Chapitre 10

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 Dans un recoin perdu des faubourgs de Varfort, entremêlé de rues gangrenées par la pauvreté, Gabrielle et Ikkar avançaient sur le dos d’une monture à la carrure robuste et à l’armure couverte de symboles providentiels. Il n’était pas rare au détour d’une batisse croulante que des mendiants se penchent vers eux, tendant leur maigre bras et ouvrant leur main crasseuse pour espérer dans leur dernier espoir l’aumône. Le paladin ne leur adressa pas le moindre regard. Sa recrue, quant à elle, se tourna vers eux pour les regarder dans les yeux et leur murmurer d’une voix gorgée de remords :

Désolée… Je fais quelque chose d’important. Je ne peux pas vous aider maintenant.

Tu n’as nul besoin de t’excuser, car tu sers déjà tous les habitants ce royaume. Ta vie dépend de ce combat que tu mènes corps et âme pour leur simple protection, pour la préservation de la vie que Sanctia nous a donné. S’il t’arrive de douter, Gabrielle, regarde au plus profond de toi. Tu possèdes la flamme, toi aussi, tu trouveras cette voix.

Oui… Je vois ce que tu veux dire… Mais ce sont pas les prières qui apaiseront la douleur de ces gens.

S’ils sont bons, s’ils méritent le bonheur, alors leurs âmes s’élèveront. Ne t’inquiète pas, et concentres toi sur notre mission. Je vois le lieu de rendez-vous d’ici.

D’accord… soupira la jeune femme.

Au loin, il était possible de voir une auberge en ruine. Le toit écroulé et les murs fendus n’en faisaient même plus un repère de fortune. Non loin, assis contre un vieux ponton, le giboyeur attendait. L’endroit était dégagé et éclaircie, non propice à une embuscade.

Ça m’a l’air bon, on y va.

À l’arrivée des chasseurs, Vincent ne prit pas la peine de se retourner. Il se contenta de fixer les vaguelettes à la surface de la rivière calme, le souffle reposé.

Vous êtes donc venues.

Oui, et on espère que vous n’allez pas nous faire perdre notre temps, répondit le paladin.

L’histoire dans laquelle vous êtes désormais mêlé est compliquée. Enfin, je suppose que cela doit ressembler à votre quotidien. Pour commencer, j’aimerais vous dire une chose : William Etefort détenait la vespièvre ayant ravagé la forêt, et en retient encore deux autres en sa possession. Il s’en sert pour faire de la contrebande de poison rare au plus offrant.

Comprenez-vous le danger qu’une seule de ces créatures peut représenter pour une ville comme Varfort ? Étiez-vous au courant lorsque nous sommes venus vous voir ?

Oui, cela fait désormais plus de quinze printemps que je sais tout.

C’est un crime sérieux… Pourquoi n’avoir-rien dit ?

Il y a deux choses qui peuvent faire faire à un homme quelque chose d’aussi stupide : la cupidité et la peur pour ses proches. Pour moi, c’est la seconde. Mais les massacres des derniers jours et votre arrivée ici me font penser que je dois la surmonter. Il faut que cette folie s’arrête, ça a beaucoup trop duré…

Et qu’est-ce que vous avez à faire dans cette histoire ?

Cela remonte à mes dernières années de service. Lors du siège de Port-neuf, je faisais partis des soldats dépêchés sur place. Là-bas, j’y ai rencontré ma femme, Alice. Malgré la faim et la panique qui régnaient, nous avons forgé une relation solide. Lorsque le sud a été libéré, nous avons décidé de voyager ensemble jusqu’à Varfort, ma ville natale. Mais… Sur la route, en pleine forêt enneigée, nous nous sommes fait attaquer par une vespièvre.

Gabrielle écoutait ce récit avec le cœur serré. Ikaar, quant à lui, resta impassible. Il s’assit contre un tronc et laissa l’homme continuer son histoire :

Ayant quelques connaissances acquises lors de mes campagnes, je savais comment la faire fuir. Malheureusement, dans son excitation, pendant que je brandissais ma torche, le monstre a réussi à griffer ma femme… J’ai fait tout ce que j’ai pu pour elle, j’ai aspiré le venin hors de ses veines et ait déchiré mes propres vêtements pour bander sa plaie. Mais cela n’était pas suffisant. Il lui fallait un remède et… je connaissais déjà son ingrédient principal.”

Le venin de vespièvre… soupira le paladin.

Oui, j’ai donc décidé de traquer la bête moi-même. Laisser mon Alice seule en pleine forêt m’a brisé le cœur, mais j’ai réussi, j’ai retrouvé son nid quelques heures plus-tard. Cependant, quelque chose n’allait plus, la vespièvre était revenue blessée. Je ne sais pas si elle s’est battue contre un de ses congénère ou a attaqué le mauvais convoi, mais elle était dans état si piteux qu’elle s’est contenté de s’écrouler contre moi, comme si elle me suppliait d’en finir pour elle. Sans attendre, j’ai extrait son venin avec ma gourde. À cet instant, j’ai entendus des couinements venant du fond de sa tanière. Il y avait ses petits, trois fauvios tout juste assez grand pour tenir sur leurs pattes. C’est ainsi que j’ai fait une erreur…

Vincent soupira et leva les yeux au ciel avant de continuer.

Je les ai pris avec moi, je suis retournée à mon chariot et j’ai continué la route tout en m’occupant seul d’Alice. La suite ne m’a pas laissé le choix, j’ai donné le venin à un ami à moi qui penchait sur l’alchimie pour en créer un remède. Mais un seul n’allait pas suffire et les sous me manquaient. C’est à ce moment que j’ai décidé d’aller voir Etefort. Il m’a proposé une petite fortune et tout un tas de faveur en échange des bêtes. Il a tenu parole, tout en s’assurant de me faire comprendre les risques si je me mettais à parler.”

Et cela fait quinze années que vous gardez le secret ? demanda Gabrielle.

Oui, et c’est grâce à cela qu’Alice a pus avoir accès à un guérisseur et que nous avons pu avoir un fils.

Comment avez-vous appris qu’une vespièvre s’était échappée ? reprit Ikaar.

Les rumeurs vont vite dans la région quand on connaît du monde. J’ai appris la disparition du neveu d’un de mes amis il y a une dizaine de jours. Il travaillait dans l’atelier Etefort comme marqueur et a été agressé pendant une nuit. Il n’a jamais été retrouvé, mais je sais où ce pauvre garçon doit être en ce moment même s’il a croisé une de ces créatures : lesté et jeté à la rive pour qu’aucun ne découvre la vérité.

Dites-moi, Vincent, savez-vous où sont retenus les monstres ?

Oui… Je sais qu’il s’agit d’une cache sous les fondations de leur entrepôt. C’est une zone accessible par une issue unique et très restreinte, je n’ai pu y entrer qu’une seule fois et c’était il y a bien des années.

Et vous pensez que les monstres s’y trouvent encore ?

Il est fort probable, oui… Mais plus pour très longtemps. Avec votre arrivée, nul doute qu’Etefort envisage fortement de les déplacer et de se débarrasser de toute preuve.

Oh, ne vous inquiétez point pour cela, nous n’allons pas attendre plus longtemps pour agir. Gabrielle, te sens-tu prête à devenir une vraie chasseresse ?

Ne t’en fais pas pour moi, je suis prête à me battre.

Et contre des humains, s’il le fallait ?

Je… J’aimerais faire en sorte que personne ne meurt. Nos seules cibles sont ces vespièvres.

Laissez-moi venir avec vous ! s’exclama le giboyeur. Je connais l’endroit et certains des hommes qui y travaillent, je saurais les raisonner.

Bien, un guide ne sera pas de trop dans une opération comme celle-ci. Nous devrons être rapides et efficace. D’abord, allons rejoindre Aria et Joacquim, nous frapperons dès le coucher du soleil.

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