe. Puis, d'un coup sec, il lui souleva la jambe, faisant ainsi rentrer l'os dans la chair.
Ce procédé était tellement brutal et douloureux qu'Aurore hurla brusquement, puis se mit à gémir. Des larmes coulaient le long de ses joues. Elle se sentait très faible et aurait pu s'évanouir si Vénior n'avait pas commencé à refermer la plaie en la compressant, puis en la massant, puis en l'effleurant à peine.
Cette guérison spontanée semblait parfaitement impossible, pourtant, elle était bien réelle. Aurore ressentait déjà les signes d'une nette amélioration au point de ne plus ressentir la moindre douleur. Elle reprit peu à peu conscience et respirait déjà plus calmement.
- Vous m'avez fait peur, lui dit Vénior tout bas en continuant de lui masser le genou. Si j'avais pu deviner que vous aviez été blessée à cet endroit; cela aurait fait longtemps que je vous aurais soulagée.
Aurore déglutit. Malgré son grand état de fatigue dû au choc, elle gardait les idées claires et trouvait quelque peu inconvenant qu'un homme se permette de toucher sa jambe sans sa permission. Cependant, elle se laissa faire. Vénior était loin de la dégouter, si cela avait été le cas, elle n'aurait même pas songé à accepter la nourriture qu'il lui avait offerte. Aurore avait décidé de lui accorder sa confiance, pour de bonnes ou de mauvaises raisons? Elle n'avait aucun moyen de le savoir.
La position dans laquelle se trouvait Aurore était pour le moins inconfortable: L'héritier du seigneur de Beaugard, un homme visiblement encore jeune et charmant était à genoux à ses côtés et lui touchait délicatement la peau. Dans l'angle dans lequel il se trouvait, il pouvait certainement voir tout son corps, couvert par une robe certes, mais dont l'étroitesse laissait deviner ses rares formes. Il pouvait voir sa poitrine se soulever lentement au rythme de sa respiration. Aurore n'osait pas le regarder dans les yeux, elle s'y risqua néanmoins et, lorsqu'il lui rendit son regard, la jeune fille remarqua pour la première fois qu'il avait des yeux rouges, brillant comme des pierres précieuses à la lueur des flammes. Exactement comme elle.
Vénior n'ignorait pas l'inquiétude d'Aurore. Il inclina légèrement la tête puis se rapprocha de son visage.
- Je saurais vous soulager de toutes vos souffrances, murmura-t-il.
Aurore sentit son cœur battre la chamade et se mit à respirer irrégulièrement tandis que Vénior lui glissait lentement la main à l'intérieur de la cuisse.
Elle se leva d'un bond. Tant d'impertinence la mettait dans une rage folle. Elle dévisagea l'hériter des Landebrune avec une détermination dont elle ne se serait jamais sentie capable en temps normal, puis elle sortit précipitamment du salon pour revenir dans la chambre où elle avait été logée.
Aurore ferma brusquement la porte. Elle la ferma à double tour à l'aide de la clé encore logée dans la serrure.
"Comment a-t-il pu oser me faire ça?!" Se disait-elle, indignée. Elle essaya vainement de mettre de l'ordre dans ses pensées incohérentes dans lesquelles se mêlaient son amour propre, la sensation d’avoir été humiliée, mais également la frustration. Elle devait bien se l'avouer: Vénior lui plaisait, elle lui était infiniment reconnaissante pour tout le soin qu'il lui avait apporté. Cependant, malgré le désir qu'elle ressente pour lui, cette caresse lui avait paru extrêmement déplacée. Après tout, elle venait à peine de le rencontrer.
Aurore se lassa rapidement de faire les cent pas dans la chambre en se demandant s’il était sage de rejoindre l'homme qui la troublait tant pour lui réclamer des excuses, ou bien pour lui en présenter... Ses émotions étaient trop violentes pour être contenues autrement que par une bonne heure de sommeil. Elle se laissa tomber sur le grand lit et, une fois le flot de ses pensées écoulé, la jeune fille s'endormit.
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