Epilogue - 1

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Le lendemain, Edmyre se cloitra chez elle. Assise dans son fauteuil, elle jetait de temps a autre un regard anxieux vers la fenêtre. Elle espérait que le plan qu'elle avait conçu pour la jeune fille fonctionnerait et que la barque dans laquelle il lui faudrait voyager était encore en bon état. Malheureusement, les espoirs se révélaient bien souvent éloignes de la réalité.
Un silence de mort régnait dans la chaumière. Edmyre tenta de s'installer plus confortablement, le dos enfoncé le plus profondément possible dans le fauteuil. Elle ferma les yeux et posa une main sur son cœur qui battait dangereusement vite. Elle inspira puis souffla doucement. Cela ne calmerait pas l'angoisse, mais permettrait au moins d'atténuer les palpitations.

L'avenir se présenta a elle, aussi clairement que lors de sa première vision: “Il est en chemin. Il vient pour moi.”.

L'homme était imprévisible de par sa nature. Cela était doublement vrai pour Vénior. Le concernant, il n'y avait que deux possibilités: soit il s'enfuirait pour essayer de retrouver Aurore le plus vite possible, soit il laisserait éclater sa colère, faisant payer à tous ceux qui croiseraient sa route le prix de la disparition de la jeune fille. La dernière semblait être la plus plausible: la rancœur tenace qui lui rongeait le cœur ne pouvait s'achever que dans un bain de sang.

Edmyre regarda par la fenêtre, froissant nerveusement les plis de sa jupe. Au loin, les toits des plus hautes maisons de Beaugard se dressaient parmi les arbustes et les rangs de vigne. Surprise par son propre comportement, Edmyre se mit néanmoins à prier pour le salut des habitants du village. Edmyre ne les avait jamais aimés et ils le lui avaient bien rendu, mais les âmes innocentes avaient au moins droit à sa considération si la pitié de son filleul ne leur étaient pas accordée.

Ce ne serait d'ailleurs pas le cas. Lorsqu'elle fermait les yeux, Edmyre ressentait l'atroce et lente agonie de tout un groupe. Une souffrance collective, insoutenable... son cœur ne tiendrait pas le choc...

Edmyre ouvrit brusquement les yeux et se pencha en avant. Le battement violent de son cœur usagé lui faisait l'effet d'un épieu planté dans sa chair. Elle toussa et manqua de vomir.
Après s'être redressée à grand peine, Edmyre décida de faire face au danger. Elle ouvrit grand la porte de la chaumière et sortit.

Au loin, elle aperçut Vénior, armé d'un arc et d'une épée longue, qui chevauchait cet étalon noir qu'il chérissait tant.

Il avançait au galop et ralentit l'allure lorsqu'il remarqua que Edmyre était sortie. Il s'arreta à une distance irrespectueuse de la vieille femme, qui fut forcée de reculer de quelques pas.

Edmyre leva la tète, observant le visage du cavalier. Il semblait être devenu la personnification de la haine.

- Où est-elle? demanda-t-il, la rage trahissant le calme apparent de sa voix.

- De qui parles-tu?


La question dEdmyre relevait davantage d'une provocation que d'une véritable interrogation. Cela eut l'effet escompté: Vénior descendit de Dammar et s'approcha de sa marraine, la toisant de toute sa hauteur.

- Aurore, répéta-t-il sèchement, où est-elle?

Edmyre dut fournir un effort pour garder la tète haute. Son filleul la regardait avec une fureur qu'elle lui connaissait, mais qu'elle n'avait encore jamais vue dirigée contre elle.

- Elle a quitté Beaugard. N'essaye pas de la retrouver. Elle est déjà loin.

- Je me moque de tes conseils! hurla Vénior, sa voix grave résonnant dans le paysage. Dis-moi où tu l'as envoyée ou je réduis ta maison en cendres!

La vieille femme sentit la panique la gagner. Elle ignorait si Vénior en serait réellement capable.
Depuis le jour où il était revenu de la ville, plus que jamais déterminé à assouvir son besoin de vengeance, Edmyre s'était rendue compte avec tristesse qu'il n'était plus le petit orphelin dont elle s'était occupé pendant six ans. La reconnaissance de son filleul avait disparu avec son respect et désormais, il la menaçait de détruire le seul et unique foyer qu'il lui restait.
Face a cette injustice, Edmyre sentit la colère la gagner rapidement. Au lieu d'obéir aux ordres de Vénior, elle fit un suprême effort pour le regarder de haut, se tenant aussi droite que possible.

- Comment oses-tu me menacer? Je n'ai fait que te soutenir et te porter conseil pendant toutes ces années et c'est comme ça que tu me remercies? Je n'éprouve que de la déception quand je vois le monstre que tu es devenu. Cette fille est sans doute bien mieux loin de toi!

Vénior ne cilla à aucun moment. Quelque chose dans les traits adoucis de son visage laissait à penser que les paroles de sa marraine l'avaient touché profondément. Il semblait incapable de répliquer quoi que ce soit.

- Garde ton opinion pour toi, vieille femme, se reprit-il. Tu n'as pas la moindre idée de ce que je suis prêt à faire pour elle. Maintenant, réponds moi!


Vénior avait agrippé la poignée de son arme. Une épée longue qui avait appartenu à son père. Pour avoir été déjà menacée par cette lame; Edmyre compris qu'elle était bel et bien en danger.
Son sang ne fit qu'un tour. Il lui faudrait choisir ses prochaines paroles avec précaution.


- Est ce là ce que tu es prêt à faire pour la retrouver? Me tuer? Moi, le seul lien qui te reste avec Nabée? Pourquoi ferais-tu cela alors que des dizaines de villageois l'ont peut-être déjà vue passer? Ils te donneront la réponse que tu cherches. Quant à moi, je ne te dirais pas un mot.

Vénior se redressa. Il observait le village à présent, d'un regard semblable à celui d'un prédateur pistant sa proie. Il chevaucha Dammar, prêt à partir.
Il avança au trot, s'approchant suffisamment d'Edmyre pour lui lancer un dernier regard chargé de mépris avant de disparaître de sa vue.

Edmyre s'appuya contre le mur de la chaumière, tremblante et pâle comme la Mort. Cet échange avec son filleul l'avait dévastée.
Elle comprenait maintenant qu'elle était la cause des cris de souffrance qu'elle avait entendu quelques instant plus tot. Les villageois de Beaugard n'auraient pas vu la fille. Elle s'en était assurée. Pour cela, ils allaient mourir. Tout cela se produirait par sa faute.

La vieille femme ignorait ce que Vénior était réellement capable de lui faire subir, en revanche, elle n'avait aucun doute sur le sort qu'il réserverait à de parfais inconnus, qui plus est inferieurs à son rang. Elle n'avait pas voulu laisser de place au doute et avait choisi de diriger la fureur de son filleul contre ces gens innocents: ces vieillards, ces femmes et ces enfants...

Il n'y avait pas eu de place pour la pitié à ce moment. Juste une envie démesurée de survivre. Pourquoi devait-elle mourir pour avoir fait une chose qu'elle estimait juste?

Maintenant que le mal était accompli, Edmyre devait aller de l'avant. Cela signifiait fuir, le plus vite et le plus loin possible, sans s'encombre de la culpabilité.

« Un mal pour un bien. », pensa-t-elle.

Soudain, elle sentit un choc contre le bois de la chaumière qui s'accompagna bien vite de la chaleur familière des flammes.

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