Chapitre 5
Le soleil, au travers de l’épaisse toile recouvrant sa cage, illuminait Gabrielle d’un bleu diffus. Bercée par le bruit des sabots cognant la terre et des grincements du chariot, elle attendait, en boule, d’atteindre une destination incertaine. Il lui arrivait, tout au long du voyage, d’entendre des hennissements, des bourdonnements, des craquètements ou tout autre jacassement discret. Tous ces bruits peignaient pour elle le décor d’un monde inconnu. Malgré la douleur de ses blessures et le serrement glacial de ses chaînes, la fascination lui prenait l’esprit.
“Le soleil sera bientôt au zénith. Arrêtons-nous dans cette bourgade pour faire le plein de vivres. Nous repartirons dans une petite heure.” Ordonna le général Ostengarld à ses hommes.
Après que le convoi se soit arrêté et que les soldats aient commencé à jaboter les uns les autres, une main souleva la barrière de tissus recouvrant l’entrée de la cage. Sous le regard de la prisonnière, une jeune femme à la coupe et à la cuirasse noircies se montra. Ses yeux bridés, teintés d’émeraude, étaient emplis d’étoiles et son visage orné d’un sourire chaleureux.
– Salut, Gabrielle, c’est ça ?
– … Oui.
– Écoute, j’en profite tant que le grincheux regarde ailleurs pour venir te remercier. Sans ton intervention l’autre jour, beaucoup d’entre nous seraient dans le gosier de je ne sais quel monstre à l’heure qu’il est. Tu ne mérites pas d’être traitée comme ça.
– Alors libère-moi.
– Oh, crois-moi, nous ne ferions pas long feu tous les deux en fugitifs. Non, je pense que la situation va se régler d’elle-même. Mais… je peux quand même me permettre un petit écart en dehors des clous.
Sur ces mots, la soldate sortit une fine boite en bois décorée qu’elle fit passer au travers des barreaux.
– C’est quoi ?
– Un cadeau ! Ouvre-le, tu verras par toi-même.
Gabrielle vit à l’intérieur une rangée de biscuits secs. Une douce odeur s’en dégageait. Avec précaution, elle en prit un en main et croqua un petit morceau. Dans sa bouche, ce délice sablé réveilla des sensations qui lui étaient inconnues. Sans prévenir, elle engloutit la pâtisserie et s’en lécha les doigts avant d’en attraper une nouvelle et de recommencer.
Devant ce spectacle, la jeune femme pouffa de rire et s’exclama :
– Qui aurait cru que la terrible guerrière escortée par toute une troupe serait si férue de mes gâteaux !
– C’est… C’est excellent ! Qu’est-ce que c’est ?
– Simplement de la farine, du sucre et un peu de citron. C’est la première fois que tu en goûtes ?
– Oui… Au fait, quel est ton nom ?
– Tu peux m’appeler Aria !
– D’accord, merci… Aria…
– Alors ce qu’on dit sur toi est vrai ? Tu es née dans la Terre des Géants ? Pourtant, tu n’as ni écailles ni griffes.
– Ma mère était originaire d’ici. Elle vivait à un endroit appelé « Armein », ou quelque chose du genre.
– Tu veux dire Argmeint plutôt, non ? Ça explique ton teint nordique. Il y avait d’autres personnes avec toi, ou tu as survécu seule ?
– Oui… nous étions un petit groupe. Mais il ne reste que moi.
– Ma pauvre, ça a dû être difficile là-bas… Écoute, je vais devoir te laisser. C’était un plaisir de faire ta connaissance, Gabrielle. J’espère qu’on pourra se revoir dans d’autres circonstances.
Sur ces mots, Aria reprit sa boite et partit. La prisonnière soupira et se remit en boule.
Durant la journée qui suivit, le convoi continua d’avancer en direction de la capitale. Tandis que les derniers rayons du crépuscule s’atténuaient dans le ciel, un soldat s’exclama :
– Mon Général, haltons ici pour la nuit avant de traverser la forêt.
– Non, on continue jusqu’à la Capitale.
– Mais plusieurs incidents ont étés reportés dans les bois de Viazur. En tant que navigateur, je dois vous prévenir qu’il est trop risqué pour nous de s’y aventurer de nuit.
– Contesterais-tu la volonté du Grand Roi, Erig ?
– Non, je ne me le permettrai pas… Simplement…
– Nous sommes escortés par les deux plus fines lames de la chasse. Ce n’est pas quelques follets ou bandits qui nous arrêterons.
Lors de la nuit tombée, au cœur des chemins surplombés de feuillage, l’escorte continuait d’avancer. Gabrielle, bercée par le calme des branches virevoltant au vent, sentait ses paupières lourdes. Tandis qu’elle fermait les yeux et que son souffle ralentissait, un rugissement gronda depuis les bois.
– Attention !
Le chariot de la prisonnière se retourna sous un coup violent, faisant voler la toile couvrant la cage. La jeune femme vit de l’autre côté des barreaux un fauve à la gueule sanglante et aux griffes disproportionnées. Son museau trapu et crispé laissait entrevoir ses crocs saillant tandis que ses yeux brillant semblaient scruter chaque recoin la pénombre. Écrasé sous ses pattes, gisait une carcasse méconnaissable et démembrée.
Un frisson prit Gabrielle jusqu’aux tripes, car elle entendait encore, entre quelques grognements, le souffle frêle du pauvre homme. Non loin, un deuxième soldat aux jambes broyées sous la cage se mit à convulser. Dans son dernier raclement, une mousse sanglante coula le long de ses lèvres.
– Une vespièvre ! Couvre-moi ! S’écria Ikaar avant de sauter de sa monture.
En réaction, le monstre alla se réfugier en hauteur. Il bondit de troncs en troncs, faisant trembler les feuillages de façon erratique. Aria s’éloigna du bain de sang. Dans un calme glacial, elle sortit sa triarbalète, la chargea d’emblée et se mit en position de tir.
Le paladin, lui, tenait sa position en protégeant tous ses flancs. Lorsque la vespièvre se montra à nouveau, il bloqua son attaque et para d’un flash magique. La bête, aveuglée, se crispa et se mit à rugir. Aussitôt, une série de carreaux vint lui perforer la cuisse arrière.
– Je l’ai immobilisée ! S’exclama la tireuse.
Le monstre, qui crispait avec peine sa jambe blessée, se jeta à nouveau sur le chasseur. Mais ce dernier rétorqua d’un puissant revers de pavois.
– Retourne à la terre qui t’a fait naître, créature hérétique.
Ikaar le perfora de sa lance, lui déchiquetant la gueule dans une épaisse giclée de sang.
Une fois la tension redescendue, il fallut plusieurs minutes et beaucoup de sueurs aux soldats pour remettre le chariot sur ses roues et calmer les chevaux.
– Quel est le bilan ? Demanda Ostengarld au paladin.
– Nous avons perdu Erig et Arnold. Que leurs âmes s’élèvent.
– Nous enverrons une équipe pour les récupérer une fois arrivé. Nous n’allons pas risquer un autre bain de sang pour deux cadavres… Bien, je pense que tout est prêt. On peut repartir.
Sur ces mots, les hommes se remirent en selle et continuèrent leur voyage. Après une nuit sans repos, ponctuée de nausées morbide et de tremblements, Gabrielle entendit un brouhaha méconnaissable. Les voix se mêlaient aux sabots tapant le pavé dans toutes les directions. L’aire semblait se balancer entre les odeurs fétides et une touffeur poussiéreuse. Le Général et ses troupes venaient d’arriver à Azur, la capitale royale.
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